Avec
Constantin et ses successeurs, l'Église chrétienne entre dans une ère
nouvelle. Elle voit tomber le dard des persécutions et elle respire.
Reconnue et bientôt privilégiée, elle pousse rapidement ses conquêtes
dans le monde gréco-romain et jusque chez les Barbares.
Jusqu'alors, elle avait été ignorée,
tolérée ou proscrite.
Elle avait saigné une première fois,
en l'an 64, sous Néron. Proscription légale, non irréfléchie (si l'on
en croit Suétone, Vie de Néron, ch. XVI), dont la rigueur paraît
s'être vite relâchée. Sous
Domitien, persécuteur des philosophes, les chrétiens, au dire de
Tertullien et d'Eusèbe, furent quelque peu malmenés (en 96). Au IIe
siècle, Trajan, assez libéral mais défiant à l'égard des sociétés
secrètes, sanctionna par un décret peu logique l'hostilité publique à
l'égard du christianisme énigmatique et envahissant, et il le mit à la
merci des magistrats. Il y eut des victimes, en particulier Ignace,
d'Antioche, et Siméon, de Jérusalem. Sous Antonin-le-Pieux, cet édit,
non abrogé, causa la mort de Polycarpe, de Smyrne, et de douze
Philadelphiens mentionnés par Justin.
Les persécutions se rallumèrent avec
Marc-Aurèle, poussé par la fureur populaire et un peu inquiet, pour
l'Empire, de l'internationalisme social des chrétiens. Rappelons les
supplices de Justin Martyr et de six compagnons et les souffrances
atroces des chrétiens de Lyon et de Vienne, en 177. Alors périrent
l'évêque Pothin, l'esclave Blandine, Symphorien (à Autun) et plusieurs
martyrs de Scilli, en Numidie (1).
Plus tard, en 202, encouragée par un
édit de Septime-Sévère, qui
interdisait de changer de religion, la haine populaire se déchaîna de'
nouveau et fut longue à s'apaiser. Il y eut bien des victimes, entre
autres Léonidès, père d'Origène, et surtout Perpétue et Félicité, à
Carthage. D'après des documents en latin, découverts par Aubé, à la
Bibliothèque nationale de Paris, la procédure fut sérieuse et
relativement humaine, les juges n'ayant prononcé la sentence qu'après
avoir tout fait pour l'écarter.
Avec Décius (248-251), inquiet des
progrès du christianisme, la persécution devient une riposte de
l'État;
menacé. Ce n'est plus le peuple, c'est l'empereur qui
tâche d'écraser ces lutteurs obscurs qui sapent le vieux colosse
romain. Systématique, elle est générale ; elle vise, au dire d'Eusèbe,
non seulement les évêques mais tous les fidèles. Le décret de Décius,
ordonnant de sacrifier aux dieux, provoque beaucoup d'apostasies,
surtout à Alexandrie et à Carthage ; mais plus nombreuses encore sont
les résistances, celles de plusieurs évêques scellant leur foi par le
martyre : Fabien, de Rome, Alexandre, de Jérusalem, Babylas,
d'Antioche. La persécution recommence avec Valérien, qui, en 258, fait
périr des ecclésiastiques, dont Cyprien, de Carthage, Sixte,
évêque de Rome, décapité sur
sa propre chaire dans une chapelle souterraine, et son archidiacre,
Laurent, qui, sommé de livrer les trésors de l'église, montra ses
pauvres et mourut sur un gril (2).
La dernière persécution, la plus
cruelle de toutes, qui ouvrit ce qu'on a nommé « ère des martyrs »,
fut
déchaînée, en 303, par Dioclétien. Faible et malade, dominé par le
sectaire Galère, qu'il avait associé au trône, il ordonna d'exclure
les
chrétiens de toutes les charges publiques, de brûler les livres sacrés
et de raser les temples. Celui de Nicomédie fut saccagé (23 février).
