L'APPEL
DU
GRAND NORD-OUEST CHINOIS
LE
KANSU ET LES
PROVINCES LOINTAINES
CHAPITRE X
Les
habitants
des montagnes.
Lorsque nous quittâmes Liangchow, le
regret du départ l'ut atténué
par la présence du docteur Kao qui
s'arrangea à nous accompagner jusqu'à
notre prochain arrêt. Nous apercevions des
larmes dans les yeux de ceux qui nous avaient
témoigné tant d'affection et qui se
recommandaient à nos prières. Quels
trésors de douceur et de bonté nous
avions découverts sous la rude apparence de
ces habitants du Kansu ! Maintenant nous nous
dirigions vers le Sud, vers cette région
particulièrement intéressante qui
vient d'être arrachée au Thibet et
dont la population se compose en grande partie de
Thibétains mélangés aux
Musulmans et à différentes autres
sectes et races.
Des Mongols vivent le long de la
frontière et leurs princes
héréditaires habitent la ville de
Sïning. Les hautes montagnes que nous avions
à traverser sont la retraite de certaines
tribus aborigènes, descendantes des Huns, et
qui semblent s'y être établies en
dépit de la Grande Muraille de la Chine.
« Cette province dit Kansu, a écrit
quelqu'un qui connaissait bien le pays, occupe une
place importante dans l'histoire de
chinois, car elle a
été le théâtre de
sanglantes batailles et le lieu d'habitation de
peuplades étranges. Beaucoup de personnes
croient que de ces régions sont sortis les
Huns qui, sous Attila, au IVe siècle,
devaient ravager l'Europe. C'est ici
également que les Chinois se sont battus
pendant de longues années, avec les
Thibétains et les Mongols; les ruines du
passé sont des témoins silencieux de
ces époques troublées.
« De terribles combats ont mis
plus récemment aux prises les Chinois et les
Musulmans, chacun luttant pour obtenir la
suprématie sur son voisin. Des ruisseaux de
sang ont été répandus et les
hostilités sont plutôt suspendues
qu'arrêtées. »
(1)
Pendant que nous traversions ces
lieux, nous étions plutôt
occupés de nos propres difficultés,
car l'approche des fêtes du Nouvel-An chinois
compliquait tout notre voyage. Nous ignorions que
les voitures ne circulaient plus guère sur
ces routes considérée, comme trop
dangereuses en hiver. Dans les auberges le froid
était intense, et les lits des torrents que
nous avions à traverser étaient,
presque infranchissables, car,
à certains endroits,
l'eau avait débordé et une
épaisse couche de glace recouvrait tout le
chemin pendant des kilomètres. Lorsque ceci
se passait sur un terrain plat, nous pouvions
encore avancer, mais lorsque le lit du torrent
s'élevait plus ou moins abruptement entre
des bords escarpés, alors notre position
peut à peine se décrire ! Souvent
nous grimpions à travers les rochers par de
dangereux sentiers en zig-zag; si la voiture avait
glissé, nous n'aurions eu aucune
possibilité de salut. Avec la montagne
au-dessus de nous d'un côté et le lit
de la rivière en dessous de l'autre
côté, il n'y aurait eu aucune
possibilité d'échapper à une
chute si la voiture avait glissé et que les
mules n'eussent pas pu reprendre leur
équilibre. Cet accident d'ailleurs faillit
nous arriver sur un espace gelé, alors que
M. Taylor, obligé de s'asseoir devant pour
maintenir l'équilibre des timons, ne pouvait
pas quitter la voiture. Si rapide et glissante
était la pente que voiture et mules
reculaient malgré tous les efforts pour les
retenir; derrière nous était le
précipice! Ce foi un moment dans lequel nous
ne pûmes que crier à Dieu: puis, juste
à temps, les bêtes parent reprendre
pied et avec le secours de nouvelles mules qui
montaient avec nous, nous pûmes franchir ce
mauvais pas.
Ce même jour, descendant du
côté opposé, la route
était interrompue aux contours les plus
brusques, à tel point
qu'il nous paraissait impossible de la traverser.
Pas moyen de tourner la voiture, le chemin
étant trop étroit, taillé dans
le flanc de la montagne. Que faire? À l'un
des tournants, un pont de planches traversait un
torrent gelé, et je vis, comme nous y
arrivions, que la route était interrompue
juste à l'endroit du contour. Le conducteur,
qui marchait à côté des mules,
alla de l'avant et, sans savoir comment, nous
parvînmes sains et saufs sur l'autre rive.
Aucun, son ne fut entendu et aucune parole
prononcée, mais un moment plus tard il se
retourna et regarda le docteur Kao qui suivait
à cheval, et je m'aperçus que,
malgré sa peau hâlée, cet homme
était blême. Le docteur Kao nous
raconta ensuite la terreur qu'il avait
éprouvée, en voyant une des roues
glisser sur le bord avant que nous ayions atteint
le pont. Cette position aurait pu être fatale
pour une voiture à deux roues, cependant,
nous fûmes gardés
sûrement.
En pénétrant dans la
plaine nous vécûmes des moments plus
paisibles et, durant nos haltes dans les auberges,
le docteur Kao nous entretînt longuement de
son travail et de ses expériences.
Graduellement, nous arrivions à
connaître les noms de tous les
chrétiens de Kanchow et une partie de leur
histoire; il nous parlait aussi de ses voyages
d'évangélisation parmi les natifs de
ces montagnes et de son amour pour eux.
Alors qu'il travaillait encore
à l'hôpital avec le docteur King, il
avait entrepris une de ces tournées à
pied. Des collines de Kanchow, il avait
aperçu vers le nord des chaînes de
montagnes où se trouvaient des villes, et
des villages dans lesquels l'Évangile
était encore inconnu. Il était
difficile d'y séjourner, car elles ne
possédaient ni auberges, ni magasins
où l'on put s'approvisionner, sauf pendant
certaines saisons de l'année; on ne pouvait
même pas y acheter du pain, mais le coeur du
docteur Kao était si fortement attiré
vers ces lieux qu'il ne put trouver aucun repos
avant d'y être allé.
