LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE XII
LA VIE A LA CAMPAGNE
L'ouvrier de village. - Le
laboureur. Les semailles et la moisson. -
Le blé. L'orge. - L'aire. - Les
vergers. La culture de la vigne. - Le
pressoir - La tour. - Les signes des
temps. Les pluies de la première et
de la dernière saison. -
L'âme. - Le boeuf. Le cheval. - Le
chameau. - Le chien. - Le porc. - Le
mouton. - Le loup. - L'hyène. - Le
serpent. - Les insectes. - Les voyages. -
Les grandes toutes. - Le costume du
voyageur. - Les salutations. -
L'hospitalité.
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Il serait intéressant de
connaître exactement la condition de
l'ouvrier de village, de sa femme, de ses enfants,
puisque cette condition a été celle
de Joseph, de Marie, de Jésus, enfant et
jeune homme. Malheureusement les renseignements
sont peu nombreux et peu précis. Nous savons
que l'artisan de village n'était ni riche ni
pauvre. Sans fortune, vivant au jour le jour, il
était pauvre au sens moderne de ce mot (et
même le nombre des pauvres était
très considérable en Palestine), mais
il ne souffrait d'aucune privation, il ne manquait
de rien, il ne se plaignait pas. Dans ces pays
chauds où la nature subvient à tout,
les exigences de la vie sont nulles, et le besoin
de confort n'existe pas. L'homme n'éprouve
aucun désir de se créer par son
travail le bien-être matériel. Ce
bien-être il le possède, car ni le
sol, ni le climat, n'ont de rigueurs pour lui. Son
métier, au temps de Jésus, l'occupait
fort peu. Chacun avait le sien, appris dans
l'enfance, et aucune idée
humiliante ne se rattachait à la pratique
d'un travail manuel. Le fils suivait ordinairement
la carrière de son père
(1). Nous avons
remarqué que, d'après la parabole des
ouvriers de la onzième heure, la
journée devait être d'un denier, et
ces 88 ou 90 centimes représentaient au
moins 5 francs de notre monnaie.
Nous connaissons assez bien
l'agriculture, grâce aux traités
Péah, Demaï, Kilaïm, Sheviith.
Tout le pays était cultivé et bien
cultivé
(2). Les
instruments aratoires étaient des plus
simples; la bêche était connue
(3), la charrue
aussi, tirée par des boeufs ou des
âmes (4),
le soc était eu fer
(5), elle n'avait
point de roues et devait être en tout
semblable à celle des Arabes d'aujourd'hui.
Le laboureur tenait en main un aiguillon
appelé dorban.
Une des cultures les plus
répandues était celle de l'orge.
Tantôt on le semait à la fin de
Marcheschvan (6)
(commencement de novembre), tantôt en Schebat
et Adar (février où commencement de
mars) (7). Le
blé commençait à se semer
dès le mois de Tischri (vers octobre), et
à partir de ce moment pendant tout l'hiver.
« Donne une bonne portion de semence à
ton champ en Tischri et ne crains pas de semer
même en Kisleu
(8) »
décembre).
La moisson de l'orge se faisait le
premier mois de l'année; elle s'ouvrait
légalement le second jour de la fête
de Pâques.
Quand au blé, il mûrissait
un peu plus tard. Jésus, passant par des
blés au mois d'avril, les apôtres
trouvent des épis mûrs et les mangent
(9).
L'aire (goren) était toujours
à ciel ouvert au milieu des champs
(10), car, dans
la saison de la récolte, aucune pluie
n'était à craindre. C'était le
boeuf qui foulait le blé avec les pieds; on
ne devait pas le museler, avait dit Moïse,
pour qu'il pût prendre sa part de la
récolte
(11). Toutes
ces anciennes coutumes étaient
fidèlement observées, et, en
général, toutes les ordonnances
légales relatives à l'agriculture.
C'est ainsi qu'on mettait un grand soin à
dîmer sa récolte, à laisser
l'angle du champ aux pauvres et à ne pas
violer la loi de la septième année
où la terre (levait rester en friche
(12).
Une des cultures les plus importantes
était celle de la vigne
(13). Elle ne
formait pas, comme chez nous, des vignobles
distincts. Les Juifs plantaient ensemble l'olivier,
le figuier et la vigne; celle-ci grimpait à
sa guise sur les tiges vivaces qui étaient
près d'elle. L'ensemble de ces cultures est
appelé verger dans les versions ordinaires
de la Bible
(14). On se
représente ce que devait être cette
végétation luxuriante, ait milieu de
laquelle brillaient ces grandes anémones
rouges (anemona coronaria) si communes dans le midi
(le la France et qui sont « les lis des champs
» de l'Évangile
(15).
