L'APPEL DU
GRAND NORD-OUEST CHINOIS
LE KANSU ET LES
PROVINCES LOINTAINES
CHAPITRE XII
La grande
« Fête du beurre ».
Nous avions vu relativement peu de
Thibétains avant d'arriver à Sining;
mais là, presque chaque jour, nous en
rencontrions dans les rues. Riches ou pauvres, ces
gens exerçaient sur nous un attrait
irrésistible, leurs regards empreints de
curiosité et d'intérêt, leur
extérieur sauvage et mystérieux
dû à leur retraite séculaire
d'avec le reste du monde et, par-dessus tout, leur
nature profondément religieuse nous
attiraient au plus haut point. C'est pourquoi nous
fûmes très contents d'atteindre Kumbum
au moment du plus grand pèlerinage de
l'année.
Malgré les neiges de l'hiver,
le quinzième jour de la première lune
est la date fixée pour « la Fête
du beurre », durant laquelle le grand
monastère voit éclore toutes les
merveilleuses productions qui attirent des milliers
de pèlerins à ses autels; ces
productions sont faites en beurre et rien qu'en
beurre! Des tonnes et des tonnes de beurre offertes
par de pieux Thibétains sont
façonnées d'une manière
artistique à laide d'une quantité
énorme de couleurs et de dorures!
Le Thibet nous apparaît ici
dans une de ses phases les plus
caractéristiques : une fête religieuse
destinée à regarnir les coffres des
prêtres, combinée avec une foire
populaire et la célébration de la
Nouvelle année.
Après avoir quitté
Sining, accompagnés de M. Ridley, du docteur
Kao et d'autres amis chinois, nous cheminons sur
une rivière vers les montagnes couvertes de
neige. Tout revêt une apparence de
fête, et les groupes que nous rencontrons -
femmes et enfants aux vêtements clairs assis
sur des ânes, hommes cheminant à leurs
côtés - se rendent eux aussi à
la ville pour célébrer le Nouvel An.
À chaque nouveau village, des sons de
musique parviennent à nos oreilles.
Derrière leurs hautes murailles de boue des
familles reçoivent et fêtent leurs
amis. C'est un temps de joie générale
- les seules vacances de l'année - et nous
nous réjouissons en voyant, tous ces visages
heureux. Les clochettes de nos mules sonnaillent
gaiement. Une légère teinte
verdâtre - premier avant-coureur du printemps
- parait sur les arbres, les détachant
à peine des collines bleues qui bordent la
route. Les monts couverts de neige et la glace que
nous foulons étincellent sous un ciel sans
nuage et nous respirons avec délice l'air
pur et vivifiant qui nous rappelle celui fie
l'Engadine, car nous sommes ici à une
hauteur de sept mille pieds.
« À raison de trois
à quatre milles (cinq à six
kilomètres) à l'heure,
écrivait l'un de nous à la fin du
jour, notre voiture cahotante nous a amenés
au pied de ces pies neigeux. La vallée dans
laquelle nous avons tourné, nous dirigeant
à l'ouest, est d'un caractère tout
différent de la contrée qui environne
Sining. Elle est beaucoup plus
élevée. Aucun arbre; les champs
cultivés sont rares et petits, et les
collines basses sont couvertes d'une herbe
rougeâtre. Nous avons laissé la
rivière derrière nous; une fine
poussière tombe sur notre
voiture.
Cependant en regardant vers la
frontière du Thibet, on éprouve une
impression de liberté et de fraîcheur
au fur et à mesure qu'on s'en approche, et
l'on désire ardemment pouvoir franchir ces
puissants remparts et s'élancer vers
l'étendue bleue du lac Ko-Konor.
Devant nous, couronnant une
montée rapide, se voit la porte de la petite
ville de T'a-ri-si, dont le monastère
rivalise avec celui de Lhassa. Poursuivant notre
chemin, le long des rues étroites, nous
entrevoyons des bâtiments et des temples en
terrasses, couvrant la petite vers le sud,
s'étendant dans la vallée et
débordant jusque sur la colline voisine
où s'élèvent les enceintes
sacrées du monastère de Kumbum avec
ses quatre mille lamas de la Secte
Jaune.
M. Ridley connaît la ville, et
nous fit monter par une rue
escarpée jusqu'aux établissements
occupés par une maison chinoise faisant le
commerce de laines avec le Thibet. Le jeune
directeur de cette entreprise, originaire de
Tientsin, est un chrétien convaincu. Son
accueil fut des plus cordiaux et il mit de suite
à notre disposition ce qu'il avait de
meilleur. C'était un plaisir de voir sa
table bien servie et son ménage bien tenu
quoiqu'il n'eût pas de femme; et bien
davantage encore de réaliser ce
qu'était le témoignage d'une telle
vie au milieu des ténèbres de
T'a-ri-si. Du toit plat de la maison, la vue
s'étend sur la ville elle-même,
formée de profondes ravines coupées
par des courants d'eau avec le monastère et
les montagnes environnantes au delà.
»
C'est ici que deux hardis voyageurs,
MM. Gabet et Huc (prêtres catholiques
romains) ont séjourné pendant une
année environ, déguisés en
lamas, en route pour Lhassa! Bien différente
fut la visite du premier missionnaire protestant,
quarante ans plus tard (1885), George Parker, qui
prêcha dans ces rues et laissa des
Évangiles et des traités au
monastère
(1).
