AUGUSTE
THIÉBAUD
ARTICLES, SERMONS ET
MÉDITATIONS D'AUGUSTE
THIÉBAUD
NOTICES BIOGRAPHIQUES
PAUL DE COULON
(1)
(1833-1922)
Paul de Coulon était né
à Neuchâtel le 31 mai 1833 ; il
était de vieille souche huguenote et sa
famille, établie dans notre pays depuis le
milieu du XVIIIe siècle, est l'une de celles
qui ont le plus honoré leur patrie
d'adoption. C'est à son grand-père,
Paul-Louis-Auguste Coulon, que notre canton fut
redevable de l'institution modèle
qu'était la Caisse d'Épargne ; et
c'est Louis Coulon, son père, qui dota notre
ville de ce riche Musée d'histoire naturelle
dont elle s'enorgueillit à juste titre.
Dès sa tendre enfance, il subit l'influence
de la piété discrète mais
profonde et active de ses parents ; de bonne heure
aussi, il se sentit appelé à
travailler pour le service de Dieu ; et il aimait
à rappeler, dans sa vieillesse, que
c'était dans sa chambre d'étudiant
que s'était fondée l'Union
chrétienne de Neuchâtel.
Il fit ses études de
théologie dans notre ville sous la direction
de Frédéric Godet pour qui il
éprouva toujours un profond respect, et les
compléta par un séjour de quelques
mois à Édimbourg où il connut
de près quelques-uns des fondateurs de
l'Église libre d'Écosse. Il n'eut, du
reste, pas le loisir de faire de longues
pérégrinations dans les pays
étrangers ; au printemps 1857
déjà, la paroisse de Fleurier
réclamait ses services et il allait lui
consacrer les dix premières années de
son activité pastorale ; en 1867, il
acceptait un appel de la paroisse de
Corcelles-Cormondrèche et, en 1896,
après quarante ans de ministère,
venait s'établir à Neuchâtel,
dans la maison de ses pères, pour y jouir
d'un repos qui ne fut jamais l'inaction.
À Corcelles comme à
Fleurier, le travail de M. de Coulon a
laissé des traces bénies ; il
était de ces hommes qui, tout en travaillant
beaucoup eux-mêmes, savent faire appel
à la collaboration d'autrui, discerner les
bonnes volontés, les instruire et les mettre
en valeur ; homme de bon sens, doué d'un
esprit clairvoyant, ne se perdant jamais dans les
détails, allant droit au but et ne redoutant
pas l'opposition, il était de ceux dont on
subit facilement l'ascendant et qui se sentent
nés pour exercer l'autorité. Mais, en
même temps, il y avait chez lui une grande
bonté, une grande puissance de sympathie,
qui lui ouvraient l'accès des coeurs et
faisaient naître l'affection. Deux choses,
surtout, étaient remarquables dans la
façon dont il exerçait son
ministère, la fidélité avec
laquelle il s'occupait des malades et les soins
qu'il vouait à l'instruction de la jeunesse
; tous ceux qui furent ses
catéchumènes ont
considéré comme un véritable
privilège d'avoir pu
bénéficier de ses
leçons.
Mais l'activité de M. de
Coulon fut loin de se limiter aux deux paroisses
qui lui furent confiées et son influence
s'est fait sentir dans toute sorte de domaines.
C'est ainsi, par exemple, que, sans jouer un
rôle de premier plan dans notre crise
ecclésiastique et en laissant à
d'autres le soin de défendre le
christianisme menacé, il a exercé une
grande influence sur ses collègues par la
fermeté de ses vues ; c'est dans des
séances tenues au presbytère de
Corcelles que furent prises des décisions de
la plus haute importance. Mais c'est tout
particulièrement en faveur des Missions que,
dès les premiers temps de son
ministère et jusqu'à ses tout
derniers jours, il a dépensé sans
compter son temps et ses forces. Des colonnes
entières de notre journal ne suffiraient pas
à raconter ce qu'il a fait pour
développer dans notre pays
l'intérêt pour la cause missionnaire,
pour travailler au développement de la
libéralité, pour susciter et faire
naître les vocations. Deux oeuvres surtout
ont été l'objet de son affection et
de ses prières : la Mission Romande à
laquelle il s'est intéressé
dès sa création, et la
Société des Missions de Paris ;
impossible de dire jusqu'où est allé
son dévouement pour ces deux entreprises ;
il fit partie pendant près de trente ans du
Conseil de la Mission Romande, où il
remplissait, aux côtés du professeur
Renevier, les fonctions de vice-président ;
il a préside la Société
neuchâteloise des Missions ; il a
fondé et rédigé jusqu'à
aujourd'hui les Nouvelles de nos missionnaires : et
surtout il a entretenu des relations personnelles
suivies avec un nombre
incalculable de missionnaires, correspondant
régulièrement avec eux et leur
accordant la plus large hospitalité
lorsqu'ils passaient en Suisse ou y
séjournaient. La nouvelle de sa mort sera
pleurée dans maint presbytère
d'Afrique comme on pleure la mort d'un père
et bien des missionnaires, en apprenant qu'il n'est
plus, sentiront qu'ils ont perdu leur meilleur
ami.
