Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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L'APPEL DU GRAND NORD-OUEST CHINOIS
LE KANSU ET LES PROVINCES LOINTAINES

CHAPITRE XII
La grande « Fête du beurre ».

 Nous avions vu relativement peu de Thibétains avant d'arriver à Sining; mais là, presque chaque jour, nous en rencontrions dans les rues. Riches ou pauvres, ces gens exerçaient sur nous un attrait irrésistible, leurs regards empreints de curiosité et d'intérêt, leur extérieur sauvage et mystérieux dû à leur retraite séculaire d'avec le reste du monde et, par-dessus tout, leur nature profondément religieuse nous attiraient au plus haut point. C'est pourquoi nous fûmes très contents d'atteindre Kumbum au moment du plus grand pèlerinage de l'année.

Malgré les neiges de l'hiver, le quinzième jour de la première lune est la date fixée pour « la Fête du beurre », durant laquelle le grand monastère voit éclore toutes les merveilleuses productions qui attirent des milliers de pèlerins à ses autels; ces productions sont faites en beurre et rien qu'en beurre! Des tonnes et des tonnes de beurre offertes par de pieux Thibétains sont façonnées d'une manière artistique à laide d'une quantité énorme de couleurs et de dorures!

Le Thibet nous apparaît ici dans une de ses phases les plus caractéristiques : une fête religieuse destinée à regarnir les coffres des prêtres, combinée avec une foire populaire et la célébration de la Nouvelle année.

Après avoir quitté Sining, accompagnés de M. Ridley, du docteur Kao et d'autres amis chinois, nous cheminons sur une rivière vers les montagnes couvertes de neige. Tout revêt une apparence de fête, et les groupes que nous rencontrons - femmes et enfants aux vêtements clairs assis sur des ânes, hommes cheminant à leurs côtés - se rendent eux aussi à la ville pour célébrer le Nouvel An. À chaque nouveau village, des sons de musique parviennent à nos oreilles. Derrière leurs hautes murailles de boue des familles reçoivent et fêtent leurs amis. C'est un temps de joie générale - les seules vacances de l'année - et nous nous réjouissons en voyant, tous ces visages heureux. Les clochettes de nos mules sonnaillent gaiement. Une légère teinte verdâtre - premier avant-coureur du printemps - parait sur les arbres, les détachant à peine des collines bleues qui bordent la route. Les monts couverts de neige et la glace que nous foulons étincellent sous un ciel sans nuage et nous respirons avec délice l'air pur et vivifiant qui nous rappelle celui fie l'Engadine, car nous sommes ici à une hauteur de sept mille pieds.
« À raison de trois à quatre milles (cinq à six kilomètres) à l'heure, écrivait l'un de nous à la fin du jour, notre voiture cahotante nous a amenés au pied de ces pies neigeux. La vallée dans laquelle nous avons tourné, nous dirigeant à l'ouest, est d'un caractère tout différent de la contrée qui environne Sining. Elle est beaucoup plus élevée. Aucun arbre; les champs cultivés sont rares et petits, et les collines basses sont couvertes d'une herbe rougeâtre. Nous avons laissé la rivière derrière nous; une fine poussière tombe sur notre voiture.
Cependant en regardant vers la frontière du Thibet, on éprouve une impression de liberté et de fraîcheur au fur et à mesure qu'on s'en approche, et l'on désire ardemment pouvoir franchir ces puissants remparts et s'élancer vers l'étendue bleue du lac Ko-Konor.
Devant nous, couronnant une montée rapide, se voit la porte de la petite ville de T'a-ri-si, dont le monastère rivalise avec celui de Lhassa. Poursuivant notre chemin, le long des rues étroites, nous entrevoyons des bâtiments et des temples en terrasses, couvrant la petite vers le sud, s'étendant dans la vallée et débordant jusque sur la colline voisine où s'élèvent les enceintes sacrées du monastère de Kumbum avec ses quatre mille lamas de la Secte Jaune.
M. Ridley connaît la ville, et nous fit monter par une rue escarpée jusqu'aux établissements occupés par une maison chinoise faisant le commerce de laines avec le Thibet. Le jeune directeur de cette entreprise, originaire de Tientsin, est un chrétien convaincu. Son accueil fut des plus cordiaux et il mit de suite à notre disposition ce qu'il avait de meilleur. C'était un plaisir de voir sa table bien servie et son ménage bien tenu quoiqu'il n'eût pas de femme; et bien davantage encore de réaliser ce qu'était le témoignage d'une telle vie au milieu des ténèbres de T'a-ri-si. Du toit plat de la maison, la vue s'étend sur la ville elle-même, formée de profondes ravines coupées par des courants d'eau avec le monastère et les montagnes environnantes au delà. »

C'est ici que deux hardis voyageurs, MM. Gabet et Huc (prêtres catholiques romains) ont séjourné pendant une année environ, déguisés en lamas, en route pour Lhassa! Bien différente fut la visite du premier missionnaire protestant, quarante ans plus tard (1885), George Parker, qui prêcha dans ces rues et laissa des Évangiles et des traités au monastère (1).

