HUDSON TAYLOR
QUATRIÈME PARTIE
SHANGHAI ET LES
PREMIERS VOYAGES
1854-1855
(de vingt-deux
à vingt-trois ans)
CHAPITRE 17
Une source dans le désert
avril-août 1854
Au début d'avril eut lieu une
véritable bataille entre les forces
chinoises et les Européens qui, grâce
aux volontaires et aux marins, mirent en fuite
leurs adversaires, au nombre de cinquante mille
hommes. Mais, par crainte de représailles,
ils se barricadèrent dans le quartier
européen, et Hudson Taylor dut renoncer pour
longtemps aux excursions qu'il avait
commencé de faire avec les missionnaires
dans les alentours de Shanghaï ; il fallut
abandonner en particulier, bien à regret, le
projet d'un voyage qu'il devait faire avec M.
Edkins.
Si nous étions partis comme
nous l'avions prévu, écrivait-il plus
tard, nous aurions probablement été
saisis et décapités par les troupes
impériales, par esprit de vengeance. Mais
Dieu est toujours avec nous. Nous comptons sur Sa
fidèle protection. Il ne nous oublie pas, Il
ne charge jamais.
Il est naturellement impossible
d'aller dans la campagne; ainsi il semble que je ne
pourrai y trouver un logement pour le moment. Je
donnerais tout pour avoir un ami que je puisse
consulter librement. Ma situation est si
embarrassante que, si je n'avais la promesse
assurée que Dieu me dirigera, je ne sais ce
que je ferais. Il n'y a aucune possibilité,
je le crains, de vivre avec mon salaire dans les
circonstances présentes. Si j'avais un
logement à moi, je pourrais vivre de riz
(pas de pain, qui serait trop cher), et boire du
thé, sans lait ni sucre, qui est assez bon
marché ici.
À première vue, il peut
paraître exagéré de
s'arrêter ainsi sur chaque difficulté
que traversait Hudson Taylor. Il est vrai qu'il
était en pleine guerre mais, pour autant que
les circonstances le permettaient, il vivait en
sûreté et ne manquait de rien,
apparemment, si bien que l'on est quelque peu
surpris de noter un ton de souffrance dans ses
lettres, jusqu'à ce que l'on découvre
l'autre face de ses expériences.
L'assistance qu'il trouvait auprès du Dr
Medhurst et des autres missionnaires de la Mission
de Londres était pour lui
d'une extrême valeur, et cependant elle le
plaçait dans une situation délicate.
S'il avait appartenu à cette
Société et avait été
destiné à travailler sous ses
auspices, c'eût été parfait.
Mais comme les choses se présentaient, il
avait l'impression d'être un peu comme un
coucou qui se serait introduit dans le nid d'un
autre oiseau. Il n'avait pas, comme ses
hôtes, reçu une éducation
supérieure et n'était rattaché
ni à une grande dénomination, ni
à une oeuvre importante. La
préparation dont il avait
bénéficié était
différente de la leur ; ses vues religieuses
faisaient de lui un solitaire et sa position en
tant que missionnaire était en butte
à la critique.
Il avait été
envoyé, précipitamment, par sa
Société, avant l'achèvement de
ses études de médecine, dans l'espoir
qu'il atteindrait les rebelles à Nanking.
Induits en erreur par des rapports optimistes sur
le mouvement des Taï-ping, les
secrétaires de la Société pour
l'Évangélisation de la Chine avaient
adopté une attitude qui paraissait absurde
à ceux qui étaient à l'oeuvre
dans le champ missionnaire. Hudson Taylor ne tarda
pas à s'apercevoir que la
Société pour
l'Évangélisation de la Chine, avec
ses visées et ses méthodes,
était tournée en ridicule à
Shanghaï. Il était tout
particulièrement peiné de voir que Le
Gleaner, qui paraissait mois après mois,
était disséqué dans un esprit
critique, bien qu'il dût reconnaître la
justesse de certaines des observations qui
étaient faites. Cela ne facilitait pas le
seul représentant de la
Société dans cette partie de la
Chine, d'autant moins que, pour le moment, il
dépendait précisément de ceux
qui avaient des opinions si catégoriques
à ce sujet.