Ce fut encore l'intérêt
qu'il éprouvait pour la Mission qui
l'engagea à ouvrir vers 1880 son
presbytère de Corcelles à des jeunes
gens qui désiraient se consacrer soit
à l'évangélisation des
païens, soit au ministère pastoral.
Ainsi fut créée une institution
unique en son genre et qui laisse des souvenirs
inoubliables dans le coeur de tous ceux qui eurent
le privilège d'en bénéficier.
Le presbytère de Corcelles! que
d'émotions précieuses ce seul nom
suffit à évoquer! Lequel de ses
hôtes de jadis pourrait, aujourd'hui encore,
passer devant cette maison hospitalière sans
la saluer comme on salue la maison paternelle et
sans se découvrir comme devant un sanctuaire
! Quelles douces relations se nouaient entre ces
jeunes gens qu'animait un même désir,
que remplissait une même foi, et qui
trouvaient en M. de Coulon le plus ferme et le plus
éclairé des conseillers, en
même temps, parfois, que le plus tendre des
amis! Comme on travaillait dans cette maison dont
le chef, levé tôt, toujours a
l'oeuvre, donnait à cette jeunesse l'exemple
de l'assiduité! Comme on s'y formait aux
préoccupations du pasteur et du
missionnaire, comme on s'y instruisait à la
lecture des lettres des aînés ou par
la conversation des hôtes
de marque qui, à chaque
instant, venaient s'asseoir à sa table
hospitalière, les Boegner, les Appia, les
Allégret, les de Boyve, pour ne parler que
des étrangers. Le moment vint où le
presbytère se ferma ; mais la maison de
Neuchâtel resta largement ouverte à
ceux qui avaient appartenu à cette grande
famille ; et, du reste, à Neuchâtel
comme à Corcelles, M. Coulon fut pendant de
longues années l'homme auquel s'adressaient
tout naturellement ceux qui, désireux
d'entrer au service des Missions, avaient besoin
d'aide ou de conseils.
Et que dire des oeuvres diverses
auxquelles le défunt a voué une part
plus ou moins grande de son temps ? L'École
normale de Peseux, transplantée à
Neuchâtel sous le nom de Foyer
évangélique, les Écoles du
dimanche, l'oeuvre des Protestants
disséminés, n'ont pas eu pendant
longtemps de soutien plus actif ; c'était
chez lui que leurs comités se
réunissaient et c'était lui qui les
présidait. Et surtout, comment donner une
idée de la multitude de gens de toute classe
dont il s'est occupé, leur cherchant des
places, les dirigeant dans le choix d'une vocation,
gérant leur petit avoir, les visitant ou
leur donnant l'hospitalité? Pendant son
ministère à Fleurier, M. Coulon avait
remarqué une fillette dont l'intelligence
éveillée ne pouvait se contenter des
leçons de l'école primaire et ce fut
Mme Coulon qui devint l'institutrice de l'enfant.
Puis, comme cette dernière était
fluette, on jugea qu'un séjour de montagne
lui ferait du bien, et elle alla passer plusieurs
semaines dans ce Chaumont dont M. Louis Coulon
avait planté de sa main presque tous les
arbres.
Et ce que le regretté pasteur
a fait pour la petite Fleurisane qui tenait de bien
près à l'auteur de ces lignes n'est
qu'un trait entre mille de cette
générosité dont tant de gens
ont éprouvé les bienfaits, vieillards
et enfants, ouvriers, étudiants,
missionnaires, diaconesses.
Et tout ce bien, M. de Coulon l'a
fait simplement, sans ostentation, par amour pour
son prochain et surtout pour le Maître auquel
il s'est donné dès ses jeunes
années. Sa mémoire, comme celle de
son grand-père, de son père, de sa
soeur, sera longtemps en bénédiction
parmi nous. Puisse le grand et bel exemple qu'il
nous a donné porter des fruits dans nos vies
et surtout, puissent ceux qui ont tant reçu
de lui, se faire un devoir et un privilège
de travailler à la prospérité
des oeuvres de toute nature auxquelles il a
consacré sa longue carrière.