En Palestine, presque toutes les fleurs
du printemps sont rouges. Il faut remarquer aussi
que la plupart des arbres, l'olivier, le
cyprès, le térébinthe, le
grenadier, conservent leurs feuilles en hiver. Le
figuier les perd au contraire, et c'est lui qui
indique le mieux le retour de la belle saison.
« Ses feuilles poussent
(16).
»
Pline affirme, qu'en Orient, on laissait
la vigne ramper à terre
(17); mais il
ne parle que de la Syrie. En Palestine, les ceps
étaient debout et fort élevés,
on s'asseyait dessous. C'étaient d'ordinaire
les troncs des figuiers qui les soutenaient et
c'est ainsi qu'on se mettait à la fois
« sous sa vigne et sous son figuier
(18).
»
Les vignes ou plutôt les vergers
étaient entourés de haies
(19) ou de murs
(20), et garnis
de cabanes et de tours dans lesquelles, se tenaient
des gardiens quand les fruits étaient
mûrs
(21). La tour
avait d'ordinaire 10 coudées (4 m. 50) de
hauteur et 4 (1 m. 80) de largeur. « Elle est
un endroit élevé, dit la Mischna,
où se tient le vigneron pour surveiller sa
vigne (22).
» Il fallait attendre quatre années
après la plantation, pour faire une
récolte de raisin
(23).
La fête des Tabernacles, qui
marquait la fin de toutes les récoltes,
était célébrée
précisément à l'époque
de la vendange. Les vignes retentissaient alors de
chants et de cris de joies
(24). Le
pressoir était toujours dans le verger. Il
était formé d'une cuve en pierre,
où l'on jetait les grappes, qui
étaient foulées aux pieds par les
vendangeurs. Au fond de cette cuve une ouverture
grillée laissait passer le vin, qui
était recueilli dans un réservoir
creusé dans la terre et
maçonné on quelquefois taillé
dans le rocher. Quand le vin était fait, on
le conservait dans des outres de peau de
chèvre ou dans des vases de terre. Les
crûs les plus estimés étaient
ceux du Liban et du pays de Moab.
La terre était si fertile que si,
on la laissait en friche, des plantes de diverses
espèces y paraissaient aussitôt. Nous
mentionnerons, en particulier, une épine
ligneuse, presque rampante, qui
abonde près de Jérusalem encore
aujourd'hui. On s'en sert pour allumer le feu et on
en garnit le haut des murs pour empêcher les
maraudeurs de passer. Il est facile d'en former des
guirlandes, et il est probable que cette plante a
servi à faire la couronne d'épines de
Jésus
(25). Les
épines en sont fines, les fleurs petites et
ses branches s'arrondissent facilement.
Les Juifs se préoccupaient
beaucoup du temps. Ils observaient, suivant leur
propre expression, « les signes des temps
(26). »
« Le dernier jour de la fête des
Tabernacles, tous observent la fumée, dit un
des Talmuds. Si elle monte vers le Nord, les
pauvres se réjouissent et les riches se
désolent, parce qu'il y aura beaucoup de
pluies l'année suivante, et que les fruits
se gâteront. Si la fumée se dirige
vers le Sud, 1 les riches se réjouissent et
les pauvres se désolent, parce que les
pluies seront rares et les fruits magnifiques. Si
la fumée se dirige vers l'Ouest, tous sont
heureux. Si c'est vers l'Occident, tous sont
tristes (27).
»
Cette question de la pluie était
importante. On distinguait « la pluie de la
première et celle de la dernière
saison »
(28). Nous
savons exactement ce que signifient ces
expressions.
« Quelle est la première
pluie ? Elle commence le 3 du mois de Marcheschvan,
celle du milieu est le 7 et la dernière le
17. Ainsi parle R. Meir, mais R. Judah dit : le 7,
le 17 et le 21
(29) ». Le
3 Marcheschvan devait tomber vers le 20 octobre. Il
y avait donc tous les ans, en automne, une
série de pluies appelées de la
première saison et elles duraient jusqu'en
novembre. Elles étaient indispensables aux
semailles, et lorsqu'elles manquaient, ce qui
arrivait quelquefois, la disette était
inévitable. Les pluies de la dernière
saison étaient attendues
à la fin de mars ou au commencement d'avril
; elles ne faisaient presque jamais défaut.
Ces pluies, qui se produisent encore de nos jours,
étaient beaucoup plus considérables
lorsque le pays était boisé.
De tous les animaux domestiques,
l'âne était celui dont on se servait
le plus. Il en est constamment parlé dans
l'Ancien Testament ; dans la Genèse, en
particulier, le cheval n'est même pas
nommé comme ayant fait partie des troupeaux
des patriarches. Il est probable qu'à cette
époque primitive, cet animal n'était
pas encore domestique. On sait qu'il n'a
été dompté que très
tard, et ce sont des ânes qui faisaient le
voyage de Canaan en Egypte sous la conduite des
fils de Jacob
(30).
