Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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AUGUSTE THIÉBAUD

NOTES ET SOUVENIRS BIOGRAPHIQUES

Années de professoral et d'activités diverses à Neuchâtel
(1905-1933)

 

Depuis qu'Auguste Thiébaud avait quitté la Faculté indépendante de Neuchâtel, le corps professoral en avait été profondément modifié. Avant même qu'il eût terminé ses examens, Augustin Gretillat (1837-1894) était mort à l'improviste. Son collègue, Georges Godet avait repris sa chaire de Théologie systématique, cependant que le pasteur Louis Aubert était chargé de celle du Nouveau Testament. Six ans après s'éteignaient, le 4 juillet, Henri de Rougemont (1839-1900) et, le 29 octobre, Frédéric Godet (1812-1900), professeur honoraire déjà depuis 1887. L'attribution des chaires fut remaniée, conformément à la formation spéciale des divers professeurs. G. Godet revint à l'enseignement du Nouveau Testament, M. Aubert fut chargé de celui de l'Ancien Testament et Jean de Rougemont (1875-1908) de celui de la Théologie systématique. Seule la chaire d'Histoire ecclésiastique et de Théologie pratique conservait le même titulaire ; mais déjà quatre ans plus tard, celui-ci, Charles Monvert (1842-1904), disparaissait à son tour. C'est alors, après une première démarche demeurée infructueuse, que la Commission des études, dans sa séance du 18 janvier 1905, décida d'offrir la chaire vacante à Auguste Thiébaud qui accepta le 8 mars et qui, nomme par le Synode le 14 juin, fut installé dans sa chaire le 4 octobre de la même année. Son discours d'installation traitait de L'utilité des études d'histoire ecclésiastique pour les futurs pasteurs. Le double champ de connaissances qu'il avait à parcourir était fort étendu. Il avait à peine pu en prendre et en donner un aperçu général que les circonstances l'obligèrent à se spécialiser dans un autre domaine qui désormais restera le sien.

Coup sur coup en effet, Georges Godet (1845-1907) était enlevé à l'improviste, et en juillet 1908, Jean de Rougemont disparaissait dans un tragique accident de montagne, à la Jungfrau. « Il y avait chez lui, écrira Auguste Thiébaud, une remarquable maturité spirituelle qui s'unissait à une belle intelligence et a une âme d'une limpidité cristalline ; il n'y avait en lui rien d'inachevé ni d'incomplet ; de nombreux témoignages ont montre que, si sa carrière fut courte, elle n'en fut pas moins riche et bien remplie. » (1) Après avoir en 1907 choisi le pasteur Paul Comtesse pour succéder à G. Godet, la Commission des études, en 1909, pria Auguste Thiébaud de se charger de l'enseignement de la Théologie systématique, tandis que M. Alfred Mayor était désigné comme professeur d'Histoire de la philosophie et M. Jules Pétremand se voyait confier la chaire d'Histoire de l'Église et de Théologie pratique. Dès lors, et durant près d'un quart de siècle, la distribution de l'enseignement ne sera plus modifiée, sauf par l'adjonction en 1926 de cours nouveaux, d'entre lesquels Auguste Thiébaud acceptera celui d'Histoire des religions.

C'est à ce moment aussi, le 17 septembre 1908, qu'il fonda son foyer en épousant Mlle Louisa Mathieu, dont la fidèle affection et les soins attentifs l'entourèrent de cette atmosphère d'intimité, si précieuse à l'ouvrier de la Plume et à l'homme d'action. De cette union devait naître une seule enfant qui, fillette, sera la lumière et la joie de ses parents et, jeune fille, pour son père, la confidente de sa pensée. Ainsi commençait pour Auguste Thiébaud la phase sans doute la plus rayonnante et la plus féconde de sa carrière.

Cette carrière à Neuchâtel, il n'est plus possible de la suivre dans le détail. Si même les documents essentiels, ses lettres, ne faisaient maintenant défaut, les dimensions d'une notice biographique ne le permettraient pas, puisqu'il faudrait retracer l'historique, durant vingt-cinq ans, de l'Église indépendante et de sa Faculté, du Journal religieux et de bien d'autres choses. Contentons-nous d'envisager d'une part le professeur et le théologien, de l'autre l'homme d'action et le pasteur, qu'il demeura toujours.

