L'APPEL DU
GRAND NORD-OUEST CHINOIS
LE KANSU ET LES
PROVINCES LOINTAINES
CHAPITRE VI
Le tremblement
de terre du 16 décembre.
Par une sombre et froide nuit de
décembre, les hôtes de Mme Mann
étaient, réunis autour du feu du
salon. Sa petite fille de trois ans s'était
assoupie près de nous, tandis que le petit
garçon de Mme Moore dormait également
dans la pièce voisine. Nous venions
d'étudier ensemble un passage de la Bible et
nous allions nous agenouiller pour prier lorsque
tout à coup un grondement sourd se fit
entendre. Ce bruit étrange semblait
être à la fois autour et au-dessus de
nous, comme le roulement de chars pesamment
chargés ou le vacarme assourdissant d'un
express qui aurait passé au-dessus de nos
têtes. C'était incompréhensible
et angoissant, mais au premier moment nous
continuâmes à prier. Puis le plancher
commença à bouger et nous
comprîmes ce qui se passait. Les parents
s'élancèrent à la recherche de
leurs enfants, tandis que la maison tremblait et
que le sol oscillait tellement que nous eûmes
de la peine à atteindre la porte.
Le terrain de la cour semblait se
soulever comme une mer agitée. Le bruit des
charpentes qui craquaient, des murs qui
s'écroulaient et cette indéfinissable
plainte des toits qui se tordent sous une violente
tempête continuait sans
interruption.
Tandis que nous nous tenions en un
groupe muet et consterné au milieu de la
cour, les minutes nous paraissaient interminables.
Il s'en fallut de peu que les bâtiments ne
s'écroulent et ne nous ensevelissent sous
leurs décombres comme ce fut le cas en maint
autre endroit. Cependant, nous nous sentions
étrangement calmes et en état de
rassurer les serviteurs et amis en détresse
qui s'enfuyaient de leurs chambres. Peu à
peu, la terre se raffermit sous nos pieds, le
tumulte effrayant se calma et nous
réalisâmes que le pire était
passé. Ce ne fut toutefois qu'un bon moment
plus tard que nous nous risquâmes à
rentrer dans la maison, car dehors le froid
était des plus vifs. Plusieurs secousses
moins importantes furent encore ressenties durant
la nuit, aussi fut-ce avec une vive reconnaissance
que nous vîmes poindre le jour.
Sur l'autre rive du fleuve, les
secousses avaient été très
violentes; les temples les plus rapprochés
du port étaient à peu près
détruits et une partie de la colline avait
glissé dans la vallée, mais
l'hôpital lui-même était intact.
Quelques cas de morts furent signalés dans
la ville, mais à
côté des pertes intervenues dans
d'autres localités, nous comprîmes que
Langchow avait été
épargnée.
À quelques journées de
marche, plus au Nord, les dégâts
furent épouvantables et du Sud-Est nous
arrivèrent également des
récits navrants de maisons englouties et de
villages dévastés. La liste
officielle des morts s'élevait à deux
cent mille âmes, tandis que des milliers de
créatures humaines étaient
laissées sans abri et sans moyen de
subsistance pour aller au-devant du froid intense
de ces hautes régions. C'est alors que nous
réalisâmes combien les secours humains
sont impuissants en face de pareilles
détresses. Un Comité d'entr'aide
s'organisa rapidement, présidé par M.
Mann; M. Andrew fut rappelé de la côte
pour la distribution des secours, qui
s'élevèrent à cent vingt mille
dollars.
Mais bientôt, on
s'aperçut que les dangers et les terribles
souffrances du premier moment seraient suivis
d'autres catastrophes; de formidables
éboulements avaient bloqué le lit des
rivières à différents
endroits; il était inévitable que la
fonte des glaces et les pluies du printemps
n'amènent de graves inondations. Il semblait
impossible de pouvoir enrayer ce dernier
danger.
Le docteur Parry s'étant
rendu à Tsing-ning-chow, s'aperçut
que des chaînes de collines s'étaient
déplacées
ensevelissant des routes et des
villages, et entassant dans les bas-fonds assez de
terre et de pierres pour former de nouvelles
collines. Bien des kilomètres de routes et
plusieurs ponts devaient être refaits et des
canaux creusés pour l'écoulement des
eaux.
C'est à ce moment que la
présence des missionnaires fut hautement
appréciée par toutes les classes de
la population; ils furent les premiers à se
rendre compte de la gravité du mai et c'est
vers eux que les autorités se
tournèrent pour demander aide et
conseil.