Depuis lors, des missionnaires sont
venus de temps en temps de
Sining, parmi lesquels M. et Mme Cecil Polhills,
qui trouvèrent ici une maison, et
engagèrent, comme professeur de langue
thibétaine, un vieux Mongol, l'ancien guide
de MM. Gabet et Huc pendant leurs voyages. Dans le
monastère même se
réfugièrent M. et Mme Rijnhart lors
de la dernière rébellion des
Mahométans qui mit toute la contrée
à feu et à sang. Mais c'était
moins à ces expériences-là que
nous pensions - tandis que le soleil se courbait
sur la petite cité - qu'aux
espérances et aux craintes des milliers qui
poursuivent leur chemin, année après
année, murmurant leurs prières
stériles. Quelle interminable procession de
coeurs chargés et meurtris a
déjà suivi ce chemin et le suivra
encore!
Le docteur Kao a rencontré
aujourd'hui une toute vieille femme, appuyée
sur un bâton, et trop exténuée
pour continuer sa route. Arrêtant sa mule
auprès d'une grosse pierre, le docteur Kao
la persuada d'y monter, et, marchant à ses
côtés, se mit à lui parler de
choses et d'autres pour voir si elle comprendrait
son dialecte; car elle était originaire des
montagnes du nord de Sining.
Elle avait des fils et des
petits-fils, et en était à son
troisième jour de voyage. Par bonheur, elle
comprenait ses paroles.
Il continua à l'entretenir,
lui parlant, de la vraie joie et
du chemin qui conduit au ciel. La vieille femme ne
semblait pas y faire grande attention, jusqu'au
moment où il commença à lui
enseigner un hymne dont le refrain était :
« Je t'implore, Seigneur Jésus,
sauve-moi ».
Ceci réveilla son
intérêt, et après plusieurs
répétitions, elle en retint le
premier verset et le choeur. Alors, le docteur Kao
le lui chanta en entier, et elle en fut
ravie.
« Hao t'ing, Hao t'ing hen
», s'exclamait-elle. « C'est, beau
d'écouter cela! » et elle ajouta avec
conviction : « C'est bien plus beau que notre
« Om mani! »
(2).
Mais, en atteignant la ville, elle
était impatiente de s'acheminer vers le
temple au toit doré, car n'était-elle
pas venue dans le but de se prosterner devant la
splendide idole?
« Les ombres s'étendent
sur la vallée, écrivait Fun de nous
un peu plus tard, les pèlerins reviennent
des temples, mais nous avons encore le temps d'y
monter avant la nuit, quoique nous ne puissions pas
voir grand'chose du monastère. C'est une
toute petite course à travers les rues; on
traverse la rivière gelée et
l'on monte la colline sur
laquelle plusieurs chemins sont
tracés.
À chaque pas l'on est
tenté de s'arrêter pour regarder la
foule. Combien sont pittoresques la plupart de ces
physionomies : les hommes spécialement avec
de hauts chapeaux fourrés et des couteaux
bien aiguisés a leur ceinture. Nous
remarquons un grand nombre de femmes mongoles,
chinoises et thibétaines, ces
dernières en robes de peaux de mouton, comme
les hommes, seulement plus longues, leurs cheveux
partagés au milieu et, divisés en
cent, huit petites nattes, qui est le nombre des
volumes dit Canon Sacré
tibétain.
Ici, au sommet de la colline, la
foire qui s'y tient offrira demain une scène
d'animation indescriptible. Maintenant
déjà, elle est assez bruyante, avec
de vives lumières, ses boutiques bien
achalandées et ses tardifs acheteurs.
Quittant les étalages, nous entrons par la
porte principale du monastère et nous nous
approchons des bâtiments et temples
extérieurs. Mais quelle est donc cette ligne
mouvante que nous apercevons sur la route
poussiéreuse devant nous?
« Voyez, murmure M. Ridley,
regardez! » Il faut un peu de temps à
l'oeil et à l'esprit pour distinguer ce qui
se passe et pour le comprendre.
Se tordant, se traînant dans
la poussière, se peut-il que ce soient des
créatures humaines que nous voyons ?
Oui, ce sont trois femmes et un
homme; nous les voyons distinctement taudis qu'ils
se lèvent l'un derrière l'autre, les
femmes rejetant leurs longues tresses de leurs
visages. Ils sont pauvres, vêtus de ces peaux
grossières qui composent l'unique
vêtement thibétain, nu-tête,
couverts de poussière et l'air si
fatigué! Ils s'acheminent lentement vers le
temple au toit doré, mesurant leur longueur
tout le long du chemin comme ils l'ont fait
probablement depuis qu'ils ont quitté leurs
demeures, il y a bien des jours. Regardez-les se
tenir debout avec respect en élevant leurs
mains, puis s'agenouillant et se prosternant sur
leur face, les mains étendues aussi loin
qu'ils peuvent atteindre, le front par terre. Ils
l'ont alors une trace avec leurs doigts, puis se
relèvent, marchent deux ou trois pas
jusqu'à l'endroit marqué,
élèvent de nouveau leurs mains,
s'agenouillent et retombent sur leur visage,
chantant continuellement sur un ton bas et
monotone, et ainsi de suite, toujours plus
péniblement, toujours plus sales, toujours
plus fatigués, toujours plus vertueux
à chaque pas ! Quel triste, triste spectacle
! Un jeune homme, une jeune femme et deux plus
âgées, probablement apparentés.
Il y a aussi d'autres groupes. Pourquoi
agissent-ils ainsi, si ce n'est poussés par
quelque crainte ou quelque besoin
intérieur?