Déchargé pour quelque
temps de son travail à l'hôpital, il
partit afin d'étudier la situation.
Vêtu comme un montagnard, emportant sa
literie et ses provisions, il commença son
voyage solitaire, n'ayant, pour tout compagnon,
qu'un petit chien. Une nuit il se trouvait seul
dans un temple au milieu des idoles, lorsqu'un
prêtre survînt qui lui adressa la
parole avec bienveillance : « Vous
périrez de froid ici, lui dit-il, venez
partager mon « Kang »! » Or, ce
« Kang » était étroit et le
prêtre fumait l'opium. Pendant qu'il
était couché, éclairé,
par la petite lampe, Kao lui parla de Celui qui
peut délivrer de la puissance et du
châtiment du péché.
Le docteur atteignit un jour un
petit hameau; ses provisions étaient
épuisées ; mais, devant la foule
réunie autour d'un feu dans la rue
principale, il oublia sa faim.
Plus encore que la chaleur, l'attention de ses
auditeurs était une attraction pour lui.
Parmi eux se trouvait une vieille femme, sorte de
prêtresse très zélée
pour le culte des faux dieux. Après avoir
écouté comme lus autres pendant un
moment, elle tisonna le brasier et lui dit : «
Continuez votre prédication, je vais vous
préparer du thé et voici un pain qui
cuit dans le feu; quand vous aurez fini, tout sera
prêt ». Kao ne se représentait
pas comment un pain peut cuire dans le feu, mais il
continua à parler.
Bientôt la femme revint avec
une théière et des tasses ; puis,
avec un crochet, elle retira du feu un petit four
en fer qu'elle ouvrit pour en retirer un pain cuit
à la perfection, couvert d'une
épaisse croûte brune et qui exhalait
un parfum des plus tentants. Le jeune
prédicateur avait assez faim pour
apprécier un pareil repas et la
moitié du pain disparu, ainsi que le
thé bouillant.
« Gardez le reste du pain, lui
dit cette bonne âme, vous ne pourrez rien
acheter ici et vous aurez besoin de souper.
»
Ce fut avec un coeur
débordant de reconnaissance que le docteur
Kao recommença à parler de Celui qui
connaît tous nos besoins et vent être
pour ceux qui se confient en Lui un
véritable Père. Au moment où
il partait, la vieille femme lui dit :
« Donnez-moi plusieurs de vos
traités, je les suspendrai autour de ma
chambre et quelqu'un viendra peut-être un
joui, pour nous les lire. »
Continuant son voyage dans les
montagnes, il poursuivait son chemin, toujours
affamé, mais heureux, lorsqu'il rencontra un
vieillard qui, le regardant sérieusement,
lui adressa la parole :
« Lama, de quel temple
venez-vous? »
- Du temple céleste, fut la
réponse inattendue, et je vous apporte ce
précieux livre qui vous en montrera le
chemin.
- Céleste ou non,
répondit l'autre, je vais vous chercher
quelque chose à manger, et ensuite vous me
parlerez à ce sujet. »
Il exécuta ce qu'il avait dit
et entendit avec plusieurs autres les merveilleuses
nouvelles de l'amour du Sauveur.
Il ne nous est pas toujours
donné de voir des fruits immédiats de
notre travail; parfois la graine tombe sur des
chemins pierreux, mais ici et là le messager
peut se réjouir en rencontrant un coeur bien
préparé.
M. Kao fit une expérience de
ce genre en visitant le sud de la
province.
Sur la route du monastère
Choni, fréquenté par des
milliers de pèlerins, il
remarqua un homme âgé cheminant devant
lui, et qui lui parut être un Bouddhiste
dévot. Descendant de cheval, Kao s'informa
si « le vénérable
grand-père» n'aimerait pas se servir de
sa monture.
Une amicale conversation suivit
cette offre et Kao interrogea le pèlerin sur
ses occupations.
« Je suis un prêtre de la
doctrine lumineuse du puissant dieu Bouddha »,
fut la prompte réponse.
- Ne voulez-vous pas me parler
de
cette doctrine? Je serais heureux de vous
entendre!
- Certainement, dit le
vieillard,
car je n'éprouve jamais autant de joie que
lorsque je puis en parler à des auditeurs
attentifs.
Il se mit donc à exposer avec
conviction sa foi de végétarien et
son culte pour Bouddha, répondant à
toutes les questions du docteur Kao. L'heure du
repas approchant, ils se rendirent ensemble dans
une auberge.
« Excusez-moi, s'exclama le
prêtre, après avoir mangé le
riz, je ne vous ai pas demandé quelle est
votre occupation ?
- Eh bien, répondit
aimablement le docteur, je suis un
prédicateur.
- Un prédicateur! Pourquoi ne
me l'avez-vous pas dit? Est-ce que vous propagez
aussi la doctrine du grand « Fu-Tao»?
- Pas précisément. Ma
prédication en est assez
différente.
- Alors, frère, faisons un
pacte, dit le vieillard, prompt à voir dans
cette circonstance une opportunité
favorable. Si votre message vaut mieux que le mien,
je deviendrai votre disciple, et si c'est le
contraire, alors c'est vous qui deviendrez mon
disciple.
- Bien, répondit le docteur,
je suis d'accord et nous pouvons
commencer!
Heure après heure, ils
marchèrent ensemble, conduisant le cheval
que le vieillard ne voulait pas utiliser, et plus
celui-ci entendait parler son compagnon, plus
profond devenait son intérêt. Le
docteur ayant découvert que, son
interlocuteur savait lire, prit sa Bible, et
pendant la nuit qu'ils passèrent ensemble
à l'auberge il lui montra les
différents versets qui rendent le message du
salut absolument évident. Puis ils
prièrent et M. Ho entendit pour la
première fois une prière
adressée au Nom de Jésus. À
l'aube, il éveilla son compagnon, et,
à sa grande surprise, lui dit
« Frère, je n'irai pas
au Temple aujourd'hui, je retourne à la
maison.
- Que se passe-t-il? Êtes-vous
malade?
- Non, mais mon coeur a
trouvé la paix qu'il désirait.