Peu de temps après, un incendie ayant éclaté dans cette capitale,
Dioclétien, sous la pression de Galère, publia trois nouveaux édits
qui
condamnaient les chrétiens à la prison et à la torture. Nombre d'entre
eux apostasièrent (3)
; d'autres, tels que Lactance et Eusèbe, réussirent à fuir, mais il y
eut bien des victimes. Un des premiers officiers du palais, Dorothée,
périt étranglé. Sébastien, capitaine des
gardes de l'empereur, fut attaché à un poteau et criblé de flèches.
Rappelé à la vie par une veuve désireuse de l'ensevelir, il fut
reconnu
et assommé dans l'hippodrome du palais. Agnès subit également le
martyre à Rome. Plusieurs évêques périrent ; d'autres chrétiens
servirent de pâture aux bêtes. D'après Eusèbe, témoin de leurs
souffrances, de nombreux confesseurs de Palestine, surtout de Césarée,
furent mutilés du pied gauche et de l'oeil droit et envoyés aux mines.
En Occident, Maximien fit décimer à
deux reprises puis massacrer la « légion thébaine », recrutée dans la
Thébaïde, qui avait refusé de prêter serment sur l'autel des dieux.
Quentin fut arrêté à Amiens, et il périt dans de cruelles tortures.
Heureusement, Constance Chlore, devenu le successeur de Maximien
(305),
répara les brèches de l'Église gauloise, et les évêques dispersés
purent rentrer. D'autre part, Galère, découragé par l'insuccès des
persécutions et vaincu par le mal affreux, analogue à celui d'Hérode
(Actes, 12, 23), qui allait l'emporter en mai 311, finit par se
résoudre à « tolérer » les chrétiens, à condition qu'ils fussent unis,
au lieu d'être, par leurs divisions, une cause de faiblesse pour
l'Empire. Son édit fut affiché, le 30 avril 1911, à Nicomédie (4).
À l'exemple de Galère, Constantin
publia à. son tour, en 312, de concert avec Licinius, un édit de
tolérance, qui respectait la liberté des chrétiens et celle des
païens.
Mais, persuadé assez promptement que cette coexistence de deux
religions d'État était impossible et que l'avenir était à la nouvelle,
il se prononça en sa faveur. L'édit de Milan (février 313) accorda la
liberté du culte « aux chrétiens et aux autres » (Iibera et absoluta
facultas colendoe religionis), mais, tout en ménageant le paganisme,
l'empereur montra sa préférence
pour son vainqueur, et il le favorisa par ses édits, ses constructions
d'églises et la fondation d'une, capitale chrétienne, Constantinople (5).
Conversion
superficielle, adhésion politique plus que religieuse, qui
finit par devenir entière avec le baptême demandé à la veille de sa
mort, survenue le 22 mai 337 (6).
Constantin avait partagé l'Empire entre ses trois
fils et ses neveux, mais les premiers, jeunes encore mais criminels
précoces, se répartirent ses États, après avoir massacré tous les
princes de la maison impériale, à l'exception de deux, encore dans
l'enfance. Constantin, II eut la Gaule, la Bretagne, l'Espagne et
l'Afrique du nord-ouest ; Constance, l'Asie, l'Égypte et la Thrace ;
Constant, l'Italie, l'Afrique et la péninsule des Balkans.
Trois ans après, Constantin II,
ayant voulu agrandir ses domaines aux dépens de Constant, trouva la
mort dans cette aventure. Dix ans plus tard, l'usurpateur Magnence se
proclama empereur à Autun et fit égorger Constant, mais, en 353, il
fut
vaincu par Constance, qui devint le seul maître du monde gréco-romain.
Sobre et endurant, amateur des
questions théologiques comme son père, Constance était à la fois
autoritaire et irrésolu (7). Arien
entouré d'ariens, il se montra
dur pour l'Église orthodoxe, comme nous le verrons au chapitre
suivant.
Il s'en prit aussi au paganisme,
mais devant sa force il dut le tolérer (8).