Le coeur meurtri, nous n'allons pas
plus loin que le pont. «
Quelquefois, nous raconte M. Ridley, ces pauvres
pèlerin, n'arrivent pas à obtenir
l'approbation du « Fuh-ie » (le lama qui
est adoré comme une incarnation,
appelé aussi le «Bouddha vivant
»), et celui-ci leur commande de faire ainsi
le tour du monastère entier trois fois de
suite, ce qui représente des journées
d'un labeur épuisant. Oh ! combien le
zèle de ces gens fait honte à notre
indifférence! Ils semblent prêts
à n'importe quel sacrifice, n'importe quelle
souffrance ! Trois jeunes Thibétains,
auxquels nous parlâmes avant de quitter le
monastère, avaient fait un voyage de quatre
mois, en mendiant leur subsistance, pour venir
à cette fête, et cela à travers
des montagnes infestées de brigands,
où leur vie était constamment en
danger. Ces gens sont prêts à tous les
sacrifices, à toutes les
souffrances...
Ils nous font penser à ces
ermites, vivant dans les montagnes
thibétaines, dans des cavernes, à une
altitude supérieure à celle du
Mont-Blanc, endurant le froid, la faim, la
solitude, étant en péril de la part
des bêtes sauvages. Pensez aussi aux moines
enfermés dans ces nombreux monastères
thibétains, ne voyant jamais la
lumière du jour, ou le visage d'une
créature humaine. Volontairement, ils vont
s'ensevelir dans les ténèbres leur
vie entière, ne s'occupant qu'à
tourner une roue de prières, ne se
nourrissant que d'un peu de pain
et d'eau qu'ils obtiennent en tendant une main
enveloppée de chiffons, lorsqu'à un
moment donné de la journée ou frappe
à la pierre placée au-dessus d'eux et
qu'un rayon de lumière pénètre
dans leur caveau, C'est la seule chose qui leur
aide à se rendre compte du lent
écoulement des mois et des années, et
plusieurs d'entre eux ont une longue vie. Tous les
sacrifices, toutes les indicibles souffrances, pour
obtenir le mérite qui, seul, peut
délivrer des misères de l'existence
présente et future! Et le Bouddhisme
encourage ce système, permettant les
tromperies et les oppressions des lamas qui
terrorisent le peuple et le tiennent en
esclavage.
Un homme sur trois est
destiné à être lama au Thibet,
et le but commun de ceux-ci est l'enrichissement
des monastères qui jettent leur ombre sur
chaque ville et presque sur chaque village. Plus
les horreurs qu'ils dépeignent, et les
mystères dont ils entourent leurs
dieux-démons seront sombres et terribles,
plus ils pourront exploiter les terreurs des
habitants.
Ainsi, chaque monastère est
orné de flamboyantes peintures
représentant les tourments de l'enfer et
à côté du Bouddha à la
face placide qu'on rencontre partout et de leurs
autres idoles, ils ont des dieux secrets et
horribles, si terrifiants et si obscènes
qu'ils les gardent dans des
chambres secrètes on les couvrent
entièrement de draperies, ne laissant
à découvert que leurs faces ignobles.
Quoique invisibles, ces dieux ne sont pas
ignorés du peuple, et celui-ci craint
tellement leur pouvoir qu'il cherche à les
apaiser de loin, s'agenouillant en dehors des
monastères et adorant près des lieux
où ils sont dissimulés. Un ami,
appartenant à une autre mission, qui
vécut, plusieurs mois dans un
monastère thibétain, vit ce spectacle
pathétique et eut l'occasion de visiter
l'étage supérieur du bâtiment
où ces dieux redoutables étaient
cachés, quoiqu'il fût averti par les
lamas du danger qu'il courait en
pénétrant dans cette chambre
spéciale. Nous-mêmes, nous vîmes
dans une ville au Nord de la « Grande Muraille
» un temple que les lamas ont actuellement
détruit, mettant en pièces, de leurs
propres mains, les idoles pour empêcher les
Chinois de s'en approcher. Ceux-ci étaient
déterminés à voir si ce qu'on
leur disait, de ces dieux était conforme
à la réalité, et plutôt
que de les laisser voir, les lamas les
détruisirent.
Bien des pensées se
pressaient dans notre esprit tandis que nous
revenions lentement à la ville et que nous
nous retrouvions autour de la table du souper chez
nos amis Chinois. Quel contraste frappant entre ce
cercle chrétien et le paganisme tout autour
de nous! Après le repas, notre hôte
proposa de faire le culte du
soir et tandis que nous
chantions cantique après cantique, cela nous
faisait du bien de le regarder. Ne se sachant pas
observé, placé un peu en
arrière, il chantait chaque strophe des
hymnes du pasteur Hsi, les yeux fermés comme
en une vraie prière :
- Si Tu répandais Ton fleuve de vie,
- Je voudrais être la coupe terrestre
- Pleine à déborder d'une onde
pure.
- 0 Toi, la fontaine et la source vive,
- Coule au travers de moi, faible vaisseau,
- Afin que les âmes
altérées puissent goûter Ta
grâce.
-
- Si Tu éclairais les
ténèbres, Seigneur,
- Je voudrais être la lampe d'argent
- Dont l'huile ne tarit jamais.
- Placée bien haut pour répandre
au loin ses rayons,
- Afin que les ténèbres se
changent en lumière
- Et que les hommes puissent voir Ta face.
Et le refrain :
- Mon corps est à Toi, oui, tout
à Toi,
- Mon esprit T'appartient, à Toi, Son
Seigneur.
- En Tes mains, j'abandonne tout,
- Je ne demande qu'à me tenir
- Partout où Tu as besoin de moi,
- Alerte et prêt à Ton appel.
C'était bien en effet l'assurance dont
nous avions tous besoin.
La foule qui se pressait au monastère le
matin suivant était si compacte qu'il nous
fut difficile de nous frayer un chemin, et
pourtant, nous dit-on, c'était peu de chose
en comparaison des années
précédentes. Laissant le champ de
foire, ses tentes et ses échoppes, nous
trouvâmes la foule plus dense encore
près du temple d'or. Quelle vivacité
de couleurs! Quel tableau et quelle étude
offrait chaque physionomie!
