L'APPEL DU
GRAND NORD-OUEST CHINOIS
LE
KANSU ET LES
PROVINCES LOINTAINES
CHAPITRE III
Dimanches
en
cours de route (suite).
Avant de quitter Hingping, nous
visitâmes l'École des filles en faveur
de laquelle Miss Anderson a obtenu de si
remarquables exaucements de prières. Bien
que le besoin d'écoles chrétiennes se
fasse grandement sentir pour les enfants des
chrétiens, l'argent nécessaire aux
bâtisses et au mobilier n'a cependant pas
toujours été fourni par les fonds de
la Mission.
Des dons à cet effet nous
arrivent des Chinois eux-mêmes ainsi que par
des amis d'Angleterre qui comprennent la
nécessité de cette oeuvre. Il est
encourageant de constater comment le Seigneur a
toujours pourvu aux besoins de l'École,
quoique souvent d'une manière bien
inattendue.
Une fois entre autres Miss
Anderson
fit une expérience qui lui fut, utile pour
tout le reste de sa carrière. Elle avait
grand besoin d'argent pour ses orphelins ainsi que
pour l'École elle-même et,
après avoir beaucoup prié à ce
sujet, les fonds n'arrivant pas, il lui sembla
qu'il ne lui était plus possible d'attendre
davantage.
L'anxiété
remplaça la foi et elle écrivit en
Amérique à un frère sur lequel
elle pouvait toujours compter, lui demandant une
certaine somme d'argent. À peine la lettre
fut-elle partie qu'elle comprit son erreur.
Jusqu'à présent, elle avait fait
l'expérience bénie de se confier au
Seigneur et de ne laisser connaître ses
besoins qu'à Lui seul, mais maintenant elle
était entrée dans une voie qu'elle
sentait n'être plus à la gloire de
Dieu. Il n'y avait rien à faire,
semblait-il, car la lettre était partie et,
cependant, puisque la fidélité du
Seigneur était en jeu, ne trouverait-Il pas
un moyen de changer cette erreur même en
bénédiction?
C'était en
réalité une pensée hardie de
sa part que de prier pour que la lettre lui
fût renvoyée, et cependant c'est ce
qu'elle fit, presque en dépit
d'elle-même, et le Seigneur l'exauça
d'une manière merveilleuse.
Par le prochain courrier, elle
reçut un chèque qui
représentait exactement la valeur de la
somme demandée à son frère et,
trois mois plus tard, la lettre elle-même lui
revenait non ouverte. Notons en passant que ce fut
la seule fois qu'une missive à sa famille
lui fut retournée par la poste. Son
frère était en voyage à
l'arrivée de la lettre qui, n'étant
pas réclamée, fut
réexpédiée à son point
de départ. Véritablement, nous avons
à faire à un Père qui
désire à tout prix que nous
apprenions à nous confier en Lui. Beaucoup
de chrétiens aimaient
à donner dans
l'église de Hingping; nous fûmes
très touchés par la vue d'une vieille
lectrice de la Bible qui avait remis toutes ses
économies et son petit avoir à M.
Bergström pour l'oeuvre. Âgée de
plus de soixante-dix ans, elle était aimable
et serviable et, depuis dix-huit ans, son
ministère parmi les femmes avait
été grandement
apprécié. Le gain qu'elle recevait
à côté de sa nourriture et de
son logement n'était guère
élevé et cependant elle donnait
régulièrement aux collectes et
faisait du bien tout autour d'elle. Lorsqu'on lui
demandait comment cela était possible, elle
répondait joyeusement : « Voyez-vous,
je travaille pour Mme Bergström pendant le
jour et pour le Seigneur pendant la nuit », ce
qui voulait dire qu'elle prenait une partie des
heures de la nuit pour filer et lisser sur son
petit métier une étoffe ordinaire et
que l'argent ainsi gagné était
consacré au Seigneur.