Pour le professorat, Auguste Thiébaud avait des dons évidents. (2) Dans ses lectures en diverses langues, il saisissait d'un coup d'oeil l'essentiel de chaque page et s'assimilait les idées, non en les retenant seulement, mais en les comprenant. Il avait une prodigieuse capacité de travail, d'un travail continu et ordonné ; il amassait ainsi une masse considérable de connaissances, qu'il retrouvait, fraîches et nettes, lorsqu'il en avait besoin. Son intelligence était d'une parfaite clarté ; il ne savait pas seulement saisir les problèmes, mais aussi les simplifier et les éclairer comme du dedans. Son talent d'expression n'était pas moindre que ses facultés d'acquisition ; par la parole comme par la plume, il était un improvisateur-né ; après le premier effort pour fixer et aiguiller sa pensée, son exposé coulait comme de source, clair, exact, bien ordonné, correct ou même élégant. Ses cours ont tous été rédigés ; mais il les développait en en reprenant et expliquant les pensées ; « debout derrière son pupitre, la tête penchée dans l'attitude de l'homme qui suit sa pensée, il y revenait une fois, deux fois, sous une autre forme pour la mieux faire comprendre ».(3) La même clarté, alliée à autant de courtoisie que de fermeté, se retrouvait dans les entretiens avec des étudiants ou avec des collègues, comme lorsqu'il rendait compte d'une étude entendue et la discutait. En particulier dans la critique des exercices de prédication se manifestaient ses dons de foi éclairée et de sens pratique ; il ne signalait pas seulement les erreurs ou les lacunes, il exposait la vraie portée du texte biblique ; il montrait comme en se jouant quels auraient dû être le plan du sermon, les idées à développer, les applications originales.

Sa maîtrise n'était pas moindre en face de problèmes scientifiques, dans les « soirées théologiques » de la Faculté ou lors des réunions des étudiants et professeurs des Facultés libres romandes, qu'il appréciait si fort. (4) Absorbé, parfois somnolant, il n'en savait pas moins résumer clairement la question discutée et en indiquer les solutions possibles. Parfois, en face de certains sujets capitaux pour la foi, l'ardeur, l'émotion l'étreignaient et révélaient que chez lui aussi, « c'est le coeur qui faisait le théologien ».

Tout enseignement théologique dépend dans une certaine mesure de la culture et des tendances religieuses d'une époque. Les années durant lesquelles Auguste Thiébaud a formé sa pensée, et encore celles des débuts de son professorat, étaient peu favorables à l'essor de la pensée dogmatique. Les recherches critiques, exégétiques, historiques étaient au premier plan ; le positivisme, le moralisme, le subjectivisme de l'époque, se reflétaient dans le ritschlianisme allemand comme dans le fidéisme français, et quand s'est produite la réaction métaphysique d'avant-guerre, ce fut sous la forme d'un idéalisme qui dissolvait le fait chrétien et l'originalité du christianisme. C'est en ces temps et sous ces influences qu'Auguste Thiébaud a dû se dégager du littéralisme de son enfance et des formules doctrinales traditionnelles pour parvenir à des convictions personnelles et à un enseignement qui lui fût propre. Rien d'étonnant si dans cet effort il s'est laissé guider par les besoins pratiques du ministère et par l'appel intime de sa piété.

Sa foi, on sentira à la lecture de ses Méditations quotidiennes combien elle a été humble, profonde et sérieuse. On y verra en particulier quelle vénération et quelle fidèle soumission il avait pour l'Écriture, combien il en comprenait la valeur suprême et y trouvait la Parole même de Dieu. Or la doctrine d'un penseur protestant est d'abord fondée sur cette Parole, mais comprise (et c'est inévitable) à travers les expériences chrétiennes et la nature d'esprit de ce théologien. Si Auguste Thiébaud se plaisait à relever la noblesse et la beauté de certaines aspirations naturelles de l'humanité, il n'en était pas moins persuadé que l'étude des faits religieux n'est vraiment accessible qu'à l'âme religieuse, que la vie et la personne du Christ, comme la piété et la pensée de l'Église primitive, sont mieux saisies par celui qui a connu quelque chose de la vie et de l'esprit chrétiens. Caractère conciliant, d'un clair bon sens, Auguste Thiébaud ne se laissait pas gagner par les idées extrêmes et par les paradoxes, pas davantage par les termes obscurs, les antithèses faciles et les théories à la mode. Il entendait bien comprendre, pour lui et surtout pour ses élèves, la vérité qui se cache sous les subtilités de l'idée ou de l'expression. Dieu et Christ étaient pour lui, non des abstractions, mais des réalités dont il vivait : il voulait se tenir sur ce ferme terrain de la réalité religieuse.