Il y avait là un personnage
qui paraissait avoir une grande importance, un
homme grand et gros, portant une robe de soie
pourpre, un cordon ou ceinture jaune, un manteau de
velours vert, des bottes à revers
également en velours, et un chapeau en satin
rouge bordé de fourrure. Il avait un rosaire
à la main, mais ne s'en servait pas, tout
occupé qu'il était à nous
considérer. Ce devait être un marchand
mongol ou thibétain, M. Ridley ne put nous
renseigner à ce sujet.
Entraînés dans le
tourbillon, nous remarquons en passant plusieurs
types frappants, en particulier des dames
thibétaines en belles robes simples,
retenues à la taille par une ceinture,
garnies de fourrures et lissées en soies de
teintes vertes et bleues. Leurs bijoux sont
étonnants, or et argent, ambre, jais,
corail, enrichis de pierres précieuses et de
perles.
Mais la plupart des gens sont
vêtus des babils crasseux
qu'ils portent d'habitude, en peau de brebis
autrefois blanches, avec la laine à
l'intérieur. C'est, le vêtement
universel de la classe pauvre, pour les hommes
comme pour les femmes, le seul et unique article de
confection, porté pendant des années
jusqu'à ce que la peau soit noire et polie
par la graisse et la saleté.
Ces sauvages Thibétains, qui
sont ici très nombreux, ont un air farouche.
Fils indomptés des montagnes, ils se
distinguent facilement par leurs cheveux aplatis et
leur apparence de brigands.
Ce sont des voleurs de la pire
sorte, qui peuvent cependant se montrer
généreux et fidèles envers
ceux qui ont gagné leur amitié; ils
sont parmi les plus ardents de ces pèlerins,
courant d'autel en autel.
Combien ce temple renommé
avec ses tuiles en or massif doit paraître
merveilleux à ces multitudes ignorantes et
superstitieuses! D'autres temples l'entourent,
ayant chacun leurs idoles particulières,
mais celui-ci renferme le colossal Bouddha devant
lequel brûlent six cent lampes de beurre,
taudis qu'à ses pieds, les lamas chantent
sans se lasser. La statue est si grande que l'on
n'en voit, du bas, que les parties
inférieures. Elle s'élève dans
l'obscurité du vaste bâtiment,
entourée de galeries auxquelles on
accède par de nombreuses marches. Ces
galeries ne sont pas ouvertes
aujourd'hui à cause de la
foule; il faut donc nous imaginer ce que doit
être cette figure dorée aux traits
placides et à l'éternel
sourire.
Mais nous sommes infiniment plus
impressionnés encore par le sombre vestibule
de la Prière, éclairé d'en
haut par des fenêtres invisibles. Des piliers
en grand nombre supportent le toit massif,
au-dessus duquel se trouvent des cloîtres
silencieux et ensoleillés et de grandes
chambres remplies de petites idoles. Le, vestibule
de la Prière n'eu renferme aucune. Les
cloîtres sont beaux, scintillant de peintures
et de dorures, d'où l'on aperçoit,
à proximité, le toit d'or du temple
principal. Le hall de la Prière est aussi
vaste et obscur que les plus sombres endroits de
quelque grande forêt. Dix-huit immenses
colonnes supportent la partie centrale du toit,
chacune entourée, de la base au sommet, d'un
tapis tissé d'une seule pièce. Entre
ces piliers remarquables par leurs teintes
délicates, de longs sièges bas
traversent la salle d'un bout à l'autre,
laissant un espace au centre pour une sorte de
divan. C'est ici que se tient, dans l'attitude
même du Bouddha, un des lamas qui est
adoré, comme en en étant
l'incarnation. Il est jeune, vêtu de satin
jaune, impénétrable, impassible. La
lumière est disposée de telle
manière qu'en tombant sur sa figure,
celle-ci paraît être aussi semblable au
Bouddha doré qu'il est possible a un
mortel de l'être.
Lentement, le hall se remplit de lamas aux robes
rouges qui s'assoient en croisant les jambes sur
les longs sièges bas. Un groupe au milieu,
en face du trône jaune, chante des
mélodies solennelles et retentissantes
auxquelles répondent ceux qui sont
placés sur les côtés. Au dehors
les gens vont et viennent, mais à
l'intérieur tout est tranquille tandis que
le chant monotone se poursuit.
Oh! ces foules que nous coudoyons en
nous retrouvant à la lumière du
soleil! Nous ne pouvons leur parler, car ils ne
comprennent pas le chinois. Mais ils causent de
nous et considèrent chacun de nos mouvements
avec un vif intérêt. Visages
intelligents, rusés, spirituels, sensuels,
lourds - il y a de tout; les filles et femmes qui
se tiennent en groupes séparés nous
intéressent spécialement. Les longues
nattes de plusieurs d'entre elles sont recouvertes
d'une large bande d'étoffé rouge,
somptueusement brodée, qui descend le long
du dos, et qui est décorée de grandes
coquilles blanches semblables à celles qu'on
applique aux oreilles des enfants pour leur faire
entendre « le bruit de la mer ». Quatre
ou cinq de ces coquilles, chacune aussi grande que
la paume de la main, doivent être un joli
poids à supporter pour les cheveux d'une
seule tète; mais même au Thibet «
il faut souffrir pour être belle! » Les
filles mongoles portent des ornements
d'argent presque aussi lourds,
et des vêtements de couleurs vives. Plusieurs
semblent porter sur elles les richesses de leurs
familles.