.
GUSTAVE HENRIOD
(2)
(1849-1929)
Il était né le 13 novembre 1849
à Valangin, où son père,
Louis-Constant Henriod, fut pasteur de 1845
à 1865. Il eut, parmi les siens, une
heureuse enfance, dont le souvenir l'accompagna
jusqu'au soir de sa vie et par laquelle il faut
expliquer, sans doute, la candeur
extraordinaire de sa nature et cette
fraîcheur de sentiments qui étonnait
tous ceux qui le voyaient dans l'intimité.
Il dut beaucoup à sa tendre mère,
qu'il eut la joie de conserver jusqu'à un
âge avancé ; ce fut sur ses genoux
qu'il apprit à prier et fit la connaissance
de ces belles figures de l'Ancienne et de la
Nouvelle Alliance qu'il aimait tant à
évoquer et dont il parlait avec tant de
chaleur et de pénétration. Il perdit
son père avant d'avoir achevé sa
vingt-cinquième année, mais il n'en
subit pas moins fortement l'influence de cette
personnalité vigoureuse, aux traits
accentués, aux principes
arrêtés, et qui cachait sous une
apparence austère une âme
passionnée et chevaleresque.
Gustave Henriod avait environ seize
ans quand sa vie religieuse personnelle se
dégagea de la piété familiale
à la suite d'une expérience intime
qui laissa dans son âme une empreinte
ineffaçable et le mit en présence du
Dieu saint et miséricordieux. Fils et
petit-fils de pasteurs, en possession d'une foi
vivante en Jésus le Sauveur, il n'eut aucune
peine à discerner la carrière
à laquelle Dieu le destinait. Après
de solides études au collège et dans
les auditoires de Neuchâtel, il entra, le 12
septembre 1868, à la faculté de
théologie, où Frédéric
Godet et Félix Bovet furent ses
maîtres préférés. Comme
tous ses camarades, il suivit avec un
intérêt passionné les luttes
d'une époque où le rationalisme
négateur cherchait à briser
l'unité doctrinale de l'Église
neuchâteloise.
Autorise, en automne 1870, à
aller continuer ses études en Allemagne, il
se rendit à Leipzig avec ses amis G. Wavre
et J. Barrelet, et passa un an dans cette ville aux
pieds de Delitzsch et de
Luthardt. C'était l'année de la
guerre franco-allemande. Douloureusement
émus du sort des prisonniers français
qui affluaient autour d'eux, les trois jeunes
Neuchâtelois eurent l'idée de
rechercher leurs coreligionnaires et de
célébrer à leur intention des
cultes dans leur langue maternelle. Ce fut Gustave
Henriod qui alla, tout tremblant, solliciter du
commandant de place l'autorisation de
réaliser ce dessein ; ce fut lui aussi qui
inaugura ces modestes assemblées en
prêchant bravement (il souriait plus tard de
sa naïveté) son premier sermon de
faculté sur Rom. 1, 20 : « Les
perfections invisibles de Dieu, sa puissance
éternelle et sa divinité, se voient
comme à l'oeil quand on les considère
dans ses oeuvres ».
Il rentra à Neuchâtel
en été 1871 et y suivit encore
quelques cours tout en préparant ses grands
examens et une thèse sur le
Péché, qu'il soutint le 18 juin 1872.
Il fut consacré le 25 septembre de la
même année et nommé
aussitôt subside du Val-de-Travers, avec
résidence à Noiraigue, où il
eut pour plus proche voisin et pour conseiller M.
Henri DuBois, qui était alors pasteur
à Travers. Ce ne fut pas pour longtemps.
Comme son père, Gustave Henriod était
de ceux qui, d'emblée, avaient jugé
inacceptable la loi du 20 mai 1873, qui supprimait
le droit de contrôle du Synode sur
l'enseignement des pasteurs et ouvrait les chaires
à la prédication du christianisme
libéral ; quand la loi fut mise en vigueur
à la suite de la mémorable votation
des 12, 13 et 14 septembre, il donna sa
démission et se rattacha à
l'Église indépendante ; peu
après, la paroisse en formation de Fleurier
fit appel à ses services ;
il y fut installé le 9 novembre 1873
(3) et devait y
rester jusqu'au 14 octobre 1917.