Frère, votre doctrine est meilleure que la
mienne et je crois maintenant au Seigneur
Jésus. »
Prenant son long rosaire et
d'autres
objets précieux utilisés pour les
cultes, il les lui tendit :
« Je n'en ai plus besoin,
dit-il, mais je désire une chose,
croyez-vous que vous puissiez me la
donner?
- Qu'est-ce? Si je le puis, je
vous
la donnerai certainement.
- C'est le Livre, afin que je
l'apporte à mon peuple ! »
Il demandait la propre Bible de
Kao,
la seule qu'il eut avec lui, mais celui-ci
n'hésita pas.
« Prenez-la sans scrupule,
dit-il en la mettant entre les mains du vieillard,
c'est la Parole même de Dieu, et Il vous
accordera Son Saint-Esprit afin que vous puissiez
la comprendre. »
Puis ils se
séparèrent, le nouveau converti
emportant avec lui le Message que son peuple
n'avait jamais entendu. Le docteur Kao lui promit
sa visite, si le chemin s'ouvrait pour lui de ce
côté-là.
Les mots sont impuissants à
décrire la joie que l'on éprouve
à délivrer le Message à des
coeurs préparés à le recevoir.
Mais ces coeurs ne seraient-ils pas plus nombreux
si nous priions davantage pour les Messagers? Et
là où les Messagers ne peuvent se
rendre actuellement, la nécessité de
la prière ne se fait-elle pas sentir encore
plus, afin que Dieu précède Ses
serviteurs et prépare la voie?
Dans les montagnes que nous
traversions pour nous rendre à Sining,
habitent des milliers d'indigènes, formant
une race hardie et indépendante, n'ayant
jamais eu un missionnaire. Il y a plusieurs
siècles, parait-il, qu'ils arrivèrent
du lointain Nord-Est (Chihli) avec leur prince
Li-Chin pour combattre les Thibétains, car
une grande partie du Kansu appartenait eu ce
moment-là au Thibet.
Li-Chin fût victorieux et
partagea sa conquête entre lui et ses douze
principaux officiers. On retrouve encore ces treize
tribus avec leurs princes
héréditaires. Ce peuple a
conservé sa langue, son vêtement
national et ses coutumes; il est amical et ouvert,
mais n'a pas encore été atteint par
l'Évangile
(2).
La ville chinoise la plus proche
dans laquelle ils circulent librement est Nienpai,
que nous avons traversée pendant notre
voyage. Quoiqu'elle ne soit pas importante en
elle-même, elle est le centre d'un grand
district populeux et l'endroit le plus favorable
pour atteindre ces différentes
tribus.
On ne connaît presque rien de
ce peuple intéressant si ce n'est par
quelques informations données par M. Ridley.
Au mois de mars, ces gens viennent jusqu'à
Wei-yüen-pu pour une
fête annuelle qui dure dix jours et qui
consiste en un rassemblement de leurs
différentes tribus. Ils aiment la musique,
les chants et les danses. C'est un spectacle gai et
animé que de les voir assis en cercle et
s'adonnant à des concours de chants. Parfois
deux jeunes filles mettent leur tête l'une
contre l'autre et chantent avec un tel accord que
le son de leurs deux voix semble ne provenir que
d'une seule bouche. Quelle puissance pourraient
avoir nos beaux cantiques traduits dans le dialecte
de ce peuple passionné de
musique!
Leur religion est le bouddhisme
et
l'adoration des idoles, quoiqu'ils ne soient pas
aussi fervents et aussi soumis aux lamas que les
Thibétains. Les hommes sont des cavaliers
émérites ; les femmes travaillent la
terre qui est pauvre et peu fertile.
Spirituellement parlait-il, une abondante moisson
d'âmes pourrait, être
récoltée parmi eux, mais celles-ci
devraient être amenées et
soignées, chacune séparément;
et pour cette oeuvre individuelle, il faudrait
quelque chose de plus qu'une seule
prédication annuelle sur le champ de
foire.
Li Ch'en-pang et sa femme
avaient
vieilli dans leur petite maison à Sining
quand le premier chrétien arriva à
leur porte. C'était un colporteur et comme
M. Li parlait aussi le chinois, il se passa du
temps avant que le chrétien comprit que ce
vieux couple appartenait
à l'une de ces tribus. Peu à peu, une
sympathie réciproque s'établit entre
eux, et le colporteur fut invité à
passer la nuit chez eux. Après le repas du
soir, taudis que le couple écoutait
l'Évangile, Dieu leur ouvrit le
coeur.
Lorsque, quelques mois plus
tard, le
colporteur revint, les vieillards ne l'avaient pas
oublié, et cette seconde visite les
décida à devenir
chrétiens.
Bientôt toute leur famille
apprit que les idoles avaient disparu de leur
demeure et que quelque chose de nouveau les avait
remplacées, apportant une paix et une joie
inconnues jusqu'alors. Ces parents habitaient assez
près de Sining pour venir s'enquérir
par eux-mêmes de ce qui s'était
passé et souvent maintenant les hommes
assistent aux réunions du dimanche, ce qui
est plus difficile pour les femmes. Cependant Mme
Li, sa fille et sa petite-fille ont
été baptisées aussi bien que
leurs maris.
Une maison chrétienne parmi
les indigènes du Kansu, une petite
lumière brillant dans les
ténèbres ! Mais sur une grande
étendue qui prendrait bien des jours de
voyage, les villages disséminés sur
les bords de ce long fleuve Jaune, n'ont jamais
entendu parler de l'amour et de la puissance
rédemptrice du Christ! Où sont les
chrétiens qui, par la prière,
prépareront le chemin aux messagers que Dieu
enverra certainement à ces tribus si
longtemps négligées du Nord-Ouest de
la Chine ?
.
CHAPITRE XI
«Paix
Occidentale ».
C'est certainement un idéaliste qui a
dû nommer ainsi la ville de Sining, à
moins que ce ne fût avant les révoltes
des mahométans. Mais, ces derniers temps, la
paix n'a pas été l'apanage des
habitants de Sining et du vaste district dont elle
est le centre. Sining devrait être, par sa
situation à l'intersection de quatre grandes
vallées, la reine des cités.
