L'APPEL DU
GRAND NORD-OUEST CHINOIS
LE KANSU ET LES
PROVINCES LOINTAINES
CHAPITRE VIII
La lointaine
Liangchow.
Si l'amour divin apporte partout en
lui-même une puissance
régénératrice, il en est
surtout ainsi parmi les païens. En premier et
en dernier lieu, c'est l'amour qui les subjugue,
cet amour qui leur expose clairement le message du
salut et fait comprendre à ces coeurs
enténébrés l'amour de Dieu en
Christ.
Nous trouvant un jour parmi des
femmes qui étaient parvenues
récemment à la connaissance de la
Vérité, nous fûmes surpris de
les entendre aborder d'elles-mêmes ce sujet
de l'amour. « Qu'avons-nous ressenti, se
demandaient-elles l'une à l'autre, lorsque
nous sommes venues ici pour la première
fois? »
Or l'endroit était des plus
rustiques, une simple demeure de quatre
pièces, bâties autour de deux petites
cours qui étaient constamment remplies de
malades et de visiteurs. « Oui,
qu'était-ce? reprit une autre, car à
mesure que nous arrivions ici, nous étions
conscientes que nos coeurs étaient
satisfaits et apaisés, tandis que nous
n'éprouvions jamais la même pas
même dans la maison de
notre mère. Oh! dites-nous proviennent le
repos et le bien-être que l'on ici ?
»
Cette impression était en
effet utile grande réalité,
c'était l'épanouissement
spontané d'âmes remplies de l'amour de
Christ. Des larmes jaillissaient des yeux de ce,
pauvres femmes en le constatant, et pour nous,
quelle joie nous éprouvions à leur
expliquer la source de cet amour divin,
c'est-à-dire ce que Jésus est venu
apporter au monde, et ce qu'Il veut être pour
chaque coeur qui Le reçoit.
Nous arrivions à Liangchow,
la station la plus reculée de notre mission
en Chine, sachant que l'Oeuvre y avait
débuté par une longue période
de sécheresse et
d'aridité.
Pendant trente ans les missionnaires
avaient semé avec larmes, et maintenant la
semence germait et portait des traits
réjouissants. La mission comptait
actuellement cent soixante membres baptisés,
chacun de ces cas étant, un trophée
chèrement disputé à l'ennemi
par la grâce
régénératrice du Seigneur. Il
nous tardait de faire la connaissance de ces amis
si longtemps isolés et mis à
l'épreuve, mais dont l'isolement n'avait pas
racorni les coeurs, comme nous pûmes nous en
convaincre.
La chaude poignée de mains de
M. Belcher fut déjà
une cordiale bienvenue lorsqu'il
nous rencontra, à quelques milles de la
ville. Il nous parla avec tant de chaleur de
plusieurs de ses convertis, qu'il nous semblait les
connaître avant même d'avoir
été accueillis à la Mission
par leurs visages épanouis.
À notre arrivée
à Liangchow la belle apparence des
bâtiments nous impressionna vivement, mais ce
ne furent pas les chambres spacieuses, le bon feu
de cheminée, ni l'excellente tenue de la
maison qui réjouirent le plus notre coeur
quoique pour des voyageurs fatigués et
transis cet accueil parût merveilleux. Les
missionnaires, M. et Mme Belcher et Miss Malheur
portaient comme nous le costume indigène et
vivaient très simplement, à la
manière de leur entourage
chinois.
Ce qui rendit cette visite
mémorable pour nous, ce fut
l'atmosphère d'amour que nous y
respirâmes et ce repos intérieur que
rien ne peut donner, sinon la paix du Seigneur. Et
nous découvrîmes bien vite que
l'esprit qui animait les missionnaires était
le même qui remplissait aussi les autres
chrétiens.
