Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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AUGUSTE THIÉBAUD

ARTICLES, SERMONS ET MÉDITATIONS D'AUGUSTE THIÉBAUD
NOTICES BIOGRAPHIQUES

PAUL DE COULON
(1)
(1833-1922)

 Paul de Coulon était né à Neuchâtel le 31 mai 1833 ; il était de vieille souche huguenote et sa famille, établie dans notre pays depuis le milieu du XVIIIe siècle, est l'une de celles qui ont le plus honoré leur patrie d'adoption. C'est à son grand-père, Paul-Louis-Auguste Coulon, que notre canton fut redevable de l'institution modèle qu'était la Caisse d'Épargne ; et c'est Louis Coulon, son père, qui dota notre ville de ce riche Musée d'histoire naturelle dont elle s'enorgueillit à juste titre. Dès sa tendre enfance, il subit l'influence de la piété discrète mais profonde et active de ses parents ; de bonne heure aussi, il se sentit appelé à travailler pour le service de Dieu ; et il aimait à rappeler, dans sa vieillesse, que c'était dans sa chambre d'étudiant que s'était fondée l'Union chrétienne de Neuchâtel.

Il fit ses études de théologie dans notre ville sous la direction de Frédéric Godet pour qui il éprouva toujours un profond respect, et les compléta par un séjour de quelques mois à Édimbourg où il connut de près quelques-uns des fondateurs de l'Église libre d'Écosse. Il n'eut, du reste, pas le loisir de faire de longues pérégrinations dans les pays étrangers ; au printemps 1857 déjà, la paroisse de Fleurier réclamait ses services et il allait lui consacrer les dix premières années de son activité pastorale ; en 1867, il acceptait un appel de la paroisse de Corcelles-Cormondrèche et, en 1896, après quarante ans de ministère, venait s'établir à Neuchâtel, dans la maison de ses pères, pour y jouir d'un repos qui ne fut jamais l'inaction.

À Corcelles comme à Fleurier, le travail de M. de Coulon a laissé des traces bénies ; il était de ces hommes qui, tout en travaillant beaucoup eux-mêmes, savent faire appel à la collaboration d'autrui, discerner les bonnes volontés, les instruire et les mettre en valeur ; homme de bon sens, doué d'un esprit clairvoyant, ne se perdant jamais dans les détails, allant droit au but et ne redoutant pas l'opposition, il était de ceux dont on subit facilement l'ascendant et qui se sentent nés pour exercer l'autorité. Mais, en même temps, il y avait chez lui une grande bonté, une grande puissance de sympathie, qui lui ouvraient l'accès des coeurs et faisaient naître l'affection. Deux choses, surtout, étaient remarquables dans la façon dont il exerçait son ministère, la fidélité avec laquelle il s'occupait des malades et les soins qu'il vouait à l'instruction de la jeunesse ; tous ceux qui furent ses catéchumènes ont considéré comme un véritable privilège d'avoir pu bénéficier de ses leçons.

Mais l'activité de M. de Coulon fut loin de se limiter aux deux paroisses qui lui furent confiées et son influence s'est fait sentir dans toute sorte de domaines. C'est ainsi, par exemple, que, sans jouer un rôle de premier plan dans notre crise ecclésiastique et en laissant à d'autres le soin de défendre le christianisme menacé, il a exercé une grande influence sur ses collègues par la fermeté de ses vues ; c'est dans des séances tenues au presbytère de Corcelles que furent prises des décisions de la plus haute importance. Mais c'est tout particulièrement en faveur des Missions que, dès les premiers temps de son ministère et jusqu'à ses tout derniers jours, il a dépensé sans compter son temps et ses forces. Des colonnes entières de notre journal ne suffiraient pas à raconter ce qu'il a fait pour développer dans notre pays l'intérêt pour la cause missionnaire, pour travailler au développement de la libéralité, pour susciter et faire naître les vocations. Deux oeuvres surtout ont été l'objet de son affection et de ses prières : la Mission Romande à laquelle il s'est intéressé dès sa création, et la Société des Missions de Paris ; impossible de dire jusqu'où est allé son dévouement pour ces deux entreprises ; il fit partie pendant près de trente ans du Conseil de la Mission Romande, où il remplissait, aux côtés du professeur Renevier, les fonctions de vice-président ; il a préside la Société neuchâteloise des Missions ; il a fondé et rédigé jusqu'à aujourd'hui les Nouvelles de nos missionnaires : et surtout il a entretenu des relations personnelles suivies avec un nombre incalculable de missionnaires, correspondant régulièrement avec eux et leur accordant la plus large hospitalité lorsqu'ils passaient en Suisse ou y séjournaient. La nouvelle de sa mort sera pleurée dans maint presbytère d'Afrique comme on pleure la mort d'un père et bien des missionnaires, en apprenant qu'il n'est plus, sentiront qu'ils ont perdu leur meilleur ami.

