Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LES HEUREUX


VI

LES MISÉRICORDIEUX

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
MATTHIEU V, 7.

 

Après la faim et la soif de la justice qui seront apaisées, à ce que nous assure Jésus-Christ, la promesse faite aux miséricordieux qu'ils obtiendront miséricorde. Le mot grec que l'on traduit par miséricorde veut dire littéralement aumône, le mot français miséricorde est un mot latin qui provient de deux autres mots : miser, qui a pitié de, et cor, coeur : la miséricorde est donc le sentiment de pitié qu'inspire à l'homme la misère d'autrui, c'est une des faces de l'amour et l'une des plus lumineuses, c'est une manifestation de la grâce et l'une des plus authentiques et des plus divines.
Hélas ! nous l'avons désapprise aujourd'hui, ainsi que la sentimentalité, si nous en croyons certains hommes d'État tristement célèbres, et nous l'avons remplacée parla dureté, la violence, que le fou de génie qui s'appelait Nietzsche recommandait à ses disciples. Comment cela ? Il est difficile de le dire, la dureté étant en contradiction directe avec ces touchantes manifestations de pitié, de bonté, et j'ajouterai de sensibilité si fréquentes aujourd'hui. Comment se fait-il que l'on recommande la dureté à une époque où les hommes mettent tant de soins à protéger la vie, surtout la vie des faibles, à la continuer le plus longtemps possible, même chez les plus chétifs ? Il y a là une contradiction qui nous déconcerterait si nous ne savions pas que l'homme est soumis à l'influence désastreuse de ce grand mensonge qui s'appelle le péché et si nous n'avions pas dû reconnaître que l'humanité a ses crises de folie collective, exactement comme beaucoup d'hommes leur crise de folie individuelle.

Mais peut-être que l'une des causes n'est autre que l'amour de l'argent, le culte du dieu Mammon, qui transforme graduellement ses adeptes en créatures semblables à lui, dures, froides, insensibles comme l'or et l'argent, étant donné que nous ressemblons toujours au dieu que nous servons, et cela instinctivement, presque sans nous en douter, tellement qu'on pourrait poser cet axiome : Dis-moi qui tu adores et je te dirai qui tu es. Il y a une sensibilité, il y a des antennes qui disparaissent au contact du dieu Mammon. Or, l'on sait qu'aujourd'hui c'est là l'idole qui a le plus d'adorateurs, celle à laquelle ou élève le plus d'autels, surtout dans le monde civilisé.

De là l'effroyable catastrophe à laquelle nous assistons et qui met au jour, à côté de faits héroïques 'que nous nous garderions bien d'oublier, un déchaînement de passions et de duretés vraiment inouï. Si encore il ne s'agissait que de combattants entraînés comme malgré eux par la fureur de la bataille, nous le comprendrions, mais il y a bien autre chose dans tout cela, cette dureté est voulue, consciente, scientifique, j'allais dire religieuse ! tellement, qu'en la voyant, on a l'impression de déments pour ne pas dire de démons. Car, par charité chrétienne, nous voulons croire qu'il s'agit là plus de démence que de possession démoniaque, et qu'un jour, bientôt peut-être, les yeux s'ouvriront et que l'humanité sortira toute étonnée et comme abasourdie de l'horrible cauchemar.