Cependant une église, si
vivante et généreuse qu'elle le soit,
conserve toujours une propension à
dégénérer peu à peu si
l'on n'y veille pas. M. Bergström avait
expérimenté combien rapidement une
assemblée aussi bien qu'un individu peut
déchoir et retomber dans la tiédeur
ou le formalisme. À certaines époques
de l'année plus spécialement, il
éprouvait un besoin tout particulier de
veiller et de prier, car si cette tendance
n'était pas réprimée à
temps, peu de mois suffiraient
pour abaisser le niveau de
l'église et lui enlever sa puissance
spirituelle. Le temps de la moisson, toujours si
fatigant en Chine, est un moment
spécialement dangereux pour la vie du
chrétien. Les gens sont occupés
à leurs, travaux depuis le matin jusqu'au
soir, et alors il fait si chaud pour se rendre
à la réunion, que même s'ils y
viennent, ils s'y endorment bien vite. Le Nouvel An
même, avec ses tentations bien connues, est
une époque moins dangereuse pour le
chrétien chinois que ces mois
d'été.
Le milieu du printemps est aussi
une
période difficile à traverser, c'est
le moment où chacun est absorbé par
l'entretien des tombes et cette occupation semble
amener nue recrudescence du culte des démons
et de l'excitation générale. Pendant
ces temps spéciaux, M. Bergström
sentait que tant les aides indigènes que les
missionnaires devaient être
particulièrement vigilants à
l'égard du reste du troupeau.
Cette tendance à se
relâcher lui faisait encore plus
éprouver la nécessité d'une
effusion sans cesse renouvelée du
Saint-Esprit parmi eux.
Maintenir la vie de l'église
à son juste niveau par la grâce de
Dieu, la prière et le ministère de la
parole, voilà ce que ce vrai missionnaire
constatait devoir être la partie la plus
importante de son oeuvre.
Le verset : « Diversités
d'opérations, mais le même Esprit
» se présentait fréquemment
à notre pensée à mesure que
nous avancions dans notre voyage, de station en
station. Dans ce même district, par exemple,
confié à la Branche scandinave de
notre oeuvre, nous fîmes une
expérience très précieuse et
unique en son genre. Nous passions notre dimanche
dans la ville de Pinchow dont les missionnaires
étaient justement en congé, mais leur
fils aîné et sa femme s'étaient
chargés de les remplacer et nous
accueillirent avec une cordiale hospitalité.
Ils recevaient ce soir-là un groupe de
chrétiens de la campagne dut arrivaient de
loin pour une réunion supplémentaire.
C'étaient des gens du peuple, rudes et mal
vêtus, de petits, fermiers et des domestiques
habitant des espèces de cavernes dans la
montagne. Leur dialecte était difficile
à comprendre et leurs figures plutôt
apathiques n'attiraient pas la sympathie, mais
c'étaient de vrais enfants de Dieu comme
nous le comprîmes bientôt.
L'un d'eux, celui qui paraissait
peut-être le plus fruste, venait de se
relever d'une grave maladie et avait eu de la peine
a faire ce long trajet à pied.
Quoique visiblement fatigué,
mais rayonnant d'une joie
intérieure répandue sur toute sa
personne, il nous raconta d'une manière
simple et naturelle comment le Seigneur l'avait
enseigné et béni.
Il parlait si tranquillement que
ce
ne rut, que peu à peu que nous
réalisâmes quel émouvant
témoignage nous avions le privilège
d'entendre. De plus en plus, cet éclat
intérieur dont j'ai déjà
parlé se répandait au-dehors
jusqu'à ce que nous nous sentîmes
comme perdus dans une grande reconnaissance envers
Dieu pour cette merveilleuse manifestation de Sa
grâce. Ce rut une heure inoubliable dans
laquelle nous primes réaliser (comme c'est
fréquemment le cas en Chine) la vraie
signification des paroles du Maître : «
Les premiers seront les derniers et les derniers
seront les premiers ». Il nous raconta comment
le Seigneur avait éclairé pour lui la
question du péché et de la victoire
intérieure; il avait traversé trois
graves maladies dont chacune avait marqué un
temps de bénédiction tout
spécial pour lui.