Miss Knox écrivait de
Langchow le printemps suivant :
« En quelques endroits l'eau a
atteint jusqu'à deux cents pieds de haut et
elle continue à monter. Si cet état
de choses n'existait que dans les vallées le
danger serait moindre, mais lorsque les eaux
débordent sur les plaines le péril
est grand; dans le seul district de Tsinchow plus
de mille personnes ont dû abandonner leurs
foyers ».
Ceux des réchappés qui
pouvaient encore travailler étaient
groupés sous la surveillance des
étrangers et tout l'argent reçu pour
eux était utilisé à payer
leurs salaires. « Nous construisons des
terrassements à dix places à la fois,
écrivait M. Andrew, et nous y employons des
milliers d'ouvriers, ma tâche consiste
à surveiller l'ensemble des travaux. C'est
à Chinchiangih que nous
avons le plus à faire, car nous devons y
creuser une tranchée de deux cents pieds de
profondeur sur un mille de long. Que de tristes
histoires nous aurions à raconter sur les
ouvriers que nous occupons : Voici par exemple un
homme vigoureux et bien bâti, l'unique
survivant d'une famille de dix-sept personnes. Sa
ferme et ses terres ont été
englouties sous des milliers de tonnes de terre et
il travaille maintenant à se refaire une
situation. Dans la tranchée que nous
creusons nous venons de découvrir trois
cadavres si défigurés qu'on ne
pouvait les identifier, lorsqu'un de nos
travailleurs a reconnu en eux, son père, sa
mère et sa soeur.
Nous occupons dans nos bureaux un
jeune homme de bonne famille qui avait suivi une
des meilleures écoles militaires de la
Chine, il ne lui reste que deux membres de sa
famille, mais, Dieu soit béni, les
consolations de l'Évangile ont
pénétré dans ce coeur
ulcéré et en ont enlevé
l'amertume qui s'en était emparée.
Nous sommes aidés dans ce travail difficile
par quelques chrétiens indigènes,
foncièrement consacrés à Dieu;
il nous arrive parfois, en faisant nos
tournées, d'arriver à la tente de
l'un d'eux, c'est pour nous comme un terrain
sacré, car là bien des coeurs
fatigués et chargés ont
déjà entendu la bonne nouvelle du
salut et plusieurs l'ont acceptée. »
Au grand effroi du peuple, des
secousses sismiques de moindre importance se
produisirent encore pendant des semaines et
même des mois après le premier
ébranlement; quelques maisons
tombèrent et une quarantaine de personnes
perdirent la vie de cette manière. «
Nos montagnes sont devenues désertes,
écrivait plus loin M. Andrew, le silence qui
y règne rappelle le silence de la mort. Un
sentiment de profond malaise pèse lourdement
sur les rares habitants de ces hameaux
dévastés. Nous passions
dernièrement la nuit dans un assez grand
village, lorsqu'aux premières lueurs du jour
nous fûmes réveillés en sursaut
par ce grondement caractéristique qui
rappelle le bruit formidable d'un train express se
précipitant sur une voie souterraine, puis
vint la secousse bien connue qui ébranla la
maison jusque dans ses fondements, tout oscillait
et craquait. Tout à coup, dominant encore
ces terribles bruits on entendit retentir des cris
que l'on n'oublie plus lorsqu'on les a entendu une
fois, les cris de détresse des habitants
fuyant leurs demeures pour chercher un refuge au
dehors.
Quel précieux
privilège pour nous de pouvoir venir au
secours de ce peuple, servant de tout coeur leurs
intérêts matériels et leur
apportant surtout le glorieux message de l'amour
Rédempteur qui leur procure la consolation
dans leurs angoisses et leur
communique cette paix de Dieu qui
surpasse toute intelligence. »
Le grand nombre des victimes du
tremblement de de terre doit être
attribué en majeure partie à la
nature titi terrain dans lequel les
éboulements se sont produits, ce terrain
appelé « loess » est formé
d'un mélange de terre glaise et de quartz
pulvérisé qui atteint souvent une
grande élévation et couvre de vastes
espaces dans le nord de la Chine. Ces hautes parois
de loess sont caractérisées par de
profondes fissures verticales dans lesquelles on a
creusé des habitations qui abritent une
bonne partie de la population.