À Rome, les hautes classes tenaient
au vieux culte, base, croyaient-elles de sa prospérité, et, selon la
remarque de Guignebert, le préféraient à la foi nouvelle, trop
égalitaire. En Orient, il était soutenu par les rhéteurs, défenseurs
de
la culture classique toute imprégnée de mythologie, qu'ils plaçaient
bien au-dessus de la littérature « barbare », celle des Juifs et des
chrétiens. De plus, la philosophie néo-platonicienne, d'abord purement
métaphysique avec Ammonius Saccas et Plotin, s'était alliée au
paganisme, avec Jamblique (en 333), par peur du christianisme et de sa
prétention à la domination exclusive des esprits, et elle tâchait de
le
rendre acceptable par de subtiles allégories. D'ailleurs, à cette
époque, le paganisme s'orientait vers les explications naturalistes.
Il
était surtout astrologique : il voyait dans les dieux des énergies
cosmiques (9).
Quant aux néo-pythagoriciens, ils étaient, « non les dévots attitrés
d'une divinité entre plusieurs, mais les servants d'un idéal qui les
domine toutes » (10).
Constance essaya de détruire le vieux culte. Il fit raser le temple
d'Esculape, en Cilicie, et profana celui de Minerve, à. Sparte. Mais
les édits qu'il promulgua (de 353 à 357) semblent n'avoir guère été
appliqués, et, en 357, quand il vint à Rome pour y recevoir les
honneurs du triomphe, « il respecta, dit le païen Symmaque, l'ancienne
religion de l'Empire ».
À la fin de l'an 355, Constance,
harcelé par les soucis que lui causait la Gaule, remuante et attaquée
par les Barbares, donna le titre de
César à son dernier cousin survivant, Julien. qu'il avait longtemps
tenu en suspicion et en captivité. À cette époque, en effet, la menace
barbare avait redoublé de gravité (11).
Les Alamans, venus peu à peu du
Brandebourg, s'étaient installés sur le Main (12).
Un peu plus au nord résidaient les
Burgondes. arrivés des mêmes parages. Vers l'ouest, les Francs.
divisés
en deux groupes : les Ripuaires (riverains du Rhin), vers Cologne, et
les Saliens (ou maritimes : étymologie probable, le sel), en Campine,
près de l'Escaut.
Sur le cours supérieur et le cours
moyen du Danube s'étaient fixés les Vandales, venus de la Baltique. À
la partie inférieure de ce fleuve, c'était la masse formidable des
Goths. issus des régions de la basse Vistule. On y distinguait deux
vastes groupes : les Ostrogoths (Goths brillants), vers la mer d'Azov,
arrêtant les Hérules, et les Wisigoths (Goths sages), maîtres de la
Dacie Trajane (Roumanie), barrant la route aux Gépides de
Transylvanie.
Au coeur de la Germanie étaient les Frisons, immobilisés en Frise, les
Saxons, originaires du Holstein, sur les traces des Francs Saliens, et
les Lombards, qui essayaient de descendre de la Silésie. Derrière eux,
en Scandinavie, s'agitait une masse confuse de Germains, où l'on
distinguait les Norvégiens, les Suédois, les Gautes et les Danois.
En Afrique, de l'Adriatique à la
Cyrénaïque, se pressent les tribus berbères, retirées dans les
montagnes et les déserts, promptes aux incursions (13).
Derrière la Palestine et la Syrie,
voici les multitudes arabes (14),
ces insaisissables « sarrasins »
que l'historien Ammien Marcellin montre, dans ses Resgestoe juchés sur
leurs petits chevaux rapides ou leurs maigres chameaux ; plus au nord,
les Perses (15),
grand État devenu prospère sous la dynastie sassanide. Dans les
steppes
russes erre la masse indécise des Slaves (16)
taillés en colosses, barrant la
route aux sauvages Alains, d'origine iranienne (17).
Dans les steppes de l'Asie
centrale bouillonne un formidable réservoir d'hommes (18).
Les Huns, refoulés hors de la
Chine, émigrent vers la Volga, vers l'an 355, mettant les Alains en
déroute, et finissent par rejeter les Ostrogoths au-delà du Dniester.