Que d'affection ils nous
témoignèrent ! Jamais encore nous
n'avions reçu tant de cadeaux, et des
provisions de route si abondantes ! Si nous avions
pu craindre que les gens du Kansu fussent
réfrigérés comme leur climat,
cette appréhension se serait vite
dissipée sous la chaude
cordialité de leur accueil. Ce qui nous
frappa également fut la manière dont
les chambres confortables de la Mission
étaient aménagées pour l'usage
des Chinois; le culte du matin, par exemple, avait
lieu dans la chambre à manger où l'on
se tenait d'habitude. Un bon feu y était
allumé et chaque soir la maisonnée
s'y réunissait pour chanter des cantiques
autour de l'harmonium.
À ces moments-là la
chambre était pleine, car plusieurs
personnes de la campagne étaient accourues
pour nous voir, les chaises avaient
été retirées autour de la
table et sur trois côtés les gens
étaient groupés, craindre de salir
les tapis ou de gâter les meubles.
Quelles heureuses soirées
nous passâmes là tous ensemble lorsque
le froid piquant de ces nuits d'hiver faisait
paraître la chaleur du foyer encore plus
attrayante ! Les enfants de l'école qui
vivent dans l'établissement étaient
au premier rang, tant garçons que filles,
désireux d'écouter les nouveaux
chants. Des paysans et leurs familles coudoyaient
des chrétiens de la ville, mieux
habillés qu'eux; et dans l'ombre on
apercevait quelques figures
étrangères qui avaient l'air de
fumeurs d'opium. Tous étaient accueillis
avec honte et à part de rares exceptions
tous les visages étaient joyeux parce qu'ils
regardaient à Jésus. Jamais encore
nous n'avions tant
apprécié notre petit recueil de
chants du Honan, avec leurs simples mélodies
si bien adaptées aux paroles; car ces braves
gens aiment beaucoup chanter et en éprouvent
un vrai besoin. Les réunions ne
commençaient pas toujours avec l'entrain
qu'elles avaient en finissant. Une heure ou deux de
chant pendant lesquelles nous leur apprenions les
nouveaux cantiques et où nous commentions
avec eux les précieuses
vérités que ces chants renfermaient,
en constituait toute la différence. Les
mélodies chinoises sont
particulièrement appréciées
par eux, et, taudis que des étrangers se les
assimilent difficilement, pour les Chinois elles
font partie de leur nature même. Qu'ils les
aient entendues déjà ou non, ils les
retiennent très vite, car la mesure
plutôt étrange et les
répétitions un peu plaintives parlent
à leur coeur d'une manière
irrésistible.
Il faisait particulièrement
bon les entendre chanter de tout leur coeur ce
refrain :
Le ciel est ma belle patrie, allons
à la Maison,
Rien ici-bas n'est digne de nous en
empêcher.
Puis venait un beau cantique parlant du retour
du Seigneur, cantique souvent redemandé, car
il contenait autant d'instruction biblique qu'un
vrai sermon. Les hymnes du pasteur Hsi avec leurs
mélodies si
spéciales avaient leur
place bien marquée rappelant cette
pensée allemande que quelques versets de la
Bible avec un cantique de Luther forment à
eux seuls un culte édifiant, même si
le sermon laisse à désirer. Mais,
chose étrange, ce fut un petit chant tout
simple qui parut leur apporter la meilleure
bénédiction. Le refrain en
était :
Bien que je sois pauvre et souvent
en détresse, Le Tout Puissant Sauveur m'aime
avec tendresse.
C'était touchant d'entendre
l'évangéliste indigène
remercier le Seigneur pour la consolation
reçue par ce cantique.
Les courtes journées d'hiver
à Liangchow aussi bien que les longues
soirées ont été des plus
intéressantes. M. Belcher était
très enthousiasmé par la nouvelle
construction qui se préparait pour les
besoins de l'église, enthousiasme que nous
partagions.
