HUDSON TAYLOR
QUATRIÈME PARTIE
SHANGHAI ET LES
PREMIERS VOYAGES
1854-1855
(de vingt-deux
à vingt-trois ans)
CHAPITRE 18
Bâtissant dans des temps de
trouble
août-novembre 1854
Ce dut lui paraître invraisemblable quand,
deux jours après avoir écrit cette
lettre, Hudson Taylor entendit parler d'une maison
vacante. Avant que le mois ne se fût
écoulé, il se trouva en possession
d'un bâtiment assez spacieux pour accueillir
le collègue attendu. C'était une
maison indigène, en bois, très mal
conçue, ayant sept chambres au
rez-de-chaussée et cinq à
l'étage. Elle était située au
milieu d'un quartier populeux, près de la
Porte du Nord de la ville chinoise.
Mais cela ne se fit pas aisément.
Du 9 au 21 août, il eut besoin de beaucoup de
patience, car en Chine ces arrangements sont
très difficiles. La maison dont il avait
tout d'abord entendu parler était
différente de celle qu'il obtint finalement,
et il ne voulut pas paver le prix qui lui
était demandé. Il y eut ainsi de
nombreuses et laborieuses négociations,
faites par le truchement d'interprètes, ce
qui augmenta encore la dette qu'il avait envers les
autres missionnaires.
Les peines et les difficultés
qu'il connut pour mener à bien cette
transaction tout ordinaire lui ouvrirent les yeux
sur ce qui constitue réellement la grande
part des épreuves de la vie missionnaire. Il
lisait à cette époque le livre «
La main de Dieu dans l'Histoire », et il
écrivit à sa soeur, qui lui avait
donné ce volume :
Passer en revue les succès
généraux de la mission et des
missionnaires dans une période de quelques
années, et prendre part au travail
lui-même avec ses épreuves et ses
découragements, sont deux choses bien
différentes. Mais prenons courage. Un
sourire de Celui que nous aimons nous
dédommagera de toutes nos tristesses et ne
laissera subsister que le bien dans tout ce qui
aura été fait.
Et, au moment où ses
difficultés étaient les pires, il
écrivait encore :
Oh ! Amélie, on a besoin d'une ancre
pour la foi, et grâces à Dieu nous
l'avons ! Les promesses de Dieu sont immuables.
« Le Seigneur connaît ceux qui sont
Siens. » Comme il est facile de parler
d'économies, des forts salaires de
missionnaires et de tout le reste ! Mais ici, plus
d'un missionnaire ne sait guère comment
nouer les deux bouts...
Tu me demandes comment je
surmonte mes épreuves. Voici le chemin : Je
les apporte au Seigneur... Je remarque que ma
situation depuis mon arrivée en Chine a
été réellement plus favorable
à mon développement que n'importe
quelle autre position où j'aurais pu
être, bien qu'elle ait été
pénible et différente de ce que
j'aurais choisi moi-même. Oh ! plus de
confiance implicite dans la sagesse et dans l'amour
de Dieu !
Même après que le contrat
fut signé il y eut bien des choses à
faire encore.
Ma maison a douze chambres, des
portes à n'en plus finir, des passages
innombrables, des dépendances partout, et le
tout est couvert de poussière, d'ordures, de
détritus... Les cinq chambres à
l'étage sont contiguës, chacune
communiquant avec la pièce voisine par des
portes doubles. J'aurai à reblanchir toutes
les pièces et à les
désinfecter à fond. Puis, une fois
installé, j'aurai à piocher ce
terrible dialecte de Shanghaï pour lequel
j'aurais besoin d'un nouveau
maître.
Parler de nettoyer la maison et de
s'installer était une chose. C'en
était une autre que de l'accomplir.
Jusqu'alors Hudson Taylor ignorait ce que c'est que
d'avoir des ouvriers chinois sans surveillance, et
l'expérience qu'il fit fut
décourageante. Ainsi, le 22 août, en
dépit de la chaleur épuisante, il
engagea quelques hommes pour nettoyer les lieux et
enlever les balayures. Le lendemain matin, il se
rendit sur place de bonne heure et trouva ses
hommes en contemplation devant les maçons
mais ne songeant nullement à travailler
eux-mêmes. Leur ayant donné une
tâche à chacun, il les quitta. Une
heure après, à son retour, quelle ne
fut pas sa surprise de trouver l'un d'eux en train
d'écrire, un autre fumant, tandis que les
autres dormaient.