Alors, et seulement alors, une immense pitié s'emparera du coeur des hommes, une pitié qui sera faite de sensibilité et de miséricorde à la vue des innombrables souffrances, des détresses de toutes sortes et des ruines que la guerre aura multipliées. Je ne sais pas si je me trompe, mais j'ai l'impression que par sa civilisation plus artificielle que profonde, notre humanité avait besoin de se trouver en face d'une infinie détresse et d'en souffrir elle-même pour pouvoir renaître à la pitié. Oh ! je n'ignore pas que, avant la guerre, il y avait, qu'il y a eu de tout temps des hommes sensibles, sensibles pour les autres, j'entends des hommes qui avaient la vision claire des détresses humaines, enrôlés qu'ils étaient dans toutes sortes d'oeuvres de consolation et de relèvement; beaucoup trouvaient leur bonheur à soulager la misère humaine et ils n'auraient pas voulu vivre autrement qu'en travaillant ainsi. Mais c'étaient des exceptions, la grande majorité traitait de fous ou tout au moins d'exagérés et de sensitifs ceux qui parlaient des souffrances humaines et qui s'efforçaient de les soulager, il n'y en avait que trop qui disaient avec Ernest Renan, ou qui pensaient avec lui sans le dire que la vie d'ici-bas était en somme fort amusante et qu'elle ressemblait à une pièce de théâtre que l'on a du plaisir à regarder et dont on sort content après avoir passé une agréable soirée.

Une mentalité pareille, à ce point égoïste et cynique, va devenir, nous l'espérons du moins, de plus en plus impossible, autrement ce serait à désespérer du genre humain. Mais il est triste de penser qu'il aura fallu tant de souffrances, tant d'horreurs, tant d'injustices, tant de violences pour qu'enfin les hommes soient en état d'ouvrir les yeux et de voir les choses telles qu'elles sont. Nous voulons espérer qu'alors des paroles comme celle des béatitudes prendront une toute nouvelle signification et qu'en particulier celle que nous étudions ici apparaîtra lumineuse et bienfaisante comme elle ne l'a jamais été jusqu'à présent: « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. » Travailler à faire de l'humanité dure une humanité miséricordieuse, à changer son coeur de pierre en un coeur de chair, tels doivent être le grand but et la première préoccupation de tous les hommes de coeur et de conscience, et nous voudrions par ces lignes y contribuer dans la mesure de nos forces.

Mais pour cela, il importe de dissiper certains malentendus qui règnent encore dans bien des esprits au sujet de la miséricorde. Beaucoup s'en défient et vont jusqu'à la combattre parce qu'ils y voient une atténuation et même une négation de certains principes fondamentaux. J'en citerai quatre parmi les plus importants.

Avant tout, la justice. La miséricorde, dit-on, la contredit puisqu'elle prétend se substituer à elle. Est-il vraiment possible d'être à la fois juste et miséricordieux ? Est-ce qu'on ne devient pas injuste lorsqu'on exerce la miséricorde, et quand on est miséricordieux, se préoccupe-t-on encore de la justice ?

Avouons-le, il en est souvent ainsi, il n'y a que trop de gens qui se sont montrés injustes tout en exerçant la miséricorde. Un seul exemple suffira à le prouver: précisément, l'aumône qui est le mot grec pour dire miséricorde, a créé chez beaucoup l'illusion que la justice pouvait être négligée : trop de gens, hélas ! se sont imaginés qu'ils pouvaient donner des salaires insuffisants pourvu qu'ils les complètent par l'aumône. Rien n'est plus révoltant ni plus dangereux en même temps, pour celui qui fait l'aumône comme pour celui qui la reçoit, car si ce dernier risque de tomber dans l'aigreur ou l'amertume, le premier aura bien de la peine à ne pas devenir orgueilleux et par là même, dur à l'égard de son prochain. L'injustice ayant été commise, la miséricorde ne peut s'exercer, on en garde peut-être la forme, on en supprime la réalité profonde.

Eh bien, selon nous, non seulement la miséricorde ne contredit pas la justice, mais encore elle l'implique : c'est précisément pour être juste, que je dois me montrer miséricordieux. Quand je pense par exemple à toutes les lacunes de ma vie morale, quand je constate à quel point je suis responsable par le fait de mes privilèges, je sens le besoin, un impérieux besoin, qu'on use de miséricorde à mon égard ; à force de vouloir être juste, je nie sens perdu si la miséricorde n'intervient pas, et dans la mesure où je compte sur elle, je m'efforcerai d'être juste à l'égard de mon prochain, Tant il est vrai que la justice seule devient injuste si elle n'est pas accompagnée de la miséricorde. Les Romains disaient déjà : Summum jus, summa injuria : le droit absolu est l'absolue injustice. Mais, d'autre part, plus je me sentirai poussé vers la miséricorde, plus je m'efforcerai d'être juste, en vertu même du principe de miséricorde qui nie fait envisager choses et gens tout autrement que la justice pure et simple.

