À l'Image de Christ
IX
Christ et la souffrance.
Matthieu
II,
13-18; IV, 1;
VIII, 16, 17,
20;
IX, 3;
XI, 19;
XII, 24;
XIII, 54-58;
XVI, 21;
XVII, 22, 23;
XX, 17-19;
XXVI;
XXVII.
Marc
III, 21-22;
VIII, 17-21;
IX, 19;
XIV, 50.
Luc
IV, 28-29;
VI, 7;
XI, 53-54;
XVI, 14.
Jean
VI, 66;
VII,
7,12,19-20,32,52;
IX,
16,22,29;
X, 20;
XII, 10, 11,
27;
XV, 18;
XVII, 14;
XVIII, 22.
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I
Si un hémisphère de ce monde est
éclair& par le soleil du travail,
l'autre demeure plongé dans l'ombre de la
souffrance.
Non que ces états alternent
dans une vie avec la régularité de la
nuit et du jour; rien n'est plus mystérieux,
au contraire, que l'injustice apparente qui
préside à leur distribution dans les
différentes destinées! Quelques
privilégiés jouissent jusqu'à,
la fin de leurs jours d'une heureuse
activité et ignorent presque totalement la
maladie, les deuils ou l'insuccès. D'autres
semblent marqués au sceau de la
souffrance. Toute leur vie ils
connaissent la douleur; la mort frappe
journellement à leur porte et réclame
leurs bien-aimés; leur santé est
précaire et, si haut que s'envolent leurs
rêves de travail soutenu, ils savent
aussitôt que l'excitation est tombée,
que leur faiblesse physique les rendra incapables
de les réaliser.
Enfants gâtés de la
fortune, qui connaissez à peine les jours
sombres de la maladie, à qui le
succès a toujours souri et dont le travail
est rémunérateur, approchez-vous du
chevet d'un frère atteint d'un mal
incurable! Peut-être trouverez-vous là
un esprit supérieur au vôtre, un coeur
ouvert à l'amour comme le vôtre, mais
une chaîne invisible étreint ses
membres et, bien que ce martyre puisse durer des
années, jamais ce corps ne se redressera de
sa propre force. Qu'inspire à votre
philosophie un pareil spectacle ? Ce n'est
cependant qu'un exemple de ce qui se
présente sous vingt formes
différentes. Les fils de la douleur sont
nombreux et aucun homme ne peut prévoir en
combien de temps sa vie de joyeux travail peut
être transformée en une vie de
souffrance. À chaque
instant, un coup de tonnerre
retentit dans le ciel bleu et bouleverse une
existence; un nuage grand comme la main
s'étend et obscurcit le ciel d'un horizon
à l'autre. Et sans aller si loin, les
années apportent à chaque mortel sa
part plus ou moins grande de souffrance.
There is no flock, however watched
and tended,
But one dead lamb is
there,
There is no fireside, howsoe'er
defended,
But has one vacant chair.
(Il n'est aucun troupeau tendrement
surveillé et gardé, qui ne compte un
agneau mort; aucun foyer si bien défendu qui
n'ait sa chaise vide!)
La souffrance est donc un
élément qui ne peut être
ignoré dans la vie; s'il nous faut un
maître pour nous enseigner le travail,
à plus forte raison nous faut-il un
modèle pour nous apprendre à
souffrir. Ici encore, nous trouvons le Fils de
l'Homme. Il est le chef de l'armée du
travail, appelant à l'initiative et à
la lutte la jeunesse et la force, mais il est aussi
l'ami de ceux qui souffrent, des faibles, des
découragés et des
agonisants. Quand il s'écria sur la croix:
« Tout est accompli! » il faisait
allusion, non seulement à son oeuvre
achevée, mais aussi à la coupe de
souffrance, vidée jusqu'à la lie.
II
Jésus souffrit des privations communes
à une grande partie de l'humanité. Il
naquit dans une étable, eut pour berceau une
crèche, entrant ainsi dès le
début de sa carrière dans
l'hémisphère de la souffrance. Nous
avons peu de détails sur la condition
sociale dans laquelle il fut élevé;
nous ne pouvons dire si dans la maison de Marie, il
connut la misère ou la douleur. Mais nous
savons par lui-même que plus tard, si «
les renards ont des tanières et les oiseaux
de l'air des nids, le Fils de l'Homme n'eut pas
où reposer sa tête ».