Plusieurs rivières la traversent; elle est
fréquentée par beaucoup de
commerçants venus de toutes les parties de
la Chine, et elle est facilement accessible au
trafic des laines, du bétail, des chevaux,
de l'or et des pierres précieuses du Thibet.
Mais elle est ouverte également aux
farouches hordes musulmanes qui s'y
établissent librement, descendant des
vallées septentrionales de l'Asie centrale,
repoussant les Thibétains jusque dans leurs
montagnes et prenant par la force leur place dans
la plaine de Hochow.
Nous avions eu le privilège,
peu après la dernière
rébellion de 1895-1896, de rencontrer M. et
Mme Ridley, de Sining, qui, avec
leur collègue M. Hull, avaient
décidé de ne pas quitter la ville
pendant ces terribles moments afin de continuer
à vivre Christ à l'endroit mime
où leur travail avait semblé vain
jusqu'alors. Pendant les longs mois du
siège, ils étaient donc restés
à leur poste, soignant les blessés,
amis ou ennemis, combattant les
épidémies de vérole et de
diphtérie, secourant les veuves et les
orphelins et gagnant, par leur dévouement,
la confiance du peuple. Aujourd'hui encore ni
païen, ni musulman, ne peuvent oublier cet
homme de paix qui, le coeur débordant
d'amour, allait et venait parmi eux, risquant
constamment sa vie afin de venir en aide à
leurs malades et à leurs mourants,
nourrissant leurs affamés, babillant leurs
indigents et qui, malgré ses propres
souffrances, resta pendant près de trente
ans leur plus fidèle ami.
Son home avait été
dépouillé en dernier lieu par la mort
de sa bien-aimée compagne, de celle dont
l'amour, la foi et le courage avaient
été sa plus précieuse
consolation ici-bas. Mais il continuait à
vivre pour l'église de Sining, se
réjouissant des progrès de
l'Évangile, tant chez les païens que
chez les musulmans, ainsi que des deux cents
convertis qui avaient confessé leur foi en
Christ par le baptême. Il valait donc bien la
peine de faire ce long voyage au cours de l'hiver
pour arriver à Sining, y rencontrer M.
Ridley et ses collègues,
M. et Mme Harris, et constater non seulement ce qui
a été accompli, mais aussi toutes les
occasions qui se présentent de poursuivre
l'oeuvre. Du haut des terrasses ensoleillées
de la Mission, nous apercevions la ville et ses
environs; et dans cette retraite paisible nous
aimions à réfléchir et
à prier selon tout ce que cette vue
étendue nous suggérait. La maison
est, de construction chinoise, les bâtiments
à un seul étage sont
rapprochés les uns des autres, avec des
toits plats que les chiens considèrent comme
leur domaine spécial.
La dernière cour
intérieure qui fat ajoutée à
la Maison missionnaire, est celle à laquelle
M. Ridley, prend un plaisir tout spécial;
car c'est là que son école de
garçons a trouvé la
possibilité de se développer
librement. Cette cour possède des salles de
classe et des dortoirs. L'oeuvre médicale
empiète parfois dans ce domaine, car,
lorsqu'il prend chez lui quelque pauvre malade, M.
Ridley n'a pas d'autre endroit que ce
bâtiment pour le loger. L'atmosphère
joyeuse de toute cette jeunesse est sans aucun
doute d'un grand secours pour la convalescence des
malades, mais combien ni hôpital serait
nécessaire! Le petit dispensaire actuel est
très utilisé, : Musulmans et Chinois,
Mongols et Thibétains y affluent de partout.
Un docteur ou une, garde expérimentée
trouverait ici une occasion unique, car peu de
cités en Chine sont
fréquentées comme
Sining par une population
si
mélangée, venant de vastes
régions dans lesquelles aucun secours
médical ne peut être obtenu.
L'hôpital de Langchow est le seul qui existe
dans toute la province, et il se trouve à
six jours de distance de Sining.
Plusieurs de ceux qui auraient
besoin d'être opérés ou de
suivre un traitement médical ne peuvent
entreprendre ce long voyage. M. Ridley et ses
collègues font ce qui est en leur pouvoir,
mais ne possèdent à cet égard
que des notions insuffisantes. Ceci
représente en outre pour eux une grande
dépense de temps, d'anxiété et
beaucoup d'occasions perdues. Quelle porte ouverte,
par exemple, parmi les indigènes du district
si leurs malades au lieu d'avoir à voyager
péniblement jusqu'à Langchow,
pouvaient être soignés à
Sining!
Le docteur Parry, dans son
hôpital, s'est occupé de plusieurs
d'entre eux, mais les femmes ne comprennent pas le
dialecte chinois; et si, au point de vue
médical, on peut les soulager dans une
certaine mesure, au point de vue spirituel il n'y a
aucun moyen de les atteindre ni de les suivre
après leur départ.
Ces gens sont simples et
confiants
vis-à-vis des étrangers; ils ont
dû parler à d'autres de la
bonté avec laquelle ils ont
été reçus, car de nombreux
groupes les ont suivis. S'ils sont venus
jusqu'à l'hôpital de Langchow pour s'y
faire soigner, combien plus
facilement se
rendraient-ils
à Sining ! Un hôpital dans cet endroit
central obtiendrait aisément l'appui des
chrétiens qui resteraient ensuite en contact
avec les malades.
Ne serait-ce pas la meilleure
manière de gagner ces tribus à
Christ, puisqu'aucun missionnaire ne peut
s'établir parmi elles ? Puis les
Thibétains dont la terre mystérieuse
s'étend au-delà de ces montagnes,
vont et viennent librement dans la ville, y
apportant leurs différents
produits.
Sining offre donc un excellent
centre pour les atteindre, à cause des
nombreux temples bouddhistes
disséminés dans la contrée,
spécialement le grand monastère de
Kumbum qui se trouve à une journée de
là (3).
Des pèlerins viennent par dizaines de
milliers de toutes les parties du Thibet, et
même de Lhassa, jusqu'à ce sanctuaire.