Il réalisait autant que les
autres missionnaires la faiblesse de la
Société pour
l'Évangélisation de la Chine. Mais il
connaissait et respectait plusieurs des membres de
son Comité et un amour mêlé de
reconnaissance l'attachait à quelques-uns
d'entre eux, les secrétaires notamment. Cela
mettait toutes ces questions dans une
lumière bien différente. La communion
spirituelle qu'il avait eue avec eux, à
Tottenham et ailleurs, ne pourrait jamais
être oubliée. Tout en constatant leurs
erreurs, il soupirait après leur esprit de
prière, leur amour pour la Parole de Dieu et
leur zèle pour sauver les
âmes.
L'influence du monde était
terriblement forte à Shanghaï,
même dans les cercles
missionnaires. Dans la concession
étrangère régnait la
fièvre des finances et du commerce. À
vrai dire, la révolte locale y avait mis un
frein momentané et l'on se demandait
jusqu'à quand dureraient les troubles. Mais,
dès que la ville indigène serait aux
mains des troupes impériales, les affaires
reprendraient avec intensité. Le prix des
terres monterait, entraînant toutes les
entreprises comme dans une vague. Ce fut ce qui
arriva avant que se fussent écoulés
douze mois.
Un tel état de choses ne fut pas
sans influence sur la communauté
missionnaire. Le renchérissement de la vie
nécessitait une augmentation des salaires.
Inévitablement, cela demandait de nombreux
contacts avec les fonctionnaires du gouvernement
auxquels les missionnaires étaient
très utiles comme interprètes et avec
les officiers des canonnières qui
stationnaient à Shanghaï pour la
protection de la concession. Sans qu'il eût
relevé une faute quelconque à la
charge de qui que ce fût, Hudson Taylor
cependant était surpris par l'esprit de ces
relations sociales. Ce n'était pas ce que le
jeune homme attendait de la vie missionnaire. Cela
ne correspondait pas à son
idéal.
D'autre part, il ne répondait
lui-même pas à l'idée que l'on
se faisait autour de lui d'un missionnaire. Il
avait reçu une bonne éducation, mais
sans passer par l'université ou le
collège ; il n'avait pas de diplôme de
médecin, il refusait le titre de
Révérend. Il était visible
qu'il était bon et sérieux, mais il
n'était envoyé par aucune
Église particulière. Il voulait faire
de la médecine, mais il n'était pas
docteur. Il avait évidemment l'habitude de
la prédication et de la cure d'âmes,
et pourtant il n'était pas officiellement
consacré. Enfin, ce qui était le plus
étrange peut-être, quoiqu'il
appartînt à une Société
qui semblait disposer de ressources satisfaisantes,
son traitement était insuffisant et son
train de vie misérable.
Hudson Taylor se rendait compte de tout
cela, et chaque jour davantage. Aussi tout ce qu'il
désirait était d'aller dans
l'intérieur et de vivre avec le peuple. Il
voulait limiter ses dépenses et continuer la
vie simple, la vie de sacrifice qu'il avait
menée en Angleterre. Sa seule ambition
était d'apprendre la langue pour gagner des
âmes... Il ne se souciait aucunement des
opinions du monde et des plaisirs de la vie de
société, bien qu'il
désirât intensément
réaliser une vraie communion avec ses
frères dans le service de
Dieu. Il avait un salaire de
quatre-vingts livres sterling, mais il
s'aperçut qu'il ne pourrait s'en tirer
même avec une somme deux fois plus grande.
C'était la pauvreté, et il connut
bientôt de véritables
difficultés. Et il n'y avait personne qui
pût le faire savoir au Comité en
Angleterre.
Il était seul,
inévitablement seul. Les missionnaires avec
lesquels il vivait étaient plus
âgés que lui, à l'exception des
Burdon qui étaient très
occupés par leur travail. Il ne voulait pas
abuser trop souvent de leur amabilité et,
comme il n'avait pas de collègue partageant
ses vues, il lui était impossible de
discuter des questions en rapport avec la
Société et le développement de
l'oeuvre qu'il avait à coeur. Il apprit
bientôt à se taire sur ces choses,
mais il souhaitait ardemment rencontrer quelqu'un
avec qui les apporter au Trône de la
grâce.