Dans la règle, la vie
humaine, à l'heure où l'enveloppe
mortelle est près de se dissoudre, se
termine dans la souffrance; chez le Christ, elle
fut intense. Rappelons-nous la sueur de sang de
Gethsémané ; la scène de la
fustigation; la couronne
d'épines, les tortures de la crucifixion!
Peu d'hommes souffrirent autant que lui, car
l'exquise délicatesse de son organisme
devait le rendre plus particulièrement
sensible à la douleur physique.
Il souffrit par anticipation. Dans
les catastrophes inattendues, la secousse agit
comme un calmant; mais la révélation
d'un mal incurable qui, en quelques mois ou
quelques années, vous terrassera, à
la suite d'une intolérable agonie, remplit
l'âme d'une horreur pire que la
réalité. Jésus prévit
ses souffrances et les annonça à ses
disciples; mois après mois, ces
communications devinrent plus fréquentes et
détaillées, comme si elles
s'emparaient plus fortement de son imagination.
Cette appréhension eut son point culminant
à Géthsémané, où
elle produisit dans son esprit un abattement et une
terreur qui firent monter une sueur de sang
à son visage.
Il souffrit d'être pour les
autres une cause de souffrance, sentiment qui est
une douleur cruelle aux coeurs aimants. À
mesure que sa vie approchait de son terme, la
conviction que leurs rapports avec lui seraient
funestes à ses amis,
s'imposa de plus en plus à son esprit. Lors
de son arrestation, il chercha à
préserver les douze, disant: « Laissez
aller ceux-ci ». Mais il prévit trop
clairement que le monde qui le haïssait les
haïrait aussi et que le temps viendrait
où ceux qui les tueraient, croiraient faire
l'oeuvre de Dieu. Il vit la douleur transpercer le
coeur de sa mère, au moment où il
mourait d'une mort plus ignominieuse alors que la
potence ou la guillotine à notre
époque!
L'humiliation entra pour une large
part dans ses souffrances. Rien n'est plus
intolérable à un tempérament
sensible; cette épreuve est plus dure
à supporter même que la douleur
physique. Elle poursuivit Jésus sous toutes
les formes durant sa vie : la bassesse de sa
naissance fut un sujet de raillerie; les
prêtres et les rabbins
méprisèrent le fils du charpentier
qui n'avait jamais étudié et les
riches Pharisiens le couvrirent de dédain.
Maintes fois, il fut traité de fou; c'est
ainsi que Pilate le jugea et, quand il parut devant
Hérode, le gai monarque et ses soldats le
tournèrent en ridicule. Les soldats romains
adoptèrent pendant son procès
et son exécution une
attitude de sauvage moquerie, le traitant comme des
gamins traitent un faible d'esprit. Ils lui
crachèrent à la face, lui
bandèrent les yeux et, lui donnant des
coups, lui demandaient: « Devine qui t'a
frappé. » Ils en firent un roi de
comédie, le revêtirent d'un manteau de
pourpre, avec un roseau pour sceptre et des
épines pour couronne. La voix de ses
compatriotes lui préféra Barabbas et
il fut crucifié entre des voleurs. Une
clameur moqueuse salua son agonie; les passants
l'insultèrent et un des voleurs
crucifiés avec lui joignit son mépris
à celui de la foule. Ainsi, celui qui
sentait en lui une force divine, dut se soumettre
au traitement des insensés et la Sagesse
éternelle fut jugée inférieure
à l'homme.
Plus douloureuse encore pour lui, le
saint de Dieu, fut la honte d'être
considéré et traité comme le
dernier des pécheurs. Rien n'est plus odieux
à celui qui aime le bien que d'être
soupçonné d'hypocrisie et
accusé de crimes incompatibles avec sa
profession publique. On crut qu'il était en
relation avec les puissances du mal et qu'il
chassait les démons au
nom de Beelzébub, prince des démons;
il fuit appelé blasphémateur; ses
meilleures actions furent mal
interprétées et, lorsqu'il chercha ce
qui était perdu là seulement
où il pouvait le trouver, on le traita de
mangeur et de buveur, ami des publicains et des
gens de mauvaise vie. La majorité du peuple
crut qu'il était un prétendant sans
scrupules au titre de Messie et les
autorités civiles et ecclésiastiques
en décidèrent ainsi dans un jugement
solennel. Ses propres disciples
l'abandonnèrent, l'un d'eux jura qu'il ne le
connaissait pas et il n'y eut peut-être pas,
le jour de sa mort, une seule âme qui
crût en lui.