Un hôpital ici, avec de bons médecins
missionnaires, fournirait donc une merveilleuse
occasion pour atteindre ces peuplades sauvages et
superstitieuses, plongées dans l'ignorance
et le péché, mais
qui savent cependant apprécier la
bonté et en éprouvent une grande
reconnaissance.
Cette ville est aussi un point
stratégique pour le travail parmi les
Musulmans qui forment le tiers de la population. Le
Gouverneur militaire de Sining, qui est aussi le
Gouverneur chinois de tout le Ko-Konor et du Thibet
septentrional, est mahométan; il a en main
une immense puissance. Avec une armée de
12.000 hommes bien entraînés
d'après les méthodes modernes, il
dirige un territoire plus étendu que
n'importe quel État d'Europe, excepté
la Russie. L'Islam prospère sous son
influence, et il a fait venir dernièrement
il Sining un certain nombre de ahungs
(prêtres musulmans), de Hochow,
surnommée la Mecque chinoise, parce qu'ils
sont plus fanatiques que ceux de Sining. Ce
Gouverneur se montre également ami des
missionnaires, et M. Ridley, qui le connaît
bien, est frappé de ses qualités
d'homme d'État se manifestant dans la
manière dont il résout les grands
problèmes.
Le quartier musulman vaut la
peine
d'être vu, ainsi que les rues
mouvementées que nous traversons. Magasins
et temples, étalages et population attirent
tour à tour notre attention et nous
cheminons lentement, car M. Ridley a beaucoup de
choses intéressantes, à nous
communiquer. Plus de vingt laitiers vendent, chaque
jour du lait dans ces rues, et l'on peut facilement
se procurer mouton, boeuf,
pore,
poulets et gibier. L'air est vif et léger,
car Sining est située à une altitude
de 7.000 pieds. Les produits de la terre sont le
blé, l'orge, l'avoine, le lin et le chanvre;
il n'est donc pas étonnant que le commerce y
soit prospère, à cause de l'industrie
spéciale de la laine et de certains cuirs et
médicaments coûteux tels que le muse
et la corne de daim.
Par la porte monumentale de la
ville, nous apercevons une étendue de
maisons aux toits de botte; c'est le quartier
mahométan, bien tenu et de construction
récente, car il n'existe que depuis la
dernière rébellion. Le lieu du combat
était ici même, et le sang coulait
dans ces rues. Pendant quatre mois, les Musulmans
attaquèrent constamment la ville, de nuit,
la muraille était gardée par 4.000
hommes. Quand, à la fin, les Chinois eurent
le dessus, les assaillants furent massacrés
avec une terrible cruauté. Ces choses
appartiennent au passé et paraissent
oubliées actuellement. La large rue
principale traverse en ligne droite le faubourg;
des deux côtés s'élèvent
de nouvelles maisons, de riches magasins et des
bâtiments publics, par dessus lesquels on
aperçoit le splendide toit de la
mosquée. Des foules de gens vont et
viennent, la plupart montés sur des mules et
des chevaux, et le commerce semble y être
plus florissant que dans la ville même.
Comment ces Musulmans
orgueilleux et
fanatiques peuvent-ils être atteints, si ce
n'est de la même manière que dans le
passé?
Pourquoi recevons-nous dans
notre
salle de réception (guest-hall) plus de
Mahométans même que de Chinois?
Pourquoi est-il venu, à la mort de Mme,
Ridley, autant de sincères
témoignages de douleur et de sympathie des
Musulmans que des Chinois?
« Le jour où nous
l'avons déposée en soit lieu de
repos, écrivait M. George Andrew, à
côté de ses trois petits enfants, dans
le cimetière, sur la colline qui domine sa
ville d'adoption, des représentants de
toutes les classes de la société et
de plusieurs races différentes
étaient présents, pour dire leur
dernier adieu à celle qu'ils avaient appris
à aimer et à honorer.
Elle les avait servis,
soignés dans leurs maladies; elle avait
bravé bien des dangers pour les secourir,
pendant ces longs mois de guerre, et elle
était toujours prête à parler
de Celui dont l'amour la pressait.
Vivant de cet amour et le
témoignant autour d'elle, allant et venant
au milieu d'eux comme si elle était des
leurs, elle avait accompli une vraie oeuvre
missionnaire médicale sans avoir reçu
aucun enseignement spécial dans ce
domaine.
Voilà le ministère
dont aurait besoin aujourd'hui
cette grande banlieue
musulmane!
Où est le docteur, homme ou femme, qui
considérera comme un privilège de
donner sa vie, pour gagner à Christ les
premiers trophées musulmans dans cette ville
de Sining ?
Le terrain est dur partout où
se trouvent les disciples du Prophète, mais
il y a ici ce grand avantage qu'ils ont appris
à connaître les fruits de l'amour
chrétien se donnant jusqu'à la mort;
ils ne peuvent ni l'ignorer, ni l'oublier. Oh!
pourquoi, dans cette occasion qui nous est
présentée, ne faisons-nous pas tout
pour posséder une force semblable et ne
poursuivons nous pas un avantage acquis à un
tel prix ! Un hôpital dans lequel pourra lent
venir librement les Musulmans serait une porte
ouverte pour de grandes possibilités, et on
aurait grand besoin, en plus d'un médecin et
d'un missionnaire parlant l'arabe, d'une ou deux
dames pour le travail parmi les femmes et les
enfants. Pour le moment, nous n'avons ni
l'établissement lui-même, ni les
ouvriers. Qui prendra cela à coeur pour en
faire avec foi un sujet de prière
précis?
Un fait encourageant en ce qui
concerne la situation à Sining. C'est que le
Seigneur a déjà mis à part un
missionnaire pour l'oeuvre parmi les Musulmans, M.
George Harris, dont le coeur brûle d'amour
pour eux. Il a entrepris la
tâche difficile d'apprendre l'arabe et, a
fait de tels progrès dans cette langue que
les Mahométans eux-mêmes s'adressent
à lui comme à l'un de leurs «
Ahung » (docteurs). Sa femme et lui auraient
été, heureux de pouvoir se fixer au
milieu même de cette population musulmane,
afin de pouvoir lui consacrer leur vie, mais
jusqu'ici il ne leur a pas été
possible de se libérer de leur oeuvre parmi
les Chinois.