Pendant la première, il avait
commencé à réaliser combien
subtil et terrible était le
péché dans son propre coeur. À
ce moment de son récit, nous étions
pour ainsi dire suspendus à ses
lèvres. Une conviction de
péché toujours plus grande
s'était emparée de lui, quoiqu'il
fût déjà converti,
c'était un sentiment si intense de sa
culpabilité envers Dieu qu'il lui semblait
que le Sacrifice de Christ
n'aurait pas été de trop pour en
faire l'expiation, même s'il avait
été le seul à en
bénéficier. Il nous parla de la
résolution prise alors de mener une vie
toute différente à l'avenir, ainsi
que de l'amour de Christ qui envahit son coeur
lorsqu'il comprit de quel abîme il avait
été retiré.
Une fois guéri de cette
première maladie, il avait vécu une
vie plus conséquente qu'auparavant; il
était plus sensible que jamais au
péché et décidé
à, le vaincre; les choses allaient donc
mieux qu'auparavant, il était plus vigilant
et plus conscient du moindre écart. Mais
hélas! il ne pouvait arriver à
maîtriser son tempérament
emporté et impatient. Il n'avait pas la
force de vaincre certaines choses qu'il savait
être mauvaises et la surprise de cette
découverte ne l'ut pas moins grande que la
peine qu'il en ressentit. Pourquoi ne pouvait-il
pas vivre la vie qu'Il désirait vivre, celle
qu'il savait qu'un chrétien doit
réaliser? À ce moment de notre
entretien, le crépuscule tombait et nous ne
pouvions plus distinguer les visages des laborieux
paysans qui nous entouraient; nous oubliions que
nous étions venus là pour les
enseigner et nous ne pouvions qu'écouter
cette voix convaincue qui nous disait en des
accents impossibles à rendre ce que Dieu
avait fait pour son âme.
Il traversa ensuite de nouvelles
semaines de souffrances physiques
où il lui semblait qu'il ne se
guérirait plus. Pendant cette période
de grande faiblesse, il lui devint évident
que c'était seulement par là, vie
d'un Autre, par la puissance d'un Autre qu'il
deviendrait victorieux du péché. En
écoutant, nous aurions aimé
écrire oc qu'il disait, phrase après
phrase, car cela aurait été digne
d'être lu à nos grandes conventions de
Keswick.
Nous avons regretté de ne pas
comprendre toutes les nuances du dialecte dans
lequel il nous racontait ces merveilleuses
expériences, et comment il était
entré par la foi dans cette vie de paix et,
de puissance, la vie transformée dans
laquelle: «Ce n'est plus moi qui vis, c'est
Christ qui vit en moi ».
Vint ensuite le récit de sa
troisième maladie dont il se remettait
à peine. Les docteurs l'avaient
condamné, ainsi que tout son entourage; sa
femme pleurait près de son lit, tandis qu'il
essayait de lui faire ses dernières
recommandations à l'égard de leurs
enfants. « Mais ne m'as-tu pas souvent dit,
sanglota-t-elle, que ton Jésus
guérissait les malades et ressuscitait
même les morts? » - « Oui,
certainement » - « Eh! bien ! s'Il te
guérit, je croirai en Lui et je deviendrai
chrétienne comme toi. »
Le pauvre homme était trop
faible pour prier à haute voix. mais elle
s'agenouilla près de lui et
commença à crier au
Seigneur, comme un enfant. Elle Lui dit son
angoisse et Le pria de Lui pardonner de ne pas
s'être décidée depuis longtemps
à se donner à Lui. À partir de
ce moment, le malade se rétablit de sorte,
que la grande bénédiction de cette
dernière épreuve fut la conversion de
sa femme.