Le cheval fut rare avant Salomon
(31). Les
ânes formaient, au contraire, d'immenses
troupeaux. Ils servaient de montures et de
bêtes de somme. Au premier siècle, ils
étaient très employés au
moulin et souvent ils tournaient la meule
(32). Le boeuf
et l'âne étaient les deux animaux
considérés comme indispensables.
«Ni son boeuf ni son âne », disait
le Décalogue antique
(33), et
Jésus dira : « Qui de vous, si son
boeuf ou son âne tombe dans une fosse, ne
l'en retire aussitôt le jour du sabbat
(34). »
« J'ai acheté cinq couples de boeufs,
dit un personnage de parabole
(35), je vais
les éprouver. » Il s'agit ici du
labour, et le terme : "Chargez-vous de mon joug
», est une image familière s'adressant
à un peuple chez lequel l'emploi des boeufs
était répandu. Le cheval, au
contraire, n'est pas souvent mentionné dans
la Bible. Il ne semble pas avoir été
employé en agriculture. Les Juifs lui
donnaient la même nourriture que les Arabes
de nos jours, de la paille et de l'orge
(36). Il est
évident, d'après
l'admirable description du livre
de Job (37), que le cheval des
Hébreux était de la même race
que le cheval arabe d'aujourd'hui. Il devait
déjà être rare et coûteux
et était considéré comme la
monture du guerrier. Aussi servait-il surtout
à la guerre. L'âne, au contraire,
était un symbole de paix.
Il est singulier que le chameau ne soit
nommé qu'une seule fois dans le Nouveau
Testament, dans l'image célèbre de
Jésus-Christ : « Il est plus
aisé qu'un chameau passe à travers le
trou d'une aiguille qu'il ne l'est qu'un riche
entre dans le Royaume de Dieu
(38) », car il était
certainement très employé au premier
siècle.
Le mulet devait aussi être en
usage, quoiqu'il ne soit nommé que dans
l'Ancien Testament, et seulement à partir de
David (39).
Le chien n'est mentionné dans le
Nouveau Testament qu'avec mépris. En Orient,
cet animal n'a jamais été
considéré comme le compagnon et l'ami
de l'homme. Il faut dire qu'on n'y connaît
qu'une seule espèce de chiens, et qu'elle
est, non seulement fort laide, mais sale,
repoussante, ignoble. Jamais les chiens ne sont
admis dans les maisons, ils sont toujours au
dehors, errant dans les rues, pullulant à
leur guise, vivant de ce qu'il trouvent,
considérés comme une plaie sociale,
parce qu'ils sont beaucoup trop nombreux et partout
ils sont chassés à coups de pied. Le
mot cynique que nous a légué la
langue grecque montre assez combien ce
mépris était général
dans l'antiquité (40) :
« Ne donnez pas les choses saintes aux chiens
», dit Jésus (41).
« Il n'est pas juste, dit-il encore, de
prendre le pain des enfants et de le jeter aux
chiens
(42) . »
Et dans ce dernier passage où les enfants
désignent les Juifs, le peuple élu,
le mot chien désigne les païens. Cette
expression « chien de païen »
était aussi usitée an premier
siècle en Palestine que celle de «
chien de chrétien » l'est aujourd'hui
dans tout l'Orient musulman, et quand Jésus
dit que même les chiens venaient
lécher les ulcères du pauvre Lazare
(43), il veut
montrer à quel degré d'abjection
était tombé ce malheureux ; ce n'est
pas, comme on l'a cru, pour alléger ses
souffrances que les chiens venaient ainsi vers cet
infortuné; ce n'est pas la compassion du
chien qui est mise ici en regard de la
dureté de coeur dit mauvais riche ; mais au
contraire, ce fait que Lazare n'avait pas
même la force de chasser les chiens errants
qui venaient lécher ses plaies et mettre le
comble à sa misère.
Le porc était absolument interdit
(44), et il
l'est encore dans tous les pays où
l'Islamisme domine. On a souvent cité le mot
: « Maudit soit celui qui enseigne le grec
à ses fils à l'égal de celui
qui élève des porcs. » Les
Rabbis disaient encore : « Maudit soit celui
qui nourrit des chiens ou des porcs, car ils sont
cause de plusieurs dommages. »
Les moutons, au contraire,
étaient très communs. La
nécessité d'avoir des agneaux pour
les sacrifices en faisait entretenir des troupeaux
considérables. Ils passaient tout
l'été dans les champs. On les faisait
sortir aux environs de la Pâque et ils ne
rentraient qu'à la première pluie
(45). Le berger
veillait sur eux, et, dans ce but, il avait une
tour appelée « tour du gardien ».