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Ce n'est pas que G. Henriod, en arrivant
à Fleurier, y ait eu la tâche
très facile. L'église était
peu nombreuse, il est vrai ; mais la formation de
ce petit groupe, qui s'était
détaché de la paroisse nationale
avant même que le sort de la loi
ecclésiastique eût été
tranché, avait été vue de fort
mauvais oeil par la population, qui, pendant
très longtemps, exerça à
l'égard des mômiers le plus rigoureux
ostracisme ; par exemple, il fallut bien
près d'un quart de siècle, sinon
davantage, pour qu'elle se décidât
à accorder à leur pasteur un
siège à la Commission scolaire!
D'autre part, G. Henriod n'était pas de
santé très robuste ; on avait bien
des raisons de craindre qu'il ne fût pas de
taille à « racheter » le rude
climat du Val-de-Travers, et, s'il y parvint, avec
les années, ce ne fut certes qu'à
force de soins et de ménagements. Mais ces
obstacles n'étaient de nature à
décourager ni le jeune pasteur, qui, sous sa
timidité apparente, cachait un courage et
une énergie insoupçonnés, ni
ses paroissiens, qui, d'emblée, avaient
reconnu sa maturité spirituelle et l'avaient
entouré de confiance et d'affection ; les
épreuves et les difficultés ne firent
que resserrer des liens qui s'étaient
formés dès le premier jour. Et puis,
Dieu était là, conduisant toutes
choses pour le bien de ses enfants.
Un an était à peine
écoulé, en effet, qu'à
l'occasion de réunions
présidées par M. Stockmayer, alors
pasteur à l'Auberson, près
Sainte-Croix, un souffle de réveil passait
sur la petite église et renouvelait sa vie.
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La paroisse indépendante de Fleurier eut
dès ce moment le vent dans la voile et, en
dépit de l'opposition qu'elle continuait
à rencontrer, en dépit même de
ses faiblesses, car elle en avait, elle
commença à se développer au
delà des prévisions les plus
optimistes. Cinq ans plus tard, bien que de
nombreux départs dus à une grave
crise horlogère l'eussent appauvrie de plus
de membres qu'elle n'en comptait à ses
débuts, elle avait triplé son
effectif et le nombre de ses membres avait
passé de cinquante à cent
quarante-sept.
Combien nous souhaiterions qu'il
nous fût possible de nous attarder un peu
longuement au sein de cette famille spirituelle, a
laquelle nous rattachent quelques-uns des plus doux
souvenirs de notre enfance et de notre jeunesse! La
génération qui accueillit G. Henriod
il y a cinquante-six ans a disparu à peu
près tout entière ; les jeunes gens
qu'il instruisit dans les premières
années de son ministère à
Fleurier ont aujourd'hui dépassé et
de beaucoup l'âge qu'avaient alors les
Charles Guillaume, les Volkmar Andreae, les James
Clerc, les jules Jéquier, les Auguste
Pettavel, les Louis-F. Robert, les Louis Gruaz et
tant d'autres, dont nos yeux d'enfants faisaient
des patriarches. De dix ou vingt ans plus
âgés que leur pasteur, ces hommes,
dont plusieurs étaient des
personnalités remarquables, l'enveloppaient
d'une considération
affectueuse qui allait moins à ses fonctions
qu'à sa personne, et moins à ses
facultés intellectuelles, qui pourtant
étaient grandes, qu'à la profondeur
et au sérieux de sa vie intérieure.
Ils n'étaient pas seuls, du reste, à
subir son ascendant. Le village était,
à cette époque, un lieu de
villégiature et l'on y voyait revenir chaque
été, pour un ou deux mois, un certain
nombre d'anciennes familles fleurisanes habitant
Neuchâtel ou même l'étranger ;
la plupart de ces hôtes, qu'ils se
rattachassent ou non à l'Église
indépendante, appréciaient à
sa juste valeur le privilège d'entendre
pendant quelques dimanches un prédicateur
qui savait s'oublier lui-même
complètement et contraindre ses auditeurs
à fixer leur attention sur le message qui
lui était confié.
En 1897, le comité de la
Bible annotée, désireux d'arriver
plus rapidement au terme de l'entreprise qu'il
poursuivait depuis trente ans, pria G. Henriod de
se charger de la traduction et de l'annotation du
livre des Psaumes. Le pasteur de Fleurier ne
pouvait accepter pareille tâche qu'à
la condition d'être déchargé
d'une partie de son travail, ce qui eut lieu par la
nomination d'un suffragant, d'abord en la personne
de M. Léopold Perrin, puis de M. Paul
DuPasquier et enfin de M. Jean-Louis Herzog.