En revenant à la Maison
missionnaire qui est à l'autre
extrémité de la ville et très
éloignée du quartier musulman, nous
prîmes la voie de la Muraille au lieu de
revenir par la rue, afin de pouvoir plonger nos
regards dans quelques-unes de ces
intéressantes cours intérieures qui
pourraient en raconter long sur l'excellente
administration du Gouverneur mahométan. La
Muraille est assez large pour nous permettre d'y
marcher de front. Une voiture à deux chevaux
aurait suffisamment de place pour y rouler entre
ses parapets, et nombreux sont les voyageurs qui
seraient enchantés de la vue étendue
que l'on a depuis cette hauteur. Les montagnes
entourent la ville, à quelques endroits,
très rapprochées même de la
Muraille; et la Porte de l'Ouest vers laquelle nous
nous dirigeons s'ouvre sur une large vallée
arrosée par trois
rivières.
Mais ici près de la Porte du
Sud, nous pouvons entrevoir
quelque chose des développements auxquels Ma
Ch'i s'est consacré, jusqu'au delà
des montagnes de l'Ouest. Il est le seul Gouverneur
chinois, comme nous l'avons déjà dit,
qui règne sur toute la partie septentrionale
du Thibet, y compris le lac et la province de
Ko-Konor. Cette immense nappe d'eau, ayant une
circonférence d'environ 350.000
kilomètres, à plus de dix mille pieds
d'altitude, est entourée, en grande partie,
par des tribus mongoles qui se sont établies
parmi les Thibétains.
Bleu en été et comme
enchâssé dans une émeraude, le
lac d'Azur donne son nom à une région
que les Chinois ont longtemps
convoitée.
Comment soumettre, occuper et
réunir toutes ces peuplades sauvages, et
obtenir ce même résultat dans tout le
nord du Thibet, est l'un des problèmes que
le Gouverneur général cherche
à résoudre.
C'est dans ce but qu'il a fait
construire ces remarquables écoles,
près de la Porte du Sud, avec leur, grandes
cours, leurs vastes bâtiments aux vives
couleurs, et près desquels des terrains
spéciaux sont aménagés pour
les sports modernes. De ces peuplades sauvages,
Ma-Ch'i fait venir les garçons les plus
intelligents qu'il puisse trouver, afin de les
éduquer et de les préparer eu vue de
l'avenir; car il aura besoin d'interprètes,
de fonctionnaires publics et de
professeurs pour fonder les
écoles qui n'existent pas encore dans ces
endroits reculés.
De cette façon, les
garçons mongols et thibétains
apprennent le chinois et les Chinois se
familiarisent, avec le dialecte
thibétain.
L'année dernière, une
école normale, qui compte déjà
quatre-vingts étudiants, a été
créée; cette institution s'appelle
l'École Mongole et Thibétaine et rail
partie de ce vaste plan du Gouvernement.
Nous vîmes hier quelques-uns
des plus sauvages de ses protégés,
trois garçons du pays de Golok,
contrée indépendante qui n'accepte
pas le joug chinois. C'étaient bien, en
effet, des spécimens indomptés de
cette race, et la femme d'âge moyen,
envoyée avec eux pour leur servir de
mère n'était pas moins farouche que
ses trois pupilles.
Aucun d'eux ne parlait le
chinois
à leur arrivée, ni ne connaissait les
usages ! Cependant, ils sont en train d'apprendre
maintenant de meilleures manières ! Que de
progrès ils ont à faire, ces pauvres
enfants ! Ils étaient accoutumés au
régime, toujours le même, de viande,
souvent crue, et de lait; se servant de leurs
doigts comme de fourchettes; portant, en
été comme en hiver, nuit et, jour,
une seule pièce de vêtements; vivant,
la plupart du temps à cheval, menant la vie
active de la tribu sous leurs tentes de nomades;
mais Ma Ch'i les a pris en
mains, et travaille à les instruire en vue
de l'avenir. Si ses ambitions se réalisent,
il possédera, tôt ou tard, au nord du
Thibet, une province plus vaste qu'aucune des
provinces de la Chine proprement dite, et dont
Sining sera la capitale. Déjà trois
villes chinoises ont été construites
par lui sur le territoire thibétain, l'une,
près du lac Ko-Konor, la seconde à
l'ouest, vers Ts'ai-dan, et la dernière au
sud, vers Golok, à dix-huit journées
de Sining. Des bureaux de poste vont être
ouverts dans ces villes, dirigés par des
Chinois qui cultiveront le sol et lui feront
produire de l'orge, de l'avoine et d'autres
céréales encore inconnues dans ces
régions.
Colonisant, éduquant, formant
à l'avance les hommes dont il aura besoin
pour réaliser ses projets, ce Gouverneur
musulman ne se laisse rebuter par aucune
difficulté. Il a sa vision personnelle. La
pensée de l'immensité du pays qu'il
voudrait annexer à la Chine le
préoccupe beaucoup. Il connaît la
force de ce peuple et la valeur de ses richesses
naturelles, laines, fourrures et minéraux.
L'or et les pierres précieuses viennent du
Thibet ainsi que les meilleurs guerriers. Tout cela
pour un but purement matériel et
égoïste ! Devant une pareille
activité, n'avons-nous pas honte de notre
indifférence en ce qui concerne le Royaume
de Dieu dans ces contrées ?
Où est notre vision d'avenir
pour former dans cette ville de Sining un centre
d'influence chrétienne qui rayonnerait
jusque dans le Grand « Au-delà » ?
