À l'Image de Christ
VIII
Christ et le travail.
Matthieu
V, 24;
VIII, 16-17;
IX, 35;
XI, 1,
4, 5,
XII, 15;
XIII, 2;
XIV, 13-14,
35-36 ;
XV, 30;
XIX, 1-2.
Marc
II, 2;
III, 20;
VI, 31,
54-56;
XIII, 34;
XIV, 8.
Luc
VI, 19;
X, 2;
XII, 1;
XIII,
32, 33.
Jean
II, 4;
IV, 32-34;
VII, 6, 8;
IX, 4;
XII, 23;
XVII, 4;
XIX, 30.
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Il y a deux conceptions très
différentes du travail. L'une, plus
généralement attribuée aux
orientaux, se contente d'un minimum indispensable.
L'idéal occidental au contraire, n'est
jamais satisfait s'il n'a exigé un maximum
d'efforts.
Le fils de l'Orient, qui vit dans un
climat chaud où le mouvement et l'exercice
fatiguent vite, considère l'oisiveté
comme la jouissance suprême et, s'il le peut,
passe sa vie dans un rêve indolent. Son
vêtement même, - la tunique flottante,
la chaussure lâche, - est un signe de ses
goûts.
Le fils de l'Occident, lui, est un
être agissant; il aime l'excitation de la
lutte et l'enivrement du
succès. Son vêtement est le moins
élégant du monde, mais possède
une vertu qui est à ses yeux une
compensation suffisante à la laideur, il
convient au mouvement et au travail. Dans ses
délassements même, il met de l'ardeur.
Tandis que l'Oriental s'étend sur un divan
après le travail, l'Anglais consacre ses
loisirs au foot-ball ou à la
chasse.
Cependant, il y a chez nous de
grandes différences individuelles; les
hommes de tempérament léthargique
sont lents au travail, enclins à la paresse,
tandis que certains tempéraments poussent
l'enthousiasme pour le mouvement à un
degré excessif. Dans certaines classes, le
but de l'ambition est de vivre oisif à son
gré; c'est ce qu'on appelle être un
gentleman. Mais on observe que les plaisirs de
cette position une fois atteints, satisfont
rarement les aspirations de son possesseur,
à moins que, délivré du souci
de gagner son pain, il ne se voue à rendre
à la société ou à
l'Église les services possibles seulement
aux hommes de loisir et dont dépend en
grande partie le bien-être de notre
société moderne.
Telles sont les différences
qui règnent parmi les hommes, si leur vie
n'est réglée que d'après leurs
goûts ou leur tempérament; mais ici
comme ailleurs, le Sauveur a placé devant
nous, par ses paroles et son exemple, la
volonté de Dieu.
I
Le fait que Jésus naquit dans la demeure
d'un artisan et passa la plus grande partie de sa
vie devant l'établi d'un charpentier de
village est très significatif. Les Juifs
s'attendaient à ce que le Messie fût
un prince, mais Dieu décréta qu'il
serait un simple ouvrier. Et ainsi, Jésus
construisit les maisons des paysans de Nazareth,
les chariots des agriculteurs et répara
peut-être les jouets de leurs enfants. Cette
circonstance honore à jamais le travail
manuel. Les Grecs et les Romains le
méprisaient, le jugeaient indigne des hommes
libres et cette notion païenne se glisse
facilement dans l'esprit humain. Mais l'exemple du
Fils de l'homme protège désormais la
dignité du travail honnête et
l'artisan peut s'enorgueillir au
souvenir de Jésus de Nazareth.
Les bienfaits du travail sont
multiples. Il frappe du sceau de l'intelligence,
image de la Suprême Raison, la terre brute et
les rudes matériaux qu'elle fournit. Il
contribue au bonheur de la race et fait
coopérer l'individu à la prise de
possession collective de la terre. Il réagit
sur le travailleur et lui est une école
quotidienne de patience, de sympathie et
d'honnêteté.
L'homme qui fuit le travail se
dégrade lui-même.