Pasteur et paroissiens accueillirent avec une vive
satisfaction l'arrivée de ces jeunes forces.
Celles-ci survenaient du reste au moment le plus
opportun. En effet, la paroisse nationale passait
à cette époque par une crise
douloureuse, qui détermina à la fin
d'août de l'année 1900 un groupe de
deux cent trente adultes et d'une
centaine d'enfants à demander
momentanément, pour les cultes du dimanche,
la cure d'âmes et l'instruction de la
jeunesse, l'hospitalité de l'église
indépendante, hospitalité qui lui fut
accordée de fort bonne grâce et sans
arrière-pensée de prosélytisme
; l'arrangement conclu demeura en vigueur pendant
près de trois ans.
On ne se tromperait probablement pas
en disant que ces années marquèrent
l'apogée du ministère de G. Henriod,
dont le travail fidèle et
persévérant, uni à sa
charité, à sa discrétion,
à ses dispositions pacifiques, obtint enfin
une récompense largement
méritée. Ce furent sans doute encore
des années de labeur au sein d'une paroisse
qui s'étendait aux villages voisins de
Buttes et de Saint-Sulpice et même à
la montagne de Boveresse ; mais ce furent
également des années de paisible
bonheur, où les joies de la famille
s'ajoutaient aux marques de respect et de
reconnaissance qui venaient de toute la
population.
Mais le temps poursuivait sa marche
implacable ; G. Henriod, qui avait d'abord
été le plus jeune des pasteurs
indépendants du Val-de-Travers, en
était peu à peu devenu le doyen et
avait même vu les paroisses voisines changer
deux ou trois fois de conducteur spirituel. Autour
de lui les vides se creusaient et il avait le
douloureux privilège d'adresser l'au revoir
suprême aux derniers survivants de la
génération qui l'avait accueilli en
1873. Déjà il voyait prendre place au
catéchisme les fils et les filles des
enfants qu'il avait instruits autrefois. Puis ce
fut la guerre, qui sema l'angoisse dans les coeurs
et multiplia les difficultés. L'heure devait
sonner où G. Henriod,
âgé de soixante-huit ans et sentant
ses forces diminuer, aspirerait à
déposer ses responsabilités, et ses
paroissiens, qui, souvent, au cours des ans,
avaient tremblé à la pensée de
le perdre, ne se sentirent pas la liberté de
le retenir. Il prit congé d'eux
officiellement le 14 octobre 1917; mais, de
Cormondrèche, qu'il avait choisi pour en
faire le lieu de sa retraite, il leur fit de
fréquentes visites, qui ne prirent fin que
lorsque des infirmités croissantes
l'obligèrent à renoncer à la
prédication.
Tel fut ce beau et long
ministère, dont l'éternité
seule révélera tous les fruits, mais
qui dès ici-bas valut à G. Henriod,
de la part de ceux qui en furent les objets, une
confiance, une vénération et presque
une tendresse dont il est donné à peu
de pasteurs de jouir aussi pleinement.
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Du commencement à la fin de son
ministère, il s'associa avec un grand
zèle à l'activité
générale de l'Église et
siégea presque toute sa vie dans 1 1 une, au
moins, et parfois dans deux de nos principales
commissions... Sans jouer dans la Croix-Bleue un
rôle très en vue, il fut l'un des
premiers parmi nous à en comprendre la
valeur et à y adhérer ..... Quant
à sa collaboration au journal religieux,
elle est suffisamment connue et
appréciée de nos lecteurs pour que
nous n'ayons pas à nous y arrêter
longuement ; d'abord occasionnelle, elle ne tarda
pas à devenir régulière et se
poursuivit pendant plus d'un demi-siècle ;
quand l'affaiblissement de sa vue ne lui permit
plus de tenir la plume, il s'exerça à
dicter ses articles... Autre trait non moins
touchant : de tout temps et
surtout pendant la première partie de sa
carrière, G. Henriod eut l'oeil ouvert sur
les jeunes gens qu'il jugeait capables d'entrer
dans le ministère et, non content de
chercher, avec la plus grande discrétion,
à éveiller leur intérêt
pour la vocation pastorale, il leur en facilita
l'accès par des leçons de latin et de
grec qu'il était probablement seul, au
village, à pouvoir donner de façon
aussi sûre et aussi prolongée ; celui
qui écrit ces lignes fut son
élève pendant six ans, six ans durant
lesquels, à la seule exception des
brèves vacances de l'été, G.