Qui s'inquiète de savoir si elle est
occupée par des ouvriers répondant
aux besoins de cette situation exceptionnelle
d'aujourd'hui et qui le sera encore plus dans les
jours à venir ? Vu sa position
spéciale, Sining devrait être comme un
phare projetant dans les ténèbres
(les ténèbres de minuit qui
l'environnent) ses rayons lumineux Où sont
les écoles formant, des jeunes filles et des
jeunes gens chrétiens, en vue de
l'évangélisation et de l'enseignement
de leur pays ? Des écoles ressemblant, les
enfants des montagnes et des plaines, afin de les
gagner à Christ et les renvoyer ensuite
là-bas comme Ses témoins? Des
créatures comme ces garçons de Golok
nous paraissent-ils trop sauvages, trop difficiles
à former ? Le Gouverneur Ma Ch'i ne raisonne
pas ainsi. Il voit ce qui peut être accompli
en eux, et comprend. qu'il ne peut agir sans eux;
que c'est par leur moyen seulement qu'Il pourra
gouverner leur peuple. Voyons-nous aussi loin, et
raisonnons-nous aussi sagement ? Le Thibet, ne peut
être gagné à Christ que par des
Thibétains et plus spécialement par
les femmes Thibétaines.
Où sont les
évangélistes, hommes et, femmes,
instruits dans les connaissances bibliques, qui
puissent répondre aux besoins des petites
communautés?
Actuellement, une chambre
sans
soleil dans la Maison missionnaire est tout ce que
l'on peut donner pour l'oeuvre des femmes, et il
n'y a personne pour seconder les dames
mariées dont, les occupations sont trop
nombreuses pour pouvoir donner encore un
enseignement spécial aux femmes de leur
église. Cependant, combien il est urgent
d'avoir des aides expérimentées, des
femmes évangélistes qui pourraient
pénétrer où nous ne pourrons
jamais pénétrer et faire ce que nous
ne pourrons jamais faire !
Et l'hôpital! Et les
médecins... si nous osons revenir sur ce
sujet, pour lequel M. Ridley prie si instamment,
année après année ? Le peuple
de Dieu ne devrait-il pas former, dans cette ville,
un groupe bien stylé en vue de soulager les
souffrances et préparer un lieu où
les convertis pourraient devenir à leur tour
des messagers de guérison pour l'âme
aussi bien que pour le corps ? La réputation
d'un tel hôpital attirerait des patients de
bien loin, et si cette oeuvre était soutenue
par la prière, nous ne mettons pas en doute
que des âmes préparées par Dieu
seraient mises en contact avec Son influence
bénie.
**
*
Et ces âmes préparées
existent ici, autour de nous, sur ces montagnes et
dans ces vallées. Nous pourrions
raconter de nombreux traits
concernant ceux qui ont déjà
été sauvés, mais un seul nous
suffira. C'est l'histoire d'un vieillard qui nous a
spécialement intéressés lors
d'un repas qui nous fut offert par les
chrétiens de l'endroit.
« Vous ne pouvez pas venir dans
chacune de nos maisons, nous dirent-ils
amicalement, mais nous voulons ensemble vous faire
une fête. »
Ce joyeux et sympathique fermier
dans son costume de peaux de mouton et sa casquette
à oreillettes était l'une des douze
personnes qui préparaient et servaient ce
repas avec des figures rayonnantes. La façon
dont il avait été amené au
Seigneur était remarquable.
Un Évangile chinois avait
pénétré jusque dans une maison
d'un village éloigné, où une
femme ne sachant pas lire l'utilisa pour enrouler
la soie de sa broderie. Le papier était
meilleur que le papier chinois ordinaire, aussi
fut-elle très satisfaite de l'employer
ainsi, seulement il était couvert de
caractères qui demandaient à
être respectés. Elle coupa donc tous
les fils qui reliaient le volume, replia
soigneusement chaque double page, imprimée
d'un côté seulement, selon la coutume
chinoise, et lorsque le livre fut de nouveau
recousu, elle y enroula ses écheveaux de
soie et l'utilisa ainsi. Mais que devenait le
message qu'il contenait ? Sûrement cette
portion de l'Évangile ne servirait à
rien.
Mais, un jour, M. Li visita la
maison de cette femme et remarqua le livre
enveloppé de soies brillantes. S'excusant
d'avoir employé à cet usage ces pages
imprimées, elle raconta l'arrangement
qu'elle avait fait de chacune d'elles. Ce
récit excita la curiosité du visiteur
qui acheta le petit volume à la femme pour
une faible somme, et l'emporta à la maison,
où il se mit à défaire les
coutures et à lire le contenu. Avec un
intérêt, croissant, il
déchiffra page après page, soupirant,
après quelqu'un qui puisse lui eu dire
davantage, mais il ne connaissait aucun
chrétien, ni aucun missionnaire.
Quelque temps après, un des
convertis de Sining arriva à ce village pour
assister à une fête. Il n'était
pas encore baptisé, mais désirait
partager avec d'autres les bonnes choses qu'il
avait trouvées; aussi prit-il avec lui
l'Ancien Testament et, pendant la fête, se
mit à raconter quelques-unes de ses
histoires merveilleuses. Personne ne semblait y
prêter grande attention, sauf un vieillard
qui désirait ardemment en apprendre
davantage.
« Où avez-vous
trouvé ce livre? demanda-t-il au jeune
converti.
- Eh bien, au Fuh-ing-t'ang!
(salle
du Joyeux Message).
- Et où est-elle, cette
salle?
- Venez chez moi lundi et je
vous y
conduirai. » Apportant une volaille, eu
matière d'introduction, Li se
présenta le lundi de bonne heure, tout
joyeux, à la maison indiquée. Mais
son désappointement fût grand de
trouver le chrétien trop occupé pour
remplit, sa promesse. Cependant ce dernier montra
à son nouvel ami le chemin de, la Maison
missionnaire, et lui assura qu'Il y serait bien
reçu.
Quelque peu troublé, le
fermier s'y rendit avec son offrande. M. et Mme
Ridley parlaient justement en course, la voiture
était à la porte, et ils ne purent
échanger que quelques paroles. Mais M.
Ridley lui donna rendez-vous, et le vieillard
revint. Il entendit alors de quoi satisfaire son
esprit et son coeur. Toute la matinée, M.
Ridley lui expliqua le chemin du salut. Il comprit,
crut et se réjouit.