Notre époque s'est
pénétrée de ces
vérités parce qu'elles lui ont
été exposées par quelques-uns
de ses maîtres les plus aimés, et il
n'y a pas dans la littérature de notre
siècle d'élément plus sain que
cet Évangile du travail, comme on l'appelle.
Il a enseigné à plus d'un homme
à faire sa tâche fidèlement,
non seulement parce qu'il est payé pour
cela, mais parce qu'il jouit de son oeuvre en
elle-même et se respecte trop pour donner
comme un travail réel ce qui n'est qu'une
indigne contrefaçon.
II
Quoique le travail le plus vulgaire soit
honorable, certaines professions qui permettent
à l'homme de contribuer plus directement au
bien de ses semblables, sont d'un niveau plus
élevé au point de vue de la
considération qui s'y rattache. C'est ce
principe qui fit quitter à Jésus
l'établi du charpentier pour se vouer
à la prédication et à la
guérison des malades. Il n'est pas de
vocations plus hautes que celles-là, l'une
s'adressant à l'âme et l'autre au
corps. En les adoptant, Jésus a
conféré une dignité nouvelle
au travail du pasteur et du médecin et
dès lors, la conscience qu'ils suivaient ses
traces, a donné à nombre d'adeptes
plus d'enthousiasme dans l'exercice de ces deux
professions.
Mais quoique la forme de son
activité eût changé, il y
apporta la même ardeur qu'auparavant. C'est
un thème constant de discussions entre
artisans et intellectuels de décider quel
est le plus pénible, du travail des mains ou
de celui du cerveau. L'ouvrier pense que son
voisin en habit noir, qui ne
touche aucune matière grossière et ne
soulève aucun pesant fardeau, coule des
jours faciles; tandis que le professionnel,
harassé de soucis et de
responsabilités, soupire après les
heures régulières, la tâche
bien déterminée et la liberté
d'esprit de l'ouvrier. Cette controverse n'aura
jamais de solution. Mais il est certain que, dans
le cas de Jésus au moins, c'est à
l'entrée de sa nouvelle carrière que
commença le vrai labeur de sa
vie.
Ses trois ans de prédication
et de guérison des malades furent des
années de peine et de travail infatigable.
Partout où il allait, des multitudes le
suivaient; quand il se retirait dans quelque
solitude, le peuple le cherchait dans tout le pays
et lui amenait tous ses malades de corps ou
d'esprit; les foules grossissaient parfois autour
de lui au point que les gens marchaient les uns sur
les autres et, souvent, il ne trouvait pas le temps
de boire et de manger, tant était grande la
pression du travail qui l'assaillait. C'est le
genre de vie de beaucoup d'entre nous à
notre époque surmenée ;
regardons à Jésus
et apprenons de lui dans quel esprit nous devons
porter notre fardeau!
III
L'enseignement de Christ renferme beaucoup de
préceptes sur la responsabilité qui
nous incombe, de vouer notre temps et nos forces
à l'oeuvre collective.
Nous sommes des serviteurs à
qui le divin Maître a distribué une
tâche et, quand il reviendra, il demandera un
compte exact de ce qui a été fait ou
négligé. La parabole des talents est
un solennel avertissement: Le Maître, s'en
allant dans une contrée
éloignée, laisse à chacun de
ses serviteurs une somme d'argent de
différente valeur, qui doit être bien
administrée en son absence: à son
retour, il demande compte non seulement du capital
par lui confié, mais de
l'intérêt qu'il a dû produire.
Ceux qui ont fait valoir activement leur
dépôt entrent dans la joie de leur
Seigneur, mais le serviteur qui a laissé son
talent improductif est jeté dans les
ténèbres du dehors.
Cette parabole signifie que Dieu
attend de nous une oeuvre achevée
équivalente à nos talents et aux
circonstances dans lesquelles il nous a
placés. La condamnation n'atteindra pas
ceux-là seuls qui ont perdu leur temps et
gaspillé leurs forces, leur argent et leurs
dons à faire le mal; la loi, dans sa plus
sévère pénalité, sera
appliquée à celui qui aura failli au
simple devoir de faire valoir ses biens par le
travail de sa vie.