Mais c'était là le
côté le moins pénible de
l'existence dans laquelle il entrait. Les
dépenses inévitables qu'il devait
faire lui pesaient bien davantage. Équiper
la maison, même simplement et vivre
frugalement, tout cela lui semblait une grosse
dépense pour lui seul. En Angleterre il
avait fait des collectes pour les
missions et savait ce que c'est
que de recevoir la pite gagnée avec peine
par les pauvres. Et, maintenant, employer l'argent
de la Mission d'une façon qui lui paraissait
dispendieuse était un réel tourment
pour lui. Il ne l'aurait pas senti d'une
façon si aiguë s'il avait
été occupé par le travail
missionnaire, mais comme il ne pouvait guère
faire autre chose qu'étudier, pour le
moment, la situation lui paraissait presque
insupportable.
Pour éviter les frais de
chaise à porteurs, écrivait-il
à sa mère, j'ai essayé de
rester en chambre durant la grande chaleur ou de ne
sortir que le soir. Mais plusieurs attaques de
maladie, ainsi que des symptômes de
fièvre intermittente, m'ont engagé
à ne plus agir ainsi. Personne, je suis
sûr, n'est plus désireux que moi
d'éviter les dépenses, mais si nous
voulons vivre, ici, nous devons nous plier aux
circonstances.
Il y avait toutefois une question plus
sérieuse que celle des dépenses.
C'était le danger qu'impliquait ce
déménagement. Non seulement Hudson
Taylor quittait le territoire de la concession
étrangère pour vivre
entièrement seul au milieu des Chinois, mais
encore il élisait domicile très
près du camp des troupes impériales,
à portée de canon des deux
adversaires. Cette Situation, il le savait,
était pleine de périls, mais aucune
autre demeure n'était libre et il fallait
agir. Il écrivait à un ami :
Les troupes impériales ont
menacé de mettre le feu à la rue et
les insurgés ont constamment deux canons
braqués contre elle. Mon professeur de
chinois, qui habite à une certaine distance,
ne veut pas s'aventurer là-bas, et comme je
ne puis en trouver un autre qui parle le dialecte
des mandarins, j'aurai maintenant à me
mettre à l'étude du dialecte de
Shanghaï. Comme je peux parler assez
couramment avec mon maître actuel, c'est une
vraie épreuve que de me séparer de
lui et de tout recommencer. Mais comme je n'ai pas
la perspective de me rendre avant quelques
années dans des endroits où l'on
emploie le dialecte des mandarins, et que je
pourrai utiliser ici le dialecte de Shanghaï
au fur et à mesure que je l'apprendrai, cela
me paraît une mesure sage. De toute
façon je suis reconnaissant que mon chemin
soit barré de tous côtés. Je
n'ai pas à choisir. Je suis obligé
d'aller de l'avant. Si vous apprenez que j'ai
été tué ou blessé, ne
regrettez pas que je sois venu en Chine, mais
remerciez Dieu que j'aie pu distribuer quelques
portions des Écritures et des
traités, et dire quelques mots en chinois
pour Celui qui est mort pour moi.
Ce fut dans cet esprit qu'Hudson Taylor
prit congé de l'hôte
aimable qui lui avait
donné asile pendant six mois et que, le 30
août, il se mit en ménage à son
propre compte près de la Porte du Nord de la
ville indigène. En dépit des
troubles, des dépenses, de la solitude et du
danger, il était heureux de commencer un
petit travail personnel. Et le Seigneur, qui
connaissait le coeur de Son serviteur,
répondit au désir ardent qu'il avait
d'être utile et en bénédiction.
Au seuil de cette existence nouvelle, Il lui
accorda les riches compensations de Sa grâce.
Dans sa solitude, son âme se mit à
revivre et à progresser. Les
bénédictions des jours d'autrefois,
à Drainside, semblaient revenir. Il vivait
maintenant comme il l'entendait, d'une vie de
renoncements qui facilitait les expériences
spirituelles. De plus, il avait la joie de faire
quelque chose pour le peuple qui l'entourait. Son
nouveau maître de chinois, Sï,
était capable de présider, matin et
soir, des cultes où tous étaient les
bienvenus. Puis il y avait des malades à
voir, des visiteurs à recevoir et le
ménage à diriger ; pour tout cela,
Sï était indispensable. Hudson Taylor
apprenait d'ailleurs rapidement les termes usuels,
les formules de politesse et quelques phrases
choisies pour parler de l'Évangile. Le
dimanche, ils sortaient ensemble pour distribuer
des traités et prêcher dans les rues.