La théologie ne lui apparaissait pas comme une sagesse philosophique, comme un département de la haute culture ; elle était pour lui (c'est ainsi qu'il l'avait comprise tout le long de ses études) la contemplation du fait chrétien, la méditation de la vérité évangélique, mais en vue du ministère, comme préparation au service du Seigneur. Il y a dans une telle conception de la théologie un danger, celui de se contenter trop aisément des solutions reçues, de ne pas saisir assez la grandeur et la difficulté des problèmes que les choses divines poseront toujours à la faible intelligence de l'homme. Ce danger, le professeur neuchâtelois a su l'éviter, non seulement par sa recherche consciencieuse, mais par l'intérêt toujours croissant pour les points essentiels et les questions actuelles de la théologie. Preuve en soit les sujets qu'il choisissait pour les séances de rentrée de la Faculté. D'abord pratiques ou historiques : La mission de l'Église (8 oct. 1908), Frédéric Godet (7 oct. 1912), Vers l'unité (7 oct. 1925), ces sujets sont de plus en plus empruntés à la théologie systématique : Recherches christologiques (15 octobre 1917), Le Jésus de la tradition et le Jésus de l'histoire (10 oct. 1921), La Parole de Dieu et l'Écriture dans la théologie de Karl Barth (10 oct. 1927).

Chez nous, l'enseignement de la théologie systématique obéit à une tradition, tant dans les méthodes d'exposition que pour les disciplines qui ressortissent à cette chaire. Son domaine s'étend à la théologie biblique, à l'apologétique, à la dogmatique et à la morale ; pour chaque point on expose l'enseignement biblique, celui de l'Église et des théologiens, puis vient la conclusion personnelle du professeur. La théologie biblique du Nouveau Testament avait été fractionnée en trois cours : Vie de Jésus, Enseignement de Jésus, Enseignement apostolique ; à cela près Auguste Thiébaud suivait les voies traditionnelles, mais assez librement. L'important pour lui, c'était d'exposer le salut évangélique, dans la dogmatique comme l'oeuvre de Dieu, dans la morale comme saisi et réalisé en l'homme.

Son cours de dogmatique se divisait en deux grandes parties : l'une, préliminaire en somme, traite des sources de la connaissance chrétienne et expose, après le dogme biblique et la théologie de l'expérience, les problèmes de la Révélation, puis de l'Écriture sainte, enfin des caractères et conditions de la connaissance religieuse. Dans la seconde partie, la connaissance chrétienne, qui est tout le reste du cours, sont développées la doctrine de Dieu, de son existence, de sa personnalité, de ses attributs et de la Providence divine dans ses rapports avec la créature libre, avec les lois de la nature, avec la souffrance. Vient ensuite l'anthropologie : l'origine, la nature, la destinée de l'homme comme son état actuel, soit la doctrine du péché. La troisième section, consacrée au salut évangélique, traite de la personne du Christ en son humanité et en sa divinité, puis de l'oeuvre rédemptrice du Christ, dont les fruits en nos vies sont exposes dans la morale. C'est en somme la division classique de la dogmatique.