Le jeune missionnaire souffrait de sa
situation. Cependant, ce fut une bonne chose pour
lui qu'il ne pût rester seul à
l'écart à ce moment-là et
vivre de riz et de thé, sans lait ni sucre.
Il l'eût fait s'il avait été
son propre maître. Il eût consenti aux
plus extrêmes renoncements pour que
durât le plus possible son modeste
pécule. Mais, dans ce climat
éprouvant et nouveau pour lui, cela
eût été dangereux dans la
saison chaude. Bien plus, n'y avait-il pas un
dessein plus profond dans les limitations
providentielles imposées à Hudson
Taylor? Il désirait la liberté et
l'indépendance, et le Seigneur jugeait bon
de le maintenir dans une situation contraire, lui
faisant apprendre ainsi ce que c'est que
d'être pauvre, faible et dépendant des
autres. Pour Son propre Fils bien-aimé, le
chemin ne fut pas différent. Il y a des
leçons qui ne peuvent être apprises
qu'à cette école.
Si Hudson Taylor n'avait pas connu tout
cela à l'aube de sa carrière
missionnaire, il n'aurait pas pu comprendre les
autres comme il fallait qu'il les comprît. De
nature, il était plein de ressources et
extrêmement indépendant. Il avait
sacrifié, comme nous l'avons vu, espoirs et
ambitions, rompant ses études de
médecine avant d'obtenir le diplôme,
simplement pour être libre de suivre la
direction du Seigneur telle qu'elle lui fut
personnellement indiquée, sans être
entravé par des obligations, même
à l'égard de la Société
avec laquelle il était en rapport. Et
maintenant, dès les premiers jours de sa vie
nouvelle en Chine, il se trouvait dépendant
de la générosité
d'étrangers, confiné dans
une situation aussi
désagréable pour eux que pour lui et
dont il ne pouvait voir l'issue prochaine.
Comme le printemps s'écoulait,
son journal révèle plus de souffrance
et de découragement que ne peut en avoir
produit le climat. Ses yeux, qui n'avaient jamais
été bons, s'enflammèrent par
l'effet du soleil et de la poussière, et il
eut aussi beaucoup de maux de tête.
Malgré tout, il consacrait cinq heures par
jour, en moyenne, à l'étude du
chinois, tout en donnant à sa correspondance
le temps nécessaire. Ses lettres d'alors
montrent qu'il commençait à sentir la
monotonie de la vie d'un jeune missionnaire,
consacrée surtout à l'étude.
Il avait peu de choses intéressantes
à raconter, puisqu'il ne sortait plus de la
concession étrangère, et il est clair
qu'il traversait cette phase d'accablement et de
désillusion dans laquelle tant d'autres
s'éloignent du Seigneur, et perdent leur
puissance spirituelle. Quel missionnaire, en
semblables circonstances, n'a pas connu la
tentation d'abandonner un idéal
élevé pour se retrouver au niveau de
ceux qui l'entourent ? La prière devient un
effort, la lecture de la Bible commence à
être ennuyeuse et l'on en vient à
désirer un stimulant quelconque ou
d'agréables distractions. La voie est alors
grande ouverte à un esprit censeur et
critique, au mécontentement, à
l'irritabilité et à des chutes plus
graves encore. Et tout cela, bien souvent, a son
point de départ dans cette monotonie presque
insupportable à laquelle le jeune
missionnaire trouve difficile, sinon impossible,
d'échapper.
Prie pour moi, prie avec instance,
écrivait Hudson Taylor à sa
mère, au début d'avril, car tu ne
sais guère ce dont je puis avoir besoin
quand tu liras ces lignes.
Et à M., Pearse, quelques jours
plus tard :
Que le Seigneur suscite des ouvriers
et les envoie dans cette partie de Son champ et
soutienne ceux qui sont déjà ici. Ce
n'est pas une excitation superficielle qui peut
faire cela. Il y a tant de choses repoussantes pour
la chair que rien, si ce n'est la puissance de
Dieu, ne peut soutenir Ses serviteurs dans un tel
milieu, de même que ce n'est que Sa
bénédiction qui peut leur donner du
succès.