La contrée la plus
éprouvée par le fléau
s'étend entre la rivière Wei et le
fleuve Jaune et est traversée par la
chaîne des monts Luh-pan. Cette vaste
contrée est formée de deux sortes de
terrains de formations géologiques
différentes. La région sud de ce
territoire fait partie (sauf une chaîne de
montagnes abruptes qui la traverse) de cette grande
région de loess qui s'étend du Honan
presque jusqu'au Thibet, tandis que la partie Nord,
du Ku-Yüen au fleuve Jaune, est un plateau de
formation argileuse et caillouteuse qui se prolonge
jusqu'aux steppes de la Sibérie et du
Turkestan. Ce genre de terrain est plus
résistant que le Loess, ne s'affaisse pas
comme ce dernier, mais se fend en
d'innombrables crevasses. Ce fut
dans les terrains de loess que les
éboulements les plus importants se
produisirent, ensevelissant ou entraînant
avec eux des villages entiers, recouvrant ferme, et
vallées d'une épaisse couche de
terre, obstruant le lit des rivières et
transformant les vallées en lacs. Les gens
du pays n'ont pas trouvé de meilleure
expression pour décrire ces effroyables
cataclysmes que de dire : « Les montagnes se
sont mises à marcher ». Et ceci s'est
littéralement réalisé, comme
nous avons pu le constater dans une seule
vallée de cinq milles de superficie dans
laquelle sept éboulements successifs se sont
produits, engloutissant tous les êtres
vivants à l'exception de trois hommes et de
deux chiens qui fuient sauvés d'une
manière miraculeuse.
C'était un paysan et ses deux
fils dont la ferme au lieu d'être
enterrée sous les décombres fut
transportée sur la crête de l'un des
éboulis l'espace d'un demi mille. Là
elle fut atteinte par de nouveaux mouvements de
terrain et emportée plus loin. Les habitants
ne se rendirent aucun compte de ce qui leur
arrivait jusqu'au matin suivant. Un orage se
déchaînait, un vent froid souillait,
ajoutant encore à l'horreur de la
situation.
Ils nous racontèrent plus
tard qu'ils avaient d'abord entendu un terrible
grondement souterrain, bientôt
suivi d'une violente secousse,
les projetant du nord au sud pendant l'espace d'une
demi-minute. Ils tentèrent plusieurs efforts
infructueux pour se sauver, mais furent
rejetés dans les ruines de leur maison pour
y attendre le matin. Ce ne fut qu'aux
premières lueurs du jour qu'ils se rendirent
compte de l'étendue du désastre; leur
village tout entier avait disparu, d'autres fermes
avaient été emportées plus
loin ou ensevelies sous les décombres, et
les rivières avaient été
obstruées par des amoncellements de terre
qui remplissaient leurs lits. Ce fut alors qu'ils
réalisèrent que, réellement,
les montagnes s'étaient
déplacées.
Dans les contrées du Nord
où le sol est friable comme de la
porcelaine, les souffrances furent tout aussi
intenses.
N'ayant pas la nature argileuse du
loess pour atténuer la violence des chocs,
des cités entières
s'écroulèrent comme des
châteaux de cartes; des habitations
creusées dans le rocher
s'effondrèrent, ensevelissant sous elles le
bétail et ses propriétaires et de
grandes crevasses se produisirent brusquement,
entraînant dans le gouffre maisons et
habitants. De ces crevasses sortait une eau
noirâtre qui s'étendait sur les
terrains avoisinants, des loups descendirent des
montagnes, des chiens devinrent enragés
à force de manger de la chair humaine et,
pour ajouter à l'horreur de ces
scènes tragiques, des
voleurs surgirent de tous côtés et
dévalisèrent les morts et les
vivants.
Pour faire un heureux contraste avec
de pareilles atrocités, nous aimons à
rappeler ici le dévouement du mandarin de
Tsin-ning-chow, celte petite ville qui nous avait
si fort intéressés lors de notre
passage dix jours auparavant.
Ce magistrat travaille à
Tsin-ning-chow depuis trois ans, il est très
aimé de la population. Vivant lui-même
très sobrement, il a fondé, avec
l'argent laissé à sa disposition, un
hôpital gratuit, une crèche d'enfants
abandonnés, une bibliothèque
populaire et d'autres entreprises du même
genre.
Il a également interdit le
jeu et s'oppose avec énergie, à
l'usage de l'opium et au bandage des
pieds.
« C'est un homme parmi dix
mille », écrivait le docteur Parry.