Il eut à souffrir de luttes
morales. Satan, le tenta dans le désert et,
sans doute, renouvela souvent ses attaques. Ses
adversaires employèrent toutes leurs ruses
pour le mettre hors de lui et lui faire prononcer
une parole malheureuse. - « Alors les
Pharisiens allèrent se consulter sur les
moyens de surprendre Jésus par ses propres
paroles. »
Des amis même, auxquels le
plan de sa vie restait incompris,
cherchèrent à le détourner
de l'obéissance à
la volonté de Dieu et la tentation fut si
forte un jour qu'il repoussa l'un d'eux en
s'écriant: « Arrière de moi,
Satan! » Une parole si peu conforme à
son caractère prouve à quel
degré il se sentit touché, et
l'horreur qu'éveillait en lui le danger de
transgresser de l'épaisseur d'un cheveu les
ordres de son Père.
Sa plus profonde souffrance provint
enfin du contact journalier et intime avec le
péché, dont la hideuse
présence s'imposait à lui de tous
côtés. Sa pureté faisait
remonter à la surface le mal endormi dans
les bas-fonds de l'âme humaine. La violence
des Pharisiens et des Sadducéens, la
lâcheté d'un Pilate et la
méchanceté d'un Judas furent
intensifiées par la sainteté de sa
personne. Sur quel océan de passions
mauvaises tombèrent ses regards quand il fut
suspendu à la croix! Le péché
de la race entière se ruait sur lui et il le
fit sien. Lui qui était entré
volontairement dans la famille humaine,
s'identifiant avec elle, en devint le centre
douloureux. Il recueillit dans son coeur la honte
de tout le péché qu'il contempla; il
en fut brisé et mourut
sous ce poids trop lourd. Ainsi cherchons-nous
à réaliser dans nos pensées
l'agonie de Géthsémané et ce
cri d'angoisse de Golgotha : « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »
Mais le mystère demeure. Qui peut contempler
cette figure prosternée sous les oliviers ou
entendre le son de cette voix qui retentit sur la
croix, sans comprendre qu'il est une douleur que
nous ne pouvons sonder. Si près que nous
l'approchions une voix intérieure nous dit:
« Tu n'iras pas plus loin. » Nous savons
seulement que le péché
l'écrasa: « Il fut fait
péché pour nous, lui qui fut sans
péché, afin que nous soyons
justifiés en lui. »
III
Les résultats de la souffrance de Christ
sont le principal thème de
l'Évangile. Nous n'en dirons ici que
quelques mots:
1° L'épître aux
Hébreux dit que l'auteur de notre salut fut
« rendu parfait par la souffrance » et
« qu'il apprit l'obéissance par les
choses qu'il souffrit ».
Ces paroles sont étranges. Était-il
donc imparfait qu'il dût être rendu
parfait ou désobéissant qu'il
dût apprendre l'obéissance ? Il est
peu probable qu'elles impliquent la plus
légère ombre sur son
caractère. Mais, simplement parce qu'il fut
un homme avec une généalogie humaine
et un développement humain, il eut à
gravir une échelle d'obéissance et de
perfection (si nous pouvons nous exprimer ainsi)
et, quoique chaque degré fût atteint
à l'heure précise et qu'il
sortît parfait de cette épreuve,
chaque pas en avant requit un nouvel effort et
l'introduisit dans une sphère
supérieure. Nous voyons clairement à
Géthsémané le progrès
de cette lutte ; dans l'excès de son agonie,
il s'écrie tout d'abord: « Père,
s'il est possible, que cette coupe s'éloigne
de moi! » - mais à la fin, il devient
capable de dire dans l'apaisement: « 0
Père, que ta volonté soit faite et
non la mienne. »
C'est là que le conduisit la
souffrance, à une compréhension
complète du but qu'il devait poursuivre et
une harmonie absolue avec la volonté de
Dieu. C'est là que nous devons
atteindre aussi par son moyen.