Tel était le filet formidable, dont
les mailles dévalent se resserrer peu à peu sur l'Empire romain et
l'étouffer.
Julien, appelé au pouvoir par Constance, se
signala aussitôt par des exploits. Il débloqua Autun assiégé par les
Alamans et les refoula derrière le Rhin (356). L'année suivante, il
délivra l'Alsace par la victoire d'Argentoraturn (Strasbourg) où, avec
treize mille soldats, il battit sept rois alamans, et il fortifia la
rive gauche du Rhin. En 360, ses troupes, refusant de suivre Constance
dans une campagne contre les Perses, le
proclamèrent empereur à Lutèce, où il résidait volontiers. il marcha
contre son rival, mais la mort de ce dernier, en Cilicie, évita toute
effusion de sang.
Avec Julien (361-363) se produisit
une réaction païenne (19).
Hostile au christianisme, qui
était la religion de Constance, le meurtrier des siens, et dont les
divisions l'inquiétaient, il annula les faveurs dont ses prédécesseurs
l'avaient gratifié, et, pour mieux le discréditer, il excita ses
sectes
les unes contre les autres. Il épancha sa colère contre lui dans un
écrit polémique étendu, Contre les Chrétiens, le présentant comme un
tissu de mensonges et un ramassis de mauvaises moeurs. Ses citations
tendancieuses et son talent de rhéteur firent impression, et les
chrétiens s'en émurent. Apollinaire et Cyrille d'Alexandrie
répondirent
par de vigoureuses réfutations.
Par contre, Julien favorisa un
paganisme assez artificiel, auquel il songeait à donner un clergé
hiérarchique, dans le genre de celui des chrétiens, recruté parmi les
hommes « les plus vertueux et les plus humains ». Il recommandait à
ses
prêtres et à leurs fidèles la décence, la dignité, la culture
philosophique, la bienfaisance et l'hospitalité. Élevé dans le
stoïcisme, il donnait lui-même le spectacle d'une vie exemplaire.
Il multipliait les sacrifices,
surtout à Hélios (Apollon), dans la chapelle de son palais, à tel
point
qu'il reçut le surnom de Victimaire. On disait même en plaisantant
que,
s'il revenait vainqueur de son expédition contre les Perses, il ne
resterait pas une seule tête de bétail dans tout l'empire (20).
Julien fut peu suivi. La foule ne
partageait pas sa passion pour les sacrifices, et sa réforme morale
trouva peu d'écho. « On ne fait pas porter à la religion des,
sens, dit justement Chastel, les
fruits de la religion de l'esprit ». Pour mieux réussir, il fit appel
à
l'intérêt. Il accorda des privilèges aux bourgades qui revenaient au
culte païen et des honneurs à, ceux qui sacrifiaient.
Il fit plus. Il interdit aux
chrétiens l'enseignement de la grammaire et de la rhétorique, en
disant
qu' « ils n'avaient pas besoin de connaître la littérature grecque et
que l'Écriture devait leur suffire ». Il constatait, en effet, avec
irritation que la religion nouvelle devait, pour une large part, ses
progrès à la culture de ses docteurs, et il voulait leur ôter, selon
l'expression de Sozomène, « les moyens de persuader ». Il exigea, en
outre, que les temples démolis par les chrétiens fussent rebâtis à,
leurs frais. Cette prétention, à laquelle ils résistèrent, coûta la
vie, en particulier, à Marc, évêque d'Aréthuse, en Syrie, massacré par
les païens, et à trois frères qui vivaient à Gaza. Un incendie s'étant
déclaré au temple d'Apollon à, Antioche, Julien, imputant ce sinistre
aux chrétiens, en fit torturer plusieurs. Il ordonna la fermeture de
la
principale église d'Antioche, et mit à la tête de cette ville le cruel
gouverneur Alexandre. De nombreuses apostasies se produisirent, mais
la
crise fut brève. Le 26 juin 363, à la grande joie des persécutés,
l'empereur périt dans une campagne contre Sapor, roi des Perses.