L'auteur, on s'en convaincra par les extraits de ce cours reproduits plus loin, appuie fortement sur le caractère surnaturel de la révélation chrétienne : autre est la révélation médiate, impersonnelle, qu'on trouve dans l'histoire et la conscience humaine, autre la révélation spéciale en Israël, en Christ et chez les apôtres. Seulement cette révélation spéciale, définitive, n'est pas pour Auguste Thiébaud une doctrine, toute formulée d'En haut; elle est un fait, une vie nouvelle qui s'est manifestée chez les hommes de Dieu et que nous pouvons aussi recevoir, un fait qui est susceptible d'être compris et exposé, et c'est là la doctrine chrétienne. Auguste Thiébaud appuie sur l'idée de personnalité en Dieu comme en l'homme : la révélation divine nous est donnée par des personnalités humaines, en lesquelles la vie nouvelle agit comme un facteur supérieur, mais non étranger, non opposé à leur nature. Si plonge que soit l'homme dans la corruption et les ténèbres du péché, il demeure l'enfant déchu du Père céleste ; il n'est pas « tout autre » que Lui. Transmise et reçue par des personnalités, la doctrine évangélique devient certitude en nous, non par une démonstration logique, mais par le témoignage et par la foi. La personnalité de Christ a également une place capitale, et sa divinité, affirmée avec force, ressort en particulier de ce qu'il a été, de la vie spéciale qui se manifeste en lui et qui devient notre vie. Ces problèmes, et bien d'autres, sont exposés, dans des conclusions, très simplement et clairement. Nombreux ont été les pasteurs et les missionnaires qui, après avoir critiqué l'apparence trop peu scientifique de cette dogmatique, en ont compris plus tard la valeur pour fortifier leur foi et celle d'autrui.

Professeur, Auguste Thiébaud a été aussi dès 1909 secrétaire de la Commission des études, puis de la Commission des études préparatoires (5) ; comme tel, il avait la charge des procès-verbaux, de la correspondance, en somme de l'administration de la Faculté ; il était en situation, mieux qu'aucun autre, de connaître et d'aider les étudiants dans leur préparation et leur initiation a la théologie, comme à leurs débuts dans le ministère chrétien. Combien sont-ils ceux à qui, grâce à ses relations avec les autorités ecclésiastiques de divers pays, il a facilité la continuation de leurs études à l'étranger ou l'obtention d'un poste pastoral! Combien d'autres n'a-t-il pas accompagnés de son intérêt et de sa correspondance fidèle, comme il avait su comprendre leurs doutes et leurs luttes, les guider et les raffermir spirituellement durant leur séjour à la Faculté? « Le professeur vers lequel je me sentais le moins attiré pendant mes études, écrivait un de ses anciens élèves, je veux parler de feu M. le professeur Thiébaud, est devenu, de par la force des choses et de par la bonté de Dieu, celui avec lequel j'ai entretenu une correspondance suivie et de qui j'ai beaucoup reçu. Notre affection réciproque est allée en grandissant. Je n'oublierai jamais quel ami bienveillant et fidèle, quel conseiller sûr j'ai perdu en lui. »

Autant, plus peut-être que celle du professeur, l'activité pastorale d'Auguste Thiébaud a été considérable et s'est exercée dans les directions les plus diverses. Pasteur de l'Église missionnaire belge, il l'est resté par la façon dont il en a toujours défendu les intérêts, par l'affection qu'il lui a gardée, et s'il lui avait été donné de prendre un jour sa retraite, il se fût sans doute fixe à Quaregnon parmi ses anciens paroissiens. Conférencier, il le fut en Suisse, autant et plus qu'en Belgique ; il y a peu de localités neuchâteloises et peu de réunions ecclésiastiques, pastorales, paroissiales où il n'ait pris la parole. Fréquemment aussi, il a accepté de donner des causeries OU de prêcher dans le Jura bernois, dans le canton de Vaud et jusqu'à Schaffhouse. Tout dévoué aux oeuvres missionnaires, il ne l'était pas moins aux sociétés d'évangélisation et il s'est spécialement occupé du Comité d'évangélisation en France, fondé par F. Godet. Les oeuvres sociales et philanthropiques, l'Association pour la Société des Nations, l'intéressaient également ; il a été l'animateur a Neuchâtel d'une Fraternité d'hommes, créée pour étudier les questions de ce genre du point de vue chrétien. Mais pasteur, il l'a été surtout de trois manières : par la plume comme rédacteur du Journal religieux dès 1907 ; par ses cultes et son activité de cure d'âmes comme aumônier de l'Hôpital Pourtalès et de la Maternité dès 1915 ; comme président du Conseil d'Église de la paroisse indépendante de Neuchâtel dès 1922. Cette triple activité a eu une telle place dans les préoccupations journalières, dans le coeur et dans la vie de notre ami, et il y a rendu de tels services, qu'elle mérite plus qu'une simple mention.