Ce fut encore l'intérêt qu'il éprouvait pour la Mission qui l'engagea à ouvrir vers 1880 son presbytère de Corcelles à des jeunes gens qui désiraient se consacrer soit à l'évangélisation des païens, soit au ministère pastoral. Ainsi fut créée une institution unique en son genre et qui laisse des souvenirs inoubliables dans le coeur de tous ceux qui eurent le privilège d'en bénéficier. Le presbytère de Corcelles! que d'émotions précieuses ce seul nom suffit à évoquer! Lequel de ses hôtes de jadis pourrait, aujourd'hui encore, passer devant cette maison hospitalière sans la saluer comme on salue la maison paternelle et sans se découvrir comme devant un sanctuaire ! Quelles douces relations se nouaient entre ces jeunes gens qu'animait un même désir, que remplissait une même foi, et qui trouvaient en M. de Coulon le plus ferme et le plus éclairé des conseillers, en même temps, parfois, que le plus tendre des amis! Comme on travaillait dans cette maison dont le chef, levé tôt, toujours a l'oeuvre, donnait à cette jeunesse l'exemple de l'assiduité! Comme on s'y formait aux préoccupations du pasteur et du missionnaire, comme on s'y instruisait à la lecture des lettres des aînés ou par la conversation des hôtes de marque qui, à chaque instant, venaient s'asseoir à sa table hospitalière, les Boegner, les Appia, les Allégret, les de Boyve, pour ne parler que des étrangers. Le moment vint où le presbytère se ferma ; mais la maison de Neuchâtel resta largement ouverte à ceux qui avaient appartenu à cette grande famille ; et, du reste, à Neuchâtel comme à Corcelles, M. Coulon fut pendant de longues années l'homme auquel s'adressaient tout naturellement ceux qui, désireux d'entrer au service des Missions, avaient besoin d'aide ou de conseils.

Et que dire des oeuvres diverses auxquelles le défunt a voué une part plus ou moins grande de son temps ? L'École normale de Peseux, transplantée à Neuchâtel sous le nom de Foyer évangélique, les Écoles du dimanche, l'oeuvre des Protestants disséminés, n'ont pas eu pendant longtemps de soutien plus actif ; c'était chez lui que leurs comités se réunissaient et c'était lui qui les présidait. Et surtout, comment donner une idée de la multitude de gens de toute classe dont il s'est occupé, leur cherchant des places, les dirigeant dans le choix d'une vocation, gérant leur petit avoir, les visitant ou leur donnant l'hospitalité? Pendant son ministère à Fleurier, M. Coulon avait remarqué une fillette dont l'intelligence éveillée ne pouvait se contenter des leçons de l'école primaire et ce fut Mme Coulon qui devint l'institutrice de l'enfant. Puis, comme cette dernière était fluette, on jugea qu'un séjour de montagne lui ferait du bien, et elle alla passer plusieurs semaines dans ce Chaumont dont M. Louis Coulon avait planté de sa main presque tous les arbres.

Et ce que le regretté pasteur a fait pour la petite Fleurisane qui tenait de bien près à l'auteur de ces lignes n'est qu'un trait entre mille de cette générosité dont tant de gens ont éprouvé les bienfaits, vieillards et enfants, ouvriers, étudiants, missionnaires, diaconesses.

Et tout ce bien, M. de Coulon l'a fait simplement, sans ostentation, par amour pour son prochain et surtout pour le Maître auquel il s'est donné dès ses jeunes années. Sa mémoire, comme celle de son grand-père, de son père, de sa soeur, sera longtemps en bénédiction parmi nous. Puisse le grand et bel exemple qu'il nous a donné porter des fruits dans nos vies et surtout, puissent ceux qui ont tant reçu de lui, se faire un devoir et un privilège de travailler à la prospérité des oeuvres de toute nature auxquelles il a consacré sa longue carrière.