Un dispensaire leur attirait beaucoup d'amis, et
lorsqu'ils y eurent adjoint une école pour
les garçons et les filles, le travail ne
leur manqua pas. Au bout de peu de temps, Sï
dut se consacrer totalement à ces
différentes oeuvres et Hudson Taylor prit un
autre professeur. Au milieu de tout cela, le coeur
rempli des richesses du Seigneur, il
commença à goûter quelques-unes
des joies réelles de la vie
missionnaire.
À son contentement se
mêlait cependant l'ennui de petites
difficultés, aventures de ménage,
querelles entre ses domestiques et les voisins,
maladie de son cuisinier, atteint de fièvre
typhoïde, renvoi de son second maître,
découragement dans son étude du
chinois, maladie aussi. De plus, il était
très affligé de l'état de Mme
Burdon, qui se mourait depuis l'arrivée
d'une petite fille, née trois mois
auparavant. Enfin, la question d'argent ne cessait
de le tourmenter, et il se demandait ce que la
Société répondrait à
ses lettres. Il avait dû faire usage d'une
lettre de crédit qui lui avait
été remise en cas de besoin, mais il
ne savait pas si l'on ferait honneur à sa
signature.
Au milieu de ces préoccupations
septembre finissait, et, en regardant le mois
écoulé, il écrivait pourtant
:
Quoique, à certains
égards, je n'ai jamais eu dans ma vie un
mois plus angoissant, je n'ai encore jamais eu si
forte conscience de la présence de Dieu avec
moi. je recommence à jouir du doux et
paisible repos dans le Seigneur et dans Ses
promesses, dont j'ai fait la première
expérience à Hull. C'était la
partie la plus riche de ma vie spirituelle, et
combien depuis lors, elle a été
pauvre, même d'ans les meilleurs moments !
J'ai connu une période de déclin,
mais le Seigneur m'a restauré. Et comme,
dans ce domaine, on ne peut rester sur place, je
crois que je vais saisir beaucoup mieux que je ne
l'ai jamais fait la hauteur et la profondeur, la
longueur et la largeur de l'amour de Dieu. Que Dieu
me l'accorde, pour l'amour de Jésus
!
On ne peut être
qu'impressionné, en lisant les lettres
écrites à cette époque, par la
sainte ambition des prières d'Hudson Taylor.
C'est un sujet digne d'être examiné
attentivement s'il est vrai que c'est la
prière, et non les circonstances, qui forme
la vie, et s'il est vrai que telles sont nos
ambitions devant Dieu, telle est l'orientation de
nos expériences extérieures.
Certainement rien n'est plus significatif, dans la
vie d'Hudson Taylor, que ce désir
d'être utile et de ressembler au Seigneur
qu'il aimait. Sa constante prière
était, non d'avoir des honneurs ou du
succès, mais d'être utile, largement
utile. Aurait-il reculé s'il avait pu
prévoir que le seul chemin menant à
l'accomplissement de ses prières passerait
par la fournaise chauffée sept fois?
Car un grand travail préparatoire
restait à faire. Ses prières
devaient, en vérité, être
exaucées au delà de tout ce qu'il
demandait et pensait. Mais il devait prier dans un
sens plus profond encore. Il devait subir jusqu'au
bout la formation que le Maître avait en vue
pour lui. Son coeur devait être rendu plus
fort et plus tendre par un chemin d'amour et de
souffrance à l'école de Dieu. Comme
un pionnier, il devait ouvrir une voie nouvelle en
Chine où des centaines suivraient à
leur tour. Il devait connaître
personnellement chaque épreuve, porter
chaque fardeau. Lui qui devait être
employé par Dieu pour sécher tant de
larmes, devait lui-même pleurer. Lui qui
devait être, pour des milliers de croyants,
un encouragement à garder une foi enfantine,
devait apprendre pour lui-même les profondes
leçons de la sollicitude d'un Père
plein d'amour. Aussi Dieu permit que les
difficultés
s'amoncelassent autour de lui,
spécialement au début du
ministère, alors que les expériences
pouvaient s'imprimer de façon vivante et
indélébile. Ces difficultés
résolues par de nombreuses
délivrances furent bien faites pour le
former.