Mais la partie la plus merveilleuse
de la fête devait avoir lieu au
crépuscule; nous retournâmes donc au
monastère après le souper. Les lamas
ne craignaient pas d'exposer leurs oeuvres d'art
par cette glaciale nuit d'hiver, puisqu'elles
devaient, de toutes manières,
disparaître avant le matin. Pendant une nuit,
une courte nuit, la Fête du beurre allait se
déployer dans toute sa splendeur. Avant
l'aurore les bas-reliefs qui avaient pris des
semaines, sinon des mois de travail, allaient
être enlevés des planches sur
lesquelles lis étaient exposés et
transformés en un monceau de beurre
décoloré. Mais, ce soir, que ne
pourrait-on pas dire de leur beauté
merveilleuse et si extraordinaire!
Nous pouvions à peine en
croire nos yeux, lorsque, sous la lumière
d'une rangée de petites lampes en beurre,
nous nous arrêtâmes devant le premier
de ces étranges autels. Chaque bas-relief,
grand ou petit, a pour centre une idole, devant
laquelle on brûle de l'encens et l'on adore.
Pour nous, c'étaient tout simplement des
oeuvres d'art en cire, mais elles étaient
d'une délicatesse et d'une beauté que
nos expositions européennes auraient
enviées.
Combien nous aurions aimé
revoir le plus beau de ces
chefs-d'oeuvre ! Mais la foule était trop
dense pour que nous puissions songer à
retourner en arrière. La charpente du
bas-relief lui-même devait bien avoir
vingt-cinq pieds de long sur huit ou dix de haut.
Le fond était noir, aussi uni qu'un tableau
d'école. Au centre, une figure, grandeur
naturelle, de Bouddha, faisait saillie, riche en
dorures et broderies de toutes les couleurs de
l'arc-en-ciel. Une couronne étincelante
semée de joyaux complétait sa gloire
- tout cela en beurre! À droite et à
gauche se voyaient des scènes de personnages
et d'animaux, d'oiseaux et de fleurs, tandis
qu'à chaque extrémité un
merveilleux dragon cinglait l'air de sa queue en
levant une tête redoutable. La
légère et fantastique bordure qui
entourait la figure centrale était
extrêmement artistique; elle avait un relief
de l'épaisseur d'un pied ornée de
dragons entrelacés gracieusement,
admirablement colorés et vivants. Puis,
au-dessus du tout, s'élevait une haute
pyramide, dont les gradins, formés de
grandes plaques rondes, étaient ornés
de beaux dessins. L'édifice entier sur son
fond noir devait avoir une quarantaine de pieds de
haut, peut-être même cinquante avec le
pavillon flottant qui surmontait le tout. Il
formait un des côtés d'une grande
place, recouverte d'un dôme de soie et
entourée de murailles fragiles
formées par quatre rangées de
bannières magnifiquement brodées et
retenues entre elles par un
réseau de feuilles de soie de toutes
couleurs, terminées au sommet - six pieds
au-dessus du sol - par une frange de rubans de soie
richement ornés.
Cela nous apparaissait comme un
rêve chatoyant. Le tout était soutenu
par des supports invisibles de plus de cinquante
pieds.
L'intérieur était
illuminé par la douce lumière des
lampes en beurre. Trois rangées de ces
lampes se trouvaient au-dessus de la scène
que nous avons essayé de décrire. Les
sons d'une musique basse et étrange
semblaient sortir du Bouddha ou des dragons,
derrière l'écran lumineux des lampes.
Les musiciens devaient être cachés
sous des estrades de bois et l'effet en
était des plus impressionnants.
Un autre pavillon, en soie, du
même genre était aussi le lieu de
rassemblement d'une grande foule. Les ouvrages en
cire (ou en beurre) étaient presque aussi
beaux, et les murailles en soie ainsi que la
voûte, en étaient plus
élevées. Tout autour du temple
principal au toit d'or, se trouvaient de plus
petits autels, illuminés chacun par trois
rangées de lampes en beurre et contenant la
figure de leur propre dieu. Toutes ces idoles
étaient couronnées d'or et de joyaux
du plus bel effet. Ces couronnes nous
étonnaient plus que tout le reste. Il nous
semblait impossible de réaliser que ce
charmant ouvrage en filigrane
n'était pas réellement en or, et que
les pierres n'étaient pas réellement
des joyaux, et cependant, cela comme tout le reste
n'était que du beurre
thibétain!
À l'opposé de
l'entrée principale du temple au toit d'or,
se trouvaient deux autels particulièrement
charmants. C'était un spectacle à
jamais inoubliable d'être là, sous ce
clair de lune, environnés des ombres
projetées par ces édifices,
considérant cette foule de visages anxieux -
hommes et enfants thibétains, lamas aux
robes rouges - ces figures se relevant et retombant
à intervalles réguliers, en face de
l'image cachée derrière les grandes
portes fermées. Ils ne faisaient aucune
attention à nous, et sous les bords du toit,
continuaient leurs absorbantes dévotions.
Plusieurs heures auparavant, nous les avions
déjà vus à cette même
place, où les planches doivent être
fréquemment renouvelées à de
l'usure. Nous avions remarqué, le matin, les
trous de cinq à sept centimètres de
profondeur, à l'endroit où les mains
glissent lorsqu'ils tombent, et où les pieds
se retiennent lorsqu'ils se relèvent avec la
régularité automatique d'un
pendule.
Le mérite augmente à
chaque bruit sourd de la tète sur le sol.
Accumulation de mérites! Les lamas n'ont
rien de plus pour ces coeurs affamés!