Depuis lors, des missionnaires sont venus de temps en temps de Sining, parmi lesquels M. et Mme Cecil Polhills, qui trouvèrent ici une maison, et engagèrent, comme professeur de langue thibétaine, un vieux Mongol, l'ancien guide de MM. Gabet et Huc pendant leurs voyages. Dans le monastère même se réfugièrent M. et Mme Rijnhart lors de la dernière rébellion des Mahométans qui mit toute la contrée à feu et à sang. Mais c'était moins à ces expériences-là que nous pensions - tandis que le soleil se courbait sur la petite cité - qu'aux espérances et aux craintes des milliers qui poursuivent leur chemin, année après année, murmurant leurs prières stériles. Quelle interminable procession de coeurs chargés et meurtris a déjà suivi ce chemin et le suivra encore!

Le docteur Kao a rencontré aujourd'hui une toute vieille femme, appuyée sur un bâton, et trop exténuée pour continuer sa route. Arrêtant sa mule auprès d'une grosse pierre, le docteur Kao la persuada d'y monter, et, marchant à ses côtés, se mit à lui parler de choses et d'autres pour voir si elle comprendrait son dialecte; car elle était originaire des montagnes du nord de Sining.
Elle avait des fils et des petits-fils, et en était à son troisième jour de voyage. Par bonheur, elle comprenait ses paroles.
Il continua à l'entretenir, lui parlant, de la vraie joie et du chemin qui conduit au ciel. La vieille femme ne semblait pas y faire grande attention, jusqu'au moment où il commença à lui enseigner un hymne dont le refrain était : « Je t'implore, Seigneur Jésus, sauve-moi ».
Ceci réveilla son intérêt, et après plusieurs répétitions, elle en retint le premier verset et le choeur. Alors, le docteur Kao le lui chanta en entier, et elle en fut ravie.
« Hao t'ing, Hao t'ing hen », s'exclamait-elle. « C'est, beau d'écouter cela! » et elle ajouta avec conviction : « C'est bien plus beau que notre « Om mani! » (2).
Mais, en atteignant la ville, elle était impatiente de s'acheminer vers le temple au toit doré, car n'était-elle pas venue dans le but de se prosterner devant la splendide idole?
« Les ombres s'étendent sur la vallée, écrivait Fun de nous un peu plus tard, les pèlerins reviennent des temples, mais nous avons encore le temps d'y monter avant la nuit, quoique nous ne puissions pas voir grand'chose du monastère. C'est une toute petite course à travers les rues; on traverse la rivière gelée et l'on monte la colline sur laquelle plusieurs chemins sont tracés.

À chaque pas l'on est tenté de s'arrêter pour regarder la foule. Combien sont pittoresques la plupart de ces physionomies : les hommes spécialement avec de hauts chapeaux fourrés et des couteaux bien aiguisés a leur ceinture. Nous remarquons un grand nombre de femmes mongoles, chinoises et thibétaines, ces dernières en robes de peaux de mouton, comme les hommes, seulement plus longues, leurs cheveux partagés au milieu et, divisés en cent, huit petites nattes, qui est le nombre des volumes dit Canon Sacré tibétain.

Ici, au sommet de la colline, la foire qui s'y tient offrira demain une scène d'animation indescriptible. Maintenant déjà, elle est assez bruyante, avec de vives lumières, ses boutiques bien achalandées et ses tardifs acheteurs. Quittant les étalages, nous entrons par la porte principale du monastère et nous nous approchons des bâtiments et temples extérieurs. Mais quelle est donc cette ligne mouvante que nous apercevons sur la route poussiéreuse devant nous?
« Voyez, murmure M. Ridley, regardez! » Il faut un peu de temps à l'oeil et à l'esprit pour distinguer ce qui se passe et pour le comprendre.
Se tordant, se traînant dans la poussière, se peut-il que ce soient des créatures humaines que nous voyons ?

Oui, ce sont trois femmes et un homme; nous les voyons distinctement taudis qu'ils se lèvent l'un derrière l'autre, les femmes rejetant leurs longues tresses de leurs visages. Ils sont pauvres, vêtus de ces peaux grossières qui composent l'unique vêtement thibétain, nu-tête, couverts de poussière et l'air si fatigué! Ils s'acheminent lentement vers le temple au toit doré, mesurant leur longueur tout le long du chemin comme ils l'ont fait probablement depuis qu'ils ont quitté leurs demeures, il y a bien des jours. Regardez-les se tenir debout avec respect en élevant leurs mains, puis s'agenouillant et se prosternant sur leur face, les mains étendues aussi loin qu'ils peuvent atteindre, le front par terre. Ils l'ont alors une trace avec leurs doigts, puis se relèvent, marchent deux ou trois pas jusqu'à l'endroit marqué, élèvent de nouveau leurs mains, s'agenouillent et retombent sur leur visage, chantant continuellement sur un ton bas et monotone, et ainsi de suite, toujours plus péniblement, toujours plus sales, toujours plus fatigués, toujours plus vertueux à chaque pas ! Quel triste, triste spectacle ! Un jeune homme, une jeune femme et deux plus âgées, probablement apparentés. Il y a aussi d'autres groupes. Pourquoi agissent-ils ainsi, si ce n'est poussés par quelque crainte ou quelque besoin intérieur?