C'est la raison pour laquelle les deux mots justice et miséricorde, sont si souvent unis dans l'Écriture : « Semez selon la justice, dit le prophète Osée, moissonnez selon la miséricorde. Défrichez-vous un champ nouveau ! Il est temps de chercher l'Éternel jusqu'à ce qu'il vienne et répande pour vous la justice » (X, 12). « On t'a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, s'écrie le prophète Michée, et ce que l'Éternel demande de toi, c'est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde et que tu marches humblement avec ton Dieu » (VI, 8). Quand le prophète Ésaïe annonce aux hommes le futur Messie, il dit de lui : « Voici mon serviteur que je soutiendrai, mon élu en qui mon âme prend plaisir. J'ai mis mon Esprit sur lui; il annoncera la justice aux nations, il ne criera point, il n'élèvera point la voix et ne la fera point entendre dans les rues. Il ne brisera point le roseau cassé et il n'éteindra point la mèche qui brûle encore ; il annoncera la justice dans la vérité, et il ne se découragera point et il ne se relâchera point jusqu'à ce qu'il ait établi la justice sur la terre » (XLII, 1-4). Ainsi donc le Messie apparaîtra aux yeux des hommes aussi juste que miséricordieux, et aussi miséricordieux que juste. « L'Éternel est miséricordieux et juste, dit le psalmiste, notre Dieu est plein de compassion, l'Éternel garde les simples» (CXVI, 5). « La lumière se lève dans les ténèbres pour les hommes droits, pour celui qui est miséricordieux, compatissant et juste. Heureux l'homme qui exerce la miséricorde et qui prête, qui règle ses actions d'après la justice ! Car il ne chancelle jamais ; la mémoire du juste dure toujours » (CXII, 4-6). « Parlez et agissez comme devant être jugés par une loi de liberté, car le jugement est sans miséricorde pour qui n'a pas fait miséricorde. La miséricorde triomphe du jugement » (Jacques II, 13).

Ces versets ne prouvent-ils pas surabondamment qu'il n'y a pas de véritable justice sans miséricorde, mais que, d'autre part, la miséricorde implique la justice ? Nous pourrions presque dire qu'elles sont deux soeurs jumelles étroitement liées ou encore deux faces d'une seule et même médaille infiniment précieuse. Si nous en avions des doutes, nous pourrions invoquer la parabole du serviteur impitoyable : ayant manqué de miséricorde à l'égard du débiteur qui lui devait une petite somme, il se montra souverainement injuste et fut puni de la façon la plus sévère par son maître qui lui avait remis son énorme dette. N'ayons donc pas peur de devenir injustes en exerçant la miséricorde, puisque nous serons justes dans la mesure même où nous l'exercerons.

On prétend ensuite que la miséricorde contredit la raison et qu'elle est une preuve d'inintelligence. Il n'y a guère, dit-on, que les gens simples ou tout au moins médiocrement doués au point de vue intellectuel qui se plaisent tant dans la miséricorde.

ci encore, nous n'avons pas de peine à reconnaître qu'il existe une certaine miséricorde fort peu intelligente, celle qui ferme les yeux sur les responsabilités et sur les torts d'autrui, celle qui donne à tort et à travers sans tenir compte des circonstances, celle qui ferme les yeux pour ne pas voir la réalité et qui est infiniment dangereuse et en contradiction directe avec la raison elle-même. Il y a là un manque de perspicacité ou de discernement des esprits que nous serions bien coupables de recommander. Hélas ! les pasteurs ne tombent que trop dans ce travers, obligés qu'ils sont de venir en aide à toute espèce de gens dont beaucoup ne méritent certainement pas qu'on s'occupe d'eux. Aussi la recommandation des pasteurs est-elle rarement appréciée par les patrons et les chefs d'industrie.

