L'APPEL DU
GRAND NORD-OUEST CHINOIS
LE KANSU ET LES
PROVINCES LOINTAINES
CHAPITRE IV
Langehow !
enfin !
Ce fut la dernière et peut-être la
plus difficile étape de notre voyage
à Langchow, capitale de la province du
Kansu. Par une sombre et froide journée de
décembre, nous étions partis à
3 heures du matin et avions voyagé, mille
après mille, à la clarté des
étoiles, longeant le lit gelé d'une
rivière, ce qui représentait une
étendue interminable de pierres et de
cailloux. Quels cahots dans cet équipage
sans ressorts! et quel froid piquant pendant ces
longues heures qui précèdent le lever
de l'aurore ! Mais tout cela nous préparait
à apprécier d'autant mieux la chaude
hospitalité qui nous attendait
là-bas.
Nous venions de franchir la
dernière chaîne de collines et nous
nous demandions combien de temps
s'écoulerait encore avant d'atteindre la
capitale, lorsque nous vîmes devant nous des
gens rassemblés autour d'une carriole.
Quelle était la cause de cet attroupement ?
Serait-ce des étrangers? C'était en
effet nos amis M. et Mme Mann, en
costume chinois, qui accouraient à notre
rencontre. Quelle joie de les revoir! Le reste du
voyage, deux à deux dans chaque voiture,
fui. un temps de délicieuse intimité
pour chacun de nous!
Une des premières choses que
nous observâmes avec un étonnement
mêlé de stupeur, était que ces
amis ne vivaient pas, comme nous l'avions
supposé, presque en dehors du monde et comme
enterrés vivants.
Séparés de la
dernière ligne de chemin de fer par toute
une chaîne de montagnes et par plusieurs
semaines de voyage, ils étaient
restés aussi enjoués et entreprenants
que s'ils avaient vécu au centre de Londres.
La vivacité de M. Mann avait quelque chose
de stimulant et Mme Mann ne cessa pas, pendant
toute la fin du voyage, de nous donner les
détails les plus intéressants sur le
pays et ses habitants.
Oh! cette plaine immense, populeuse
et illimitée! quel champ tout indiqué
pour un travail d'évangélisation,
dont M. Mann ne pouvait se charger, étant
déjà trop accaparé par les
besoins de sa propre paroisse.
Tout en causant de choses et
d'autres, nous ne nous étions pas
aperçus que nous nous rapprochions de la
ville, jusqu'à ce qu'un long cortège
de jeunes gens se présentât à
nous.
Quelle quantité de
garçons ! D'où venaient-ils?
« Ce sont nos écoliers
et leurs maîtres qui viennent, vous souhaiter
la bienvenue », fut la réponse. Mon
mari descendit de voiture pour les saluer et,
tandis que nous traversions la double rangée
des élèves, nous pûmes nous
rendre compte de la grandeur et de l'importance, de
l'École missionnaire de Langehow.
Ayant pris quelques-uns des plus
petits garçons dans nos équipages et
suivis de près par leurs compagnons, nous
formions une vraie procession à notre
entrée dans la ville.
Des portes massives, des rues
encombrées, beaucoup de vie et de mouvement,
de beaux magasins, des temples, des mosquées
et d'autres édifices publics,
était-ce bien cette ville de Langehow si
isolée du reste du monde? La Maison
missionnaire était située dans la rue
principale, près de la résidence du
Gouverneur. Toute une foule d'amis et de
chrétiens indigènes nous attendaient
devant la porte, y compris M. et Mme Moore, M. et
Mme Parry et leurs enfants. Quelle joie nous
éprouvions d'être parvenus au terme de
cette longue équipée et d'apprendre
à connaître ceux dont nous avions tant
entendu parler! Quelle joie aussi de contempler et
les nouveaux bâtiments scolaires et surtout
de rendre grâces à Dieu avec ces amis
pour notre heureux voyage et, pour l'oeuvre
entreprise dans ce centre important! Notre
première occupation fut de
visiter l'École dont les
nouveaux bâtiments avaient été
inaugurés quinze jours auparavant. Le besoin
d'une instruction supérieure pour les fils
de parents chrétiens se faisait sentir
depuis longtemps et lors d'une conférence
des trois missions qui travaillent dans cette
province, les délégués
indigènes avaient insisté pour que
leur demande fut prise en considération.