Le coeur meurtri, nous n'allons pas plus loin que le pont. « Quelquefois, nous raconte M. Ridley, ces pauvres pèlerin, n'arrivent pas à obtenir l'approbation du « Fuh-ie » (le lama qui est adoré comme une incarnation, appelé aussi le «Bouddha vivant »), et celui-ci leur commande de faire ainsi le tour du monastère entier trois fois de suite, ce qui représente des journées d'un labeur épuisant. Oh ! combien le zèle de ces gens fait honte à notre indifférence! Ils semblent prêts à n'importe quel sacrifice, n'importe quelle souffrance ! Trois jeunes Thibétains, auxquels nous parlâmes avant de quitter le monastère, avaient fait un voyage de quatre mois, en mendiant leur subsistance, pour venir à cette fête, et cela à travers des montagnes infestées de brigands, où leur vie était constamment en danger. Ces gens sont prêts à tous les sacrifices, à toutes les souffrances...

Ils nous font penser à ces ermites, vivant dans les montagnes thibétaines, dans des cavernes, à une altitude supérieure à celle du Mont-Blanc, endurant le froid, la faim, la solitude, étant en péril de la part des bêtes sauvages. Pensez aussi aux moines enfermés dans ces nombreux monastères thibétains, ne voyant jamais la lumière du jour, ou le visage d'une créature humaine. Volontairement, ils vont s'ensevelir dans les ténèbres leur vie entière, ne s'occupant qu'à tourner une roue de prières, ne se nourrissant que d'un peu de pain et d'eau qu'ils obtiennent en tendant une main enveloppée de chiffons, lorsqu'à un moment donné de la journée ou frappe à la pierre placée au-dessus d'eux et qu'un rayon de lumière pénètre dans leur caveau, C'est la seule chose qui leur aide à se rendre compte du lent écoulement des mois et des années, et plusieurs d'entre eux ont une longue vie. Tous les sacrifices, toutes les indicibles souffrances, pour obtenir le mérite qui, seul, peut délivrer des misères de l'existence présente et future! Et le Bouddhisme encourage ce système, permettant les tromperies et les oppressions des lamas qui terrorisent le peuple et le tiennent en esclavage.

Un homme sur trois est destiné à être lama au Thibet, et le but commun de ceux-ci est l'enrichissement des monastères qui jettent leur ombre sur chaque ville et presque sur chaque village. Plus les horreurs qu'ils dépeignent, et les mystères dont ils entourent leurs dieux-démons seront sombres et terribles, plus ils pourront exploiter les terreurs des habitants.

Ainsi, chaque monastère est orné de flamboyantes peintures représentant les tourments de l'enfer et à côté du Bouddha à la face placide qu'on rencontre partout et de leurs autres idoles, ils ont des dieux secrets et horribles, si terrifiants et si obscènes qu'ils les gardent dans des chambres secrètes on les couvrent entièrement de draperies, ne laissant à découvert que leurs faces ignobles. Quoique invisibles, ces dieux ne sont pas ignorés du peuple, et celui-ci craint tellement leur pouvoir qu'il cherche à les apaiser de loin, s'agenouillant en dehors des monastères et adorant près des lieux où ils sont dissimulés. Un ami, appartenant à une autre mission, qui vécut, plusieurs mois dans un monastère thibétain, vit ce spectacle pathétique et eut l'occasion de visiter l'étage supérieur du bâtiment où ces dieux redoutables étaient cachés, quoiqu'il fût averti par les lamas du danger qu'il courait en pénétrant dans cette chambre spéciale. Nous-mêmes, nous vîmes dans une ville au Nord de la « Grande Muraille » un temple que les lamas ont actuellement détruit, mettant en pièces, de leurs propres mains, les idoles pour empêcher les Chinois de s'en approcher. Ceux-ci étaient déterminés à voir si ce qu'on leur disait, de ces dieux était conforme à la réalité, et plutôt que de les laisser voir, les lamas les détruisirent.

Bien des pensées se pressaient dans notre esprit tandis que nous revenions lentement à la ville et que nous nous retrouvions autour de la table du souper chez nos amis Chinois. Quel contraste frappant entre ce cercle chrétien et le paganisme tout autour de nous! Après le repas, notre hôte proposa de faire le culte du soir et tandis que nous chantions cantique après cantique, cela nous faisait du bien de le regarder. Ne se sachant pas observé, placé un peu en arrière, il chantait chaque strophe des hymnes du pasteur Hsi, les yeux fermés comme en une vraie prière :

Si Tu répandais Ton fleuve de vie,
Je voudrais être la coupe terrestre
Pleine à déborder d'une onde pure.
0 Toi, la fontaine et la source vive,
Coule au travers de moi, faible vaisseau,
Afin que les âmes altérées puissent goûter Ta grâce.
 
Si Tu éclairais les ténèbres, Seigneur,
Je voudrais être la lampe d'argent
Dont l'huile ne tarit jamais.
Placée bien haut pour répandre au loin ses rayons,
Afin que les ténèbres se changent en lumière
Et que les hommes puissent voir Ta face.

Et le refrain :

Mon corps est à Toi, oui, tout à Toi,
Mon esprit T'appartient, à Toi, Son Seigneur.
En Tes mains, j'abandonne tout,
Je ne demande qu'à me tenir
Partout où Tu as besoin de moi,
Alerte et prêt à Ton appel.

C'était bien en effet l'assurance dont nous avions tous besoin.

 

La foule qui se pressait au monastère le matin suivant était si compacte qu'il nous fut difficile de nous frayer un chemin, et pourtant, nous dit-on, c'était peu de chose en comparaison des années précédentes. Laissant le champ de foire, ses tentes et ses échoppes, nous trouvâmes la foule plus dense encore près du temple d'or. Quelle vivacité de couleurs! Quel tableau et quelle étude offrait chaque physionomie!