Avant que la semaine se fût
écoulée, nous avions
dépassé la frontière du Kansu
et nous nous avancions vers la ville de Kingchow,
par un épais brouillard de décembre
qui nous cachait le paysage tout autour de nous.
Notre chemin traversait un plateau
élevé, surplombant des
précipices qui descendaient de chaque
côté à des centaines et des
milliers de pieds.
De grands arbres bordaient la
route,
kilomètre après kilomètre,
restes séculaires de l'interminable avenue
plantée par le vice-roi Fso tout le long du
chemin jusqu'à Ti-hwa-fu.
Nous suivions en effet la grande
voie de communication usitée depuis des
siècles entre les riches plaines de la Chine
et les marchés de l'Inde, de la Perse et du
Monde Occidental. Depuis plusieurs Jours
déjà, nous avions
dépassé des caravanes de gens et de
chameaux, de, charrettes chargées de sacs de
grains ou de ballots de plantes
médicinales, des mulets portant du charbon
ou du bois, des brouettes encombrées de
marchandises hétéroclites, des
troupeaux de pores, de moutons et de chèvres
conduits par de robustes muletiers, bergers ou
autres montagnards. Les chars qui nous
accompagnaient étaient d'apparence plus
moderne, et transportaient des cigarettes pour le
compte d'une Compagnie américaine ; notre
propre cocher, Jehu, présentait un aspect
des plus bizarres, avec sa chevelure inculte, ses
larges pantalons en forme de sacs, ses
guêtres jaunes, son habit
rapiécé et d'une couleur
indéfinissable. La nuit était
arrivée et Jehu avait fait entendre son cri
perçant d'avertissement avant de
pénétrer dans l'étroit
défilé par lequel nous allions
redescendre des hauteurs.
À mi-chemin de la descente,
nous arrivâmes à un groupe de maisons
et de boutiques illuminées où nous
dûmes attendre le passage d'un convoi
lourdement chargé remontant de la
plaine.
En dessous de nous, nous
entendions
les vociférations des conducteurs et les
claquements stridents de leurs longs fouets et nous
souffrions des souffrances de leurs pauvres
bêtes et de celles de toute la
création qui attend « avec un ardent
désir la révélation des fils
de Dieu ». À ce moment, des porteurs de
lanternes apparurent, escaladant la colline en
demandant où étaient
les voyageurs étrangers.
De cordiales salutations furent
échangées entre nous et dès
que la voie fut libre, nous nous remîmes en
route. Nous descendions encore au milieu
d'épaisses ténèbres, lorsque
tout à coup un des faubourgs de la ville se
présenta devant nous avec ses auberges
bruyantes et ses groupes animés d'acheteurs
et de vendeurs.
Nous nous acheminâmes à
travers une foule compacte jusqu'à la rue
tranquille où se trouve la Maison
missionnaire. La haute taille de M. Gjelseth
apparut sur le seuil et une solide poignée
de mains nous fut offerte à la
manière scandinave. Il nous semblait nous
trouver en Norvège ou en Suisse en voyant
ces hautes montagnes qui se profilaient sur le ciel
et la silhouette de l'église élevant
tout près de nous son clocher
élancé. Cette église,
bâtie par nos frères
norvégiens, avait été le point
do, départ d'une ère de
prospérité pour la ville et ses
habitants, car tandis qu'auparavant le commerce
était en majeure partie entre les mains des
gens du dehors, actuellement ce sont les habitants
de Kingchow qui s'en occupent surtout.