Le travail missionnaire des
années précédentes avait
été entravé par le manque de
place, surtout le dimanche, et un don
généreux reçu d'Écosse
venait d'être la réponse à
beaucoup de prières. Ce don avait rendu
possible l'achat d'un terrain bien situé,
mais qui malgré son étendue
possédait peu de maisons utilisables. M.
Belcher, en homme pratique a de suite compris le
parti qu'il pouvait tirer des matériaux
déjà existants. Il
fut très instructif de remarquer le soin et
la minutieuse économie apportés dans
le travail des nouveaux bâtiments. Les
planches de l'église, par exemple, ont
été ajustées sans le secours
d'aucun clou. Des trous ont été
percés dans les planches à la place
qui aurait dû recevoir les clous, puis de
longues chevilles en bois trempées dans la
colle forte y avaient été
introduites; l'économie
réalisée de cette manière a
atteint plusieurs livres sterling. L'église
peut contenir six cents personnes et,
possède des appareils de chauffage
très appréciés. Autour de
l'église se trouvent des chambres pour les
hôtes et de grandes salles de classe que l'on
utilise pour l'école du dimanche, ainsi
qu'une chapelle et un petit hôpital
dirigé par un Chinois chrétien
possédant quelques notions
médicales.
Nous ne nous attarderons pas
davantage sur les détails matériels
concernant les édifices : les occasions
d'annoncer la Bonne Nouvelle sont plus grandes que
jamais, mais il y a si peu d'ouvriers pour entrer
dans la Moisson ! Un trait qui travail parmi les
femmes, qui nous a spécialement
intéressés, est la manière
dont elles ont été habituées
à prendre leur part de responsabilité
spirituelle dans l'oeuvre. La classe de semaine,
dirigée ailleurs par les missionnaires, a
pris à Liangchow un tout autre
caractère; elle est devenue une
réunion de prières et d'études
bibliques à laquelle
toutes les femmes peuvent
participer; Mme Belcher et Miss Malheur sont
présentes, car si l'on attend que les femmes
de l'église y viennent, il faut aussi donner
l'exemple. La réunion est
présidée alternativement, par nue
Chinoise ou par l'une des dames missionnaires.
Celle innovation a beaucoup encouragé ces
femmes et a développé en elles des
dons remarquables concernant le ministère de
la Parole; elles choisissent elles-mêmes leur
message auquel les missionnaires ajoutent quelques
mots si c'est nécessaire. Celle
réunion est une des plus populaires de la
semaine; l'auditoire varie entre quarante et
cinquante femmes dont huit ou neuf sont capables de
diriger la réunion.
Ce résultat est dû en
bonne partie aux études bibliques du
dimanche et à celles faites par ces femmes
à la maison, auxquelles Miss Malheur attache
beaucoup d'importance. Ce système
d'études a beaucoup enrichi la vie
spirituelle des chrétiens, un grand nombre
s'y sont adonnés avec ardeur ayant en vue de
compléter leur instruction et d'obtenir un
bon certificat. C'est une toute nouvelle
sphère de développement pour la femme
et la mère chinoise.
Nos coeurs se sont beaucoup
réjouis au sujet de l'École des
filles pour laquelle un bel emplacement a
été obtenu dans une
partie de la cité où filles et femmes
peuvent venir librement. Des centaines de jeunes
femmes, instruites dans cette institution, occupent
maintenant des places utiles.
La position de Liangchow, en tant
que siège d'une pareille école, peut
sembler isolée dans une province si vaste,
mais il y a douze cités plus qui n'ont
jamais eu de missionnaire. Dans cette région
longtemps négligée, l'Esprit de Dieu
travaille d'une manière
spéciale.
Nous savons que le temps est court;
il se peut que le Seigneur, avant Son retour,
attende qu'il y ait ici un bon centre projetant Sa
lumière au loin. Où sont les ouvriers
prêts à consacrer leur vie pour cette
tâche solitaire, lointaine et difficile?
.
CHAPITRE IX
Plus
loin...