Il y avait là un personnage qui paraissait avoir une grande importance, un homme grand et gros, portant une robe de soie pourpre, un cordon ou ceinture jaune, un manteau de velours vert, des bottes à revers également en velours, et un chapeau en satin rouge bordé de fourrure. Il avait un rosaire à la main, mais ne s'en servait pas, tout occupé qu'il était à nous considérer. Ce devait être un marchand mongol ou thibétain, M. Ridley ne put nous renseigner à ce sujet.

Entraînés dans le tourbillon, nous remarquons en passant plusieurs types frappants, en particulier des dames thibétaines en belles robes simples, retenues à la taille par une ceinture, garnies de fourrures et lissées en soies de teintes vertes et bleues. Leurs bijoux sont étonnants, or et argent, ambre, jais, corail, enrichis de pierres précieuses et de perles.

Mais la plupart des gens sont vêtus des babils crasseux qu'ils portent d'habitude, en peau de brebis autrefois blanches, avec la laine à l'intérieur. C'est, le vêtement universel de la classe pauvre, pour les hommes comme pour les femmes, le seul et unique article de confection, porté pendant des années jusqu'à ce que la peau soit noire et polie par la graisse et la saleté.
Ces sauvages Thibétains, qui sont ici très nombreux, ont un air farouche. Fils indomptés des montagnes, ils se distinguent facilement par leurs cheveux aplatis et leur apparence de brigands.
Ce sont des voleurs de la pire sorte, qui peuvent cependant se montrer généreux et fidèles envers ceux qui ont gagné leur amitié; ils sont parmi les plus ardents de ces pèlerins, courant d'autel en autel.

Combien ce temple renommé avec ses tuiles en or massif doit paraître merveilleux à ces multitudes ignorantes et superstitieuses! D'autres temples l'entourent, ayant chacun leurs idoles particulières, mais celui-ci renferme le colossal Bouddha devant lequel brûlent six cent lampes de beurre, taudis qu'à ses pieds, les lamas chantent sans se lasser. La statue est si grande que l'on n'en voit, du bas, que les parties inférieures. Elle s'élève dans l'obscurité du vaste bâtiment, entourée de galeries auxquelles on accède par de nombreuses marches. Ces galeries ne sont pas ouvertes aujourd'hui à cause de la foule; il faut donc nous imaginer ce que doit être cette figure dorée aux traits placides et à l'éternel sourire.

Mais nous sommes infiniment plus impressionnés encore par le sombre vestibule de la Prière, éclairé d'en haut par des fenêtres invisibles. Des piliers en grand nombre supportent le toit massif, au-dessus duquel se trouvent des cloîtres silencieux et ensoleillés et de grandes chambres remplies de petites idoles. Le, vestibule de la Prière n'eu renferme aucune. Les cloîtres sont beaux, scintillant de peintures et de dorures, d'où l'on aperçoit, à proximité, le toit d'or du temple principal. Le hall de la Prière est aussi vaste et obscur que les plus sombres endroits de quelque grande forêt. Dix-huit immenses colonnes supportent la partie centrale du toit, chacune entourée, de la base au sommet, d'un tapis tissé d'une seule pièce. Entre ces piliers remarquables par leurs teintes délicates, de longs sièges bas traversent la salle d'un bout à l'autre, laissant un espace au centre pour une sorte de divan. C'est ici que se tient, dans l'attitude même du Bouddha, un des lamas qui est adoré, comme en en étant l'incarnation. Il est jeune, vêtu de satin jaune, impénétrable, impassible. La lumière est disposée de telle manière qu'en tombant sur sa figure, celle-ci paraît être aussi semblable au Bouddha doré qu'il est possible a un mortel de l'être. Lentement, le hall se remplit de lamas aux robes rouges qui s'assoient en croisant les jambes sur les longs sièges bas. Un groupe au milieu, en face du trône jaune, chante des mélodies solennelles et retentissantes auxquelles répondent ceux qui sont placés sur les côtés. Au dehors les gens vont et viennent, mais à l'intérieur tout est tranquille tandis que le chant monotone se poursuit.

Oh! ces foules que nous coudoyons en nous retrouvant à la lumière du soleil! Nous ne pouvons leur parler, car ils ne comprennent pas le chinois. Mais ils causent de nous et considèrent chacun de nos mouvements avec un vif intérêt. Visages intelligents, rusés, spirituels, sensuels, lourds - il y a de tout; les filles et femmes qui se tiennent en groupes séparés nous intéressent spécialement. Les longues nattes de plusieurs d'entre elles sont recouvertes d'une large bande d'étoffé rouge, somptueusement brodée, qui descend le long du dos, et qui est décorée de grandes coquilles blanches semblables à celles qu'on applique aux oreilles des enfants pour leur faire entendre « le bruit de la mer ». Quatre ou cinq de ces coquilles, chacune aussi grande que la paume de la main, doivent être un joli poids à supporter pour les cheveux d'une seule tète; mais même au Thibet « il faut souffrir pour être belle! » Les filles mongoles portent des ornements d'argent presque aussi lourds, et des vêtements de couleurs vives. Plusieurs semblent porter sur elles les richesses de leurs familles.