Jovien, commandant de la garde, porté au pouvoir,
céda aux Perses les conquêtes de Dioclétien et rétablit la liberté
religieuse dans l'empire. Il se contenta de proscrire la magie secrète
qui aidait à tramer des complots contre les empereurs. À sa mort (16
février 364), l'armée élut deux frères, Pannoniens d'origine,
Valentinien et Valens.
Le premier, maître de l'Occident,
suivit une politique de neutralité religieuse. Il consentit à porter
le titre de souverain
pontife (pontifex maximus), et il publia, en 371, de concert avec
Valens, qui régnait en Orient, un édit autorisant l'exercice de l'art
des augures et celui du culte païen. D'autre part, il accorda une
complète liberté religieuse aux Églises chrétiennes. « Je suis laïque,
disait-il, et je n'ai pas à juger les dogmes ». Il s'occupa surtout de
la défense de l'Occident, assailli par les Barbares. Il passa dix ans
en Gaule, repoussant les Alamans. Après avoir traité avec eux (374),
il
franchit le Danube et soumit une peuplade, mais il fut emporté, le 17
novembre 375, par une attaque d'apoplexie. Valens, qui se montra
tolérant envers les païens, fut très dur pour les orthodoxes, comme
nous le verrons plus loin en détail. Il trouva la mort à la
désastreuse
bataille d'Andrinople (9 août 378), livrée aux Wisigoths, qui, chassés
par les Huns, avaient envahi la Mésie inférieure (Bulgarie orientale)
et la Thrace.
Gratien, fils aîné de Valentinien,
se sentant incapable de gouverner seul, confia l'Orient à Théodose,
fils du général de ce nom, qui s'était signalé par la reprise de la
Bretagne et de la Mauritanie. Doux et docile à l'influence des
évêques,
d'Ambroise de Milan en particulier, et surtout à celle de Théodose,
Gratien, après avoir permis le libre choix de la religion (édit de
378), devint le destructeur du paganisme. Il refusa le titre de
souverain pontife, pour montrer qu'il rompait avec lui, et il fit
enlever du Sénat la statue et l'autel de la Victoire qui s'y
dressaient
depuis le temps d'Auguste. L'aristocratie romaine, très émue, protesta
par la voix de Prétextat, gouverneur d'Achaïe (21).
Symmaque, préfet de Rome, vint de
la part du Sénat, demander à l'empereur, qui résidait alors à Milan,
le
rétablissement de la statue et de l'autel, mais, sous l'inspiration
des
sénateurs chrétiens et d'Ambroise, Gratien refusa de le recevoir (382).
Il abolit les privilèges fiscaux
des prêtres païens et les subventions à leur culte. D'autre part, il
punit la propagande hérétique et l'apostasie. Mais, le 25 août 383, au
cours de sa fuite devant l'usurpateur Maxime, nommé par les troupes,
de
Bretagne, il fut assassiné près de Lyon. Sous son successeur, son
jeune
frère Valentinien 11, Symmaque rédigea (384) un rapport resté célèbre
où, en un style sobre et sans grande chaleur, il réclamait le droit
commun pour les prêtres, païens et les vestales, et où il évoquait la
grande figure de Rome en lui prêtant ce langage : « Révérez, comme
moi,
ce culte qui a soumis le monde à mes lois et a chassé Annibal de mes
remparts ». Ce document fit grande impression sur les conseillers de
Valentinien II, mais Ambroise intervint par deux lettres énergiques
qui
firent échouer la demande des païens.
Théodose reconnut Maxime, mais,
quand il s'aperçut qu'il menaçait le jeune empereur, il lui résista et
le fit périr (388). Il s'était signalé, six ans auparavant, par sa
résistance aux Wisigoths, qui restèrent en Mésie inférieure, avec le
titre de « fédérés », les obligeant à fournir des contingents
militaires en échange d'un tribut annuel (traité de 382).