Henriod s'astreignit quatre fois par semaine
à abréger sa tournée de
visites et à rentrer chez lui vers quatre
heures pour faire conjuguer des verbes, corriger
des exercices et interpréter la longue
série des auteurs anciens!
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Mais, impossible de tout dire. Essayons encore,
avant de poser la plume, de mettre en
lumière ce qui fut l'âme de cette vie
si riche et de cette carrière si bien
remplie. Ce n'est pas précisément
chose facile ; car il n'y eut pas, à
proprement parler, de trait dominant et
aisément saisissable dans la
personnalité de G. Henriod, et ce qui le
caractérisa fut bien plutôt un
ensemble de qualités fidèlement
cultivées, dont aucune ne s'affirmait de
manière à rejeter les autres dans la
pénombre et qui, pour cette raison
même, constituaient un tout parfaitement
harmonieux ..... Humble et vrai! Ces deux mots sont
peut-être ceux qui nous livrent le mieux le
secret de l'ascendant que G. Henriod exerça
sur tous ceux qui eurent le privilège de
marcher à ses
côtés. Humble, il l'était,
d'une humilité qui n'avait rien
d'apprêté ni de forcé, et qui
se manifestait d'une façon toute naturelle
par la déférence avec laquelle il
écoutait ceux qui avaient quelque chose
à lui dire, par le soin avec lequel il
pesait leurs avis, par la lenteur et même
l'hésitation avec lesquels il exprimait le
sien, par les aveux naïfs et parfois
déconcertants qui sortaient de sa bouche. Ne
commença-t-il pas une prédication en
racontant que, traversant la montagne, un dimanche
d'hiver, pour aller présider la
réunion de la Charbonnière, il
s'arrêta saisi à la vue du tapis
immaculé qui s'étendait sous ses
yeux, se disant à lui-même : Tu es la
seule tache au milieu de toute cette blancheur!
Tant d'humilité pouvait donner le change au
premier abord et faire croire que cet homme
toujours défiant de lui-même, toujours
prêt, selon le mot de l'apôtre,
à placer les autres au-dessus de lui,
était de ceux dont on peut impunément
mépriser la faiblesse. Mais quand on l'avait
vu à l'oeuvre, que l'on avait pu se rendre
compte de la richesse et de l'étendue de sa
culture, que l'on avait éprouvé la
solidité de son jugement et vu le ferme
courage avec lequel il soutenait et
défendait ses convictions, on discernait,
sous cette faiblesse apparente, une force et
même une grande force, sur laquelle on
était heureux de s'appuyer; et aujourd'hui
qu'il n'est plus, n'est-il pas vrai que nous
sentons tous qu'une colonne a été
renversée et qu'une authentique
lumière s'est éteinte parmi
nous?
Et en même temps qu'il
était humble, G. Henriod fut vrai, vrai de
cette vérité profonde qui fait que
non seulement la parole répond à la
pensée, mais que la vie extérieure
tout entière est en
harmonie avec la conviction intérieure.
Impossible de rappeler son souvenir sans faire
usage des termes de clarté, de
lumière, de transparence ; il ne cachait
rien et n'avait rien à cacher ; ce qu'il
prêchait, c'était aussi ce qu'il
croyait, et il le prêchait simplement, sans
recherche, de manière à ne jamais
attirer l'attention sur sa personne et à
l'obliger à se fixer uniquement sur le
message qu'il apportait ou mieux encore sur le
Maître qu'il servait. Et cette
sincérité absolue, qui se manifesta,
dans son enseignement comme dans sa vie, par une
marche sûre et progressive vers une foi plus
personnelle, vers une compréhension toujours
plus ferme et Plus riche de l'Évangile, nous
explique pourquoi, dans son humilité et son
effacement volontaire, il a été une
autorité dans toute l'étendue et la
force du terme, une autorité pour ses
paroissiens, qui s'inclinaient avec respect et
reconnaissance devant sa maturité
spirituelle, une autorité pour ses
collègues, jeunes et vieux, qui
accueillaient d'autant plus volontiers sa parole
qu'elle ne cherchait point a s'imposer et qu'elle
venait, on le sentait, on en avait l'intuition
très nette et très sûre, des
sources profondes où s'alimentait sa vie, de
sa communion ininterrompue et toujours plus intime
avec son Sauveur et son Dieu .....
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