Est-ce une raison pour mettre la miséricorde en tout et partout en opposition avec la raison ? Je ne le crois absolument pas ; je suis bien plutôt persuadé qu'elle doit l'accompagner et qu'elle doit l'éclairer, elles ont besoin l'une de l'autre et ne peuvent pas se passer de leurs services réciproques : c'est la raison qui me rendra miséricordieux, car elle m'apprendra à comprendre les autres, à me rendre compte de leurs circonstances d'une façon exacte, et mieux je comprends rai mon prochain et le milieu où il a vécu, l'histoire de sa vie, plus je serai porté à la miséricorde. On l'a dit : « Celui qui comprendrait tout par donnerait tout. » Cela est vrai, à la condition qu'on n'exagère rien et qu'on ne fasse jamais de compromis avec le péché, car il reste péché malgré tout, et comme tel, nous n'avons pas à le pardonner, encore que nous devions pardonner au pécheur. D'autre part, la miséricorde m'aidera à comprendre toujours mieux les autres, tandis que la dureté m'en empêchera et souvent me rendra stupide autant que cruel. N'oublions pas que pour comprendre le prochain il faut l'aimer, l'amour nous rend clairvoyants, l'amour miséricordieux surtout.

Je ne parle pas ici, cela va sans dire, avant tout de l'intelligence des idées qui est si différente de l'intelligence des personnes, tellement que l'on peut avoir l'une sans avoir l'autre, et que tel homme très fort par le raisonnement est incapable de rien comprendre à la situation et au caractère de son prochain. Tandis que l'intelligence des personnes est bien plus intuition que raison, et l'on sait que les intuitifs vont souvent beaucoup plus loin et beaucoup plus profond que les autres; l'intuition est la puissante paire d'ailes qui nous fait franchir les espaces, descendre au fond des abîmes et monter vers les plus hauts sommets. Or, je ne connais rien de plus favorable à l'intuition qu'on pourrait définir « l'intelligence du coeur » que la miséricorde, et ceux qui l'exercent acquièrent une clairvoyance souvent refusée aux plus intelligents.

Qui oserait dire que Jésus-Christ, le saint et le juste et le miséricordieux en même temps, ne fut pas aussi le plus intelligent des hommes? Il est bien notre sagesse, celui auquel l'amour inspirait une telle connaissance des autres hommes qu'il était impossible de le tromper et qu'il avait toujours le dernier mot avec ses ennemis, si rusés et si acharnés qu'ils fussent. Jamais homme n'eut tant de doigté dans le maniement des âmes, parce que jamais homme ne fut aussi miséricordieux. Qu'on se souvienne de la façon admirable dont il ferma la bouche au pharisien Simon lorsque celui-ci osa le critiquer d'accueillir miséricordieusement la femme de mauvaise vie. La parabole des deux débiteurs dont l'un aime beaucoup parce qu'on lui a beaucoup pardonné et dont l'autre n'éprouve aucun amour parce qu'il ignore le pardon, est aussi simple que profonde et prouve de quelle façon extraordinaire Jésus comprenait l'état d'âme de son prochain inspiré qu'il était par son infinie miséricorde.

On nous dit encore que la miséricorde est opposée à la virilité et que les miséricordieux étant des sensibles, tombent facilement dans la sensiblerie. Or, il n'est pas digne de l'homme de perdre sa virilité, nous ne voulons pas d'une religion ou d'une philosophie qui produirait un effet pareil, et aujourd'hui plus que jamais l'avenir est aux forts ; Jésus-Christ n'a-t-il pas dit lui-même : « Ce sont les violents qui ravissent le royaume des cieux » (Matthieu XI, 12), et la force n'est-elle pas une vertu puisque le mot vertu, par son étymologie, veut dire force, énergie, et qu'il vient de la même racine que virilité? Qu'on y prenne garde, il ne faudrait pas compromettre l'avenir du christianisme au sein d'une humanité qui ne rêve que force et même dureté et qui voudra toujours s'affranchir de tout ce qui risquerait de la paralyser.