Nous étions à Liangchow depuis une
semaine quand un jour, pendant le repas, la porte
s'ouvrit pour laisser entrer un ancien ami. Combien
nous étions heureux de le revoir! Nous
connaissions si bien son expression franche, ses
manières joyeuses, mais fois-ci nous
découvrions en lui un quelque chose qui ne
se pouvait définir et nous nous demandions
ce qui, depuis notre dernière rencontre,
avait bien pu se passer dans sa vie. Nous avions
connu ce jeune homme lors du dernier voyage de
notre cher père, M. Hudson Taylor, et il
avait pu observer de près notre vie de
famille. Les paroles que notre père lui
avait adressées au moment de le quitter
l'avaient fortement impressionné : «
Que le Seigneur soit avec, vous, je vous attendrai
au ciel ». « L'attendre au ciel »,
cette pensée ne le quitta plus et lorsque,
quinze Jours plus tard, il apprit la mort de M.
Taylor, il se consacra tout à nouveau au
Seigneur, désireux de vivre une vie dont il
n'aurait pas à rougir
lorsque l'appel viendrait pour lui.
Ce fut le premier pas qui fit de lui
un missionnaire de ces vastes contrées
enténébrées du Nord-Ouest
lointain où tant de créatures
humaines attendent encore les messagers du salut.
Le récit des motifs qui l'avaient
amené si loin de son pays natal et comment
le, Seigneur est à l'oeuvre dans ces pays
nous impressionna vivement. Il nous raconta
comment, à de longs intervalles, quelques
rayons de lumière avaient percé ces
ténèbres lorsque des missionnaires de
Liangchow ou de Sinkiang y avaient, fait des
tournées d'évangélisation. Ces
voyages avaient été rares; celte
vaste région ne possédait encore que
deux missionnaires et cependant des milliers de
Chinois y sont déjà établis
pour leur commerce, dans l'espoir d'y faire une
rapide fortune. Tous ces hommes arrivent de
provinces fertiles et populeuses et
réalisent peu à l'avance le froid et
les privations qui les attendent sur ces hauts
plateaux. Le Kansu dessille leurs yeux à cet
égard et avant qu'ils aient atteint la
frontière occidentale, beaucoup d'entre eux
soupirent après leur pays natal.
Quelques-uns s'établissent
dans les villes qu'ils rencontrent sur leur route,
d'autres continuent vaillamment à avancer.
Mais tous sont plus ou moins atteints par le mal du
pays et pleins d'appréhensions lorsqu'ils
dépassent l'enceinte de la Grande Muraille
et voient devant eux les
solitudes incultes du désert de Gobi. Les
inscriptions qu'on peut lire en dedans et en dehors
de cette fameuse porte sont
pathétiques.
Quelques-unes sont écrites
dans un style littéraire et d'autres dans un
langage plus simple, comme le prouvent ces lignes
bien connues qui ont presque passé en
proverbe :
- En s'éloignant de Kia-yü-Kwan
- Les yeux obscurcis par les larmes,
- Regardant en avant - rien que le
désert,
- Regardant en arrière - la Grande
Porte fermée,
- Femme et mère bien loin de la vue,
- En pensant à elles, les larmes ne
cessent plus!
La Porte ne s'ouvre qu'à certaines heures
et le voyageur doit faire inscrire son nom à
Kia-yü-Kwan et payer deux cents pièces
de monnaie pour obtenir son permis de passage, puis
il s'éloigne dans la direction de l'ouest
où plus de deux cent mille personnes se
rendent chaque année et dont si peu
reviennent...
Cependant, aucune des villes de ces
contrées lointaines n'a jamais eu de
missionnaire et M. Arthur Moore, au cours de son
premier voyage, n'avait rencontré que peu
d'encouragement. Mais un changement survint en 1914
lorsqu'il accompagna M. Mather qui rejoignait M.