Bien qu'accablé par l'angoisse et le
sentiment de sa responsabilité au moment
où la catastrophe se produisit, il ordonna
à ses soldats de faire sortir en toute
hâte les gens de leurs demeures, puis il
retourna s'agenouiller dans sa chambre, offrant
à Dieu le sacrifice de sa vie, si par ce
moyen la ville pouvait être
épargnée.
Les murs tombèrent autour de
lui tandis qu'il continuait à prier; lorsque
le pire fut passé, il comprit, qu'il avait
été sauvé pour secourir son
peuple qui, sans lui, aurait été
complètement désorienté.
Tout en continuant à
jeûner et à pleurer avec ses gens, il
rendit d'inappréciables services, courant au
secours des enterrés vivants, aidant
à ensevelir les morts et pourvoyant les
affamés de vivres et de
vêtements.
Il prêta un grand nombre de
tentes militaires, où pendant bien des jours
lui et les siens dormirent à terre, sans
autre abri; puis il envoya chercher le docteur
Parry, à Langehow, pour s'occuper des
blessés. Plus de trois mille personnes
avaient déjà été
secourues par les fonds publics lorsque MM. Parry
et Seaman arrivèrent sur les lieux et
trouvèrent encore un millier de
blessés réclamant toute leur
attention; près d'un millier aussi avaient
péri et la ville gisait littéralement
sous les décombres, mais le
dévouement et le courage du Mandarin et de
sa femme ne se relâchèrent
pas.
Plus tard, deux dames missionnaires
suédoises vinrent s'établir au milieu
de ces ruines et se contentèrent d'une
simple cabane ayant la terre nue sous leurs pieds
et un toit de chaume sur leurs têtes, se
réjouissant de partager ainsi les
souffrances du peuple et de subvenir à leurs
besoins tout en leur apportant le message du
salut.
La détresse du peuple
fournissait aux missionnaires une merveilleuse
occasion de leur annoncer l'Évangile.
Plusieurs païens furent si
impressionnés par cette
révélation de la
puissance de Dieu qu'ils abandonnèrent leurs
idoles pour servir le Dieu vivant et beaucoup de
chrétiens réalisèrent comme
jamais auparavant la nécessité
d'être prêts pour le retour dit
Seigneur M. Rist écrivit de Tsinckow que
pendant le cataclysme on avait entendu des
païens supplier à haute voix le
Seigneur Jésus de les sauver; dans
quelques-unes des annexes qu'il desservait, les
réunions étaient suivies par de
nombreux indigènes dont beaucoup
s'informèrent ensuite de la voie du salut.
Un fait digne de remarque est qu'un grand nombre de
chrétiens furent spécialement
protégés à l'heure du
péril, bien peu d'entre eux perdirent la vie
ou subirent de sérieux préjudices.
Dans un endroit où la maison
s'écroula sur une famille chrétienne,
les voisins venant chercher les corps
tressaillirent en entendant une voix qui criait du
milieu des décombres : « Nous sommes
tous en vie, personne n'est blessé
».
Au lieu d'être
écrasés par la chute des poutres, le
lit de briques, sur lequel parents et enfants
dormaient, avait été recouvert par la
poutraison qui protégeait ainsi tout, la
famille. Dans un autre cas, une vieille
chrétienne et sa petite fille furent
ensevelies par la chute du toit, mais quand les
abris qui les recouvraient eurent été
enlevés, elles furent retrouvées
intactes avec une expression de joie paisible sur
leur visage.
La grand-mère avait recouvert
le bébé de ses bras et il
était sain et, sauf.
Merveilleuse aussi fut la
délivrance de M. Christie et de son
compagnon, membres de l'Alliance Missionnaire, qui
étaient justement en voyage; ils se
trouvaient dans une auberge et se retiraient pour
la nuit lorsque la catastrophe survint. Sans
prendre le temps de revêtir leurs
vêtements de dessus, ils se
précipitèrent hors de la chambre et
n'étaient pas plus tôt dans la cour
que les bâtiments s'effondraient,
ensevelissant ou sous eux. Pas un missionnaire ne
fut blessé dans toute la province. Mais la
conséquence la plus remarquable du
tremblement de terre, fut que cet
événement mit fin à l'attitude
menaçante des musulmans.