La force, oui, nous la voulons, la dureté, jamais. Et nous allons même jusqu'à dire que la dureté est souvent le contraire de la force et qu'un homme vraiment fort peut être tout le contraire d'un homme dur; il y a souvent chez les forts une douceur, une tendresse et j'ajoute une miséricorde qui est l'expression même de cette force. Quand sur le champ de bataille le soldat tue et massacre tout autour de lui, il peut être fort... de la force du lion, du taureau ou de l'ouragan, mais quand, après avoir fait son devoir de soldat et de patriote, il emporte sur ses épaules son ennemi blessé, quand il bande en pleine mitraille les plaies de celui qui est redevenu son frère, je prétends qu'il est autrement plus fort et plus viril, et qu'il l'est dans la mesure où il devient miséricordieux ; cette miséricorde lui inspire sa force, une force vraiment surhumaine, capable de soulever l'humanité et de l'entraîner vers le trône de Dieu.

Ici encore le Maître est là pour nous prouver la vérité de ce que nous venons de dire, jamais homme ne fut plus tendre et plus miséricordieux que Jésus-Christ et jamais homme ne fut plus fort, plus viril que lui. Qu'on se rappelle son courage au milieu de la tempête du lac de Génésareth ou de cette autre tempête plus redoutable, faite de l'enthousiasme passionné de la foule qui voulait le faire roi, ou de la haine plus passionnée encore de ceux qui, plus tard, demandaient à grands cris sa mort. Peu avant le drame final, alors qu'il marchait sur Jérusalem, au-devant de ses bourreaux, le texte va jusqu'à dire qu'il « dressa sa face contre Jérusalem » (Luc IX, 51) (Versions Darby). Or, sachez-le bien, cette virilité surhumaine n'avait d'autre cause que son immense pitié pour notre pauvre race qu'il voulait à tout prix sauver, fût-ce au prix de sa propre vie.

Jésus a du reste dans la parabole du Bon Samaritain montré de quel côté se trouvait la véritable virilité : ce n'est pas chez le prêtre ou le Lévite qui passe auprès du blessé couché par terre, parce que la peur les rend durs, c'est dans le coeur du Samaritain qui, rempli de miséricorde, descend de son âne, ne craint pas de s'exposer aux coups des assassins pour sauver le malheureux blessé en l'emportant à l'hôtellerie. La miséricorde inspire la virilité, et dans la crise actuelle, je vois encore plus de virilité chez les innombrables ouvriers de la Croix-Rouge qui, parfois, au péril de leur vie, font tout pour venir en aide à leur prochain, que dans ces millions de soldats qui n'ont qu'une pensée, tuer le plus d'hommes possible pour accomplir leur devoir ou pour satisfaire les folles ambitions de leur souverain.

Enfin, la contradiction que l'on prétend exister entre la miséricorde et l'action n'est pas plus vraie que les autres, je dirais même qu'elle est si peu vraie que l'on peut affirmer sans exagération que pour bien agir, et je dirais pour beaucoup agir dans le vrai sens du mot, il faut être miséricordieux. En voyant souffrir les autres hommes, en découvrant leurs détresses, le coeur qui se sent ému veut à tout prix venir en aide à la misère humaine, il ne peut pas rester indifférent et il ne lui suffit pas de sentir, de sympathiser, il faut qu'il agisse. On pourrait presque dire que le coeur miséricordieux est le plus fort des moteurs qui puisse faire agir l'homme. L'histoire des innombrables oeuvres de sauvetage et de relèvement inspirées par le christianisme est là pour prouver à quel point l'homme de miséricorde est aussi l'homme d'action, et quand il ne l'est pas, c'est que sa miséricorde n'est ni réelle ni suffisamment profonde.