Langehow fut désigné comme le
meilleur des centres pour cette École
supérieure et M, Mann fut chargé de
s'en occuper et d'ajouter des classes
supplémentaires à celles qui
existaient déjà. Mais des fonds
étaient nécessaires pour permettre
ces agrandissements et bien des prières
montèrent à Dieu dans ce
but.
Quelques mois plus tard, M. Andrew
(surintendant de la C.I.M. de cette province)
recevait à dîner son ami le diacre
Kuoh, lorsque le sujet des fonds à trouver
l'ut abordé par son fils, M. G.-F. Andrew,
qui demanda sans ambages à M. Kuoh quelle
somme il pensait donner pour la nouvelle
École. « Cinquante dollars à fut
la prompte réponse. - « Et vous, que
donnerez-vous? poursuivit M. Andrew en se tournant
vers M. Mann. - « Si vous donnez cinquante
dollars, je ferai de même », riposta ce
dernier. M. Kuoh s'intéressant ait
débat dit qu'il croyait, que le diacre Li
donnerait aussi la même somme. Quelques jours
plus tard, M. Li les surprit tous en
déclarant que M, Kuoh ne
pourrait pas s'arrêter à cinquante
dollars et que lui-même en donnerait
volontiers cent.
Tout ceci fut rapporté
à M. Andrew père qui s'était
engagé à doubler les contributions
des membres de l'église, ne pensant pas
qu'elles atteindraient si rapidement une pareille
somme.
C'était la meilleure preuve
que le moment de Dieu était venu pour se
mettre à l'oeuvre sans tarder.
Peu après, le fils du
Gouverneur, qui s'était lié
d'amitié avec M. G.-F. Andrew, lui
annonça que son père désirait
participer à la nouvelle entreprise pour 500
dollars et promettait le concours des autres
fonctionnaires.
Les mahométans, de leur
côté, souscrivirent
libéralement, comprenant que la nouvelle
École serait un bienfait pour la
cité, de telle sorte que lorsque, M. Marin
se mit à l'oeuvre, il se trouva en
possession de 1.700 taëls, et le fonds
atteignit bientôt le chiffre total de 2.000
taëls.
Or la dépense des nouveaux
bâtiments ne dépassa guère la
moitié de cette somme; aussi un nouvel
édifice est-il déjà
projeté et, si par la
bénédiction de Dieu l'École
continue à prospérer, il faudra peu
à peu en agrandir les locaux.
Vint l'inauguration des
bâtiments; le Gouverneur, ses fils et
dix-sept de ses fonctionnaires y assistèrent
en costumes de
cérémonie. Une difficulté
s'éleva parle fait qu'il ne se trouvait
point de siège assez vaste pour le
Gouverneur dont les dimensions corporelles sont en
proportion de ses hautes fonctions.
À la fin, un fauteuil
convenable fut amené et transporté de
place en place, partout où Son Excellence
jugeait à propos de s'arrêter; il
trouva enfin sa place dans la salle à manger
de Mme Mann, où un repas de douze services
avait été préparé selon
la mode du pays.
À la suite de cette
réception, le nouveau Directeur de la Banque
de l'État dit à M. Mann : « Je
n'étais pas ici lorsque les dons furent
rassemblés pour l'École, mais si vous
avez besoin de nouveaux fonds à l'avenir,
veuillez m'en informer ».
Avec 70 garçons dans
l'établissement, une école de filles
qui n'a de place que dans la cour
intérieure, des visiteurs à toute
heure du jour, des malades venant chercher des
remèdes et toute l'activité que
réclame une église florissante, rien
d'étonnant que la Maison missionnaire de
Langehow soit toujours comble.
L'établissement consiste en deux immeubles
principaux, séparés l'un de l'autre
par la chapelle qui les domine tous deux; les
maisons n'ont pas d'étages, sauf les
nouveaux bâtiments scolaires.