Théodose fut très favorable à
l'orthodoxie. Sans vouloir régler lui-même l'élaboration des dogmes ni
entrer dans les discussions sur la Trinité, il exigea l'unité de foi (22),
et
promulgua des lois contre les nombreuses sectes hérétiques d'Orient.
Il respecta beaucoup les évêques, Ambroise surtout, et, à deux
reprises, dans des circonstances qui seront racontées, plus loin, il
céda à ses instances et alla jusqu'à faire une pénitence publique.
Quant au paganisme, l'empereur repoussa ses prétentions et lui retira
ses privilèges. En 389, venu à, Rome pour y recevoir le triomphe après
sa victoire sur Maxime, il refusa, malgré la requête du parti païen,
de
rétablir le, statue de la Victoire (23).
En 385, il avait interdit les
sacrifices en Orient. Forts de ce décret, les chrétiens - les moines
surtout - abattaient des temples, violences qui provoquèrent une
éloquente mais vaine protestation de l'illustre rhéteur Libanius
(Discours pour les temples). En 391, Théodose ayant défendu l'accès
des
sanctuaires et l'adoration des idoles, les démolitions continuèrent. À
la suite d'un édit impérial ordonnant la destruction des temples
d'Alexandrie, en punition d'une révolte, Théophile, le bouillant
patriarche de la ville, fit abattre le sanctuaire de Sérapis, qui
passait pour une merveille du monde. La statue colossale du dieu
s'effondra et des centaines de rats sortirent de ses débris. À cette
vue, les païens s'inclinèrent et nombre d'entre eux se convertirent.
Le
Sérapéum, grande bibliothèque d'Alexandrie, fut pillé, et ses quatre
cent mille volumes disparurent. D'autres démolitions se firent en
Orient, mais les païens. résistèrent avec fureur et le sang coula.
Vers 392, il y eut une restauration
temporaire du paganisme avec le général franc Arbogast, chef de
l'armée
en Occident, qui avait tué Valentinien Il et mis à sa place un ancien
rhéteur, Eugène, ami de Symmaque. Les temples recouvrèrent leurs
biens,
la statue de la Victoire reparut au Sénat, les sacrifices reprirent,
mais Théodose, vainqueur à Aquilée, où Arbogast périt (394), obtint un
sénatus-consulte qui abolit le paganisme (24).
Peu après (le 17 janvier 395),
Théodose mourait à Milan, après avoir partagé l'Empire entre ses deux
fils, Honorius, qui eut l'Occident, et Arcadius. auquel échut
l'Orient.
Par sa force propre d'expansion, et avec l'appui
des empereurs chrétiens, le christianisme se développa rapidement au
IVe siècle. De nombreuses églises s'élevèrent. À Jérusalem, qui perdit
le nom païen Aelia Capitolina, qu'Hadrien lui avait donné, le temple
de
Vénus, bâti sur le Golgotha, fut démoli. Constantin édifia sur ce sol
sacré une superbe basilique, et il fit enclore dans une rotonde
(l'église de la Résurrection), le Saint Sépulcre, découvert dans le
roc
par l'évêque Macaire. Une autre basilique fut construite sur le mont
des Oliviers par les soins de l'impératrice Hélène (25).
À Rome, surgirent peu à peu de
nouvelles églises : S. Martino ai Monti, S. Marco, S. Maria in
Transtevere, plus tard, S. Maria Maggiore et S. Lorenzo in Damaso.
Une activité spirituelle intense se
propagea jusqu'aux dernières limites de l'empire romain. Elle réveilla
l'Asie intérieure, région montagneuse et retirée, longtemps tenue pour
barbare. Elle rayonna dans les provinces danubiennes grâce à Niceta,
évêque de Remesiana (Palanka, près de Nisch), dont l'heureuse
propagande s'exerça, au dire du poète Paulin de Nole, jusqu'aux monts
Riphées, au nord de la Scythie (26).
Un peu avant cette époque,
l'Évangile avait pénétré chez les Marcomans par les lettres
qu'Ambroise
de Milan écrivit à la reine Frigitil, sur sa demande, en vue de son
instruction religieuse.