La terrible expérience des
précédents soulèvements avait
appris aux Chinois à dire : « Tandis
que le Ciel tue cent hommes, les musulmans en
exterminent des milliers ». Or, il est hors de
doute qu'une rébellion de la part des
partisans de l'Islam était imminente.
Possédant deux à trois millions
d'adeptes dans cette province et ayant les forces
militaires en bonne partie à leur
disposition, c'était une sérieuse
menace à considérer. Et voilà
qu'en un instant tout fut changé et que le
prestige mahométan fut anéanti sans
aucun secours humain. La partie du pays la plus
éprouvée par la catastrophe
était surtout occupée par des
musulmans dont le chef principal
trouva la mort à ce moment avec des
centaines de coreligionnaires.
On n'aurait peut-être jamais
appris aucun détail sur le sort de ce
célèbre personnage sans les
révélations faites par l'un de ses
serviteurs qui fat amené, blessé, au
docteur Parry, et qui raconta ce qui suit : le
« Saint », comme il était
nommé par ses adeptes, était le Chef
suprême d'une secte qu'il avait
fondée.
Il avait, en le pressentiment de ce
qui allait arriver et cependant il s'était
rendus dont le chef principal trouva la mort
à ce moment avec des centaines de
coreligionnaires.
On n'aurait peut-être jamais
appris aucun détail sur le sort de ce
célèbre personnage sans les
révélations faites par l'un de ses
serviteurs qui fat amené, blessé, au
docteur Parry, et qui raconta ce qui suit : le
« Saint », comme il était
nommé par ses adeptes, était le Chef
suprême d'une secte qu'il avait
fondée.
Il avait, en le pressentiment de ce
qui allait arriver et cependant il s'était
rendu, soir après soit, dans leur lieu de
culte où il priait pendant des heures. Le
jour fatal (16 décembre 1920), il se baigna
et s'habilla comme d'habitude, puis il se rendit
à la mosquée avec ses fils et ses
serviteurs. Il est à supposer qu'une
conférence spéciale devait avoir lieu
ce même soir et que des centaines de chefs
s'étaient rassemblés autour du «
Saint ».
On ne saura jamais si cette
conférence avait pour but de décider
la rébellion ou non, car ce soir-là,
la mosquée s'écroula et aucun des
assistants n'en réchappa.
Ce « Saint » demeurait
à Sakou, vallée étroite
peuplée en majeure partie de musulmans; on
évalue à dix mille le nombre d'entre
ceux qui furent ensevelis par la chute des
montagnes des deux côtés de la
vallée.
Dès lors, écrivait le
docteur Parry, l'attitude de la population
musulmane de la province est beaucoup
moins agressive qu'auparavant, le
danger d'une révolte s'est
éloigné de nous et de grandes portes
nous sont ouvertes pour la diffusion de
l'Évangile. Combien de temps cela
durera-t-il ? Nous ne le savons pas.
« Aujourd'hui est le jour du
salut », nous écrit un missionnaire, le
tremblement de terre n'a pas seulement
renversé les montagnes et les habitations,
mais beaucoup d'anciens préjugés ont
été ébranlés ainsi que
la foi de ceux qui croyaient fermement aux idoles
et qui désirent maintenant recevoir le
message du Christ, de Dieu.
Pour mon compte personnel, je sens
que le besoin de l'heure actuelle est la
prière. Dieu nous a montré la moisson
qu'on pourrait recueillir ici, mais la
première chose a faire, c'est de vaincre par
la prière; car ce n'est que par ce moyen que
les armées du mal seront défaites et
que le voile pourra être enlevé de
dessus ces esprits obscurcis.
.
CHAPITRE VII
Un champ de
bataille de l'humanité.
Quinze jours après le tremblement de
terre, la veille du Nouvel An, nous quittions la
ville de Langehow pour aller à Liangchow.
Les rues paraissaient étrangement
désertes et une odeur de poudre remplissait
l'atmosphère.
Des milliers de personnes avaient
fait, partir des pétards et s'étaient
rendus ensuite, avec le Gouverneur, sur les bords
du fleuve pour y prendre part à une
imposante cérémonie destinée
à apaiser la colère des dieux. En
effet, les secousses sismiques continuaient encore,
on en comptait jusqu'à cinquante par nuit et
le peuple était bouleversé. À
l'endroit où le fleuve s'élargissait
au-dessous de l'hôpital, une tente avait
été dressée et formait le
centre des opérations. Les prêtres
étaient réunis là, chantant et
frappant sur clos tambours et des gongs, au milieu
de l'explosion de nombreux pétards, taudis
que des deux côtés du fleuve les
spectateurs faisaient brûler de longs
bâtons d'encens qu'ils avaient
apportés avec eux.
