Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LES HEUREUX


IV

LES DOUX
LES HÉRITIERS DE LA TERRE

Heureux les doux, car ils hériteront la terre.
MATTHIEU V, 5.

 Après les pauvres en esprit, c'est-à-dire les humbles, auxquels est promis le royaume de Dieu, après les affliges, c'est-à-dire ceux qui pleurent et qui seront consolés, les doux, ou comme on traduisait jadis les débonnaires, auxquels la terre est promise. La série des paradoxes continue, on dirait même qu'elle va s'accentuant, car promettre la terre aux hommes doux, nous n'y aurions certes pas pensé. La terre, mais tout nous crie aujourd'hui et aujourd'hui plus que jamais, qu'elle est aux forts, aux violents, aux conquérants, à ceux qui n'ont aucun scrupule d'écraser les autres et de les dépouiller; la promettre aux débonnaires, c'est pure folie. À eux la paix intérieure, la joie du coeur, le bonheur de la communion avec Dieu, oui certes, la terre ? jamais : tout plutôt que la terre !

Et pourtant c'est aux doux que la terre est promise, et le mot employé ici dans le texte primitif est des plus significatifs, il s'agit bien de doux dans le sens littéral de l'expression ; les doux, c'est-à-dire ceux qui ne sont ni violents, ni conquérants, qui sont même aux antipodes de ces derniers. Pourquoi donc Jésus parle-t-il ainsi ? Pourquoi se plaît-il à étonner, j'allais presque dire à heurter ses auditeurs? Est-ce mie simple manière de parler, un pur paradoxe qu'il ne faut pas prendre au sérieux ? Ou bien sommes-nous ici en face d'un de ces innombrables traits de l'Évangile qui montrent qu'il est utopique et que l'homme moderne ne peut pas y conformer sa vie ? Faut-il choisir entre le christianisme et l'époque actuelle, et conclure avec beaucoup de gens qu'on ne peut être à la fois disciple du Christ et homme moderne ? Si Jésus vivait à notre époque, s'il assistait à l'effroyable catastrophe actuelle, parlerait-il encore ainsi ? Le monde entier tout haletant à la vue des horreurs qui se passent est persuadé que la victoire restera aux plus forts, aux plus habiles et non pas aux plus doux ; les doux peuvent être sûrs d'être écrasés, les Belges, les Arméniens, les Serbes, etc., n'en sont-ils pas la preuve tristement vivante ?
Eh bien, malgré les apparences, je suis persuadé que Jésus a eu raison et qu'en fin de compte pour qui sait attendre, pour qui ne vit pas uniquement dans l'heure fugitive du moment, ce sont bien les doux qui petit à petit conquerront, puis hériteront la terre, autant du moins que celle-ci est appelée à être dans l'univers une province du royaume de Dieu.

Il y a quelques années parut en Angleterre un livre singulièrement intéressant et qui lui aussi pouvait paraître paradoxal, il démontrait la vérité de la béatitude que nous étudions aujourd'hui, non pas seulement en ce qui concerne les hommes, mais tout autant dans le monde des animaux. Les bêtes féroces, les oiseaux de proie qui ont voulu s'isoler ou plutôt que leur instinct isolait de plus en plus des autres êtres ont disparu ou disparaissent peu à peu de notre planète. Je ne parle pas ici des animaux antédiluviens, de ces monstres formidables qui s'appellent l'iguanodon, l'ichthyosaure et tant d'autres qui n'existent plus que dans l'empreinte qu'ils ont laissée de leurs formes étranges au fond des antiques terrains. Je parle d'animaux bien plus rapprochés de nous, j'ajouterai bien plus beaux, bien plus harmonieux de formes, tels que les lions, les panthères, les tigres, les léopards, et dans le monde des oiseaux, les aigles, les vautours, etc. ; petit à petit leur race s'éteint, ils ne sont plus représentés que par des spécimens de plus en plus rares; à mesure que les hommes et les animaux conquièrent et couvrent la planète, ils ont dû se retirer au fond des déserts, dans les hautes montagnes sauvages et perdues loin de tout, et l'heure approche où, ayant peu à peu disparu, on ne les trouvera plus que dans les ménageries ou les jardins d'acclimatation, voire les parcs nationaux et enfin les musées qui les conserveront soigneusement empaillés pour l'étude et l'étonnement des générations futures.