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GUSTAVE HENRIOD (2)
(1849-1929)

Il était né le 13 novembre 1849 à Valangin, où son père, Louis-Constant Henriod, fut pasteur de 1845 à 1865. Il eut, parmi les siens, une heureuse enfance, dont le souvenir l'accompagna jusqu'au soir de sa vie et par laquelle il faut expliquer, sans doute, la candeur extraordinaire de sa nature et cette fraîcheur de sentiments qui étonnait tous ceux qui le voyaient dans l'intimité. Il dut beaucoup à sa tendre mère, qu'il eut la joie de conserver jusqu'à un âge avancé ; ce fut sur ses genoux qu'il apprit à prier et fit la connaissance de ces belles figures de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance qu'il aimait tant à évoquer et dont il parlait avec tant de chaleur et de pénétration. Il perdit son père avant d'avoir achevé sa vingt-cinquième année, mais il n'en subit pas moins fortement l'influence de cette personnalité vigoureuse, aux traits accentués, aux principes arrêtés, et qui cachait sous une apparence austère une âme passionnée et chevaleresque.

Gustave Henriod avait environ seize ans quand sa vie religieuse personnelle se dégagea de la piété familiale à la suite d'une expérience intime qui laissa dans son âme une empreinte ineffaçable et le mit en présence du Dieu saint et miséricordieux. Fils et petit-fils de pasteurs, en possession d'une foi vivante en Jésus le Sauveur, il n'eut aucune peine à discerner la carrière à laquelle Dieu le destinait. Après de solides études au collège et dans les auditoires de Neuchâtel, il entra, le 12 septembre 1868, à la faculté de théologie, où Frédéric Godet et Félix Bovet furent ses maîtres préférés. Comme tous ses camarades, il suivit avec un intérêt passionné les luttes d'une époque où le rationalisme négateur cherchait à briser l'unité doctrinale de l'Église neuchâteloise.

Autorise, en automne 1870, à aller continuer ses études en Allemagne, il se rendit à Leipzig avec ses amis G. Wavre et J. Barrelet, et passa un an dans cette ville aux pieds de Delitzsch et de Luthardt. C'était l'année de la guerre franco-allemande. Douloureusement émus du sort des prisonniers français qui affluaient autour d'eux, les trois jeunes Neuchâtelois eurent l'idée de rechercher leurs coreligionnaires et de célébrer à leur intention des cultes dans leur langue maternelle. Ce fut Gustave Henriod qui alla, tout tremblant, solliciter du commandant de place l'autorisation de réaliser ce dessein ; ce fut lui aussi qui inaugura ces modestes assemblées en prêchant bravement (il souriait plus tard de sa naïveté) son premier sermon de faculté sur Rom. 1, 20 : « Les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l'oeil quand on les considère dans ses oeuvres ».

Il rentra à Neuchâtel en été 1871 et y suivit encore quelques cours tout en préparant ses grands examens et une thèse sur le Péché, qu'il soutint le 18 juin 1872. Il fut consacré le 25 septembre de la même année et nommé aussitôt subside du Val-de-Travers, avec résidence à Noiraigue, où il eut pour plus proche voisin et pour conseiller M. Henri DuBois, qui était alors pasteur à Travers. Ce ne fut pas pour longtemps. Comme son père, Gustave Henriod était de ceux qui, d'emblée, avaient jugé inacceptable la loi du 20 mai 1873, qui supprimait le droit de contrôle du Synode sur l'enseignement des pasteurs et ouvrait les chaires à la prédication du christianisme libéral ; quand la loi fut mise en vigueur à la suite de la mémorable votation des 12, 13 et 14 septembre, il donna sa démission et se rattacha à l'Église indépendante ; peu après, la paroisse en formation de Fleurier fit appel à ses services ; il y fut installé le 9 novembre 1873 (3) et devait y rester jusqu'au 14 octobre 1917.