Cette conception de la vie est d'une
grande austérité, mais ce fut celle
que Jésus s'appliqua à
lui-même; il ne prêcha que ce qu'il mit
en pratique. Sans doute, il était conscient
de la grande puissance qu'il possédait et se
sentait capable d'exercer une influence
considérable, à la fois sur les
individus et sur l'histoire, mais il agit avec
toute l'ardeur de celui qui a devant lui une grande
tâche et peu de temps pour l'accomplir.
Chaque heure de sa vie semble avoir
été consacrée à quelque
fraction de son oeuvre. Lorsqu'on lui demandait de
faire quelque chose avant le temps, il
répondait: - « Mon heure n'est pas
encore venue », - car tout acte avait
son heure précise. Cela
le rendait hardi en face du danger. Comme il le
disait, le jour de la vie humaine est de douze
heures et, jusqu'à ce qu'elles soient toutes
remplies, l'homme peut marcher en
sécurité sous la protection de la
Providence.
L'austérité de son
esprit s'accentua avec le temps; le but de sa vie
se gravait au-dedans de lui en traits de flamme, il
avait hâte de l'atteindre. Dans son dernier
voyage à Jérusalem, comme il marchait
en avant, « ses disciples furent
effrayés en le suivant. » - « Je
dois accomplir l'oeuvre de Celui qui m'a
envoyé pendant qu'il fait jour, » leur
disait-il « la nuit vient où nul ne
peut travailler. »
IV
L'ouvrage bien fait procure une grande
jouissance. Le plus humble ouvrier connaît ce
plaisir quand il voit sortir de ses mains un objet
parfait; le poète le ressent quand il
écrit Finis à la dernière page
d'une oeuvre où il a déployé
tout son génie. Jésus but
profondément à cette
source de joie. Son oeuvre
bienfaisante fut parfaite dans tous ses
détails. En la voyant s'accomplir peu
à peu, tandis que les heures de travail se
succédaient dans le passé, il se
disait en lui-même: - « Ma nourriture
est de faire la volonté de Celui qui m'a
envoyé et d'accomplir son oeuvre.
»
Et au seuil de la mort, quand fut
tourné le dernier feuillet du grand dessein
divin, il quitta ce monde avec ce cri: - «
Tout est accompli. » Il le proféra
comme un soldat sur le champ de bataille qui
entrevoit, dans un dernier effort de conscience, le
triomphe de la cause à laquelle il a
sacrifié sa vie ; aujourd'hui, ses
résultats se déroulent d'âge en
âge, ses paroles pénètrent plus
profondément dans l'esprit des hommes, son
influence change la face du monde et cette parole
se réalise : « Il verra aboutir le
travail de son âme et sera satisfait. »
V
Le repos est aussi nécessaire à la
vie que le travail; il rend à l'homme la
pleine possession de ses forces et permet à
ses facultés de s'épanouir
librement.
Jésus se soumit à
cette loi salutaire. Quoiqu'il y eut dans sa vie
une hâte constante, il évita la
précipitation et, au milieu des plus
écrasants travaux, aucune confusion ne se
produisit jamais. Rien ne fut plus remarquable que
sa dignité, son calme et sa possession de
lui-même en tous temps et en toute occasion;
aucune de ses actions ne fut
prématurée, aucune n'arriva
après son heure. La moitié du souci
et de l'agitation de la vie est due à
l'habitude d'agir quand l'esprit est affaibli ou
surexcité par les occupations du lendemain,
confondues avec celles de la veille. Dieu ne nous
demande pas de dépasser la limite de nos
forces et le jour sera toujours assez long pour le
travail quotidien, s'il n'est pas encombré
des soucis passés ou à venir.