Par contre, ajoutait l'auteur, les animaux doux tels que les boeufs, les vaches, les moutons, etc., vont se multipliant à l'infini, ils couvriront bientôt la terre ou du moins toutes les parties de la terre où ils peuvent habiter. Oh ! je sais qu'on me répondra que c'est pour les manger ou du moins pour s'en servir qu'on les a laissés se multiplier ainsi. Sans doute, mais c'est justement là la force de la thèse: les bêtes féroces, les animaux de proie qui n'ont pas voulu servir ont dû disparaître, si formidablement armés qu'ils aient été : les animaux inoffensifs, plus ou moins désarmés, vont se multipliant parce qu'ils servent, c'est leur utilité qui assure leur survivance. Ce n'est donc pas en écrasant les autres qu'on hérite la terre, c'est en les servant.

Dans le domaine de l'histoire il n'en est pas autrement, tous les empires, tous les royaumes, même les plus formidables, qui ont été fondés par la force et par la violence se sont écroulés et ont disparu, les conquérants les plus puissants n'ont rien créé de réellement durable, à l'exception peut-être de quelques monuments, tels que les pyramides. Pensez aux Pharaons d'autrefois, au redoutable Ramsès II, pensez à Nébucatnetsar, à Alexandre le Grand, à l'empereur Auguste, Charlemagne, Charles-Quint, Napoléon le', et dites s'ils ont vraiment hérité la terre; ils ont été sur le point de la posséder, ils l'ont du moins en partie et momentanément tenue dans leurs mains, puis tout leur a été ôté, et parfois l'écroulement s'est produit de leur vivant, tel Napoléon Ier l'un des conquérants de génie les plus indiscutables, qui dût assister, navré, désespéré, à l'écroulement de son empire.

À côté d'eux, je vois des peuples inoffensifs au point de vue de la guerre, des peuples martyrs comme, le, Juifs qui subsistent quand tous passent, ils ont beau n'être qu'une poignée et encore une poignée de gens persécutés, méprisés, vilipendés, ou a beau dans bien des pays les traiter comme des parias et leur refuser des droits qui sont accordés à tous, ils sont toujours là et ce sont eux qui directement ou indirectement, par leurs lois morales, résumées dans le décalogue, leurs idées religieuses et surtout leur plus parfait représentant, Jésus-Christ, hériteront la terre. Il n'y a qu'à attendre et laisser les événements s'écouler pour le constater.
Mais la chose devient plus frappante encore quand on considère l'influence de tels hommes de science essentiellement doux, paisibles, n'ayant rien d'un conquérant, tel le génial Pasteur ou l'entomologiste Fabre, qui par leurs découvertes dues à leurs travaux patients, persévérants, ont assuré à l'humanité des victoires, des progrès, des délivrances autrement plus fécondes, autrement plus réelles que toutes celles des conquérants. L'humble savant dans son laboratoire auquel la foule ne prend pas garde, exercera dans cent ans, dans cinq cents ans, dans mille ans d'ici, une influence bénie absolument inconnue aux animaux de proie de l'histoire.
On connaît l'admirable chapitre 7 du livre de Daniel qui nous montre les bêtes féroces de plus en plus monstrueuses, sortant de la mer pour exercer leurs ravages parmi les hommes jusqu'à ce qu'enfin elles soient remplacées par le Fils de l'homme qui, paisiblement, descend du ciel, et, sans écraser personne, sans faire de mal à qui que ce soit, reçoit la « domination, la gloire et le règne ; tous les peuples, ajoute le texte sacré, les nations et les hommes de toutes langues le serviront. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera jamais détruit » (13 et 14).

Ah ! qu'il est bon aujourd'hui, à l'heure troublée et troublante que nous traversons, de croire que cela est vrai et de ne plus nous laisser impressionner par les apparences contraires. Nous pouvons être tout à fait tranquilles : tout empire, tout royaume, toute démocratie qui est le résultat de la force et de la violence passera, et je dirais passera d'autant plus sûrement qu'il est davantage le produit de cette force et de cette violence, car il renferme en lui-même le principe destructeur qui va sûrement le mener à la ruine, tandis qu'au contraire ce que la justice, le bon droit, le respect des individualités a réussi à créer subsistera à travers tout, même si momentanément nous voyons le contraire. Non décidément, Jésus n'avait pas tort de proclamer bienheureux les doux puisqu'ils hériteront la terre. Cela est vrai dans tous les domaines, même dans le domaine politique : à combien plus forte raison dans le domaine spirituel et moral. Et pourquoi donc? C'est ce qui nous reste à examiner.