Mais la partie la plus merveilleuse de la fête devait avoir lieu au crépuscule; nous retournâmes donc au monastère après le souper. Les lamas ne craignaient pas d'exposer leurs oeuvres d'art par cette glaciale nuit d'hiver, puisqu'elles devaient, de toutes manières, disparaître avant le matin. Pendant une nuit, une courte nuit, la Fête du beurre allait se déployer dans toute sa splendeur. Avant l'aurore les bas-reliefs qui avaient pris des semaines, sinon des mois de travail, allaient être enlevés des planches sur lesquelles lis étaient exposés et transformés en un monceau de beurre décoloré. Mais, ce soir, que ne pourrait-on pas dire de leur beauté merveilleuse et si extraordinaire!

Nous pouvions à peine en croire nos yeux, lorsque, sous la lumière d'une rangée de petites lampes en beurre, nous nous arrêtâmes devant le premier de ces étranges autels. Chaque bas-relief, grand ou petit, a pour centre une idole, devant laquelle on brûle de l'encens et l'on adore. Pour nous, c'étaient tout simplement des oeuvres d'art en cire, mais elles étaient d'une délicatesse et d'une beauté que nos expositions européennes auraient enviées.

Combien nous aurions aimé revoir le plus beau de ces chefs-d'oeuvre ! Mais la foule était trop dense pour que nous puissions songer à retourner en arrière. La charpente du bas-relief lui-même devait bien avoir vingt-cinq pieds de long sur huit ou dix de haut. Le fond était noir, aussi uni qu'un tableau d'école. Au centre, une figure, grandeur naturelle, de Bouddha, faisait saillie, riche en dorures et broderies de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Une couronne étincelante semée de joyaux complétait sa gloire - tout cela en beurre! À droite et à gauche se voyaient des scènes de personnages et d'animaux, d'oiseaux et de fleurs, tandis qu'à chaque extrémité un merveilleux dragon cinglait l'air de sa queue en levant une tête redoutable. La légère et fantastique bordure qui entourait la figure centrale était extrêmement artistique; elle avait un relief de l'épaisseur d'un pied ornée de dragons entrelacés gracieusement, admirablement colorés et vivants. Puis, au-dessus du tout, s'élevait une haute pyramide, dont les gradins, formés de grandes plaques rondes, étaient ornés de beaux dessins. L'édifice entier sur son fond noir devait avoir une quarantaine de pieds de haut, peut-être même cinquante avec le pavillon flottant qui surmontait le tout. Il formait un des côtés d'une grande place, recouverte d'un dôme de soie et entourée de murailles fragiles formées par quatre rangées de bannières magnifiquement brodées et retenues entre elles par un réseau de feuilles de soie de toutes couleurs, terminées au sommet - six pieds au-dessus du sol - par une frange de rubans de soie richement ornés.
Cela nous apparaissait comme un rêve chatoyant. Le tout était soutenu par des supports invisibles de plus de cinquante pieds.

L'intérieur était illuminé par la douce lumière des lampes en beurre. Trois rangées de ces lampes se trouvaient au-dessus de la scène que nous avons essayé de décrire. Les sons d'une musique basse et étrange semblaient sortir du Bouddha ou des dragons, derrière l'écran lumineux des lampes. Les musiciens devaient être cachés sous des estrades de bois et l'effet en était des plus impressionnants.

Un autre pavillon, en soie, du même genre était aussi le lieu de rassemblement d'une grande foule. Les ouvrages en cire (ou en beurre) étaient presque aussi beaux, et les murailles en soie ainsi que la voûte, en étaient plus élevées. Tout autour du temple principal au toit d'or, se trouvaient de plus petits autels, illuminés chacun par trois rangées de lampes en beurre et contenant la figure de leur propre dieu. Toutes ces idoles étaient couronnées d'or et de joyaux du plus bel effet. Ces couronnes nous étonnaient plus que tout le reste. Il nous semblait impossible de réaliser que ce charmant ouvrage en filigrane n'était pas réellement en or, et que les pierres n'étaient pas réellement des joyaux, et cependant, cela comme tout le reste n'était que du beurre thibétain!

À l'opposé de l'entrée principale du temple au toit d'or, se trouvaient deux autels particulièrement charmants. C'était un spectacle à jamais inoubliable d'être là, sous ce clair de lune, environnés des ombres projetées par ces édifices, considérant cette foule de visages anxieux - hommes et enfants thibétains, lamas aux robes rouges - ces figures se relevant et retombant à intervalles réguliers, en face de l'image cachée derrière les grandes portes fermées. Ils ne faisaient aucune attention à nous, et sous les bords du toit, continuaient leurs absorbantes dévotions. Plusieurs heures auparavant, nous les avions déjà vus à cette même place, où les planches doivent être fréquemment renouvelées à de l'usure. Nous avions remarqué, le matin, les trous de cinq à sept centimètres de profondeur, à l'endroit où les mains glissent lorsqu'ils tombent, et où les pieds se retiennent lorsqu'ils se relèvent avec la régularité automatique d'un pendule.

Le mérite augmente à chaque bruit sourd de la tète sur le sol. Accumulation de mérites! Les lamas n'ont rien de plus pour ces coeurs affamés! Voyez-les, tandis qu'ils se lèvent et retombent, leur corps toujours plus lassé, leur front toujours plus meurtri et douloureux.

Des immenses moulins à prières tournent, tournent sans se lasser, tandis que de nouveaux pèlerins succèdent aux premiers.
Sur toute cette scène, les étoiles paisibles scintillent silencieusement.