«Nous avons repris et parcouru, dit M. le pasteur Gustave Borel-Girard, les années du Journal religieux pendant lesquelles Auguste Thiébaud en fut le rédacteur responsable. (6) Nous y avons retrouve notre ami tel que nous le connaissions, bon, aimable, cordial, respectueux de la personne et de la pensée d'autrui, préoccupé avant tout de chercher et si possible de découvrir la vérité. Il était remarquable d'abord par sa facilité de plume, non une facilité, fille de la paresse ou de la légèreté, mais celle qui découle de sérieuses méditations, d'une longue expérience de la vie... Son écriture n'a que peu ou point de ratures, son travail a l'air de ne lui coûter aucun effort. Cette facilité était sans doute un don de nature, mais singulièrement développé par l'éducation de la volonté.

«Autre qualité : le bon sens. Comme vulgarisateur, Auguste Thiébaud n'avait pas son pareil. Ce que tout le monde pense ou pourrait avoir pensé, il le disait avec tant de bonheur que chacun croyait retrouver dans ses articles sa propre pensée... À lui s'applique excellemment la remarque de Vinet : « La puissance et le charme de l'individualité ne consistent pas tant à avoir des pensées qui soient à nous seuls, qu'à exprimer d'une manière qui n'est qu'à nous une pensée qui est à tout le monde, a tout le monde, dis-je, sans excepter ceux qui la combattent. »

«La bonne grâce de notre ami, sa mémoire étonnante, n'avaient d'égale que la lucidité de son esprit, laquelle apparaît surtout lorsqu'il avait à reproduire la pensée d'autrui. Il rendait intelligible l'exposé d'un conférencier, si élémentaire qu'en fût la forme, si obscur - consciemment ou non - qu'en fût le fond, et chacun comptait sur lui pour être éclairé. Preuve en soit, au sortir d'une conférence, le dialogue suivant : «As-tu compris quelque chose à ce qu'on vient de nous dire? demandait un auditeur. - Pas plus que toi, répondait un autre. - Mais, concluaient tous deux, il n'y a que M. Thiébaud qui aura été capable de s'y retrouver. » Or, le rédacteur du Journal religieux, passant près des causeurs, fut bien forcé d'empocher le compliment et s'en égayait en le rapportant à quelques intimes avec sa bonhomie souriante .....

«Son journal reflétait les belles qualités de son âme : sa sympathie vraie pour les souffrances humaines et pour les luttes de ceux qui cherchent la vérité, son esprit irénique, sa piété profonde, sa grande modestie. Il ne se mettait pas volontiers en avant, il redoutait de s'imposer à ses lecteurs, ne voulant pas, selon la belle parole de l'apôtre, « dominer sur leur foi, mais contribuer à leur joie » ... (7)

Sur l'aumônier de l'Hôpital Pourtalès et de la Maternité, M. le notaire André Wavre, intendant de ces institutions hospitalières, a écrit ce qui suit :

« Dans l'acte de fondation de l'Hôpital Pourtalès, signé le 14 janvier 1808 par Jacques de Pourtalès et approuvé le 21 du même mois par le prince Berthier, il est dit sous chiffre 6:

«Afin qu'en aucun temps les malades ne manquent des secours spirituels si nécessaires a leur état, il sera accordé, sur les revenus de l'Hôpital, un traitement de trois cents francs de France au ministre du vendredy de la ville de Neuchâtel, au moyen de quoi il devra, sous l'approbation de la Compagnie des pasteurs et du Magistrat, faire chaque semaine un service public dans une salle de l'Hôpital, donner la communion aux quatre fêtes et visiter les malades lorsqu'il en sera requis »