Ces dernières années,
les récoltes ont été bonnes,
la ville a été épargnée
par les brigands et seize de leurs concitoyens
occupent un rang honorable comme hauts
fonctionnaires dans d'autres villes. C'est ainsi
que la présence de cette église,
située en dehors des murs,
est devenue une source de prospérité
pour toute la contrée, aussi les vibrations
de sa cloche sonore sont-elles entendues avec
plaisir au pré, comme au loin. Parmi les
membres de la communauté chrétienne
s'élevaient aussi des actions de
grâces à notre sujet, car notre
arrivée, à ce moment précis,
était une vraie réponse à
leurs prières. En effet, une convention
chrétienne avait été
préparée par eux depuis plusieurs
mois et devait avoir lieu cette même semaine
et ce ne rut, qu'après en avoir fixé
la date que M. et Mme Gjelseth entendirent parler
de notre visite projetée. Or, ils ne
savaient ni le moment de notre passage, ni
l'itinéraire de notre voyage, mais de suite
les chrétiens s'étaient mis à
prier afin que notre séjour
coïncidât avec l'ouverture des
réunions.
De notre côté, nous ne
savions rien de ces prières.
Lorsque nous arrivâmes ce
certain mercredi soir, la Maison missionnaire
était déjà peuplée de
chrétiens joyeux, car la conférence
s'ouvrait le vendredi.
Nous ne pouvons pas nous
arrêter longuement sur les expériences
bénies de ces journées, pendant
lesquelles des croyants furent raffermis, des
âmes sauvées et où nous
recueillîmes de précieux enseignements
sur la puissance de Dieu à l'oeuvre dans des
vies placées à l'extrême
opposé des nôtres dans
l'échelle sociale.
Nous avions rarement
rencontré une personnalité
aussi attrayante que celle
d'une
vieille dame de soixante-dix ans, qui servait le
Seigneur comme concierge de la Maison missionnaire.
Elle était veuve d'un haut dignitaire, qui
avait été fier de sa beauté
remarquable, Ce fit après la mort de son
mari qu'elle devint, chrétienne. Voyant
alors une petite chambre disponible près de
la salle de réception des femmes, elle
demanda la permission de s'y établir et de
consacrer le reste de sa vie au service du
Seigneur. Elle avait soif de gagner des âmes
à Christ et quoiqu'elle ne pût faire
aucune course d'évangélisation
à cause de ses pieds déformés,
cependant elle se rendait utile en surveillant la
maisonnée pendant les absences de Mme
Gjelseth et, en recevant les visiteurs à sa
place. C'était délicieux de
l'observer tandis qu'elle accueillait avec, une
égale courtoisie des visiteurs
fortunés, des professeurs de l'École
du gouvernement ou de pauvres malades venant
chercher des médecines. Les gens de la
campagne l'appréciaient également,
ils aimaient à s'asseoir auprès
d'elle sur le « Kang »
(1)
et les
fillettes de notre école la
considéraient comme une
mère.
Elle partageait la même
nourriture qu'elles, quoique la famille, de son
frère lui envoyât souvent des mets
plus recherchés. Ses pieds
qu'elle avait débandés en devenant
chrétienne parlaient encore d'une
période de souffrances que le temps n'avait
pu effacer. Son père était un
mandarin distingué; il aimait si tendrement
sa petite fille qu'il ne pouvait supporter
l'idée de la faire souffrir en serrant ses
pieds dans des liens suivant la coutume du
pays.
Il la laissa donc s'ébattre
librement jusqu'à l'âge de dix
à onze ans, mais à ce moment elle
avait pris des allures si indépendantes,
courant et grimpant aux arbres comme ses
frères, que ses parents en furent
sérieusement alarmés et
commencèrent à lui bander les pieds,
mais hélas! ce fut bien pire que s'ils
avaient commencé plus vite. Les souffrances
de la pauvre enfant, étaient si vives que
pendant plus d'une année, elle put à
peine dormir la nuit; son père se relevait
alors et la portait dans ses bras pendant des
heures pour calmer les douleurs que
l'immobilité rendait intolérables.
Mais hélas! tout son amour et tous ses soins
ne pouvaient abolir cette coutume barbare. La
récompense vint plus tard lorsque sa fille
fut une vraie beauté et que ses pieds, aussi
bien que toute son attitude, portèrent le
cachet d'une vraie distinction. Le seul regret de
la chère vieille dame était que ses
pauvres pieds difformes l'empêchassent de
vaquer au service du Seigneur comme elle l'aurait
désiré.