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CHAPITRE XIII

En quittant Sining deux jours après la Fête du beurre, nous ne disions pas un adieu définitif au Thibet, car nous nous dirigions sur Hochow, la ville aux nombreuses mosquées et à la, population strictement musulmane.

M. Ridley nous accompagnait encore, mais le docteur Kao s'en retournait vers sa station solitaire, à plus d'une semaine de voyage de Sining et s'attristait autant que nous de cette séparation. Ce n'était pas facile non plus de laisser M. et Mme Harris seuls, pour faire face à l'important travail de Sining.

Bien loin de se plaindre, ils sont heureux de vivre là-bas pour la cause du Seigneur et nous pouvions nous rendre compte, en face de leur attitude courageuse, combien de telles vies sont précieuses à leur Maître. Nous étions heureux, en nous dirigeant vers le Sud, de rester encore quelques jours en contact avec les Thibétains, car nous aimions ce peuple rustique et il nous était douloureux de les quitter sans avoir pu leur venir en aide.

Pourquoi, en dépit de leur malpropreté, de leur dégradation morale, ce peuple nous était-il si sympathique ? Sans doute à cause de leur nature généreuse et accessible et de la capacité qui le porte à rechercher un certain idéal spirituel.

D'autres peuples peuvent être religieux et manifestent une grande ferveur à l'occasion de fêtes spéciales. mais pour les Thibétains la religion semble être une nécessité et le but de leur vie. Tandis que le Musulman prie cinq fois par jour en se tournant vers ses lieux saints, le Thibétain prie, pour ainsi dire, continuellement, trouvant de nombreux prétextes pour répéter de nuit comme de jour sa prière habituelle et communiquant ainsi avec l'invisible. Il est aisé de dire que de telles requêtes proviennent de leurs superstitions, de leurs craintes charnelles ou d'une ancienne coutume, mais nous sommes convaincus qu'ils agissent le plus sincèrement possible selon leurs lumières. Leurs prêtres ont un vague pressentiment que le bouddhisme tombe en désuétude même au Thibet. Le Dalaï Lama lui-même a exprimé cette pensée lorsqu'étant le roi non-couronné du Thibet et le chef spirituel de deux millions d'âmes, il s'était enfui de Lhassa à l'arrivée de la mission britannique, dirigée par le colonel Younghusband, en 1904, et s'était réfugié dans la lamaserie de Kumbum où il vécut un an. Ce personnage voyageait avec beaucoup de pompe et de magnificence; sa litière, tirée par quatre chevaux, était doublée de satin jaune, ses gardes étaient vêtus de brocart d'or et tout ce qui l'entourait portait cette même livrée jaune d'or. Il s'avançait au son d'une musique étrange et sonore, mais tandis que la foule s'agenouillait à son passage, son regard donnait une impression de malaise indéfinissable.
Lorsque M. Ridley accompagné d'un explorateur anglais, M. Brook, alla le visiter à Kumbum, il leur parla, au moyen d'un interprète, mais ne les regarda jamais en face. Il habitait à Kumbum une maison somptueuse, dominant le temple au toit doré; mais malgré la richesse des monastères, l'autorité incontestable du Lamaïsme et la puissance démoniaque qui se cache derrière ce culte, le Dalaï-Lama en retournant à Lhassa déclara que le christianisme est une force progressive qui aura peu à peu raison du bouddhisme. Et si certains prêtres thibétains, du fond de leurs cloîtres, voulaient être sincères, ils exprimeraient la même opinion. Bien que ce pays soit encore fermé aux missionnaires, il ne l'est, pas à la Vérité, car beaucoup de prêtres lisent déjà la littérature chrétienne qu'ils reçoivent par la poste. M. Sörensen qui s'occupe de cette oeuvre de propagande a reçu quelques lettres de l'un ou l'autre de ces « Bouddhas incarnés ».

L'un d'eux, de son royaume virtuel dominant les cours supérieurs du Fleuve Jaune où il règne sur trente-six lamaseries et sur ceux qui en dépendent, lui écrivait : « Au docteur Sörensen, très instruit dans la métaphysique et toutes les branches de la littérature sacrée ». « Moi, votre humble serviteur. j'ai reçu plusieurs volumes des Écritures et les ayant lus avec soin. ils m'ont fait croire en Christ. Je comprends un peu les principes et l'instruction doctrinale du Fils Unique, mais je ne suis pas au clair quant à la nature et et l'essence du Saint Esprit, ainsi que quant aux origines de cette religion; il serait donc très important que cette doctrine nous soit pleinement expliquée afin d'éclairer les simples et le peuple de moyenne intelligence. L'enseignement de la science de la médecine et celle de l'astronomie serait aussi très nécessaire. Il est donc évident que si nous voulons que cette bénédiction soit pleinement répandue, il nous faut croire à la religion du Fils Unique de Dieu.
« Étant, absolument sincère, je vous prie de tout, mon coeur de ne pas prendre cette lettre à la légère.
« Avec cent salutations. »

La meilleure preuve que cet homme réfléchissait sérieusement à ces choses fut la lecture poésie qu'il avait jointe à sa lettre et qui, provenant d'une pareille source et malgré tout ce que la traduction a de défectueux, ne peut que nous intéresser vivement. Voici cette poésie :

O Toi, Dieu suprême et Père très précieux,
Toi, la Vérité au-dessus de toutes les religions,
Dominateur sur tous les mondes
Animés et inanimés,
Plus élevé que la Sagesse,
Mis à part par Sa naissance et par Sa mort
Est Son Fils, Christ le Seigneur,
Resplendissant de gloire parmi les êtres immortels,
Merveille incomparable, miraculeusement engendré!
Je crois maintenant à Ses enseignements,
De même que votre esprit est uni avec le ciel,
Mon âme tout entière cherche la Vérité,
Accomplissant ainsi le désir de Jésus le Sauveur.
Je prie pour l'avènement du Royaume des Cieux
Qui apportera le bonheur sur la Terre.