Au mois de Marschechvan, qui correspond à la
moitié d'octobre et à la
moitié de novembre, on rentrait les moutons
dans la bergerie et ils y passaient l'hiver
(46). Ce
détail montre l'erreur certaine de la date
traditionnelle, de hi naissance de Jésus, le
25 décembre. A cette
époque de l'année, les bergers ne
couchaient point aux champs
(47).
Le berger, autrefois comme aujourd'hui,
était toujours armé.
Ce qui explique le mot de l'Ancien
Testament : « Ton bâton et ta houlette
me rassurent
(48) », et
cette parole de Jésus : « Le bon berger
donne sa vie pour ses brebis
(49) ». -
Il y a encore, et il y avait au premier
siècle beaucoup d'animaux sauvages en
Palestine.
La garde de la porte de la bergerie
était confiée à un esclave
appelé « le portier
(50) », et
qui veillait sur le troupeau sous la direction du
berger. Il avait en particulier le devoir de se
trouver à l'entrée de la bergerie
quand le troupeau y revenait, et de compter les
têtes de bétail pour s'assurer
qu'aucune ne s'était égarée.
Pour dîmer le troupeau, on le faisait passer
par une petite porte où un seul animal
pouvait se présenter à la fois; on
les comptait, et le dixième qui sortait
était marqué d'une couleur rouge;
c'était la dîme
(51).
On voit encore souvent en Palestine des
troupeaux où les brebis et les
chèvres sont gardées par un seul
berger, mais en bandes séparées. De
temps en temps, un bouc noir vient se promener au
milieu des blanches brebis, et le berger est
obligé de venir séparer « les
brebis d'avec les boucs. » Ce fait nous
rappelle une des paraboles les plus connues de
Jésus
(52) Lorsqu'il
la prononça, il était assis sur le
mont des Oliviers et peut-être y voyait-il
à ce moment même un berger qui
séparait ainsi les deux moitiés de
son troupeau.
Les loups
(53)
étaient nombreux, hardis, très
redoutés. Les Talmuds nous ont
conservé deux faits significatifs à
cet égard :
« Les anciens demandèrent un
jeûne dans leur ville, parce que
les loups avaient
dévoré deux petits enfants au
delà du Jourdain
(54) », et
: « Plus de trois cents brebis des fils de
Judah ben Schammaï furent
déchirées par les loups »
(55).
Le chacal, appelé renard dans
l'Ancien Testament
(56),
était aussi très commun.
L'hyène est nommée par
Jérémie
(57), et elle
infeste toujours la Palestine. Les Arabes se
servent, pour la prendre, d'un
procédé probablement fort ancien ;
ils creusent des fosses, les recouvrent de
branchages pour les dissimuler, et l'hyène
qui y tombe ne peut plus en sortir. Or, dans la
Bible, la fosse est souvent l'image du danger et de
l'embûche
(58), et, dans
le Nouveau Testament, Jésus-Christ dit :
« Ne tomberont-ils pas tous deux dans la fosse
(59) »,
allusion probable au moyen employé de son
temps pour prendre les animaux sauvages. Nous avons
dit, en parlant des sépultures, comment les
Juifs garantissaient des hyènes leurs
tombeaux.
Les sauterelles et les abeilles
étaient au nombre des animaux les plus
utiles. Nous en avons parlé en traitant de
la nourriture. Cependant, la sauterelle
était redoutée à cause de ses
invasions, dont Joël nous a fait une si
émouvante description
(60). Celles-ci
sont devenues rares. En 1783, le voyageur Volney
(61) en a vu
-une, et la peinture qu'il en a donnée
ressemble beaucoup à celle du
prophète Juif.
Le lion et l'ours ont disparu depuis des
siècles; l'Ancien
Testament seul en, parle, et il
est certain qu'on n'en trouvait plus au temps de
Jésus-Christ.
Le serpent est appelé dans la
Bible « rusé
(62) » et
« prudent
n(63). »
Ces deux épithètes sont très
justes, appliquées aux espèces que
l'on trouve en Palestine, pour la plupart
inoffensives. Le serpent y est souvent l'hôte
de la maison. Il détruit les rats, les
souris et surtout les insectes qui pullulent.
L'Arabe vénère cet animal quand il
est sans défense, à cause des
services qu'il lui rend. On rencontre
fréquemment en Terre Sainte des charmeurs de
serpents, et c'est une croyance encore très
répandue chez les indigènes que le
serpent se nourrit de terre et de poussière.
Il est curieux de remarquer que cette erreur
singulière s'est conservée intacte
depuis les temps bibliques
(64).
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