Nul ne pourra contester l'extraordinaire activité de Jésus-Christ pour sauver les hommes; tout est action dans sa vie, ses paroles comme ses actes proprement dits, ses prières comme ses pensées, eh bien nul n'a éprouvé une aussi profonde miséricorde pour les autres hommes; le texte sacré nous dit lui-même qu'un jour « en voyant la foule, il fut ému de compassion parce qu'elle ressemblait à des brebis qui n'ont pas de berger » (Matthieu IX, 36), et chaque fois qu'il découvrait de nouvelles misères humaines, il n'avait qu'un désir: agir pour les soulager, agir pour les faire disparaître. Son action suprême ne fut-elle pas son supplice et sa mort ? et la croix n'est-elle pas comme l'emblème de ce que furent à la fois sa miséricorde et son activité ? Il me semble Y voir le triomphe de l'un aussi bien que de l'autre. Voilà pourquoi il était bien placé pour dire à la foule réunie autour de lui : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. »

Qu'il me soit permis en terminant de dire à tous ceux qui ont soif de connaître Dieu personnellement et par expérience que, pour y arriver, le plus sûr moyen est, et sera toujours, de se placer sur le terrain de la miséricorde. On a souvent dit que nous ne connaissons au fond que ce que nous trouvons en nous : en d'autres termes, il faut que les choses passent par nous pour qu'elles nous deviennent accessibles, et si nous arrivons à connaître un peu l'immense univers, c'est qu'il se reflète dans la personnalité humaine que l'on a appelée un microcosme, un monde en miniature. J'ai l'impression qu'il en est ainsi de Dieu, il ne nous devient accessible que par les côtés par lesquels nous lui ressemblons, et plus cette ressemblance va loin, plus Dieu nous devient perceptible.

Or, depuis que nous avons rencontré Jésus-Christ, Dieu à travers lui nous est apparu infiniment miséricordieux, ses compassions sont sans limites - pour le connaître, il nous faut à notre tour devenir compatissants, plus nous le serons, plus nous connaîtrons Dieu, parce qu'aussi plus Dieu sera en nous ; la miséricorde qui remplit un coeur est une manifestation du Dieu miséricordieux.
Ne cherchons donc pas bien loin lorsque nous soupirons après Dieu, entrons avec Christ dans le cortège des miséricordieux, en prenant notre part des souffrances humaines, et nous aurons bientôt des perceptions de Dieu que rien, ni la philosophie, ni la raison, ni même le mysticisme ne pourront nous donner.

Mais il y a plus, c'est de cette façon et de cette façon seulement que nous réussirons le mieux à faire connaître aux autres le vrai Dieu. Prenons-y garde, il y a des foules de gens aujourd'hui qui ont de la peine à croire en Dieu, il a été si souvent voilé dans la guerre actuelle que, malgré leur bonne volonté, beaucoup d'hommes ne savent plus où le trouver. À nous de le leur montrer en étant comme des rayons ou des reflets de sa miséricorde. À nous de dissiper les brouillards souvent épais qui le cachent aux yeux, pour le faire apparaître dans toute sa splendeur, et plus nous deviendrons miséricordieux plus il nous sera fait miséricorde par les hommes comme par Dieu même. Nous connaîtrons alors la joie infinie que Dieu communique à ceux qui s'efforcent de lui ressembler.

Viens âme qui pleures,
Viens à ton Sauveur ;
Dans tes tristes heures,
Dis-lui ta douleur;
 
Dis tout bas ta plainte
Au Seigneur Jésus,
Parle-lui sans crainte,
Et ne pleure plus.
 
Dis tout à ce frère,
À ce tendre ami,
Ton épreuve amère,
Ton deuil, ton souci.
Il aime, il console
Les coeurs abattus
Crois à sa parole,
Et ne pleure plus.
 
Aux coeurs en détresse
Ployant sous le faix,
Dis que Dieu les presse
De chercher sa paix.
Calme leurs alarmes
Dis-leur que Jésus
A séché nos larmes...
Va, ne pleure plus.

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