Chaque devoir trouvait Jésus
prêt à le remplir et fortifié
par le parfait accomplissement du devoir
précédent. Son stage dans l'atelier
du charpentier fut une préparation à
son oeuvre de prédicateur. Il l'initia
à la nature et à la vie humaines, aux
joies et aux souffrances des pauvres, auxquels il
devait s'adresser plus tard. Plus d'un
prédicateur manque le but parce que, s'il
possède la science des livres, il ignore les
hommes. Mais Jésus « connut ce qui
était dans l'homme et n'eut pas besoin qu'on
le lui enseignât ». - Il prolongea son
séjour à cette école de
l'expérience jusqu'à l'âge de
trente ans. Malgré l'ardeur qui devait le
pousser à entreprendre sa mission ici-bas,
il ne s'y voua pas prématurément,
mais vécut ignoré à la
campagne, jusqu'à ce qu'il eût acquis
sa complète maturité; alors
seulement, il s'avança dans toute la
plénitude de sa force et apporta dans son
oeuvre la promptitude, la précision et la
perfection absolues.
Mais au milieu même de son
ministère, il se réserva des heures
d'indépendance et de liberté
d'esprit. Quand les multitudes qui l'entouraient
devenaient trop nombreuses et
pressantes, il se retirait dans le désert.
Ni le désir de poursuivre sa
prédication, ni les appels des malades et
des mourants, ne pouvaient le retenir quand il
sentait faiblir son calme et sa possession de
lui-même. Après des journées
consacrées à la foule, il
disparaissait pour retremper son corps dans le sein
de la nature et son âme dans le sein de Dieu.
Quand il voyait ses disciples surmenés, il
leur disait : « Venez dans un lieu
désert pour y reposer ». Dans le
travail même le plus sacré, il est
possible de se perdre et le chrétien qui se
donne complètement aux hommes, oublie
parfois de s'accorder le loisir nécessaire
à la communion avec Dieu. Le ministre
enthousiaste, brûlant de zèle et
désireux de plaire à tous,
néglige ses études et laisse
appauvrir son intelligence; il s'use, devient banal
et son action diminue; et ceux qui par leurs
importunités ont contribué au
sacrifice qu'il a fait de sa propre
personnalité, sont les premiers à
l'abandonner et à se plaindre d'avoir
été déçus.
Pour la grande masse des
travailleurs, la meilleure
occasion de repos est dans l'observation du
Dimanche. Or, Jésus sanctionna cette
institution, rappelant qu'elle a été
faite pour l'homme et que nul n'a le droit de l'en
priver. En son temps, les Pharisiens cherchaient
à l'ébranler, et convertissaient le
sabbat en un jour semé d'épines
douloureuses pour la conscience. Ce danger n'est
pas encore passé, mais actuellement les
attaques viennent d'autre part, - des
Sadducéens plutôt que des Pharisiens!
- La majorité des adversaires du Dimanche se
compose de riches paresseux qu'une vie
enfiévrée de plaisir et de
dissipation ne dispose guère au
recueillement.
S'ils obéissaient à la
première partie du quatrième
commandement : « Tu travailleras six jours
», ils comprendraient mieux la seconde. Ils
font, il est vrai, profession d'agir dans
l'intérêt du pauvre; mais ils prennent
son nom eu vain, car celui-ci sait par
expérience que partout où la
sainteté du sabbat est violée, la
semaine de travail est de sept jours au lieu de
six. Dans tous les pays où prévaut ce
point de vue, le bruit du moulin et de l'usine se
fait entendre sans relâche
et, si jamais les classes laborieuses cèdent
à un mouvement destiné à
supprimer d'office cette institution divine, elles
reconnaîtront tôt ou tard l'erreur
où on les aura
entraînées.
Cependant, le problème de
l'observation du Dimanche demande à
être plus sérieusement examiné
à mesure que se transforment les conditions
de la vie. S'il n'est pas une joie pour l'homme et
un hommage au Seigneur, il ne peut être
dignement célébré : le seul
moyen d'en récolter tous les fruits, est de
le passer dans l'esprit et dans la compagnie de
Celui qui lui donna son nom de « jour du
Seigneur ».
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