Le point culminant de la
cérémonie fuit le moment où le
Gouverneur s'agenouilla et fit une confession
publique de ses péchés, prenant sur
lui la cause de tous les maux que le peuple avait
endurés, car le tremblement de terre
était évidemment la punition de leurs
offenses contre le Ciel - et qui plus que lui eu
était responsable?
Le papier où cette confession
était écrite fut lu en
présence de toute l'assemblée et
brûlé ensuite pour être transmis
au monde des esprits. D'autres magistrats tant
civils que militaires, lurent de semblables
documents qui furent également
brûlés.
Toute cette mise en scène
offrait, un spectacle impressionnant et le prix de
l'encens brûlé représentait
à lui seul une dépense d'un millier
de dollars. Lorsque nous atteignîmes la
croisée des chemins, au centre de la ville,
nous rencontrâmes la longue procession qui
revenait; le Gouverneur était porté
sur un siège magnifique, suivi par plusieurs
hauts fonctionnaires en costumes de gala et par nu
détachement de soldats à cheval. Nous
passâmes lentement à travers les rues
encombrées de monde, le grand pont fut
traversé et notre long voyage de sept
journées commença par la Grande Route
qui conduit à l'Asie Centrale.
Et maintenant, tout en le
réalisant à peine, nous
nous approchions de cette partie
de la province qui se distingue par le
mélange de ses races, aussi bien que par nu
passé des plus tragiques. Placée
comme un coin entre la Mongolie et le Thibet et
étant la seule voie de communication entre
les riches plaines de la Chine et les hordes
musulmanes et tartares dit Turkestan, elle est,
devenue inévitablement le témoin de
terribles conflits entre les différentes
races et religions qui s'y sont
succédées à travers les
siècles.
Les scènes que nous allions
voir et les types que nous devions rencontrer sur
notre chemin évoquaient en nous bien des
pensées diverses et nous parlaient surtout
de ces vastes contrées si peu
explorées encore, et qui restaient à
conquérir pour notre Maître. Nous
réfléchissions à
l'immensité de ces régions solitaires
et à l'isolement complet des rares
missionnaires qui s'y trouvent.
En effet, nos sept journées
de voyage n'étaient qu'une modeste
étape en comparaison du long trajet de
quarante jours que nous ne pouvions songer à
entreprendre pour aller visiter nos missionnaires
de Ti-hwa-fu. C'est là que deux amis, MM.
Hunter et Mather, avaient travaillé pendant
des années sans jamais recevoir la visite
d'un seul collègue chrétien.
Ti-hwa-fu, la capitale de la nouvelle province de
Sinkiang, est éloignée de plus de
quarante jours de voyage de
Liangchow, la ville où nous allions arriver;
pour l'atteindre, il faut traverser le grand
désert de Gobi et pénétrer
jusqu'aux frontières de la
Russie.
Depuis longtemps, nos coeurs
étaient attirés vers ces endroits
reculés, peuplés de races si
mélangées, dont presque personne ne
s'occupe, mais une seule semaine passée avec
MM. Hunter et Mather nous aurait coûté
un voyage de plusieurs mois.
D'autres travaux pressants nous
réclamaient, et nous dûmes y renoncer
quoique bien à regret.
Une compensation nous fut cependant
offerte par le fait que M. Arthur Moore, qui nous
accompagna à cheval pendant les premiers
milles de notre voyage, était
précisément le seul ami qui eut
visité M. Hunter dans sa lointaine station,
lorsqu'il y escorta M. Mather en 1914. Chevauchant
à nos côtés, que de
récits intéressants il nous fit des
dangers courus en franchissant le grand
désert de Gobi avec ses solitudes immenses
ou en nous entretenant des étapes moins
dangereuses qui nous restaient à franchir
jusqu'à notre arrivée à
Liangchow. De nos sept journées de voyage
nous ne mentionnerons qu'une chose qui nous
impressionna d'autant plus que nous ne nous y
attendions nullement.
Le froid était intense et par
moments presque insupportables, mais nous le
savions d'avance puisque nous voyagions au cours de
l'hiver; la traversée des
nombreuses sommités
où les chemins, à cette époque
de l'année, étaient souvent
transformés en un lit de torrent gelé
ne devait pas nous étonner, car le Kansu est
un pays montagneux : mais nous ne nous attendions
pas à ce que nous trouvâmes
derrière ces montagnes au moment où
nous atteignîmes la vaste plaine de
Liangchow.