L'emplacement de la station
située au centre de la ville est des mieux
choisis. Chaque fois que la chapelle
est ouverte au public,
c'est-à-dire presque chaque jour, elle se
remplit d'auditeurs attentifs, et si on pouvait y
consacrer plus de temps, ainsi qu'aux
tournées d'évangélisation
à la campagne, l'oeuvre prospérerait
encore plus qu'elle ne le fait actuellement. Dans
les quinze premières années, les
missionnaires ne purent constater que peu de vraies
conversions, et, jusqu'aux sombres journées
de 1900, il ne s'était pas
célébré plus de dix
baptêmes d'adultes, tandis que maintenant on
compte plus de cent convertis qui prennent une
large part dans les affaires temporelles et
spirituelles de l'église.
L'École, qui se suffit
à elle-même, est dirigée par un
comité de trois Chinois et de deux
étrangers. Les affaires de l'église
sont discutées par les diacres avec l'aide
du missionnaire en charge, il n'y a pas encore de
pasteur indigène, mai, la
congrégation en demande un, se
déclarant prête à pourvoir
à son entretien. En attendant ce moment, les
diacres aident beaucoup pour les cultes comme pour
l'oeuvre pastorale, sans réclamer aucun
salaire. La question de la construction d'une
nouvelle église les passionne, car la
chapelle devient, trop petite pour le nombre des
auditeurs.
Causant dernièrement avec M.
Mann à ce sujet, l'un des membres lui dit
qu'il donnerait volontiers 100 dollars dans ce but,
un diacre présent en offrit 50 et un
troisième s'inscrivit séance tenante
pour 300 dollars.
En entendant cette offre, le premier
venu augmenta son don, d'autres se joignirent
à lui et en peu de minutes 800 dollars
avaient été souscrits.
L'édifice coûtera
évidemment plus que cela, mais les membres
de l'église sont désireux de faire
tout ce qu'ils pourront dans ce but (bien que
plusieurs d'entre eux soient pauvres).
Très réjouissant aussi
est leur empressement à aider leurs
missionnaires dans la prédication au dehors,
l'oeuvre d'évangélisation et les
cultes du dimanche à la chapelle.
Peu après notre
arrivée, un homme plutôt
âgé revenait d'une tournée de
colportage aux environs. Il avait promis de
consacrer au Seigneur dix journées de son
temps, étant trop pauvre pour donner autre
chose, et après six journées de
marche, il revenait chercher des livres,
étant rempli de joie de ce que plusieurs
avaient écouté son
message.
Sa joie et son ardeur étaient
encourageantes à voir. Il rapportait tout
l'argent des livres vendus, ne gardant rien pour
ses propres dépenses. « J'avais
emporté, du pain avec moi, nous
expliqua-t-il, c'est tout ce dont j'avais besoin
puisque les gens m'offraient un abri pour la nuit.
»
Chargé d'une nouvelle
provision de livres qu'il paya
immédiatement, il repartit au plus vite,
désireux d'apporter la
bonne nouvelle du salut à ceux qui ne
l'avaient jamais entendue.
« Les temps de
stérilité sont passés pour le
Kansu, me disait l'un de mes amis avec actions de
grâces, mais combien se fait sentir le besoin
d'hommes et de femmes remplis de l'Esprit pour
travailler ici ! »
.
CHAPITRE V
Orient et
Occident.
Au seuil de la Maison missionnaire ou dans les
rues populeuses de la Cité, nos impressions
furent entièrement différentes de ce
que nous avions ressenti dans d'autres villes
chinoises.
La vue de ces foules toujours en
mouvement était pour nous un spectacle
fascinant, et bien des questions se
pressèrent sur nos lèvres à
leur sujet. C'était comme si nous nous
trouvions transportés tout à coup
dans un monde beaucoup plus vaste que celui que
nous venions de quitter.
Au Caire et à Damas, nous
avions aperçu des figures semblables
à celles-ci, mais comment expliquer leur
présence dans ce coin reculé de la
Chine?
Quelles relations existait-il entre
cette province isolée et les Indes, la Perse
et le Turkestan? La réponse est que nous
sommes sur la Route, l'ancienne Grande Route
partant de Langchow pour rencontrer, au coeur de
l'Asie centrale, des voies semblables, venant de
l'océan Indien. de la mer Caspienne et du
Levant.