De retour chez lui, il brisa ses
idoles; et le dimanche, par tous les temps, il se
rendait au culte.
Sa maison était à
quinze milles de la cité, derrière
les montagnes, et la moitié du chemin se
faisait dans une gorge étroite,
redoutée à cause des loups, des
voleurs, voire même des mauvais esprits.
À la perspective du dimanche, la joie
empêchait souvent M. Li de dormir la nuit
précédente et, de très bonne
heure, il se mettait en route, chantant tout le
long du chemin et arrivait radieux, bien avant
l'ouverture des portes,
même lorsque l'hiver
était le plus rude et que sa barbe et ses
moustaches étaient transformées en
glaçons.
Sa vie et son témoignage si
conséquents furent le moyen d'attirer
plusieurs âmes à la lumière. Il
n'admettait pas les compromis. L'incident suivant
en est une preuve. Un jour, son frère lui
demanda de lui prêter son
âne.
« Que veux-tu en faire? »,
lui demanda-t-il tout naturellement. Or il se
trouva. que l'âne était demandé
pour servir de monture à un prêtre
bouddhiste qui devait aller réciter des
prières à sa belle-soeur.
« Non, non, tu ne l'auras pas,
s'écria Li, je te le prêterai pour
toute occasion, mais le diable ne montera, jamais
sur ma selle! »
Ce fut à la suite d'un
accident étrange que ce frère de M.
Li apprit à traiter celui-ci avec un certain
respect. Retournant à cheval à la
maison par un chemin de montagne, il rencontra un
ami qui lui apprit que son frère
était à la ville pour assister aux
réunions. Très contrarié, il
maudit Li, les missionnaires et la salle de
réunions. Un instant plus tard, son cheval
tomba et se cassa la jambe. Jamais plus, à
partir de ce moment, il ne prononça de
malédictions contre son
frère.
La vie fidèle du vieillard
parmi ses voisins, son amour de la
vérité et son assiduité aux
cultes encouragèrent beaucoup NI. Ridley.
Mais retournons un moment sur le
toit de la maison missionnaire, d'où nous
apercevons la chapelle et la salle de
réception, toutes deux trop exiguës
pour leur usage, surtout le dimanche, car les gens
accourent en foule ce jour-là, musulmans,
soldats, étudiants, voyageurs en passage,
femmes et enfants de toutes classes ! Plusieurs
dames de bonne condition sont parmi les auditeurs
réguliers, aussi bien que de pauvres femmes
de la campagne et de la ville. L'inspiration vient
vite en face d'un pareil auditoire et
c'était empoignant d'entendre le docteur Kao
leur parler en s'adressant directement à
leurs coeurs. Il semblait que ces gens ne pouvaient
se lasser de l'écouter et cela nous faisait
soupirer après de tels hommes, des hommes du
peuple, de tous ces peuples différents,
parlant à leurs propres compatriotes de la
Grâce Régénératrice de
Dieu. Que de merveilleuses occasions attendent
celui qui viendra travailler dans cette ville
!
Les foules qui vont et viennent
dans
les rues sont, comme à Lanchow, des plus
intéressantes. L'on voit fréquemment
ici des princes mongols du Ko-Konor, des
indigènes et des chefs thibétains.
Nous avons rencontré l'autre Jour parmi eux
un type remarquable: il portait une robe de soie
rouge garnie de fourrure de castor, un grand col de
peau de léopard et de hautes bottes, plus un
chapeau de fourrure. Avec son
poignard à la ceinture et
la puissance de vie ou de mort qu'il
exerçait sur son peuple, cet homme nous
paraissait appartenir à un autre monde que
le nôtre. Nous coudoyions aussi des lamas
(prêtres) dans leur robe rouge ou jaune, qui
sont au nombre de vingt mille dans ce
district.
Tandis que le soleil s'abaisse
à l'horizon, nous montons encore sur la
petite tour qui domine l'école. Les
garçons l'ont quittée pour leurs
vacances du Nouvel An et tout est tranquille autour
de nous. Nous regardons ces montagnes de l'Ouest,
frontière actuelle du Thibet. Là se
cache ce pays, derrière ces hauts remparts
si proches, si réels, si
impénétrables! Cette vallée
qui s'étend au sud conduit en une
journée à Kumbum, un des centres
thibétains du Bouddhisme, le second en
importance après Lhassa. Des milliers de
pèlerins s'y rendent maintenant pour
participer à la grande fête qui a
rendu célèbre ce monastère; et
nous allons aussi les suivre.
Nous ne pouvons que réaliser
ici, dans cet avant-poste des Missions
chrétiennes, que nous sommes, pour ainsi
dire, dans les tranchées du front, face
à face avec l'une des plus formidables
forteresses de l'ennemi. La religion de Bouddha et
celle de Mahomet, avec leur prestige
extraordinaire, se partagent le coeur
ténébreux de Asie centrale.
Existe-t-il sur la terre deux
puissances plus sinistres,
plus
impitoyables, s'opposant au pouvoir de Christ?
Pensez au profond isolement des missionnaires ici!
Pensez aux puissances de prières qui
devraient se concentrer sur une telle position! Ne
se sentent-ils pas parfois abandonnés dans
ces tranchées du front, se demandant
pourquoi le renfort tarde tellement à
venir?
Suivez en pensée ce soleil
couchant. Jusqu'à Kashgar, à deux
milles à l'ouest, il n'existe aucune station
missionnaire: il faut traverser tout le Thibet, au
sud-ouest, pour trouver la plus proche, à
Leh, sur la frontière des Indes. Au
Nord-ouest, à plus de mille
kilomètres, il en est de même; ou
rencontre un seul groupe de missionnaires entre
Sining et la Sibérie. Comprenez-vous ce que
signifie une mission ici; ce que cela
représente d'opportunités,
d'isolement, de combats corps à corps avec
les puissances de ténèbres? Ne
prierez-vous pas pour cette poignée
d'ouvriers à l'oeuvre? Et ne
désirerez-vous pas ardemment venir fortifier
leurs mains et partager leurs sacrifices et leur
service pour l'amour du Seigneur? N'en est-Il pas
« digne » ?
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