Comme une des tâches importantes
de sa vie si utile devait consister à aider
et à diriger de jeunes missionnaires, il
n'est pas étonnant qu'une bonne partie de sa
préparation, à cette époque,
se rapportât à des questions
financières et à la mauvaise
administration - involontaire - du Comité
d'Angleterre. Il devait apprendre comment agir et
comment ne pas agir avec ceux qui, humainement
parlant, dépendraient de lui. Cette
leçon était d'une valeur capitale,
à la base même de son oeuvre future.
Voilà la raison de ses exercices de foi au
sujet de son petit revenu et des vastes besoins qui
l'accablaient ; au sujet de
l'irrégularité des courriers et des
lettres restant sans réponse ; au sujet des
circonstances si changeantes pour le service dans
le champ missionnaire et des idées, si
lentes à s'adapter, du Comité en
Angleterre. Ce Comité faisait de son mieux
et les secrétaires, à Londres aussi,
comme de fidèles hommes de Dieu,
malgré leur inexpérience. Mais
quelque chose décevait quand même.
Hudson Taylor devait justement voir ce qui manquait
et, ensuite, y porter remède. Il est
à peine nécessaire de dire qu'une
signification toute spéciale s'attache
à ses soucis d'argent quand on les
considère sous cet angle. Les lettres dans
lesquelles, à certaines époques, il
parle d'une façon si touchante de ses
exercices d'âme, ont un intérêt
tout particulier. De cette longue épreuve
devait sortir la tranquillité d'esprit pour
beaucoup d'autres missionnaires après
lui.
Au risque de quelques
répétitions, la lettre que voici est
reproduite pour sa valeur à ce propos. Elle
montre avec quelle acuité Hudson Taylor
était sensible aux circonstances dans
lesquelles il était placé.
Porte du Nord,
Shanghaï,
17 octobre 1854
Mes chers parents, - Comme vous
désirez être mis au courant de mes
affaires d'argent et autres, je joins à
cette lettre la copie d'une liste de mes
dépenses que j'envoie justement à M.
Pearse. Comme vous le remarquerez, elles
dépassent dans une si forte mesure le
chiffre prévu (quatre-vingts livres sterling
par an), que j'envoie des détails
complets. Les secrétaires
pourront ainsi se rendre compte des choses par
eux-mêmes. Je devrai utiliser de nouveau la
lettre de crédit cette année,
probablement le mois prochain. Je ne suis pas
sûr d'obtenir du crédit car
l'autorisation donnée par la
Société ne dépasse pas
quarante livres par trimestre. Si les agents, ici,
savent que je viens de recevoir la copie d'une
résolution prise par le Comité,
stipulant que des prélèvements
excédant cette somme ne seront pas admis,
mes demandes de fonds seront refusées. Vous
ne serez pas étonnés d'apprendre que
l'anxiété concernant mes
dépenses et le souci de savoir si mes
traites seront honorées ou non,
ajoutés aux dangers de ma situation
actuelle, m'aient passablement
éprouvé dernièrement... J'ai
été très abattu pendant quinze
jours... mais je vais mieux maintenant, bien que ma
faiblesse soit encore grande.
21 octobre 1854.
Un incendie, qui paraissait tout proche, m'a
réveillé mercredi dernier à
trois heures du matin. Je me suis habillé en
hâte et suis monté sur le toit pour
voir si le feu se propageait de ce
côté. Les maisons chinoises, en bois
comme la mienne, brûlaient rapidement, car il
y avait du vent cette nuit-là. Ce fut un
moment d'angoisse car, dans l'obscurité, je
me représentais que le bâtiment en feu
n'était qu'à quelques portes du mien.
juste à cet instant, alors que je priais
avec instance pour être
protégé, la pluie commença
à tomber. Le vent se calma, ce dont je fus
très reconnaissant. Peu à peu le feu
diminua, mais il était plus de cinq heures
quand je pus retourner me coucher.
Pendant que j'étais sur le
toit plusieurs balles tombèrent sur les
maisons autour de moi, et deux ou trois, je crois,
sur les tuiles de ma propre demeure. Enfin une
grosse balle s'écrasa contre le bord du toit
en face, chassant une certaine quantité de
tuiles dont les fragments retombèrent autour
de moi. La balle elle-même fit un ricochet.
Vous pouvez être sûrs que je n'en ai
pas attendu une seconde. La veille, un projectile
de ce calibre, égaré
évidemment, frappa mon toit, brisa quelques
tuiles et tomba devant le fils de mon maître
de chinois, qui se tenait sur le seuil.