Telle est la clef du mystère,
car Langehow, d'après le récent
ouvrage du vicomte d'Ollone : Recherches sur les
Musulmans chinois, se trouve être le point
terminus oriental de la Route qui, durant des
siècles, a relié les riches
marchés de l'Orient à ceux de
l'Occident. À Kashgar, ville située
à 2.000 kilomètres de distance, cette
route rejoint d'autres lignes convergentes, venant
du Nord, du Sud et de l'Ouest, par lesquelles le
flux et le reflux de la vie et du commerce se sont
déversés depuis les premières
périodes de l'histoire du monde
jusqu'à maintenant. Par cette porte
occidentale de la Chine, ces pays ont fait entrer
leurs richesses dans les provinces populeuses qui
avaient tant à leur donner en
retour.
C'est pourquoi nous commencions
à rencontrer sans trop d'étonnement,
dans les rues et sur les places de la ville, le
marchand hindou étalant ses soieries et ses
perles, le pèlerin mahométan revenant
de la Mecque, le Russe barbu du Turkestan et le
Chantéo, coiffé du classique turban,
arrivant des villes musulmanes de l'Asie
centrale.
Quelle sensation de distances
incommensurables nous apportaient ces hommes aux
traits fortement accentués avec leurs
lourdes bottes, leurs larges ceinturons, leurs
coiffures élevées et leurs longues
files de chameaux! Tout autres étaient ces
gens vêtus de rouge que
nous côtoyions ici pour la première
fois, c'étaient des lamas arrivant des
monastères thibétains ; puis des
montagnards descendant de leurs pays sombres et
mystérieux ; ces derniers, vêtus de
peaux de brebis, avec leur chevelure inculte et
l'expression de sauvagerie qui caractérise
ces peuplades reculées, formaient un
contraste frappant avec le luxe de la grande ville.
Ils exerçaient sur nous une fascination bien
plus grande que celle des foules mieux
habillées; nous les examinions curieusement,
et les suivions de loin, tandis qu'ils circulaient
sur les places publiques et s'exprimaient avec
animation dans leur étrange dialecte. Mais
ces gens n'étaient pas nombreux et tant
d'autres choses attiraient notre attention ! Nous
fumes très surpris de découvrir que
Langehow était également une place
militaire d'une grande importance.
Nous savions déjà
qu'étant le siège gouvernemental de
la province, elle était tout naturellement
le rendez-vous des classes dirigeantes, mais nous
n'étions pas préparés à
constater la place prépondérante qu'y
occupait l'armée.
Des officiers et des soldats en
brillants uniformes semblaient avoir pris
possession de la ville; le son de la trompette
retentissait à toute heure du jour, tandis
qu'autour de la résidence du Gouverneur des
troupes circulaient sans cesse. Il est vrai que cet
état de choses provenait,
en bonne partie de la crainte permanente que l'on
avait d'une attaque du parti Musulman.
J'ajoute ici que cette
appréhension fut écartée par
le terrible tremblement de terre qui survint cinq
jours après notre arrivée à
Langehow.
La grande enceinte s'étendant
devant le palais du Gouverneur était
constamment occupée par une foule qui
examinait les allées et venues des
officiers; ça et là, des chevaux
caparaçonnés tenus par des serviteurs
vigilants attendaient leurs maîtres, tandis
que par les portes largement ouvertes on apercevait
les cours où se débattaient les
affaires du pays. En dehors de cette enceinte se
tient le grand marché cosmopolite dans
lequel on peut tout acheter, depuis les cigarettes
les plus modernes jusqu'au beurre renommé du
Thibet. Plus loin commencent les beaux magasins de
la rue principale avec leurs riches étalages
de fourrures et leurs étoffes multicolores,
tissées de la fine laine des chameaux
teintes en couleurs merveilleuses.
Des magasins de chaussures et de
chapeaux offrent un singulier mélange de
marchandises anciennes et modernes, où les
antiques brodequins de satin noir sont
remplacées par des bottines de cuir jaune,
et les vieilles coiffures du pays par des chapeaux
de laine tricotée de toute forme et de toute
couleur.
Quel soulagement pour nous de
rencontrer ici ou là des
boutiques à la vieille mode et de lire sur
l'une d'elles l'enseigne familière : «
Walking the Clouds Hall ».