Très différente
était la condition de la lectrice de la
Bible, un des joyaux de l'église de
Kingchow. Adoptée dès soin enfance
par Mme Gjelseth, elle fut ainsi
préservée d'une vie de misère
et de honte, car ses parents étant tous deux
fumeurs d'opium, elle aurait pu être vendue
au plus offrant. Mais le père entendit
parler des missionnaires et par eux il apprit
à connaître Celui qui est
Tout-Puissant pour sauver les victimes du
péché. Il fut délivré
de sa passion pour l'opium et devint un
chrétien sincère. Trois mois
après, se sentant très malade et
désirant assurer l'avenir de son enfant, il
fit prier Mme Gjelseth de venir le voir. Elle le
trouva abandonné, dans une misérable
demeure, et lui promit d'élever l'enfant qui
avait déjà été remise
à ses soins; mais le père avait
encore un autre fardeau sur le coeur. « Je
crois en Jésus, dit-il avec
difficulté, et si j'étais dans votre
maison Jésus viendrait certainement me
chercher; mais je ne crois pas qu'Il puisse venir
ici, dans cette sale et misérable demeure;
vous m'avez souvent dit, ajouta-t-il pensivement,
que Jésus me prendra au ciel, mais
pensez-vous vraiment qu'Il viendra me chercher dans
un pareil endroit? » Mme Gjelseth le rassura
en lui rappelant que Jésus s'était
fait pauvre pour nous, qu'Il était né
dans une étable et qu'Il viendrait
sûrement le chercher. « Oh! combien j'en
suis heureux, reprit le pauvre homme, à
mesure que cette pensée
pénétrait en lui, je puis donc
maintenant mourir en paix. »
Après avoir prié avec
lui, Mme Gjelseth partit, en lui promettant de lui
amener sa fillette le lendemain, mais, lorsqu'elles
revinrent, elles le retrouvèrent dans la
même attitude que la veille; sur sa paisible
figure errait encore un sourire qui semblait dire :
« Jésus est venu me chercher,
même dans cet endroit misérable
».
Son enfant est maintenant une
chrétienne de valeur, dont le coeur est
rempli d'amour pour son Sauveur et pour les
âmes, de telle sorte que nous
éprouvâmes une vraie
bénédiction à passer une heure
de prières avec elle.
Notre dernier dimanche en cours
de
route nous trouva retenus par le mauvais temps dans
une petite auberge de campagne. La neige et le
grésil nous avaient empêchés
d'atteindre le but de notre voyage et l'endroit
où nous arrivions pour y passer le dimanche
était des plus pauvres. Mais il se trouvait
là des âmes affamées et
altérées de vérité avec
lesquelles nous passâmes la journée
à écouter leurs récits et
à leur parler de Jésus. Nos paroles
tombèrent dans un terrain bien
préparé et plusieurs hommes et jeunes
gens restèrent longtemps avec nous, ne
pouvant se lasser d'entendre répéter
encore et toujours la bonne nouvelle du salut.
Plusieurs d'entre eux périrent
probablement quelques jours
plus
tard dans le tremblement de terre qui se fit
particulièrement sentir dans cette
région. Nous entendîmes cependant
parler d'un homme qui s'était
consacré au Seigneur pendant ce dernier
dimanche et dont la conversion remplit nos coeurs
de joie.
Que nous importaient en effet
les
désagréments de cette triste auberge,
la crainte des voleurs, crainte qui avait
engagé l'hôtelier à pousser des
cris toute la nuit à intervalles
réguliers, pour prouver aux voleurs que nous
ne dormions pas; qu'importait la chambre, si froide
et humide que, malgré nos couvertures, nous
tremblions de froid sur notre couche, et
l'atmosphère si enfumée que nos yeux
ne pouvaient s'arrêter de pleurer?
Qu'importait tout cela? pourvu que cette
précieuse âme fût sauvée
pour l'éternité!
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