Nous mettant en route de nuit,
longtemps avant le lever de l'aurore, nous avions
assiste jour après jour au lever du soleil,
après avoir déjà passé
quelques heures dans notre voiture. Le froid
rigoureux de ces premières heures du jour
est impossible à décrire, surtout
quand le vent du nord souffle, mais nous pouvions
apprécier d'autant plus la transformation
qui s'opère ensuite, lorsque les pies
neigeux se colorent en rose et que, le soleil
inonde cette scène de sa chaleur et de sa
lumière; alors nous respirions plus
librement, en réalisant que le pire de la
journée était passé. Il
était un peu humiliant pour nous de
découvrir combien, dans ces régions
inhospitalières, nous étions
absolument dépendants pour le gîte et
le couvert de ce que les rares auberges de la route
pouvaient nous offrir. Il nous arriva même de
trouver le matin sur notre « Kang » (lit
de briques chauffé) l'eau chaude que nous y
avions laissée la veille dans notre
théière, transformée en un
bloc solide. Nous dûmes nous habituer
à casser en morceaux notre
pain gelé et à le dégeler dans
notre bouche avant de pouvoir le manger.
C'était là notre déjeuner
habituel, dans la voiture, avec de la viande on du
fromage également gelés.
Cependant il arrivait en cours de
route que nous pouvions obtenir une soupe chaude,
du bouillon de mouton préparé
d'avance pour les voyageurs en passage, aussi les
moindres hameaux que nous apercevions dans le
lointain étaient-ils salués par nous
avec intérêt lorsque l'heure des repas
s'approchait. Ce fut ainsi qu'en atteignant la
plaine de Liangchow, après plusieurs
journées pénibles à travers
les montagnes, nous aperçûmes à
l'horizon certains objets qui' nous parurent
être mie agglomération de maisons, qui
allaient devenir pour nous le sujet d'un grand
désappointement.
Sortant à Kulang du
dédale de montagnes que nous venions de
franchir, nous eûmes notre première
vision de la plaine illimitée qui
s'étendait à des centaines de milles
vers le Nord-Ouest. En voyant des habitations
disséminées le long de la route, nous
nous réjouissions d'avance d' y trouver le
réconfort dont nous avions besoin. Ce fut
seulement après avoir continué notre
route, heure après heure, toujours plus
épuisés par le froid et la faim, que
nous réalisâmes que nous traversions
un pays qui semblait être ensorcelé.
Les villages, entourés de murs,
étaient d'apparence plus massive que partout
ailleurs, leurs remparts devaient
avoir appartenu à des villes
fortifiées, et les portails d'où les
portes étaient absentes étaient
imposants. Mais aucune fumée encourageante
ne s'élevait dans Vair matinal, aucun chien
n'aboyait et nul enfant ne jouait sur les places
silencieuses. De ces villages déserts il ne
restait plus que les murailles les plus
épaisses, que le tremblement de terre
n'avait pu ébranler.
On pourrait difficilement se
représenter quelque chose de plus
déconcertant que cet amas de ruines
nombreuses et absolument désertes. Les
habitations avaient un aspect étrange,
plutôt de forteresses que de maisons
habitables.
Les portes d'entrée qui sont
en général la première chose
visible dans une maison chinoise n'existaient
pas.
Les murs extérieurs
s'étendaient sur une grande longueur sans
présenter aucune issue et l'on se demandait
comment on pouvait y pénétrer. On
n'apercevait à l'intérieur que
muraille après muraille de vingt à
trente pieds de haut avec une haute tour
située à l'arrière-plan; ce ne
fut que peu à peu que nous comprîmes
que ces soi-disant villages devaient servir de
campements provisoires à des troupes
plutôt qu'à des familles à
l'abri de ces épaisses murailles, en cas de
guerre, les habitants des villages de la plaine
peuvent venir se réfugier; les
entrées en sont, aussi basses et
dissimulées que possible,
les portes de fer garnies de clous ne donnent pas
accès dans des cours intérieures,
mais dans des sortes de tunnels gardés par
de féroces chiens thibétains. Chaque
enceinte protège celle qui est à
l'intérieur et la tour sert de refuge,
à l'heure du péril, aux femmes et aux
enfants. Ces constructions racontent leur propre
histoire, et nous réalisâmes enfin que
nous avions atteint ce « champ de bataille de
l'humanité », décrit par M.