Quant aux tissus, nous n'avons
Jamais rien vu de semblable, car la rigueur du
climat de cette ville du Nord motive plus de
variété et de richesse dans les
équipages et les costumes que dans les
villes du Sud.
Les fourrures et le velours y sont
d'un usage fréquent, décorant les
selles des chevaux aussi bien que
l'intérieur des chaises à porteurs ou
des voitures privées. Quelques-unes de ces
dernières étaient garnies de coussins
aux couleurs chatoyantes bordés de renard
blanc sur un fond se velours rouge. Les costumes
sont en harmonie avec le reste. Et quelles superbes
fourrures! Tous les trésors de la Mongolie
et du Thibet, depuis les peaux tachetées et
zébrées du léopard, jusqu'aux
douillettes peaux d'agneaux noires ou blanches
garnies de satin broché !
Mais tout ceci n'est qu'une partie
des observations rapides faites en côtoyant
cette foule cosmopolite et remuante. La
pensée qui nous dominait était les
besoins immenses de cette grande ville que nous
aurions tant aimé gagner à Christ.
Quel centre merveilleux elle pourrait devenir en
tant qu'Église chrétienne parmi ces
régions enténébrées !
Des milliers de jeunes gens sont établis ici
pour leurs affaires, ou comme étudiants ou
employés du Gouvernement,
éloignés de leurs
familles et en butte à de
nombreuses tentations. Une Union Chrétienne
de jeunes gens dirigée par de vrais
chrétiens répondrait à un
besoin urgent, dont la pensée nous poursuit
constamment. Un homme bien doué pour cette
oeuvre serait assuré de l'appui de nos
chrétiens indigènes dont plusieurs
ont le coeur chargé en pensant à ces
jeunes gens obligés de dépendre
d'auberges où les joueurs, les fumeurs
d'opium et les actrices se rassemblent
journellement.
Les soldats de l'armée
permanente pourraient aussi être atteints par
l'influence d'une Union Chrétienne. Ces
besoins s'étaient imposés au coeur de
William Borden, l'étudiant de Yale qui donna
sa vie et sa fortune à Dieu pour l'oeuvre
missionnaire et qui avait reçu un appel
spécial pour le Nord-Ouest de la Chine. Sa
mort prématurée au Caire, où
il étudiait l'arabe dans le but d'atteindre
les Musulmans du Kansu, a privé cette
province de l'un de ses meilleurs amis et l'Union
projetée de l'un de ses plus fervents
adeptes. L'hôpital qui porte son nom conserve
sa mémoire sur les bords du fleuve Jaune,
mais qui nous rendra son coeur aimant, son esprit
de prière et toits ses dons pour gagner
à Christ les jeunes gens de cette ville! Que
le Maître qu'il a si fidèlement
aimé et servi veuille appeler et qualifier
d'autres serviteurs pour cette oeuvre.
Une de nos premières courses
fut d'aller visiter cet hôpital
William-Borden; ce fut une entreprise difficile,
car il est plus aisé de côtoyer la
rivière que de la traverser.
Installés dans la voiture de
Mme Mann, nous dûmes attendre longtemps aux
abords du pont où la circulation est aussi
intense que sur l'un des ponts de
Londres.
Une autre cause de retard
était que chaque véhicule doit
attendre son tour pour s'emparer d'un trolley qui
le conduit au delà du pont jusqu'à la
foule des mulets, chameaux et conducteurs qui
attendaient leur tour sur l'autre rive.
Les piétons se frayent avec
peine un chemin jusqu'aux trottoirs des deux
côtés du pont sur lesquels ils peuvent
le traverser en quelques minutes.
Aux yeux des Chinois, c'est un
exploit merveilleux que d'avoir remplacé
l'ancien pont de bateaux, utilisable seulement en
certaines saisons, par cette construction si solide
que les plus lourdes charges réussissent
à peine à l'ébranler, et si
élevée qu'elle dépasse de
beaucoup le niveau des plus hautes eaux.
En attendant notre tour de passer,
nous nous amusions à observer les gens trop
occupés pour faire attention à nous.