Ayant entendu parler de ce personnage qui connaissait aussi M. Ridley, c'est avec une vive joie que nous nous approchions de sa demeure, deux jours après notre départ de Sining.

Ce voyage avait été merveilleux, car nous nous trouvions dans une région du nord-ouest de la Chine qui nous rappelait la Suisse. C'était une contrée très élevée et charmante avec ses campements disséminés de Thibétains et ses profondes vallées, sur lesquelles nous jouissions d'un coup d'oeil d'ensemble étendu, étant, en ce moment à douze mille pieds d'altitude.

L'eau des sources gelait à mesure qu'elle s'écoulait formant plus bas des glaciers étincelants. Combien ce tableau devait être beau en été lorsque les fleurs des montagnes poussent de toute part et que de blancs rhododendrons y remplacent la neige! M. Ridley y avait trouvé quantité de petits fruits tels que des fraises et des groseilles tout le long de la route jusque dans la vallée. Le troisième jour, nous avions traversé une vallée qui s'avance au sud vers le fleuve Jaune. Là, sur la rive opposée, non loin d'un de ces monastères, se trouve la maison du « Fuh-ie ». Si nous n'avions pas été attendus à la Mission pour les réunions du dimanche, nous aurions été tentés de nous arrêter chez lui. Faisant partie de la Sorte Rouge, il est marié, et nous aurions pu faire, même s'il avait été absent, la connaissance de sa femme et de ses enfants. Mais pour le moment, nous ne pouvions que prier pour lui et pour tous ceux qui, avec lui, connaissent une partie de la Vérité, mais non pas Sa puissance rédemptrice. Nous nous souvenions en ce moment de tout ce que le docteur Kao nous avait dit de l'immense influence de cet homme et comment son peuple l'adore comme un dieu.

M. Kao était venu ici, quelques années auparavant, pour exercer son ministère de docteur et d'évangéliste; à la requête de M. Ridley, il avait: tenté de s'installer à Kweiteh, ville située non loin de la demeure du Fuh-ie afin d'atteindre les Thibétains. Ceux-ci avaient en peur de l'étranger jusqu'au moment où le Bouddha incarné était venu lui rendre visite. Cet important, personnage avait logé dans la même auberge que le docteur et se montra bienveillant et amical envers lui; il fit avertir ses gens de l'arrivée de ce dernier et du fait qu'ils pourraient obtenir de lui des conseils et des médicaments.

Ces circonstances attirèrent de suite un nombre considérable de patients. Le docteur Kao, tout en soignant les malades, observait l'attitude du Bouddha au milieu de ce peuple accouru en foule pour recevoir sa bénédiction. Personne ne se présentait à lui les mains vides. En plus des dons ordinaires de bienvenue, ils apportaient des poires, du pain, du musc, de l'argent ou des monnaies de cuivre et d'argent que le Fuh-ie acceptait comme étant son droit. Les plus pauvres même apportaient leur offrande et c'était touchant de voir des femmes arriver avec un simple fil de soie qu'elles étendaient sur leur deux mains pour le présenter au lama. Quand celui-ci est de bonne humeur il accepte le fil et l'enroule autour de son doigt avant de leur donner sa bénédiction; le refus de ce don est une calamité que ces pauvres gens appréhendent au-dessus de tout. Personne parmi les auditeurs n'écoutait, l'Évangile avec plus d'attention que le Fuh-ie lui-même, qui, par moments, semblait être « presque persuadé» de devenir chrétien.

« Je crois en votre Dieu », disait-il au docteur Kao et il admettait volontiers qu'il n'était pas lui-même une incarnation, mais un simple mortel « comme vous l'êtes vous-même ».

Seul, l'Esprit de Dieu peut convaincre un tel homme de péché et lui communiquer la foi et l'humilité nécessaires pour venir à Christ, car les sacrifices qu'il devrait faire, au point de vue humain, sont grands. Ne nous arrêterons-nous pas avant de tourner cette page pour prier le Seigneur d'intervenir en faveur de cet homme qui détient un tel pouvoir, afin qu'en l'atteignant lui-même, la lumière divine en éclaire beaucoup d'autres?