Hunter à Ti-hwa-fu. En dépit de leur
fatigue extrême ils avaient saisi toutes les
occasions d'annoncer
l'Évangile, rencontrant de ville en ville un
auditoire sympathique. M. Moore écrivait :
« Nous avons été partout
respectés et nous avons reçu une
grande bénédiction en parlant dans
les rues. Les foules, dans les grands centres, se
chiffraient par centaines et nous obtenions leur
attention des heures durant. M. Mather et moi
pouvions à peine faire face à toutes
les demandes d'évangiles, et à
Kanchow, nous fûmes obligés de
réclamer l'aide d'un de nos voituriers pour
cette distribution. Les vieillards plus
spécialement nous aidèrent à
trouver la place la plus propice pour la
prédication; les commerçants nous
avaient fourni des bancs et nous permirent de
stationner devant leurs étalages. Nous
restions souvent au même endroit pendant
trois heures; puis, changeant d'emplacement, nous
prêchions encore jusqu'à la nuit sans
prendre de nourriture.
Je mentionne ces faits afin que vous
réalisiez combien la moisson est mûre.
»
Ceci se passait en 1914 et les
villes situées à l'ouest de Liangchow
attendent toujours les messagers de la Bonne
Nouvelle, car aucun missionnaire protestant n'a
passe après M. Moore sur la Grande Route
».
Pas un, disons-nous, et cependant
oui, il y en avait un, car Dieu se préparait
un ouvrier dans la personne d'un jeune converti du
Honan.
Il était à cette
époque un médecin déjà
doué d'une grande expérience dans le
travail des hôpitaux.
Des affaires de famille l'avaient
obligé à retourner chez lui où
ses préoccupations lui avaient fait perdre
de vue sa vision céleste.Une lettre de son
ancien chef l'avait ensuite réclamé
pour l'hôpital du Honan où il avait
déjà passé de si belles
années. C'est là, eu effet, qu'il
avait fait ses études médicales, en
même temps qu'il apprenait à
connaître sa Bible et à s'occuper des
âmes. C'est là que l'efficacité
fie la prière lui avait été
révélée, qu'il avait
été transformé par la
puissance du Saint-Esprit et avait assisté
à un superbe réveil dans
l'église.
Là aussi Dieu l'avait
employé pour le salut de plusieurs et lui
avait fait entendre l'appel missionnaire pour la
province éloignée du Kansu.
L'hôpital du Honan venait d'être
agrandi et le docteur Kao se trouva bientôt
absorbé par son travail de
prédilection.
Or, ce moment coïncidait
précisément avec celui ou Ni. Moore
revenait, le coeur chargé par la
pensée de ces villes où son message
avait été si bien accueilli. Comme
nous venons de le dire, le docteur Kao, au milieu
de ses multiples occupations, avait oublié
l'appel du Kansu.
Son habileté comme docteur
était, considérable et il jouissait
d'une grande popularité; des propositions
flatteuses qui lui assuraient
succès et richesses venaient de lui
être adressées.
De plus il devait penser à
l'avenir de ses enfants et insensiblement il se
sentait attiré vers un genre de vie bien
différent de celui qu'il avait entrevu. Un
soir, dans sa chambre d'hôpital, il venait
d'adresser à Dieu une courte prière
pour Le remercier de Son aide pendant la
journée, lorsque soudain une Voix se fit
entendre à son coeur : « Ne Me remercie
pas, ce n'est pas Moi qui L'ai conduit aujourd'hui,
ton chemin n'est pas le Mien ».
Effrayé, il comprit que Dieu
parlait à sa conscience. « As-tu
manqué de quelque chose ces dernières
années? continua la Voix céleste,
n'ai-Je pas été fidèle
à mes promesses? Est-ce pour te créer
une brillante position que Je t'avais choisi ou
était-ce pour prêcher
l'Évangile? »
Profondément remué, le
docteur Kao se rappela sa consécration dans
cette même localité, son premier
appel, et fut obligé de reconnaître
qu'il s'était laissé entraîner
bien loin de ce que Dieu attendait de lui; le coeur
brisé et contrit, il supplia le Seigneur de
lui révéler Sa volonté. Avant
de se relever, sa décision était
prise concernant le Kansu.