Tout d'abord parce qu'en réalité les doux ce sont les vrais forts. En effet, qui dit doux ne dit pas mou, lâche, négligent, mais au contraire viril, énergique, persévérant. Il y a dans la douceur une conquête et une maîtrise de soi qui implique une très grande force. J'ai souvent remarqué que les hommes vraiment forts sont plus doux que les autres et que ceux qui manquent de douceur sont bien plus faibles qu'ils ne le semblent au premier abord. Il en est ici un peu comme des gros chiens, les chiens du Saint-Bernard par exemple, qui sont des types de douceur; ils se laissent faire, taquiner, même tourmenter par des enfants ou par de plus petits chiens parce que, étant forts, ils dédaignent d'employer leurs forces contre de plus faibles qu'eux, ils savent le mal qu'ils pourraient faire d'un coup de patte ou d'un coup de dent: aussi ne le feront-ils pas sans nécessité. Tandis que les petits roquets sont parfois très désagréables, ils aiment à vous mordre les jambes, ils aboient constamment et pour un rien. Pourquoi donc ? Parce qu'ils sentent leur faiblesse et que souvent ils ont peur, ils doivent donc se donner du courage en faisant du bruit, ce qui les rend parfois fort désagréables. C'est une manière de se donner la force qu'ils n'ont pas.

Il en est de même, très souvent du moins, avec les hommes : quand ils sont vraiment forts ils savent tenir leurs nerfs, adoucir leur ton et calmer leur sang, ils ne jugeront pas nécessaire de tirer parti de leur force pour écraser les autres, à quoi bon ? Mais qu'une occasion digne d'eux se montre, on verra bien alors ce qu'il y a de puissance concentrée derrière cette apparence de douceur.
Or rien n'est important pour exercer de l'influence sur les autres comme d'être en pleine possession de soi-même ; la première conquête à faire c'est la conquête de soi, quand elle est faite il n'est pas difficile de l'étendre autour de soi : « Celui qui est lent à la colère, dit le livre des Proverbes, vaut mieux qu'un héros et celui qui est maître de lui-même que celui qui prend des villes » (XVI, 32). On a souvent raconté de Napoléon 1er, si fort sur les champs de bataille, qu'il se laissait souvent désarçonner chez lui par les contrariétés de la vie ordinaire.

Il est un personnage dans l'ancienne alliance qui paraît un modèle à cet égard, c'est le grand Moïse, cet homme qui exerça une influence considérable sur ses contemporains, sur son peuple en particulier, qui le façonna, le pétrit à sa manière, en vue de sa glorieuse destinée. Or Moïse était par nature un homme colère : dans sa jeunesse, il avait tué l'Égyptien ; plus tard, alors qu'il avait quatre-vingts ans, il avait brisé les tables de la loi en voyant les Israélites danser autour du veau d'or. Puis il était arrivé à une telle victoire sur son tempérament que le texte du livre des Nombres dit de lui « qu'il était le plus doux des hommes sur la face de la terre » (XII, 3), et cela au moment où certes il aurait eu de quoi se mettre en colère puisque sa soeur Marie et son frère Aaron lui contestaient publiquement son autorité. On peut dire certainement que cette pleine possession de lui-même, acquise par Moïse à force de volonté et de persévérance, l'aida à exercer sur les autres l'extraordinaire ascendant que l'on sait.
J'ajoute que la douceur dont parle Jésus est en général une vertu acquise, elle ne nous est pas naturelle, et c'est ce qui prouve qu'elle est un signe de grande énergie. Aussi la trouvons nous très souvent recommandée dans les épîtres : « Revêtez-vous de douceur et de patience (Colossiens III,12). Que votre douceur soit connue de tous les hommes (Philippiens IV, 5). Marchez en toute humilité et douceur, avec patience, vous supportant les uns les autres avec charité, vous efforçant de conserver l'unité de l'esprit par le lien de la paix (Éphésiens IV, 2 et 3). Les fruits de l'esprit sont l'amour, la joie, la paix, la patience, la douceur, la tempérance, c'est-à-dire la maîtrise de soi » (Galates V, 22 et 23).
Et si l'on objecte la parole du Sauveur : « Le royaume des cieux est forcé et ce sont les violents qui s'en emparent » (Matthieu XI, 12), nous répondrons qu'il s'agit là d'hommes qui mettent toute leur énergie, toute leur ardeur à entrer dans le royaume sans être pour cela des hommes emportés.