Notre attention fut attirée par la vue
d'immenses cols de fourrure, qui semblent
très en vogue parmi les
jeunes gens. Ces collets font tout le tour de la
tête, dépassant même le chapeau
et n'ayant qu'une seule ouverture, qui permet
à son propriétaire de regarder devant
lui. Plus nombreuses encore étaient les
capes de fourrure de tous genres avec des
espèces de pans destinés à
protéger les oreilles, le cou et le
front.
Pendant la chaleur du jour, ces pans
peuvent être relevés, et sitôt
que le soleil disparaît, ils sont
baissés et l'on n'aperçoit plus que
le nez et les yeux de la personne.
Durant ce temps d'attente, nous
examinions aussi la rive opposée du fleuve.
Le faubourg relié à la ville par le
pont est long et étroit, parce que les
montagnes qui s'élèvent depuis le
fleuve ne laissent que juste la place
nécessaire à l'établissement
d'une rue. L'importance capitale de ce faubourg est
qu'il est situé sur la fameuse route qui
traverse la rivière à cet endroit et
se prolonge jusqu'à l'Asie
centrale.
De notre voiture nous apercevions
plusieurs temples païens surplombant la
rivière, car ces sommités du Nord
sont des pèlerinages renommés. Ces
temples sont disséminés depuis le
fleuve jusqu'à la ligne d'horizon. Les plus
importants dominent la rue principale, tandis que
les autres occupent toutes les places disponibles
du faubourg faisant face au Midi.
La situation de l'hôpital est
superbe, bien exposée au soleil et jouissant
d'un air excellent, seule la distance qui le
sépare de la ville doit être un
obstacle pour beaucoup de malades.
Les salles s'élèvent
sur des gradins séparés les ans des
autres par des cours, les femmes sont d'un
côté et les hommes de
l'autre.
La maison du docteur est au-dessus
du bâtiment central et du dispensaire, elle,
est reliée à la salle
d'opérations et à la clinique
privée par un passage couvert. Quelle joie
ce fut pour nous de contempler la vue par ces
fenêtres ait Midi, Jouissant de ce radieux
soleil d'hiver et admirant ce fleuve majestueux qui
charriait d'énormes glaçons
descendant du Thibet; devant nous, au delà
du fleuve, s'étendait la ville avec ses
murailles à tourelles, ses portes massives
et ses somptueux édifices. Nous ne
pûmes voir que peu de chose du travail
régulier de l'hôpital, car le docteur
King était en vacances et le froid intense
de la saison avait en bonne partie vidé les
salles.
Le grand intérêt du
moment était concentré sur un groupe
de réfugiés russes qui venaient
d'arriver.
Le père était un
général russe de haute stature,
à l'apparence ferme et décidée
et dont les traits trahis aient quelque chose des
terribles lutte qu'il avait traversées
pendant ces deux dernières années.
S'enfuyant devant la Terreur
rouge, sans aucun moyen d'existence, il avait
emmené avec lui sa femme et, ses deux filles
de dix-huit et vingt ans et avait erré
à travers les montagnes et les steppes
jusqu'en Chine. La seule possibilité d'un
pareil voyage était un vrai miracle. Les
jeunes filles qui avaient enduré tant de
souffrances étaient charmantes dans leurs
simples vêtements de peaux d'agneaux et leur
mère, toute épuisée qu'elle le
fût, ne laissa paraître son
émotion que lorsqu'elle entendit nos chants
aux cultes du dimanche. Elle ne pouvait parler
anglais et, pria ses filles de nous expliquer
qu'elle ne pleurait pas de chagrin, mais de joie
d'avoir retrouvé des enfants de Dieu et
d'écouter nos chants. La partie la plus
difficile de leur voyage, à certains
égards, était encore devant eux
lorsqu'ils partirent pour la côte, pourvus
cette fois de tout ce qu'une chaude
hospitalité, avait pu leur procurer. Trois
jours plus tard ils atteignaient le district qui
fut le plus ravagé par le tremblement de
terre au moment où celui-ci avait lieu ; ils
le quittèrent bientôt après ne
laissant que ruines et désolations
derrière eux. Depuis lors nous avons appris
qu'ils ont atteint la colonie russe de Hankow
où ils s'occupent à secourir d'autres
réfugiés.
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