Il se mit donc en route avec sa
femme et ses enfants. Or, pour une femme chinoise
qui ne s'était jamais
éloignée de chez elle, et qui devait
entreprendre avec deux petits enfants un pareil
voyage vers un pays si différent du sien, un
courage peu ordinaire était
nécessaire. Six ans ont passé depuis
ces événements et la vaillante jeune
femme persévère, soutenue par Dieu et
par les, progrès de l'oeuvre, mais avec un
coeur qui soupire cependant souvent après
son ancienne demeure et le dialecte familier qui
avait réjoui son enfance.
Au commencement, ils vécurent
à l'hôpital de Kanchow et
assistèrent le docteur King dans son oeuvre
naissante. Celui-ci, étant missionnaire tout
autant que médecin, encourageait le
zèle de Kao et le libérait de temps
en temps pour l'évangélisation.
Chacune de ces tournées fortifiait le jeune
homme dans son désir d'annoncer Christ
là où Il n'avait pas encore
été prêché, et
finalement il prit la route de Liangchow et au
delà.
Depuis ce moment, le chemin s'est
merveilleusement ouvert devant lui bien qu'il soit
seul et sans appui humain. Il a trouvé la
place pour laquelle Dieu l'avait appelé dans
cette même ville de Kanchow citée par
M. Moore et il sait que Dieu travaille avec lui.
Qu'est-ce qui aurait expliqué sans cela la
chaude réception qui l'avait accueilli et la
foi qui naissait dans les coeurs?
Dans, la première auberge
où il arriva comme étranger, il
entendit un jour avec joie un soldat qui venait de
se convertir avec lui, parler doucement à
son cheval rétif au lieu
de le frapper avec brutalité. Ce nouveau
converti, ignorant que l'on entendait ses paroles,
étrillait son cheval et le reprenait pour
son mauvais vouloir : « Tu sais bien ce que
j'étais avant ma conversion, lui disait-il,
tu sais combien je t'aurais battu, et comme
j'aurais juré contre toi, ne vois-tu pas que
je suis changé? Il faut que tu changes aussi
et que tu apprennes de meilleures minières
».
Que le cheval eût compris ou
non, le missionnaire fut réjoui de constater
que sa prédication n'avait pas
été vaine. Un tel amour pour la Bible
s'était développé dans le
coeur de ce soldat, M. Liu, qu'il lut le saint
volume d'un bout à l'autre, pendant la
première année, jusqu'à trois
fois de suite. La prière :lui était
devenue chose si naturelle que le docteur
était toujours béni par la
manière confiante dont il apportait tout au
Seigneur.
Un autre converti était M.
Wang-Fah, un homme de quarante ans qui habitait la
même auberge, et avait un commerce de cuivre
qui l'absorbait beaucoup, mais une partie de son
temps se passait à écouter
l'Évangile. Il ne savait pas lire, mais se
mit à l'apprendre, s'arrêtant
longuement sur les paroles du cantique qu'il
affectionnait spécialement :
Le ciel est ma patrie, allons
à la maison,
Rien ici-bas n'est digne de nous en
empêcher.
Un jour qu'il était assis près du
feu, surveillant la fonte de son cuivre, il se
répétait en lui-même son hymne
favori, totalement inconscient d'un groupe de
personnes qui le regardaient avec amusement,
s'apercevant qu'il avait oublié le cuivre
qu'il fondait. Wang-Fah répétait sans
se lasser les paroles devenues une
réalité pour lui. « Il se peut
que le ciel soit ta patrie, lui cria l'un des
spectateurs, mais en attendant d'y aller, tu ferais
mieux de surveiller ton feu. »
Wang prit ces paroles en bonne part
et poursuivit sa lecture tout en surveillant mieux
son travail. Lorsque le docteur Kao vint habiter
à Kanchow un an plus tard, cet homme pouvait
déchiffrer presque tous les
caractères dit Nouveau Testament.