Voyez-les, tandis qu'ils se lèvent et
retombent, leur corps toujours plus
lassé, leur front
toujours plus meurtri et douloureux.
Des immenses moulins à
prières tournent, tournent sans se lasser,
tandis que de nouveaux pèlerins
succèdent aux premiers.
Sur toute cette scène, les
étoiles paisibles scintillent
silencieusement.
.
CHAPITRE XIII
En quittant Sining deux jours après la
Fête du beurre, nous ne disions pas un adieu
définitif au Thibet, car nous nous dirigions
sur Hochow, la ville aux nombreuses mosquées
et à la, population strictement
musulmane.
M. Ridley nous accompagnait encore,
mais le docteur Kao s'en retournait vers sa station
solitaire, à plus d'une semaine de voyage de
Sining et s'attristait autant que nous de cette
séparation. Ce n'était pas facile non
plus de laisser M. et Mme Harris seuls, pour faire
face à l'important travail de
Sining.
Bien loin de se plaindre, ils sont
heureux de vivre là-bas pour la cause du
Seigneur et nous pouvions nous rendre compte, en
face de leur attitude courageuse, combien de telles
vies sont précieuses à leur
Maître. Nous étions heureux, en nous
dirigeant vers le Sud, de rester encore quelques
jours en contact avec les Thibétains, car
nous aimions ce peuple rustique et
il nous était douloureux
de les quitter sans avoir pu leur venir en
aide.
Pourquoi, en dépit de leur
malpropreté, de leur dégradation
morale, ce peuple nous était-il si
sympathique ? Sans doute à cause de leur
nature généreuse et accessible et de
la capacité qui le porte à rechercher
un certain idéal spirituel.
D'autres peuples peuvent être
religieux et manifestent une grande ferveur
à l'occasion de fêtes
spéciales. mais pour les Thibétains
la religion semble être une
nécessité et le but de leur vie.
Tandis que le Musulman prie cinq fois par jour en
se tournant vers ses lieux saints, le
Thibétain prie, pour ainsi dire,
continuellement, trouvant de nombreux
prétextes pour répéter de nuit
comme de jour sa prière habituelle et
communiquant ainsi avec l'invisible. Il est
aisé de dire que de telles requêtes
proviennent de leurs superstitions, de leurs
craintes charnelles ou d'une ancienne coutume, mais
nous sommes convaincus qu'ils agissent le plus
sincèrement possible selon leurs
lumières. Leurs prêtres ont un vague
pressentiment que le bouddhisme tombe en
désuétude même au Thibet. Le
Dalaï Lama lui-même a exprimé
cette pensée lorsqu'étant le roi
non-couronné du Thibet et le chef spirituel
de deux millions d'âmes, il s'était
enfui de Lhassa à l'arrivée de la
mission britannique, dirigée par
le colonel Younghusband, en
1904, et s'était réfugié dans
la lamaserie de Kumbum où il vécut un
an. Ce personnage voyageait avec beaucoup de pompe
et de magnificence; sa litière, tirée
par quatre chevaux, était doublée de
satin jaune, ses gardes étaient vêtus
de brocart d'or et tout ce qui l'entourait portait
cette même livrée jaune d'or. Il
s'avançait au son d'une musique
étrange et sonore, mais tandis que la foule
s'agenouillait à son passage, son regard
donnait une impression de malaise
indéfinissable.
Lorsque M. Ridley accompagné
d'un explorateur anglais, M. Brook, alla le visiter
à Kumbum, il leur parla, au moyen d'un
interprète, mais ne les regarda jamais en
face. Il habitait à Kumbum une maison
somptueuse, dominant le temple au toit doré;
mais malgré la richesse des
monastères, l'autorité incontestable
du Lamaïsme et la puissance démoniaque
qui se cache derrière ce culte, le
Dalaï-Lama en retournant à Lhassa
déclara que le christianisme est une force
progressive qui aura peu à peu raison du
bouddhisme. Et si certains prêtres
thibétains, du fond de leurs cloîtres,
voulaient être sincères, ils
exprimeraient la même opinion. Bien que ce
pays soit encore fermé aux missionnaires, il
ne l'est, pas à la Vérité, car
beaucoup de prêtres lisent déjà
la littérature chrétienne qu'ils
reçoivent par la poste. M. Sörensen qui
s'occupe de cette oeuvre de
propagande a reçu
quelques lettres de l'un ou l'autre de ces «
Bouddhas incarnés ».
L'un d'eux, de son royaume virtuel
dominant les cours supérieurs du Fleuve
Jaune où il règne sur trente-six
lamaseries et sur ceux qui en dépendent, lui
écrivait : « Au docteur Sörensen,
très instruit dans la métaphysique et
toutes les branches de la littérature
sacrée ». « Moi, votre humble
serviteur. j'ai reçu plusieurs volumes des
Écritures et les ayant lus avec soin. ils
m'ont fait croire en Christ. Je comprends un peu
les principes et l'instruction doctrinale du Fils
Unique, mais je ne suis pas au clair quant à
la nature et et l'essence du Saint Esprit, ainsi
que quant aux origines de cette religion; il serait
donc très important que cette doctrine nous
soit pleinement expliquée afin
d'éclairer les simples et le peuple de
moyenne intelligence. L'enseignement de la science
de la médecine et celle de l'astronomie
serait aussi très nécessaire. Il est
donc évident que si nous voulons que cette
bénédiction soit pleinement
répandue, il nous faut croire à la
religion du Fils Unique de Dieu.
« Étant, absolument
sincère, je vous prie de tout, mon coeur de
ne pas prendre cette lettre à la
légère.
« Avec cent salutations.