«Sur la base de cette disposition statutaire, la Compagnie des pasteurs, après entente avec la direction de l'Hôpital, prit en 1811 et en 1812 deux arrêtés pour fixer la nature et l'étendue des fonctions du chapelain de l'Hôpital En décembre 1874, après la démission du ministre Mercier, en fonctions depuis 1827, la Direction de l'Hôpital décida de nommer désormais les chapelains, puisque la Compagnie des pasteurs et le Ministre du vendredy n'existaient plus. Elle appela à ces fonctions le professeur Frédéric Jacottet, auquel succédèrent en 1883 Louis Junod, ancien pasteur, en 1889 le professeur Henri de Rougemont, en 1900 Pierre de Montmollin, ancien pasteur aux Éplatures. À la démission de celui-ci, pour raison d'âge, la Direction de l'Hôpital, dans son assemblée du 2 juin 1915, choisit comme chapelain le professeur Auguste Thiébaud. Si les cultes du dimanche dans la chapelle de l'Hôpital, maintenant propriété des deux Églises protestantes de la ville, ne sont plus présidés par le chapelain, les fonctions d'aumônerie se sont notablement accrues par le fait de l'augmentation des malades et de la création de la Maternité. Le chapelain de l'Hôpital doit faire chaque dimanche un service dans les salles des deux établissements, visiter les malades deux jours par semaine, leur donner en tout temps les secours nécessaires, présider aux services funèbres, assister, autant que possible, aux séances du Comité le mardi, et pourvoir, en cas d'absence ou de maladie, à son remplacement auprès des malades.

«Cette tâche, Auguste Thiébaud l'a accomplie du 1er juillet 1915 jusqu'à la veille de sa mort. Fidèlement, le mardi, le vendredi, le dimanche, avec une régularité renouvelée chaque semaine, il venait à l'Hôpital et à la Maternité rendre visite aux malades. Les voyant souvent, doué d'une mémoire magnifique, il apprenait vite à les connaître, saluait chacun par son nom, s'intéressait aux circonstances spéciales de chaque cas. Après cette prise de contact, toujours si cordiale, il faisait une lecture biblique, préparée à l'avance, suivie de quelques réflexions, simples, claires, bienfaisantes, encourageantes. Et ce qu'il disait aux malades, on sentait qu'il le prenait pour lui-même, en sorte qu'une communion bienfaisante, fraternelle, naissait entre lui et ses auditeurs. Aux séances du Comité, auxquelles il se faisait un devoir d'assister, Auguste Thiébaud s'était d'emblée acquis l'estime de ses collègues, membres de la Direction, médecins, intendant, grâce à ses qualités de coeur et d'esprit. Sur toutes les questions ses avis, pleins de bon sens et de clarté, étaient écoutés avec profit, et dans les discussions, on ne savait s'il fallait davantage admirer son intelligence ou sa modestie. Aussi de ce chapelain, l'Hôpital Pourtalès conserve pieusement un souvenir reconnaissant. »

Et que serait-ce si nous pouvions ajouter ici les témoignages de gratitude et d'attachement de tous ceux dont il a recommandé l'admission au Comité, de ceux, de toutes conditions sociales, qu'il a assistés aux heures de la souffrance ou aux approches de la mort?

Enfin, du président du Conseil d'Église de la paroisse indépendante de Neuchâtel, son successeur, M. le notaire Maurice Clerc, a écrit :

«Remplaçant dans ces fonctions M. Ernest Borel, Auguste Thiébaud avait accepté cette charge pour rendre service - n'a-t-il pas toujours rendu service ? - a un collègue plus jeune qui, désigné pour la présidence, désirait d'abord être mis au courant des affaires paroissiales.

«La présidence du professeur Thiébaud devait donc être provisoire, un provisoire qui a duré douze ans et durant lequel il a été vraiment celui qui dirige. Les assemblées de paroisse, les séances du Conseil, celles du Bureau, il les a presque toutes présidées en personne avec la méthode et la clarté qu'il apportait en tout ; car il possédait à un haut degré le sens du gouvernement.

« Rien de ce qui se passait dans la paroisse ne lui demeurait étranger. Si ses services à l'Hôpital l'écartaient des cultes du matin, il se retrouvait à ceux du soir que souvent il terminait par la prière. Il se plaisait, dans les agapes offertes par l'Église aux catéchumènes, à adresser à ces jeunes gens des exhortations sérieuses et enjouées. Lui, théologien, moraliste, penseur, il portait un vif intérêt à la vie matérielle de l'Église qu'il aimait ; assistant aux séances de la Commission des finances de la paroisse, il intervenait dans la discussion avec la précision d'un homme d'affaires, mais d'un homme d'affaires qui aurait pris conseil de Dieu et qui savait assigner aux questions d'argent leur vraie place .....

« Et en effet, dans les délibérations du Conseil d'Église, il désirait que les choses religieuses eussent le pas sur les questions administratives. Il lui plaisait qu'à son instigation, le Conseil étudiât de temps à autre des questions d'ordre spirituel ; il les introduisait avec la facilité d'exposition qui lui était propre et les exposait de façon à les rendre intelligibles à chacun.