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Ce n'est pas que G. Henriod, en arrivant à Fleurier, y ait eu la tâche très facile. L'église était peu nombreuse, il est vrai ; mais la formation de ce petit groupe, qui s'était détaché de la paroisse nationale avant même que le sort de la loi ecclésiastique eût été tranché, avait été vue de fort mauvais oeil par la population, qui, pendant très longtemps, exerça à l'égard des mômiers le plus rigoureux ostracisme ; par exemple, il fallut bien près d'un quart de siècle, sinon davantage, pour qu'elle se décidât à accorder à leur pasteur un siège à la Commission scolaire! D'autre part, G. Henriod n'était pas de santé très robuste ; on avait bien des raisons de craindre qu'il ne fût pas de taille à « racheter » le rude climat du Val-de-Travers, et, s'il y parvint, avec les années, ce ne fut certes qu'à force de soins et de ménagements. Mais ces obstacles n'étaient de nature à décourager ni le jeune pasteur, qui, sous sa timidité apparente, cachait un courage et une énergie insoupçonnés, ni ses paroissiens, qui, d'emblée, avaient reconnu sa maturité spirituelle et l'avaient entouré de confiance et d'affection ; les épreuves et les difficultés ne firent que resserrer des liens qui s'étaient formés dès le premier jour. Et puis, Dieu était là, conduisant toutes choses pour le bien de ses enfants.

Un an était à peine écoulé, en effet, qu'à l'occasion de réunions présidées par M. Stockmayer, alors pasteur à l'Auberson, près Sainte-Croix, un souffle de réveil passait sur la petite église et renouvelait sa vie.

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La paroisse indépendante de Fleurier eut dès ce moment le vent dans la voile et, en dépit de l'opposition qu'elle continuait à rencontrer, en dépit même de ses faiblesses, car elle en avait, elle commença à se développer au delà des prévisions les plus optimistes. Cinq ans plus tard, bien que de nombreux départs dus à une grave crise horlogère l'eussent appauvrie de plus de membres qu'elle n'en comptait à ses débuts, elle avait triplé son effectif et le nombre de ses membres avait passé de cinquante à cent quarante-sept.

Combien nous souhaiterions qu'il nous fût possible de nous attarder un peu longuement au sein de cette famille spirituelle, a laquelle nous rattachent quelques-uns des plus doux souvenirs de notre enfance et de notre jeunesse! La génération qui accueillit G. Henriod il y a cinquante-six ans a disparu à peu près tout entière ; les jeunes gens qu'il instruisit dans les premières années de son ministère à Fleurier ont aujourd'hui dépassé et de beaucoup l'âge qu'avaient alors les Charles Guillaume, les Volkmar Andreae, les James Clerc, les jules Jéquier, les Auguste Pettavel, les Louis-F. Robert, les Louis Gruaz et tant d'autres, dont nos yeux d'enfants faisaient des patriarches. De dix ou vingt ans plus âgés que leur pasteur, ces hommes, dont plusieurs étaient des personnalités remarquables, l'enveloppaient d'une considération affectueuse qui allait moins à ses fonctions qu'à sa personne, et moins à ses facultés intellectuelles, qui pourtant étaient grandes, qu'à la profondeur et au sérieux de sa vie intérieure. Ils n'étaient pas seuls, du reste, à subir son ascendant. Le village était, à cette époque, un lieu de villégiature et l'on y voyait revenir chaque été, pour un ou deux mois, un certain nombre d'anciennes familles fleurisanes habitant Neuchâtel ou même l'étranger ; la plupart de ces hôtes, qu'ils se rattachassent ou non à l'Église indépendante, appréciaient à sa juste valeur le privilège d'entendre pendant quelques dimanches un prédicateur qui savait s'oublier lui-même complètement et contraindre ses auditeurs à fixer leur attention sur le message qui lui était confié.

En 1897, le comité de la Bible annotée, désireux d'arriver plus rapidement au terme de l'entreprise qu'il poursuivait depuis trente ans, pria G. Henriod de se charger de la traduction et de l'annotation du livre des Psaumes. Le pasteur de Fleurier ne pouvait accepter pareille tâche qu'à la condition d'être déchargé d'une partie de son travail, ce qui eut lieu par la nomination d'un suffragant, d'abord en la personne de M. Léopold Perrin, puis de M. Paul DuPasquier et enfin de M. Jean-Louis Herzog. Pasteur et paroissiens accueillirent avec une vive satisfaction l'arrivée de ces jeunes forces. Celles-ci survenaient du reste au moment le plus opportun. En effet, la paroisse nationale passait à cette époque par une crise douloureuse, qui détermina à la fin d'août de l'année 1900 un groupe de deux cent trente adultes et d'une centaine d'enfants à demander momentanément, pour les cultes du dimanche, la cure d'âmes et l'instruction de la jeunesse, l'hospitalité de l'église indépendante, hospitalité qui lui fut accordée de fort bonne grâce et sans arrière-pensée de prosélytisme ; l'arrangement conclu demeura en vigueur pendant près de trois ans.