Dans cette première visite de
Kao, M. Ch'en fut dit nombre de ceux qui
écoutèrent l'Évangile avec un
coeur bien préparé. L'orfèvre
Lin avait besoin d'un traitement spécial. Il
était venu auprès du docteur Kao,
souffrant de tuberculose dans l'épine
dorsale et celui-ci lui avait ordonné de
rester couché pendant trois mois. Mme Ch'en,
la mère d'un ami, entreprit de le soigner,
et la garde-malade comme l'invalide attendaient
impatiemment les visites du docteur. Ce
n'était pas seulement parce que celui-ci
était joyeux et encourageant, mais ils
aimaient à entendre parler du grand
Médecin, Sauveur de l'âme aussi bien
que du corps.
Et la meilleure preuve de ce
qu'était pour eux le Sauveur, fut la
conversion de cinq autres personnes qui se
confièrent aussi en Lui, par le moyen de
l'orfèvre et de sa bonne vieille
infirmière.
Ainsi la bénédiction
s'étendait d'un coeur à un autre.
L'un de ces cinq convertis, marchand ambulant de
bijouterie, se mit à répandre
l'Évangile en faisant ses tournées.
Un autre, l'oncle Yu, devint l'instrument de la
conversion de sa belle-fille dont la vie
douloureuse fut merveilleusement adoucie en se
donnant à Dieu. Elle était
mère de six petites filles; aucun fils
n'était venu apaiser le déplaisir du
père.
Après sa conversion, une
septième fille lui naquit qui reçut
un accueil bien différent de celui de ses
soeurs. L'on pouvait s'apercevoir de l'irritation
grandissante causée par chacune de ces
naissances par les noms qui avaient
été donnés; la chose
étonnante était qu'on ait
laissé vivre ces fillettes.
La première, dans un esprit
d'espérance, avait été,
nommée « Ling-ling » (conduit,
conduit), car un petit frère devait
sûrement arriver après elle, mais le
second enfant fut encore une fille. Les parents,
dissimulant leur déception, l'avaient
appelée, « Ts'ing, ts'ing »
(invite, invite). Certainement, cela
amènerait la réponse
désirée! Alarmés à la
vue d'une troisième fille, ils lui
donnèrent le nom de « Kwan, kwan »
(contrôle,contrôle).
Rien ne pouvait rompre la chaîne de cette
désastreuse succession !
La suivante fut simplement
nommée « Sï-nü »
(quatrième fille) comme si rien ne pouvait
être pire que cela. De même pour les
deux suivantes.
Mais la septième fille arriva
dans une maison débordante d'affection. Le
père, bien qu'il ne fût pas encore
chrétien, ne prit pas une autre femme, et la
mère ne considéra plus ses fillettes
comme un fardeau et une disgrâce. Le dimanche
matin, elle se levait de bonne heure pour tresser
et orner les nombreuses nattes de ses
aînées et les envoyer ensuite au culte
qui avait lieu dans la meilleure chambre du docteur
Kao. C'était une joie d'entendre celui-ci
nous parler de vingt-cinq ou trente personnes
réellement converties, dont la plupart sont
des commerçants ou des propriétaires
du voisinage. Taudis qu'il nous décrivait la
grande vallée fertile, on croyait apercevoir
les nombreux villages, cachés au milieu de
leurs beaux vergers d'arbres fruitiers. L'eau y est
si abondante que le riz y croît
naturellement, chose très rare au Kansu, et
la ville possède trois ruisseaux qui coulent
dans ses rues. Le docteur Kao nous parla aussi des
temples nombreux, du fameux « Bouddha dormant
» de proportions colossales, du culte des
démons et des milliers de pèlerins
qui assistent en foule aux fêtes qui ont
rendu Kanchow célèbre.