»
La meilleure preuve que cet homme
réfléchissait sérieusement
à ces choses fut la lecture poésie
qu'il avait jointe à sa
lettre et qui, provenant d'une pareille source et
malgré tout ce que la traduction a de
défectueux, ne peut que nous
intéresser vivement. Voici cette
poésie :
- O Toi, Dieu suprême et Père
très précieux,
- Toi, la Vérité au-dessus de
toutes les religions,
- Dominateur sur tous les mondes
- Animés et inanimés,
- Plus élevé que la Sagesse,
- Mis à part par Sa naissance et par Sa
mort
- Est Son Fils, Christ le Seigneur,
- Resplendissant de gloire parmi les
êtres immortels,
- Merveille incomparable, miraculeusement
engendré!
- Je crois maintenant à Ses
enseignements,
- De même que votre esprit est uni avec
le ciel,
- Mon âme tout entière cherche la
Vérité,
- Accomplissant ainsi le désir de
Jésus le Sauveur.
- Je prie pour l'avènement du Royaume
des Cieux
- Qui apportera le bonheur sur la Terre.
Ayant entendu parler de ce personnage qui
connaissait aussi M. Ridley, c'est avec une vive
joie que nous nous approchions de sa demeure, deux
jours après notre départ de
Sining.
Ce voyage avait été
merveilleux, car nous nous trouvions dans une
région du nord-ouest de la Chine qui nous
rappelait la Suisse. C'était une
contrée très élevée et
charmante avec ses campements
disséminés de Thibétains et
ses profondes vallées, sur lesquelles nous
jouissions d'un coup d'oeil
d'ensemble étendu, étant, en ce
moment à douze mille pieds
d'altitude.
L'eau des sources gelait à
mesure qu'elle s'écoulait formant plus bas
des glaciers étincelants. Combien ce tableau
devait être beau en été lorsque
les fleurs des montagnes poussent de toute part et
que de blancs rhododendrons y remplacent la neige!
M. Ridley y avait trouvé quantité de
petits fruits tels que des fraises et des
groseilles tout le long de la route jusque dans la
vallée. Le troisième jour, nous
avions traversé une vallée qui
s'avance au sud vers le fleuve Jaune. Là,
sur la rive opposée, non loin d'un de ces
monastères, se trouve la maison du «
Fuh-ie ». Si nous n'avions pas
été attendus à la Mission pour
les réunions du dimanche, nous aurions
été tentés de nous
arrêter chez lui. Faisant partie de la Sorte
Rouge, il est marié, et nous aurions pu
faire, même s'il avait été
absent, la connaissance de sa femme et de ses
enfants. Mais pour le moment, nous ne pouvions que
prier pour lui et pour tous ceux qui, avec lui,
connaissent une partie de la Vérité,
mais non pas Sa puissance rédemptrice. Nous
nous souvenions en ce moment de tout ce que le
docteur Kao nous avait dit de l'immense influence
de cet homme et comment son peuple l'adore comme un
dieu.
M. Kao était venu ici,
quelques années auparavant,
pour exercer son
ministère de docteur et
d'évangéliste; à la
requête de M. Ridley, il avait: tenté
de s'installer à Kweiteh, ville
située non loin de la demeure du Fuh-ie afin
d'atteindre les Thibétains. Ceux-ci avaient
en peur de l'étranger jusqu'au moment
où le Bouddha incarné était
venu lui rendre visite. Cet important, personnage
avait logé dans la même auberge que le
docteur et se montra bienveillant et amical envers
lui; il fit avertir ses gens de l'arrivée de
ce dernier et du fait qu'ils pourraient obtenir de
lui des conseils et des
médicaments.
Ces circonstances attirèrent
de suite un nombre considérable de patients.
Le docteur Kao, tout en soignant les malades,
observait l'attitude du Bouddha au milieu de ce
peuple accouru en foule pour recevoir sa
bénédiction. Personne ne se
présentait à lui les mains vides. En
plus des dons ordinaires de bienvenue, ils
apportaient des poires, du pain, du musc, de
l'argent ou des monnaies de cuivre et d'argent que
le Fuh-ie acceptait comme étant son droit.
Les plus pauvres même apportaient leur
offrande et c'était touchant de voir des
femmes arriver avec un simple fil de soie qu'elles
étendaient sur leur deux mains pour le
présenter au lama. Quand celui-ci est de
bonne humeur il accepte le fil et l'enroule autour
de son doigt avant de leur donner sa
bénédiction; le refus de ce don est
une calamité que ces
pauvres gens appréhendent au-dessus de tout.
Personne parmi les auditeurs n'écoutait,
l'Évangile avec plus d'attention que le
Fuh-ie lui-même, qui, par moments, semblait
être « presque persuadé» de
devenir chrétien.
« Je crois en votre Dieu
», disait-il au docteur Kao et il admettait
volontiers qu'il n'était pas lui-même
une incarnation, mais un simple mortel « comme
vous l'êtes vous-même
».
Seul, l'Esprit de Dieu peut
convaincre un tel homme de péché et
lui communiquer la foi et l'humilité
nécessaires pour venir à Christ, car
les sacrifices qu'il devrait faire, au point de vue
humain, sont grands. Ne nous arrêterons-nous
pas avant de tourner cette page pour prier le
Seigneur d'intervenir en faveur de cet homme qui
détient un tel pouvoir, afin qu'en
l'atteignant lui-même, la lumière
divine en éclaire beaucoup
d'autres?