d'Ollone dans son remarquable travail sur
l'Islamisme en Chine. De ce livre nous extrayons
les lignes suivantes décrivant l'endroit que
nous traversions : « En se rendant de Langchow
à Liangchow le voyageur rencontre de
nombreuses ruines. Ce chemin qui est tracé
par un étroit ruban de terrain fertile entre
les déserts de la Mongolie et du Thibet est
l'unique chaînon qui relie la Chine au monde
Occidental et a été dès les
temps anciens un champ de bataille pour
l'humanité.
Les Chinois, n'ayant que cette voie
de communication pour atteindre jusque dans leurs
déserts illimités les nomades avides
qui sont la plaie et la terreur de l'Empire chinois
ainsi que pour étendre leur commerce, ont
entouré cette route de fortifications. La
plus imposante est la grande Muraille de la Chine
dont on aperçoit souvent un embranchement
non loin de la route actuelle.
Il y a aussi des places
fortifiées comme la, cité de Pingfan
appuyée par des châteaux forts et des
tours de garde.
Dans cette région, tout nous
parle de guerre, de cette guerre qui a
commencé avec l'histoire de
l'humanité et qui n'est pas encore
terminée, comme le prouvent suffisamment ces
ruines accumulées sur lesquelles de nouveaux
remparts encore plus formidables que les premiers
sont venus se greffer. »
Nous nous étions
étonnés, mon mari et moi, des
forteresses et de la grande Muraille que nous
avions rencontrées fréquemment sur
notre route, mais maintenant tout était
expliqué.
L'endroit où nous nous
trouvions était à lui seul une
démonstration silencieuse et instructive du
passé.
De combien de massacres et de
représailles sanglants n'avait-il pas
été le témoin! et que
d'avertissements il renfermait pour le futur!
Tandis que nous étions cahotés sur la
route pierreuse qui longe la montagne, notre
pensée se reportait à la fameuse
révolte des musulmans en 1895 et aux
angoisses traversées par nos amis Ridley,
à Sining, au sud de ces mêmes
montagnes.
À chaque pas, nous
apparaissaient les traces évidentes de
semblables tragédies accomplies sur une
échelle encore plus vaste, car dans les
guerres et les rébellions qui se sont
succédées ici au cours des
siècles, la possession de
celte Route a toujours été une
condition essentielle de la victoire; il fallait la
garder ou la reprendre à tout prix, et la
force de résistance de la grande
révolte du siècle dernier
(1862-1874), fut précisément, due au
fait que pendant six longues années les
Musulmans affirmèrent, leur
suprématie sur cette région par des
« coups de main » hardis et sans cesse
renouvelés. Le résultat, ce fut la
destruction de la plupart des villes et des
villages environnants. Telle était donc la
signification de ces nombreuses ruines et
l'explication de ces endroits fortifiés et
de leurs interminables murailles. Nous ne pouvions
nous empêcher de penser que les horreurs du
passé sont encore les dangers dit
présent, car sans le récent
tremblement de terre, nous aurions
été témoins d'un
soulèvement plus terrible peut-être
qu'aucun de ceux qui l'avaient
précédé.
Ce fut un vrai soulagement pour nous
de nous détourner de ces sombres
pensées pour examiner un autre trait
caractéristique de la plaine de Liangchow,
c'est-à-dire l'aspect égyptien
qu'elle revêt sous ce ciel sans nuages. M.
d'Ollone avait du faire la même, remarque que
nous car, en en parlant, il écrit : «
Ces châteaux féodaux, situés au
milieu de cette contrée brûlée
de soleil, nous font penser à la Palestine
dit temps des croisades ».
Quant à nous, ce paysage nous
rappelait plutôt les
villages aux toits plats qui
avoisinent les bords du Nil car ici tontes les
lignes sont droites et les quelques arbres qui
subsistent encore, dépouillés de
leurs branches jusqu'au sommet par mesure de
prudence, ont l'aspect de palmiers sous le brillant
soleil qui les éclaire. C'est ainsi que
parcourant celle contrée
inhospitalière, où nous nous sentions
des étrangers sur une terre
étrangère, nous nous rapprochions de
Liangchow dont les habitants nous étaient
inconnus, mais où nous attendait, une des
plus glorieuses expérience de notre Vie.
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