« En pensant à ces douze années d'activité commune, les collaborateurs d'Auguste Thiébaud se diront que, sans s'en douter, ils ont abusé de ses forces et de son inépuisable serviabilité. Démarches diverses, lettres à écrire, rapports à rédiger, délégations à assumer, ils acceptaient tout de lui, avec reconnaissance certes, mais ils laissaient cet homme, chargé déjà de multiples travaux, prendre toujours des tâches nouvelles. Ils ne se rendaient pas compte que ses forces s'usaient et que le moment approchait où elles allaient faire défaut!»

Pour achever la présente notice biographique, il aurait fallu, si c'eût été possible, parler du rôle qu'Auguste Thiébaud a eu dans les affaires ecclésiastiques de son pays et même au delà. Comme professeur, il était membre du Synode de l'Église indépendante et il y a occupé une grande place, ainsi que dans les Commissions. Il a, durant dix années, rédigé Le Messager, journal de cette Église. Il a pris une grande part aux discussions ecclésiastiques dans son canton et s'est intéressé en particulier aux projets de fusion des Églises neuchâteloises. Dès 1925, la Fédération des Églises libres, puis l'Alliance des Églises réformées de Suisse, utilisant son excellente connaissance de l'anglais et de l'allemand, ainsi que ses relations avec les milieux presbytériens, l'ont délégué aux assises religieuses internationales, qui se sont multipliées depuis la guerre. Après l'Alliance presbytérienne, siégeant en juin à Cardiff, il assista en août 1925 à la Conférence de Stockholm ; il fut également délégué à Budapest (1927), à La Haye (1928), à Édimbourg, où il participa en 1929 aux grandes cérémonies pour l'union des deux Églises réformées d'Écosse, à Elberfeld (1930) et à Mazamet (1931).

Cependant la Faculté indépendante avait fêté le 14 octobre 1930 le jubilé de son professorat par des témoignages d'affection qui lui furent précieux. En juin 1933, de Belfast où la session de l'Alliance presbytérienne lui fut une occasion de grandes fatigues, Auguste Thiébaud se rendit à Édimbourg pour y recevoir le doctorat en théologie, honoris causa, que lui décernait l'Université, dans laquelle il avait jadis étudié. Le 27 septembre, il présentait une communication sur le mouvement « Faith and Order », à l'Assemblée générale de la Société pastorale suisse, réunie à Neuchâtel. Il avait repris avec courage tout son labeur ; mais il ressentait, comme une grave menace, la fatigue du coeur; ensuite d'une bronchite sans gravité, une crise d'angine de poitrine foudroyante, a l'aube du 13 décembre 1933, le faisait passer du sommeil d'ici-bas dans la paix de l'éternité.

Auguste Thiébaud se repose de ses travaux (Apoc. XIV, 13) en la pleine vision du Sauveur en qui il s'était confié. Mais ses oeuvres ont laissé une trace lumineuse dans l'Église et la Faculté qu'il a servies et aimées. Par le souvenir, par l'affection, il demeure encore au milieu de nous.

Jules PÉTREMAND.


Table des matières

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(1)Bulletin du Synode du 50me anniversaire de l'Église indépendante, 1923, p. 107.
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(2) Messager de l'Église indépendante, décembre 1933.
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(3) journal religieux, 16 décembre 1933.
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(4) Ces réunions annuelles, puis bisannuelles depuis la guerre, ont été nommées Trifolium, puis Bifolium. A. Thiébaud y prenait chaque fois la parole, lui-même y a beaucoup reçu de ses collègues de Genève et surtout de Lausanne.
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(5) Sous-commission, chargée de préparer, pour les examens d'entrée à la Faculté, les jeunes gens qui ont d'autres titres que le baccalauréat ès lettres classiques.
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(6) Les articles d'A. Thiébaud sont des comptes rendus de publications et de conférences, des notices biographiques, des méditations religieuses, ou ils traitent des problèmes ecclésiastiques, des questions du jour et des sujets relatifs à la guerre.
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(7) Voir aussi la notice nécrologique due à la plume de M. D. Junod (journal religieux du 16 décembre 1933).

 

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