Eût-il été cinquante
centimètres plus loin, la balle l'aurait
tué.
Comme vous pouvez bien le penser,
je n'ai jamais connu encore un temps si
tourmenté. Mais, cela a son utilité,
car je sais qu'il se transformera en
bénédiction pour moi. je puis
être appelé à partir
soudainement, mais, quoi qu'il advienne, je ne
regrette pas d'être venu dans cette maison et
je le ferais encore dans de semblables
circonstances. Notre Société devrait
cependant s'occuper davantage de ses
missionnaires.
Je dois terminer maintenant, avec
l'assurance que le Seigneur, qui m'est très
précieux dans mon extrémité,
est tout près de vous aussi.
Votre fils toujours
affectionné,
J. Hudson
TAYLOR.
La décision du Comité de ne pas
honorer les traites au-dessus de quarante livres
sterling par trimestre causa à son unique
représentant à Shanghaï une
anxiété et un chagrin très
grands. Elle le toucha, telle une blessure faite
par quelqu'un dont on attendait plutôt de la
sympathie. Le temps devenait froid ; c'était
l'automne, annonciateur des rigueurs de l'hiver. Sa
maison chinoise n'était ni chauffée
ni chauffable. Il y avait des courants d'air
continuels à cause des innombrables fissures
des murs. Les deux seules couvertures qu'il
possédait étaient justes suffisantes
pour l'été. Tous les vêtements
qu'il avait apportés d'Angleterre
étaient maintenant si usés qu'il
avait honte de se montrer ainsi au milieu
d'étrangers. Et pourtant, il avait largement
dépassé les sommes qui lui
étaient allouées et il ne voulait pas
dépenser un centime si ce n'était
pour des besoins pressants. Pour ajouter à
ses ennuis, il en vint à constater que la
maison qu'il s'était assurée au prix
de tant de difficultés en vue de
l'arrivée des Parker ne conviendrait pas,
même pour y passer une nuit.
Trois semaines plus tard, les choses
étaient au pire. Les combats redoublaient
d'intensité et Hudson Taylor écrivait
aux secrétaires de la Société
:
Il y a d'innombrables coups de
feu par ici, maintenant, si bien qu'il m'est
rarement possible de dormir plus de la
moitié de la nuit. Je ne sais comment feront
le Dr Parker et sa famille. Dans l'état
où en sont les choses, il n'est pas question
qu'ils puissent loger ici. Cette
anxiété constante à leur sujet
comme au mien vient se joindre à une autre
plus grave encore (les dépenses que je ne
peux éviter), et c'est un surcroît de
souci fort pénible ajouté aux
difficultés de la langue et du
climat...
Je serai reconnaissant de
l'arrivée du Dr Parker. Nous pourrons
conférer ensemble au sujet de l'avenir. Vous
trouverez, je le crains, que cette mission est
beaucoup plus coûteuse que vous ne l'aviez
cru tout d'abord... Je serai encore obligé
de retirer de l'argent ce mois-ci, et malgré
toute l'économie possible, je ne peux faire
baisser les prix. La dépense totale de ma
première année sera de peu
inférieure à deux cents livres
sterling; je suis sûr qu'il n'y a pas un seul
missionnaire à Shanghai qui n'ait
coûté beaucoup plus...
Priez pour moi, car je me sens
accablé au delà de toute mesure. Si
je ne trouvais la Parole de Dieu tous les jours
plus précieuse et si je ne Le sentais pas
Lui-même présent malgré tout,
je ne sais ce que je deviendrais.
Mais le Seigneur le savait, et Il
n'avait pas oublié Son serviteur. À
cette même époque, tandis que le
Swiftsure, avant à bord la famille Parker,
approchait de Shanghaï, une demeure allait
être prête pour eux. Par suite de la
mort de Mme Burdon, une petite maison, qui
appartenait à la Mission de Londres,
était vide. Affligé par la douleur de
ses meilleurs amis, Hudson Taylor n'avait jamais
songé que cette maison pût devenir
sienne. C'était là qu'il les avait
trouvés au début de leur vie
conjugale, qu'il avait vu naître leur enfant
et que, tôt après, il avait vu partir
la jeune mère. Il avait ensuite aidé
M. Burdon à quitter cette demeure dont la
lumière s'était éteinte et
à venir confier sa petite fille aux soins de
la famille du chapelain. Ainsi, la maisonnette de
Ma-ka-k'üen restait close.
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