Si les doux hériteront la terre, c'est qu'en outre ils n'excitent pas comme les violents la jalousie et la haine; on est en général bien mieux disposé à leur égard qu'à l'égard des autres. Rappelons-nous nos animaux de proie : rien n'isole comme la violence et la cruauté, et quand un peuple a pris pour devise : Régner par la terreur et non pas par l'amour, se faire craindre plutôt que se faire aimer, on peut être sûr qu'il marche à sa ruine, non pas tout de suite peut-être, au premier abord ce système pourra lui réussir, mais plus tard il se retournera sûrement contre lui.

L'amour est le plus puissant des ciments, le seul qui lie ensemble et pour toujours les pierres de l'édifice ; là où il manque rien n'est solide, c'est la ruine à plus ou moins brève échéance, et si cette haine va grandissant, si des hommes toujours plus nombreux se liguent contre vous, si le monde entier se soulève et prend la résolution de vous faire disparaître, il n'y aura pas de canon qui tienne, il n'y aura pas d'armée capable de résister, l'écroulement devient inévitable et il sera d'autant plus terrible qu'il se sera fait davantage attendre. « Que servirait-il à un homme de gagner tout le monde s'il venait à perdre son âme » (Matthieu XVI, 26) ? On pourrait dire tout aussi bien : « Que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s'il soulevait contre lui le monde entier ?» Absolument à rien qu'à hâter sa défaite en la rendant d'autant plus complète que le triomphe aura été un instant plus éclatant.

Au reste les doux, parce qu'ils sont doux, non seulement attirent à eux, gagnent des sympathies et se renforcent des sympathies d'autrui, mais encore ils en sentent le besoin, ils ne veulent pas et ils ne peuvent pas rester seuls, car ils devinent qu'ils seraient bientôt vaincus, il leur faut l'entr'aide, ils veulent la coopération et ils feront tout pour se l'assurer. Le splendide isolement dont se vantait jadis la puissante Angleterre dans une crise d'orgueil, les effraie, ce qu'ils trouvent splendide c'est de ne pas être isolés. Solidaires, oui, solitaires jamais. On peut regretter que l'esprit moutonnier se soit emparé de tant d'hommes qu'il a trop souvent annihilés, mais il y a pourtant quelque chose de vrai et d'intéressant dans ce besoin d'imiter les autres ou du moins de se rapprocher d'eux, de faire comme eux pour les avoir avec soi. Or il est de plus en plus certain que l'avenir n'est pas à la concurrence mais à l'association, non pas à la lutte de classes, de races et en général d'homme à homme, mais à la coopération, et pour entrer dans cette voie, il faut en finir avec l'esprit des violents et le remplacer par l'esprit de ceux qui sont doux. Homo homini lupus peut être une devise vraie pour les peuples barbares, elle ne le sera plus quand la barbarie aura disparu.

Enfin Jésus peut dire : Heureux les doux car ils hériteront la terre! par la bonne raison, et c'est selon nous la principale, qu'étant doux ils voudront à tout prix laisser Dieu agir et agir d'autant plus qu'ils sont plus doux et donc plus inoffensifs. On peut remarquer que dans les béatitudes que nous avons étudiées, c'est toujours parce que l'homme sent le besoin de Dieu qu'il peut être heureux - les pauvres en esprit, les humbles sont trop faibles à leurs propres yeux pour pouvoir se passer de lui ; ceux qui pleurent, ceux qui sont dans le deuil soupirent après un consolateur, les doux à leur tour ne se sentent pas capables de tenir tête aux violents ; aussi se sentent-ils poussés avec force à chercher en Dieu ce qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes, un point d'appui suffisamment fort pour les soutenir dans leurs difficultés. Or associer Dieu à ce que l'on fait, c'est s'associer à lui, le vainqueur, c'est avoir le vainqueur pour allié, et comme un jour il triomphera de tous ses ennemis et conquerra la terre, c'est la conquérir avec lui. Au contraire, se séparer de lui, chercher à se tirer d'affaires sans lui, lutter avec ses propres forces, c'est aller au-devant d'un échec certain, c'est s'empêcher soi-même d'hériter la terre. Saint Paul ne disait-il pas: « Que personne ne mette sa gloire dans des hommes ; car tout est à vous, soit Paul, soit Apollos, soit Céphas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir, tout est à vous ; et vous êtes à Christ et Christ est à Dieu » (I Corinthiens III, 21-23). Pour hériter la terre il nous faut donc être doux, puisque la terre est à Dieu et que seule la douceur nous assure la présence et le secours de Dieu.