Mais il en fut sauvé par la
prière et par son amour de la nature qui le
poussa à entreprendre une collection
d'insectes et un herbier ; par
son goût de l'étude qui lui fit,
pendant tout l'été, approfondir la
médecine et la chimie, lire les classiques
et des livres d'histoire ou de science. On peut
juger de l'emploi de son temps par le passage
suivant d'une lettre à sa soeur :
Avant le premier déjeuner, je
lis de la médecine; ensuite, je fais du
chinois pendant près de sept heures.
Après le dîner, des exercices grecs et
latins, une heure de chaque langue. Après
avoir pâli sur tout cela au point de n'y
presque plus voir, on est heureux d'avoir une belle
Bible en gros caractères, comme celle que
m'a donnée tante Hardey. C'est vraiment un
luxe ! Oui, toutes ces études sont
nécessaires. J'aurais dû apprendre il
y a longtemps les langues classiques de l'Europe;
aussi c'est maintenant le moment de le faire ou
jamais. Mais les devoirs les plus doux de la
journée sont ceux qui mènent à
Jésus - la prière, la lecture et la
méditation de Sa précieuse
Parole.
L'été était venu,
saison que les moustiques, la chaleur et les
insomnies rendent très pénible.
Durant des semaines, la température tombe
rarement au-dessous de vingt-sept degrés
pendant la nuit. Il est facile de décrire
ces choses, mais celui qui n'a pas connu ces jours
et ces nuits sans fraîcheur ne peut se
représenter quelle mesure de grâce il
faut pour supporter ces inconvénients sans
irritation et persévérer dans sa
tâche.
Tout au travers de cette saison
harassante, Hudson Taylor continua d'étudier
sans jamais faire moins de cinq heures de chinois
en moyenne par jour. Une fois ou deux, il alla dans
la campagne environnante avec M. Burdon, quoiqu'il
y eût danger à le faire. Et leur
confiance que le Seigneur les aiderait fut
récompensée par l'accueil qu'ils
reçurent des habitants des villages fort
contents de les voir revenir.
Je puis dire que j'ai un ami,
écrivait-il en faisant allusion à une
heureuse soirée passée avec les
Burdon après une sortie. Mais je ne veux pas
aller trop souvent chez eux, car je ne suis pas
leur seul ami et M. Burdon a une compagne. je
ressens beaucoup le manque d'un compagnon. La
journée se passe avec mon professeur, mais
mes soirées sont solitaires et
occupées par la correspondance ou
l'étude.
Les lettres, naturellement,
étaient un grand réconfort, et Hudson
Taylor consacra beaucoup de temps à la
correspondance durant la première
année qu'il passa en Chine. Chose
étrange, les mois de juin et de juillet lui
causèrent la tristesse de ne pas
recevoir de messages de la
maison alors qu'il attendait ardemment des
nouvelles. Et cela, ajouté à la
grande chaleur et aux conséquences d'une
maladie, courte mais assez grave, l'éprouva
à un degré que seuls peuvent
comprendre ceux qui ont passé par de
semblables désagréments.
Lorsque le dernier courrier arriva,
écrivait-il à sa mère au
milieu de juin, je fis à pied le trajet de
deux kilomètres et demi jusqu'au Consulat,
par une chaleur torride. Après avoir attendu
près de deux heures et manqué mon
repas de midi, j'eus le plaisir de rapporter des
lettres et des journaux pour tous les
missionnaires, sauf pour moi. Quand j'eus
constaté qu'il n'y avait vraiment rien pour
moi, la déception fut telle que je me sentis
tout à fait malade et épuisé
et que j'eus beaucoup de peine à regagner
mon logis, d'autant plus qu'on annonça que
le prochain courrier n'arriverait que dans six ou
huit semaines.
Une autre cause de tristesse durant ces
mois d'été, qu'il ressentait avec
plus d'acuité encore, était sa
situation matérielle, apparemment
oubliée par la Société, Son
premier trimestre en Chine était
écoulé et, en faisant ses comptes, il
fut plus que troublé. La somme qui lui
restait en mains était si minime qu'il lui
serait nécessaire d'utiliser sous peu la
lettre de crédit ; il avait
déjà dépensé plus de
cent trente dollars. À ce taux-là,
son salaire serait consommé avant que le
semestre fût passé. Que dirait le
Comité ?