Il nous entretint aussi de sujets
plus profonds, concernant les difficultés
permises par Dieu pour former ses missionnaires,
car tout n'avait pas été facile pour
eux ! La solitude, la pauvreté, un hiver
très rude dans une maison en mauvais
état, le manque d'amis sympathiques et
l'apparent oubli de ceux dont les lettres tardent
parfois à venir, tout avait
été combiné pour leur faire
sentir douloureusement leur isolement. En outre la
famille Kao était entrée dans une
maison hypothéquée que les locataires
précédents avaient fortement
détériorée. Les portes avaient
disparu, les lits de briques (Kang) étaient
brisés et les murs extérieurs
démolis. On avait pu réparer les
lits, mais il n'y avait aucun moyen pour se
protéger des voleurs qui pouvaient à
tout moment faire intrusion, et de ce fait les
voisins étaient plutôt hostiles aux
jeunes missionnaires.
Leur position financière
était de plus très précaire,
le docteur Kao ayant renoncé à son
salaire, en quittant son travail de Kanchow. Il
devait donc soutenir sa famille par sa vocation
médicale, mais, comme il ne réclamait
aucune rétribution fixe, ses clients
étaient libres de le payer ou non.
C'était bien là une vraie marche de
foi, d'autant plus que si les chrétiens de
Kanchow l'avaient cordialement accueilli et
l'appréciaient beaucoup, ils ne se rendaient
pas compte de sa situation.
Mme Kao, souvent seule dans sa
grande maison, avait de fréquentes atteintes
de mal du pays. Les convertis étaient des
hommes pour la plupart, et quant aux quelques
femmes qui faisaient partie de l'église,
quoique très sympathiques et aimables, elles
avaient trop d'occupations dans leurs propres
ménages pour venir la visiter. Chacun
ignorait donc que la petite famille manquait de
vêtements et de couvertures pour affronter
l'hiver si rigoureux, qu'elle ne pouvait se
chauffer suffisamment et qu'elle se demandait
souvent d'où lui viendrait le prochain
repas.
Les réunions des dimanches
étaient bien suivies et joyeuses; nombreux
étaient les convertis et sans limites les
opportunités qui s'ouvraient à eux,
dans l'oeuvre qu'ils aimaient. Mais, en revenant de
la réunion, M. Kao trouvait sa femme en
larmes, les enfants grelottants et les chambres
inconfortables. La nuit, les voleurs revenaient
constamment et la tension nerveuse qui en
résultait était des plus
déprimantes. Les voisins ne comprenaient pas
pour quelle raison il ne faisait pas reconstruire
le mur extérieur de la maison : «
Où est votre Dieu? criaient-ils au docteur,
pourquoi ne prend-Il pas soin de vous si vous
êtes trop pauvres pour le faire
vous-même? » Dieu avait permis cette
situation dans une pensée d'amour et pour un
temps déterminé, car si notre foi est
précieuse, «
l'épreuve de notre foi l'est encore
davantage, elle est beaucoup plus précieuse
que l'or périssable qui, cependant, est
éprouvé, par le feu »
!
Ils avaient l'immense
privilège d'être les seuls
témoins du Seigneur dans ces vastes
régions négligées, et les
résultats de leur travail furent abondants :
une église de laquelle la lumière
rayonne auprès et au loin !
Le combat est pénible pour
eux, plus pénible qu'ils ne l'avaient
supposé au début et il faut que leur
patiente endurance se maintienne jusqu'au bout afin
que personne ne puisse leur prendre leur couronne.
En dépit de ces longs mois d'épreuve,
lorsque M. Kao vint nous visiter l'hiver suivant,
il pouvait parler avec un regard qui
pénétrait nos coeurs et avec une
profonde reconnaissance de l'école «
bénie » par laquelle. Dieu les avait
fait passer.
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