On ne se tromperait probablement pas en disant que ces années marquèrent l'apogée du ministère de G. Henriod, dont le travail fidèle et persévérant, uni à sa charité, à sa discrétion, à ses dispositions pacifiques, obtint enfin une récompense largement méritée. Ce furent sans doute encore des années de labeur au sein d'une paroisse qui s'étendait aux villages voisins de Buttes et de Saint-Sulpice et même à la montagne de Boveresse ; mais ce furent également des années de paisible bonheur, où les joies de la famille s'ajoutaient aux marques de respect et de reconnaissance qui venaient de toute la population.

Mais le temps poursuivait sa marche implacable ; G. Henriod, qui avait d'abord été le plus jeune des pasteurs indépendants du Val-de-Travers, en était peu à peu devenu le doyen et avait même vu les paroisses voisines changer deux ou trois fois de conducteur spirituel. Autour de lui les vides se creusaient et il avait le douloureux privilège d'adresser l'au revoir suprême aux derniers survivants de la génération qui l'avait accueilli en 1873. Déjà il voyait prendre place au catéchisme les fils et les filles des enfants qu'il avait instruits autrefois. Puis ce fut la guerre, qui sema l'angoisse dans les coeurs et multiplia les difficultés. L'heure devait sonner où G. Henriod, âgé de soixante-huit ans et sentant ses forces diminuer, aspirerait à déposer ses responsabilités, et ses paroissiens, qui, souvent, au cours des ans, avaient tremblé à la pensée de le perdre, ne se sentirent pas la liberté de le retenir. Il prit congé d'eux officiellement le 14 octobre 1917; mais, de Cormondrèche, qu'il avait choisi pour en faire le lieu de sa retraite, il leur fit de fréquentes visites, qui ne prirent fin que lorsque des infirmités croissantes l'obligèrent à renoncer à la prédication.

Tel fut ce beau et long ministère, dont l'éternité seule révélera tous les fruits, mais qui dès ici-bas valut à G. Henriod, de la part de ceux qui en furent les objets, une confiance, une vénération et presque une tendresse dont il est donné à peu de pasteurs de jouir aussi pleinement.

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Du commencement à la fin de son ministère, il s'associa avec un grand zèle à l'activité générale de l'Église et siégea presque toute sa vie dans 1 1 une, au moins, et parfois dans deux de nos principales commissions... Sans jouer dans la Croix-Bleue un rôle très en vue, il fut l'un des premiers parmi nous à en comprendre la valeur et à y adhérer ..... Quant à sa collaboration au journal religieux, elle est suffisamment connue et appréciée de nos lecteurs pour que nous n'ayons pas à nous y arrêter longuement ; d'abord occasionnelle, elle ne tarda pas à devenir régulière et se poursuivit pendant plus d'un demi-siècle ; quand l'affaiblissement de sa vue ne lui permit plus de tenir la plume, il s'exerça à dicter ses articles... Autre trait non moins touchant : de tout temps et surtout pendant la première partie de sa carrière, G. Henriod eut l'oeil ouvert sur les jeunes gens qu'il jugeait capables d'entrer dans le ministère et, non content de chercher, avec la plus grande discrétion, à éveiller leur intérêt pour la vocation pastorale, il leur en facilita l'accès par des leçons de latin et de grec qu'il était probablement seul, au village, à pouvoir donner de façon aussi sûre et aussi prolongée ; celui qui écrit ces lignes fut son élève pendant six ans, six ans durant lesquels, à la seule exception des brèves vacances de l'été, G. Henriod s'astreignit quatre fois par semaine à abréger sa tournée de visites et à rentrer chez lui vers quatre heures pour faire conjuguer des verbes, corriger des exercices et interpréter la longue série des auteurs anciens!