Avec un soin méticuleux, il
expliqua à M. Pearse chaque détail de
ses comptes, les premiers qu'il eût jamais
envoyés de Chine. Ils révèlent
des détails touchants concernant des besoins
qu'il n'avait pas satisfaits, bridé par son
désir de limiter les dépenses le plus
possible. Enfin, au même moment, il apprenait
de façon indirecte, que la
Société pour
l'Évangélisation de la Chine envoyait
à Shanghaï un médecin
écossais, le Dr Parker, marié et
père de trois enfants. N'ayant pas
été averti par le Comité, il
ne savait que répondre aux questions des
autres missionnaires, ni quelles mesures prendre
pour la réception du nouveau venu et de sa
famille dans cette ville en état de
siège.
Il attendit anxieusement des lettres de
Londres. Sûrement, il serait
renseigné, vu tout ce qu'il avait
écrit au sujet de cette nouvelle
arrivée, et il recevrait des instructions.
Mais les courriers arrivaient les uns après
les autres, sans aucune allusion à la venue
du Dr Parker, et, avant que l'été ne
s'achevât, Hudson Taylor
comprit qu'il devait agir de sa propre initiative.
Toutes les questions qui lui étaient
posées à ce propos ne manquaient pas
de rendre la situation plus pénible
encore.
- Est-ce vrai qu'un médecin va se
joindre à vous, avec femme et enfants
?
- Quand l'avez-vous su?
- Pourquoi ne l'avez-vous pas
dit?
- Avez-vous acheté du
terrain?
- Pourquoi ne commencez-vous pas
à bâtir?
Et ainsi de suite. Dans sa
perplexité, il souffrit comme seule une
nature sensible peut souffrir. Mais alors que les
discussions devenaient les plus
désagréables et que la chaleur de
l'été était, presque
intolérable, le Seigneur se tint près
de lui et le réconforta.
Comme vous le savez,
écrivait-il en juillet à M. Pearse,
j'ai été très
éprouvé depuis mon arrivée
ici, par moment même au delà de toute
mesure. Mais la bonté de Dieu ne fait jamais
défaut et ces jours derniers j'ai joui d'un
sentiment bien doux de Son amour et me suis
appliqué certaines de Ses promesses, comme
si elles avaient été écrites
ou dites directement pour moi... Je suis sûr
que mes amis d'Angleterre se sont
spécialement souvenus de moi dans leurs
prières et je leur en suis
sincèrement reconnaissant. Oh ! continuez
à prier pour moi ! Je suis si faible que les
difficultés semblent me submerger, et
souvent je dois crier avec Pierre : «
Sauve-moi, Seigneur, je péris. » Mais
jamais ce cri ne reste sans réponse. Dieu a
un baume pour toutes les blessures. Je soupire
après le temps où je serai capable de
répandre la connaissance de Sa grâce
parmi ce peuple, dans sa propre langue.
J'espère que je serai en
mesure de trouver un logement quelconque pour le Dr
et M" Parker, bien que je ne sache ni où ni
comment. Toutes les maisons regorgent de monde, et
de nouveaux missionnaires sont attendus. J'estime
nécessaire que vous preniez
immédiatement une décision quant au
fait de construire. Si nous voulons établir
une mission à Shanghaï, il n'y a pas
d'autre solution. Personne ne peut avoir plus
d'objections que moi à la pensée de
construire ou voir plus clairement tous les
désavantages que cela comporte. Mais,
maintenant, la question est ramenée à
d'étroites limites. Il n'y a qu'un espace
bien défini dans lequel il nous soit permis
de vivre : c'est la concession
étrangère, et, là, tous les
immeubles sont occupés ou vont l'être
sous peu...
Plus il réfléchissait
à tout cela, plus il voyait que la seule
solution consistait à chercher une maison
indigène dans la partie chinoise de la
concession, pour y accueillir le
nouveau missionnaire. C'est
ainsi qu'en dépit de la chaleur accablante
et sans même prendre de chaise à
porteurs, il recommença ses laborieuses
recherches. Il y avait quatre ou cinq mois que,
lors de son arrivée, il s'était mis
en quête d'un logis, sans même trouver
une seule chambre disponible, et maintenant les
conditions semblaient pires encore. Il craignait de
ne rien trouver et, s'il ne s'était pas
reposé d'autant plus sur Dieu, il eût
été presque
désespéré. Mais, par ce moyen,
il apprenait à connaître sa propre
impuissance, et la force du Tout-Puissant.