Pour un grand nombre d'entre nous, cette
volonté divine serait restée lettre
morte si nous n'eussions senti un jour une violente
contradiction intérieure. Nous nous sommes
étonnés et révoltés;
mais quand nous avons appris de Jésus
à dire: « Que ta volonté soit
faite ! » nous reconnaissons que là est
le secret de la vie et la paix qui passe tout
entendement remplit nos âmes. Si cette
expérience n'a pas été
personnelle, nous l'avons au moins observée
chez d'autres. Le plus inappréciable de nos
souvenirs est celui d'un infirme, aux traits
ennoblis par le renoncement à
soi-même. Peut-être la lutte a-t-elle
un jour existé? Mais elle est
terminée et l'acceptation est non seulement
passive, mais joyeuse. Tandis que nous contemplons
le pur et patient visage qui repose sur l'oreiller,
nous sentons qu'une victoire a été
obtenue et nous reconnaissons que notre propre vie,
dans son déploiement d'activité
extérieure, est de moindre valeur aux yeux
de Dieu et des hommes que celle qui est là,
immobilisée et inutile en
apparence.
2° L'apôtre Paul, dans un
des passages les plus
confidentiels de ses écrits, parle d'une
leçon que lui a enseigné la
souffrance: « Béni soit Dieu, dit-il,
le Père de toute miséricorde, qui
nous réconforte dans nos tribulations, afin
que nous soyons rendus capables d'encourager ceux
qui sont dans l'affliction par la paix que nous
avons obtenue de Dieu. »
(2 Cor. I, 3-4).
Il se dit heureux d'avoir souffert,
parce qu'il a appris à encourager les
affligés. Combien cette parole est digne de
son grand coeur! Et combien profondément
vraie! La souffrance donne la puissance de consoler
et il n'est à la vérité aucun
autre moyen d'acquérir ce don. Pour celui
qui est dans l'épreuve, il y a un monde
entre les paroles de l'homme de coeur qui n'a
jamais traversé le feu et la cordiale et
chaude étreinte de celui qui a connu
personnellement la douleur. C'est pourquoi ceux qui
sont dans le deuil ou la souffrance peuvent
s'inspirer de cette pensée: «
Peut-être est-ce là l'école
où j'apprendrai l'art divin de consoler!
»
Jésus passa par là:
chaque génération à venir qui
connaîtra l'épreuve ou la tentation
peut s'approcher de lui avec la confiance due
à celui qui explora
personnellement toutes les sombres retraites de
cette expérience : « Nous n'avons pas
un sacrificateur qui ne puisse sentir nos
infirmités, car il fut en tous points
tenté comme nous le sommes, étant
cependant sans péché.
»
3° Les résultats des
souffrances de Christ pénètrent plus
profondément encore son oeuvre de Sauveur.
Il les prévit et en parla souvent: « Si
le grain de blé ne tombe en terre et ne
meurt, il demeure seul, mais s'il meurt, il porte
beaucoup de fruit. » - « Quand je serai
élevé de la terre, j'attirerai tous
les hommes à moi. » - « Comme
Moïse éleva le serpent dans le
désert, le Fils de l'Homme doit être
élevé, afin que quiconque croit en
lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie
éternelle. »
Quand il mourut, sa cause parut
perdue, puisque aucun adhérent ne lui
restait. Mais après cette éclipse
momentanée, lorsqu'il sortit du tombeau, ses
disciples découvrirent qu'ils
possédaient en lui un trésor bien
supérieur à ce qu'ils avaient cru, et
c'est sous la forme de l'homme de souffrance qu'il
resplendit dès lors d'une nouvelle gloire.
Il nous donne dans cette acceptation
de la douleur humaine la preuve de son amour
infini, de son oubli absolu de lui-même et de
son inébranlable attachement au principe de
la vérité. C'est ainsi que ses
souffrances agissent puissamment sur les coeurs et,
par elles, nous obtenons le pardon de Dieu offert
gratuitement à tous ceux qui veulent le
recevoir: « Il a été fait
propitiation pour nos péchés, non
seulement pour les nôtres, mais pour ceux du
monde entier. »
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