Le docteur avait été
frappé dans cette visite en voyant combien
son travail médical lui aidait à
atteindre le peuple qui se montrait reconnaissant
et généreux mais bientôt il
s'aperçut que pour se faire un ami d'un
Thibétain, il fallait obtenir sa confiance
dès la première rencontre, car une
fois cette occasion perdue, tout contact devient
très difficile. La population de Kweiteh se
prit à l'aimer, à lui ouvrir ses
maisons et aurait voulu le
garder au milieu d'elle. Le docteur Kao aurait
aussi désiré prolonger son
séjour, mais le docteur King le
réclamait à l'hôpital. Plus que
jamais dans cette dernière visite il avait
été frappé de sa
mentalité religieuse, de ses moulins
à prières et de ses supplications aux
dieux qui se prolongeaient souvent toute la nuit.
Un homme qui avait bénéficié
de son traitement l'avait convié à un
festin dans la maison de sa soeur, comme ils s'y
rendaient ensemble, ce Thibétain, qui
ignorait le dialecte chinois, semblait vouloir lui
dire quelque chose dont son coeur était
plein. S'arrêtant de temps en temps il
dirigeait son doigt vers le ciel et plaçait
ensuite sa main sur sa poitrine. Après avoir
vu ce geste se renouveler deux ou trois fois, le
docteur Kao comprit la signification : en effet, il
avait raconté, au moyen d'un
interprète, comment le Seigneur Jésus
avait quitté Sa demeure dans la gloire pour
souffrir et mourir pour nos péchés,
et comment Il désire venir habiter les
coeurs de ceux qui L'aiment.
Le regard brillant du
Thibétain était fort
compréhensible lorsque, regardant le ciel,
il mettait la main sur son coeur; le docteur Kao
lui montra qu'il le comprenait. À la maison
de la soeur, il fut reçu avec une cordiale
hospitalité, et eut ainsi l'occasion de
délivrer son message à plusieurs
personnes. Combien il aimait désiré
pouvoir accepter l'invitation du Fuh-ie
et rester chez lui un an ou deux
pour y apprendre à fond la langue! Mais il
devait penser à sa famille et à sa
propre oeuvre et cette idée était
impossible à réaliser. En passant a
travers ce même pays, la certitude se gravait
toujours plus dans nos coeurs que ce peuple est
accessible à la vérité, si
seulement nous voulons la lui apporter. Quant
à ses superstitions et aux
ténèbres qui l'environnent, nous
eûmes l'occasion de nous en rendre compte
pendant ce voyage. Chaque demeure thibétaine
a son drapeau de prières flottant au vent,
c'est une étoffe blanchâtre
enroulée autour d'une longue perche et qui
est couverte de caractères écrits ou
imprimés.
D'autres de ces banderoles
étaient tendues à travers des
passages étroits, ou sur des endroits bien
en vue, où le vent souffle librement. M.
Ridley nous expliquait qu'il avait vu dans un
village voisin cinq moulins à prières
actionnés par un torrent de montagne.
D'autres sont attachés à de longues
cordes, afin que l'aïeule, tout en surveillant
l'âtre ou en gardant le bébé,
puisse continuer à faire marcher le moulin
à prières pour toute la famille.
Certains de ces objets tournent comme des moulins
à vent. Tous sont remplis de rouleaux de
papier formant une masse solide sur lesquels est
écrite cette phrase unique : « 0 toi,
joyau précieux de la fleur du lotus. Amen.
»
Il existe encore de petits moulins
portatifs, tandis que d'autres, fixés
au-dessus des portes et des foyers par la
circulation de l'air. Partout ils tournent,
tournent sans se lasser, répétant
leur éternel refrain : « Om mani padme
um ». Et des voix humaines redisent sans cesse
cette prière monotone. Comme Koeppen l'a
écrit dans son livre sur le bouddhisme : Ces
six syllabes sont, parmi les Mongols et les
Thibétains, les premiers mots que l'enfant
apprend à bégayer et les derniers que
prononce un mourant. Le voyageur les murmures en
marchant, le berger en gardant son troupeau, la
ménagère dans sa maison et le moine,
dans ses diverses phases d'adoration.
Cette phrase est aussi usitée
comme cri de bataille et le chant de victoire. Elle
se trouve inscrite partout où le
Lamaïsme existe, sur les arbres, les rochers,
les murailles, les bannières, les monuments,
les ustensiles et jusque sur les crânes
humains et les squelettes !
D'après les idées des
croyants, cette formule représente la plus
haute conception de toute religion, adoration et
révélation, elle est pour eux le
chemin du secours et la porte du salut. Aujourd'hui
encore, ces paroles dénuées de sens
restent l'unique consolation du Thibétain;
elle flotte à toutes les brises qui balaient
cette région sombre et
ténébreuse : « 0 toi, joyau
précieux de la fleur du lotus! » C'est
tout! Et le Nom qui est
au-dessus de tout nom, Celui qui demeurera
éternellement comme seule possibilité
de salut, est entendu et compris par un nombre bien
restreint de ces fils de la montagne au coeur chaud
et superstitieux. L'immoralité dans laquelle
ce peuple vit est horrible. Certains de leurs dieux
mêmes ne peuvent être décrits.
Oh ! qui apportera le feu purificateur, la
puissance libératrice de l'Esprit de Dieu
pour transformer les coeurs et les vies des
Thibétains par la foi en Christ!
- Je connais un pays plongé dans
l'obscurité.
- Des coeurs qui sont fatigués et
chargés,
- Mais je connais aussi un Nom
- Qui pourrait mettre tout ce pays en feu
- Jésus! le Nom au-dessus de tous les
autres.
- Sur la terre, dans l'air et dans les cieux,
- Les anges et les hommes se prosternent
devant Lui
- Et les démons craignent et
s'enfuient!
« Un instrument choisi par Moi pour porter
Mon Nom. »
Existe-t-il un privilège plus
grand, un but de vie plus glorieux?
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