Le docteur avait été frappé dans cette visite en voyant combien son travail médical lui aidait à atteindre le peuple qui se montrait reconnaissant et généreux mais bientôt il s'aperçut que pour se faire un ami d'un Thibétain, il fallait obtenir sa confiance dès la première rencontre, car une fois cette occasion perdue, tout contact devient très difficile. La population de Kweiteh se prit à l'aimer, à lui ouvrir ses maisons et aurait voulu le garder au milieu d'elle. Le docteur Kao aurait aussi désiré prolonger son séjour, mais le docteur King le réclamait à l'hôpital. Plus que jamais dans cette dernière visite il avait été frappé de sa mentalité religieuse, de ses moulins à prières et de ses supplications aux dieux qui se prolongeaient souvent toute la nuit. Un homme qui avait bénéficié de son traitement l'avait convié à un festin dans la maison de sa soeur, comme ils s'y rendaient ensemble, ce Thibétain, qui ignorait le dialecte chinois, semblait vouloir lui dire quelque chose dont son coeur était plein. S'arrêtant de temps en temps il dirigeait son doigt vers le ciel et plaçait ensuite sa main sur sa poitrine. Après avoir vu ce geste se renouveler deux ou trois fois, le docteur Kao comprit la signification : en effet, il avait raconté, au moyen d'un interprète, comment le Seigneur Jésus avait quitté Sa demeure dans la gloire pour souffrir et mourir pour nos péchés, et comment Il désire venir habiter les coeurs de ceux qui L'aiment.
Le regard brillant du Thibétain était fort compréhensible lorsque, regardant le ciel, il mettait la main sur son coeur; le docteur Kao lui montra qu'il le comprenait. À la maison de la soeur, il fut reçu avec une cordiale hospitalité, et eut ainsi l'occasion de délivrer son message à plusieurs personnes. Combien il aimait désiré pouvoir accepter l'invitation du Fuh-ie et rester chez lui un an ou deux pour y apprendre à fond la langue! Mais il devait penser à sa famille et à sa propre oeuvre et cette idée était impossible à réaliser. En passant a travers ce même pays, la certitude se gravait toujours plus dans nos coeurs que ce peuple est accessible à la vérité, si seulement nous voulons la lui apporter. Quant à ses superstitions et aux ténèbres qui l'environnent, nous eûmes l'occasion de nous en rendre compte pendant ce voyage. Chaque demeure thibétaine a son drapeau de prières flottant au vent, c'est une étoffe blanchâtre enroulée autour d'une longue perche et qui est couverte de caractères écrits ou imprimés.

D'autres de ces banderoles étaient tendues à travers des passages étroits, ou sur des endroits bien en vue, où le vent souffle librement. M. Ridley nous expliquait qu'il avait vu dans un village voisin cinq moulins à prières actionnés par un torrent de montagne. D'autres sont attachés à de longues cordes, afin que l'aïeule, tout en surveillant l'âtre ou en gardant le bébé, puisse continuer à faire marcher le moulin à prières pour toute la famille. Certains de ces objets tournent comme des moulins à vent. Tous sont remplis de rouleaux de papier formant une masse solide sur lesquels est écrite cette phrase unique : « 0 toi, joyau précieux de la fleur du lotus. Amen. »

Il existe encore de petits moulins portatifs, tandis que d'autres, fixés au-dessus des portes et des foyers par la circulation de l'air. Partout ils tournent, tournent sans se lasser, répétant leur éternel refrain : « Om mani padme um ». Et des voix humaines redisent sans cesse cette prière monotone. Comme Koeppen l'a écrit dans son livre sur le bouddhisme : Ces six syllabes sont, parmi les Mongols et les Thibétains, les premiers mots que l'enfant apprend à bégayer et les derniers que prononce un mourant. Le voyageur les murmures en marchant, le berger en gardant son troupeau, la ménagère dans sa maison et le moine, dans ses diverses phases d'adoration.

Cette phrase est aussi usitée comme cri de bataille et le chant de victoire. Elle se trouve inscrite partout où le Lamaïsme existe, sur les arbres, les rochers, les murailles, les bannières, les monuments, les ustensiles et jusque sur les crânes humains et les squelettes !

D'après les idées des croyants, cette formule représente la plus haute conception de toute religion, adoration et révélation, elle est pour eux le chemin du secours et la porte du salut. Aujourd'hui encore, ces paroles dénuées de sens restent l'unique consolation du Thibétain; elle flotte à toutes les brises qui balaient cette région sombre et ténébreuse : « 0 toi, joyau précieux de la fleur du lotus! » C'est tout! Et le Nom qui est au-dessus de tout nom, Celui qui demeurera éternellement comme seule possibilité de salut, est entendu et compris par un nombre bien restreint de ces fils de la montagne au coeur chaud et superstitieux. L'immoralité dans laquelle ce peuple vit est horrible. Certains de leurs dieux mêmes ne peuvent être décrits. Oh ! qui apportera le feu purificateur, la puissance libératrice de l'Esprit de Dieu pour transformer les coeurs et les vies des Thibétains par la foi en Christ!

Je connais un pays plongé dans l'obscurité.
Des coeurs qui sont fatigués et chargés,
Mais je connais aussi un Nom
Qui pourrait mettre tout ce pays en feu
Jésus! le Nom au-dessus de tous les autres.
Sur la terre, dans l'air et dans les cieux,
Les anges et les hommes se prosternent devant Lui
Et les démons craignent et s'enfuient!

« Un instrument choisi par Moi pour porter Mon Nom. »
Existe-t-il un privilège plus grand, un but de vie plus glorieux?


Table des matières

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(1) M. George Parker, l'un des pionniers de la China Inland Mission, sortit de l'Institut missionnaire du docteur Grattna Guinness, à Londres, en 1876. Lui et Mme Parker travaillent encore en Chine, après avoir longtemps séjourné à Kintzekwan, dans le Honan.
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(2) « Ont muni padni hum », phrase en sanscrit qui est la grande formule et prière magique des Thibétains.

 

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