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Mais, impossible de tout dire. Essayons encore, avant de poser la plume, de mettre en lumière ce qui fut l'âme de cette vie si riche et de cette carrière si bien remplie. Ce n'est pas précisément chose facile ; car il n'y eut pas, à proprement parler, de trait dominant et aisément saisissable dans la personnalité de G. Henriod, et ce qui le caractérisa fut bien plutôt un ensemble de qualités fidèlement cultivées, dont aucune ne s'affirmait de manière à rejeter les autres dans la pénombre et qui, pour cette raison même, constituaient un tout parfaitement harmonieux ..... Humble et vrai! Ces deux mots sont peut-être ceux qui nous livrent le mieux le secret de l'ascendant que G. Henriod exerça sur tous ceux qui eurent le privilège de marcher à ses côtés. Humble, il l'était, d'une humilité qui n'avait rien d'apprêté ni de forcé, et qui se manifestait d'une façon toute naturelle par la déférence avec laquelle il écoutait ceux qui avaient quelque chose à lui dire, par le soin avec lequel il pesait leurs avis, par la lenteur et même l'hésitation avec lesquels il exprimait le sien, par les aveux naïfs et parfois déconcertants qui sortaient de sa bouche. Ne commença-t-il pas une prédication en racontant que, traversant la montagne, un dimanche d'hiver, pour aller présider la réunion de la Charbonnière, il s'arrêta saisi à la vue du tapis immaculé qui s'étendait sous ses yeux, se disant à lui-même : Tu es la seule tache au milieu de toute cette blancheur! Tant d'humilité pouvait donner le change au premier abord et faire croire que cet homme toujours défiant de lui-même, toujours prêt, selon le mot de l'apôtre, à placer les autres au-dessus de lui, était de ceux dont on peut impunément mépriser la faiblesse. Mais quand on l'avait vu à l'oeuvre, que l'on avait pu se rendre compte de la richesse et de l'étendue de sa culture, que l'on avait éprouvé la solidité de son jugement et vu le ferme courage avec lequel il soutenait et défendait ses convictions, on discernait, sous cette faiblesse apparente, une force et même une grande force, sur laquelle on était heureux de s'appuyer; et aujourd'hui qu'il n'est plus, n'est-il pas vrai que nous sentons tous qu'une colonne a été renversée et qu'une authentique lumière s'est éteinte parmi nous?

Et en même temps qu'il était humble, G. Henriod fut vrai, vrai de cette vérité profonde qui fait que non seulement la parole répond à la pensée, mais que la vie extérieure tout entière est en harmonie avec la conviction intérieure. Impossible de rappeler son souvenir sans faire usage des termes de clarté, de lumière, de transparence ; il ne cachait rien et n'avait rien à cacher ; ce qu'il prêchait, c'était aussi ce qu'il croyait, et il le prêchait simplement, sans recherche, de manière à ne jamais attirer l'attention sur sa personne et à l'obliger à se fixer uniquement sur le message qu'il apportait ou mieux encore sur le Maître qu'il servait. Et cette sincérité absolue, qui se manifesta, dans son enseignement comme dans sa vie, par une marche sûre et progressive vers une foi plus personnelle, vers une compréhension toujours plus ferme et Plus riche de l'Évangile, nous explique pourquoi, dans son humilité et son effacement volontaire, il a été une autorité dans toute l'étendue et la force du terme, une autorité pour ses paroissiens, qui s'inclinaient avec respect et reconnaissance devant sa maturité spirituelle, une autorité pour ses collègues, jeunes et vieux, qui accueillaient d'autant plus volontiers sa parole qu'elle ne cherchait point a s'imposer et qu'elle venait, on le sentait, on en avait l'intuition très nette et très sûre, des sources profondes où s'alimentait sa vie, de sa communion ininterrompue et toujours plus intime avec son Sauveur et son Dieu .....


Table des matières

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Les péchés d'autrui, Genèse XXXVII, 2

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(1) Journal religieux du 2 septembre 1922.

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(2) journal religieux des 22 juin, 29 juin et 6 juillet 1929.

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(3) La date du 9 novembre 1873 est celle de la nomination de G. Henriod à Fleurier ; l'installation eut lieu le 23 novembre par les soins de M. Frédéric Godet et de deux autres délégués du Synode.

 

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