Au mois d'août il écrivait
à Mlle Stacey, à Tottenham:
Comme il est doux de penser que nous
n'avons pas un souverain sacrificateur qui ne
puisse compatir à nos infirmités,
mais bien Quelqu'un qui fut tenté en toutes
choses comme nous, et cependant sans commettre de
péché. Rien n'est plus vrai : nous
sommes incapables de sympathiser avec ceux par les
circonstances desquels nous n'avons pas
passé. Qu'il est précieux de penser
que, si nos amis ne peuvent entrer qu'en partie
dans nos joies et nos tristesses, nos
épreuves et nos découragements, nous
avons toujours Celui qui est prêt à
sympathiser complètement; quelqu'un
auprès duquel nous avons constamment
accès et dont nous pouvons recevoir le
secours approprié, chaque fois que nous en
avons besoin...
Celui qui s'appuie
réellement sur le Bien-Aimé fait
l'expérience qu'il peut toujours dire : Je
ne craindrai aucun mal, car Tu es avec moi. Mais je
suis capable, comme Pierre, de détourner les
yeux de Lui et de regarder aux vents et aux vagues.
Alors, de même que, dans cette scène,
la grâce et la tendresse de Jésus sont
aussi manifestes que la petite foi de Pierre, de
même, aujourd'hui, dès que nous nous
tournons vers Lui, nous voyons qu' « Il donne
de la force à celui qui est las, et Il
augmente l'énergie de celui qui n'a pas de
puissance ». Si nous comptons
entièrement sur Lui, nous sommes en
sûreté et prospérons au milieu
des circonstances apparemment les plus
défavorables. Oh ! posséder plus de
stabilité ! La lecture de la Parole de Dieu
et la méditation des promesses qu'elle
contient ont été de plus en plus
précieuses pour moi ces derniers temps. Au
commencement, je laissais mon désir de
posséder rapidement la langue prendre une
place prépondérante et cela eut un
effet néfaste sur mon âme. Vous voyez
par cela comme j'ai besoin de vos prières.
Mais maintenant, dans Sa grâce qui surpasse
toute connaissance, le Seigneur a de nouveau fait
luire Sa face sur moi.
Deux jours plus tard il écrivait
à sa soeur Amélie :
Je me suis de nouveau
tourmenté l'esprit pour une maison, mais
sans résultat. J'ai fait de tout cela un
sujet de prières et l'ai abandonné
entre les mains du Seigneur.
Maintenant je suis tout à fait en paix. Dieu
y pourvoira et sera mon guide dans ce pas
embarrassant et dans tous les autres.
« Tout à fait en paix »
avec de telles difficultés devant lui ? Une
situation à laquelle il ne pouvait
répondre, des besoins pour lesquels il
était sans ressources et ne pouvait s'en
procurer un problème qui l'avait
tracassé jusqu'à en être
découragé, sans résultat aucun
! « J'ai fait de tout cela un sujet de
prières », telle est la simple
conclusion de la foi.
Oui, il en a toujours été
ainsi, et il doit toujours en être ainsi pour
le peuple de Dieu. Tant que nous ne sommes pas
arrachés à nos abîmes sans le
secours de notre sagesse et de nos ressources, nous
ne sommes guère que des débutants
à l'école de la foi. C'est lorsque
tout nous fait défaut, que nous faisons
faillite, que nous sommes réellement
faibles, ignorants et sans appui, que nous
commençons à recourir à la
force qui demeure. « Bienheureux l'homme dont
la force est en Toi » - et non partiellement
en Toi et partiellement en moi. Le diable rend
souvent les hommes forts par eux-mêmes pour
faire le mal, mais le Seigneur, bien au contraire,
révèle à Son serviteur sa
faiblesse, le pousse dans des circonstances qui lui
montrent son propre néant, afin qu'il
s'appuie sur la force qui ne chancelle point. Pour
la plupart d'entre nous, c'est une leçon
longue à apprendre. Mais il est impossible
d'aller de l'avant si elle n'est pas apprise
à fond. Et Dieu Lui-même estime
qu'aucune souffrance n'est trop grande et aucun
soin trop coûteux pour nous enseigner
cela.