Si nous avions encore des doutes au sujet de ce que nous venons de dire, il suffirait de nous rappeler l'exemple de Jésus-Christ lui-même et de son plus puissant disciple, l'apôtre Paul, pour que ces doutes disparaissent. Tant que le pharisien Saul de Tarse s'est montré l'homme violent, respirant la fureur et la rage que l'on sait, il n'a conquis personne, il s'est bien plutôt aliéné ceux qu'il aurait dû gagner. Quand au contraire, vaincu par Jésus-Christ sur le chemin de Damas, il s'est laissé conduire comme un enfant, puis bénir par l'humble Ananias, alors il est devenu l'admirable apôtre Paul, et par sa maîtrise de soi et par son ardent amour fait de délicatesse et d'infinie tendresse, il a tout simplement conquis le monde et laissé dans l'histoire le souvenir du plus grand des conquérants, c'est bien lui qui par sa pensée a hérité la terre.

Mais ce qu'il était, il le devait à Jésus-Christ, qui disait de lui-même qu'il était « doux et humble de coeur » (Matthieu XI, 29), celui qui, des siècles avant sa naissance, était salué déjà parle prophète par ces mots touchants : « Voici mon serviteur que je soutiendrai, mon élu en qui mon âme prend plaisir; il ne criera point, il n'élèvera point la voix et ne la fera point entendre dans les rues. Ill ne brisera point le roseau cassé, il n'éteindra point le lumignon qui fume encore ; il annoncera la justice selon la vérité, il ne découragera point et ne se relâchera point, jusqu'à ce qu'il ait établi la justice sur la terre et que les îles espèrent en sa loi » (Ésaïe XLII, 1-4). Le prophète Élie l'avait salué d'avance quand, dans sa vision de Dieu, il l'avait contemplé non pas dans le grand vent, le tremblement de terre ou le feu, mais dans le murmure doux et léger du printemps. En effet, ce n'est pas la tempête de l'hiver qui ressuscite la nature, elle ne fait que retarder le printemps, on dirait vraiment que tout ce qui vit sur la terre se cache, se contracte et résiste quand le vent de tempête fait rage. Mais quand, en mars ou en avril, le vent s'adoucit, quand il n'est plus qu'une haleine chaude et parfumée, alors plus rien ne résiste, les oiseaux sortent de leurs cachettes et se mettent à chanter, les arbres se couvrent de feuilles, les prairies deviennent des parterres de fleurs, c'est la vie qui renaît, c'est la fête du printemps qui recommence. La douceur a triomphé sans peine là où la violence avait échoué.

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

Lorsque dans l'Apocalypse nous voyons le ciel ouvert et que retentit le cantique des anges, celui dont les armées célestes chantent les louanges, c'est l'agneau immolé, type de douceur, d'innocence et d'amour. « Ils chantaient un cantique nouveau en disant : Tu es digne de prendre le livre et d'en ouvrir les sceaux ; car tu as été immolé et tu as racheté pour Dieu par ton sang des hommes de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation ; tu as fait d'eux un royaume et des prêtres pour notre Dieu et ils régneront sur la terre » ( V, 9 et 10).

Voulons-nous à notre tour régner aux siècles des siècles, hériter la terre, et, ce qui vaut mieux, en faire un paradis de bonheur et d'amour ? Soyons doux comme l'agneau immolé en mettant de côté la bête féroce qui se trouve cachée au fond de chacun de nous. Ce n'est pas « le lion qui rôde autour de nous pour savoir qui il dévorera » (1 Pierre, V, 8) qui règnera sur la terre, c'est l'agneau immolé, celui « qui n'a pas considéré comme une proie l'égalité avec Dieu, mais qui s'est laissé vider lui-même en prenant une forme de serviteur » (Philippiens II, 6 et 7).

 

Oh! qu'il est doux d'aimer Dieu comme un Père,
D'aller à lui sans détour, sans frayeur,
De parcourir sa terrestre carrière
Toujours conduit par l'esprit du Seigneur.
 
Oh ! qu'il est doux de penser à ta grâce,
Dans ma faiblesse et toutes mes langueurs,
Et de me dire : « Il s'est mis à ma place
Comme un agneau pour porter mes douleurs »
 
Dans nos concerts, joints aux concerts des anges,
Nous chanterons le cantique nouveau :
Nos harpes d'or, nos voix et nos louanges
Rendront la gloire et l'honneur à l'Agneau.

Table des matières

Page précédente:
 

- haut de page -