« Tu te souviendras de tout le
chemin par lequel l'Éternel, ton Dieu, t'a
fait marcher pendant ces quarante années
dans le désert, afin de t'humilier et de
t'éprouver, pour savoir quelles
étaient les dispositions de ton coeur.
»
Ah! si toute cette longue, douloureuse
expérience, infiniment précieuse aux
yeux de l'Éternel, produisait toujours, dans
le peuple qu'Il éduque, des
caractères spirituels et moraux, quelles
transformations ne verrions-nous pas!
À ce point de notre
méditation, une clarté nouvelle
illumina toutes choses
grâce à ce qu'un croyant
âgé, riche en expériences
spirituelles, écrivait sur le Psaume 84
:
Parlant à mes
étudiants, un jour, je leur demandai quelle
était la vallée la plus longue, la
plus large et la plus peuplée du monde. Et
tous commencèrent à appeler à
leur aide toutes leurs connaissances
géographiques pour me
répondre.
Ce n'était pas la
vallée du Yangtze, ni celle du Congo ou du
Mississipi. Non ! C'est la vallée des
larmes, la vallée de Baca, qui les
dépasse toutes. Depuis six mille ans, elle a
été foulée par des multitudes
innombrables. Car tout être humain y passe
une fois ou l'autre.
Mais, pour nous, la souffrance
importe moins que son fruit. Qu'en avons-nous fait,
pour nous-mêmes, et pour les autres, de cette
longue et ténébreuse vallée ?
Quelle est notre attitude en la traversant ?
Désirons-nous surtout le plus court chemin
pour en sortir, ou cherchons-nous à la
transformer, selon Sa promesse, en un lieu plein de
sources pour la bénédiction des
autres et pour la gloire de notre Dieu
?
L'homme dont la force est en Dieu
a appris la valeur de la vallée des larmes
et sait que ces endroits arides et
désolés donnent les sources
après lesquelles, dans le monde entier,
soupirent les coeurs.
Telle fut la vie de
l'apôtre Paul. Quel long voyage il eut
à faire dans la vallée des larmes
:
« Souvent en danger de mort,
cinq fois j'ai reçu des juifs quarante coups
moins un, trois fois j'ai été battu
de verges, une fois j'ai été
lapidé, trois fois j'ai fait naufrage, j'ai
passé un jour et une nuit dans
l'abîme. Fréquemment en voyage, j'ai
été en péril sur les fleuves,
en péril de la part des brigands, en
péril de la part de ceux de ma nation, en
péril de la part des païens, en
péril dans les villes, en péril dans
les déserts, en péril sur la mer, en
péril parmi les faux frères. J'ai
été dans le travail et dans la peine,
exposé à de nombreuses veilles,
à la faim et à la soif, à des
jeûnes multipliés, au froid et
à la nudité. Et, sans parler d'autres
choses, je suis assiégé tous les
jours par les soucis que me donnent toutes les
églises. »
Ce fut vraiment un long voyage
dans la vallée des larmes. Mais quelles
sources de bénédictions ! Quelle
pluie remplissant les fontaines ! Nous nous y
abreuvons aujourd'hui encore !
Cher lecteur, n'est-ce pas là la
signification de tant de choses que nous avons de
la peine à comprendre ? Le Seigneur nous
aime trop pour ne point nous donner le meilleur. Il
affaiblit notre force dans le chemin, Il nous
amène dans la vallée des larmes pour
nous humilier, nous éprouver, afin que nous
puissions aussi connaître que notre force,
chaque parcelle de notre force, est en Lui seul, et
apprendre, comme Hudson Taylor, à nous
abandonner complètement entre Ses mains.
Ainsi votre vallée des larmes
deviendra un lieu plein de sources. Beaucoup
boiront de l'eau vive parce que vous aurez
souffert, vous vous serez confié en Dieu et
aurez été rendu vainqueur par la foi
en Lui. Vous avancerez sur votre route, comme Il
l'a promis, pour « paraître devant Dieu
en Sion », dans la joie. Et, dans la
vallée des larmes restera, pour ceux qui
viendront après vous, plus d'une source
jaillissant encore en bénédiction.
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