Parmi les grands peuples barbares (27),
les
Goths furent les premiers à accepter la foi chrétienne. Des fidèles
et même des prêtres
d'Asie-Mineure, emmenés captifs vers le milieu du IIIe siècle, les
touchèrent par leur vie sainte et les guérisons qu'ils opéraient
(Sozomène H. E. II, 6), et on les avait laissés élever des églises,
d'abord simples tentes mobiles qu'on transportait à la suite des
camps.
Les communautés de Cherson (Sébastopol) et de Bosphore (Kertch), déjà
fondées, durent servir de point d'appui à cette propagande, si
efficace
que, en 325, un évêque de « Gothie », Théophile, assistait au concile
de Nicée. Le plus célèbre fut Ulphilas, consacré par Eusèbe de
Nicomédie, qui l'avait remarqué à Constantinople. Il créa un alphabet
et traduisit en gothique la plupart des livres saints (Philostorge H.
E., II, 5). Cette version, qui est basée sur le texte grec et utilise
les versions latines, est le plus ancien monument connu de la
littérature de ce peuple (28). À
la suite d'une persécution,
Ulphilas et ses disciples allèrent se fixer en Mésie inférieure, près
de Nicopolis (vers 349). En », il siégea parmi les Ariens au concile
de
Constantinople. plus tard, il suivit les Goths quand, inquiets de
l'approche des Huns, ils passèrent sur le territoire romain (376)
En Perse, le christianisme, qui s'y
était implanté dès le IIe siècle, eut à subir, au IVe, les
persécutions
du roi Sapor Il et de la corporation des Mages, ferme soutien de la
dynastie des Sassanides. Les rigueurs de ces prêtres, déjà déchaînées
contre les Perses hétérodoxes et les Juifs, le frappèrent quand ils le
virent honoré par l'Empire romain, rival détesté de leurs rois. En
343,
Sapor Il condamna à une forte amende tous ceux qui refuseraient de
sacrifier aux dieux du pays. Siméon, évêque de Séleucie, qui avait
refusé d'adorer le soleil et exhorté à la résistance cent prêtres qui
moururent devant lui, fut exécuté le dernier. La persécution de
l'année
suivante fut encore plus dure. Un
édit, publié le jour même de Pâques, condamna tous les chrétiens aux
derniers supplices. Il y eut de nombreux martyrs. Toutefois,
l'exécution d'un eunuque de Sapor Il fut si douloureuse pour ce roi
qu'il ordonna de ne poursuivre que les ecclésiastiques. Cette
proscription se poursuivit pendant une quarantaine d'années, au cours
de la période marquée par la cession de Nisibe aux Perses et l'exode
des chrétiens de cette cité.
En Arménie, le christianisme pénétra
grâce aux efforts combinés du roi Tiridate (261-317) et de Grégoire
l'illuminateur (29).
Cet Arménien, consacré évêque à Césarée de Cappadoce et revenu dans
son
pays, instruisit ses compatriotes et fonda des églises. Il y mourut
vers 332 (30).
Les chrétiens d'Arménie connurent la persécution, quand Valens eut
rendu ce pays aux Perses. Il y eut des apostasies, mais les guerres
civiles qu'elle déchaîna la firent cesser. La foi nouvelle se répandit
aussi chez les Ibères (Georgie), grâce à une admirable chrétienne,
Nunéa, emmenée en captivité dans ce pays. Sa vie, consacrée à la
méditation et au jeûne, la guérison qu'elle obtint, après de ferventes
prières, d'un enfant et plus tard de la reine elle-même, émurent le
roi. Il devint chrétien et décida son peuple à partager sa foi.
Constantin, prié de lui envoyer des prêtres, le fit avec une grande
joie.
En Arabie, la propagande évangélique
fut contrariée par les habitudes nomades des indigènes et l'opposition
des Juifs qui y étaient très nombreux. Il y eut pourtant
un
centre important à Bostra, dans le Hauran, devenue sous Trajan la
capitale de. la province d'Arabie. Déjà, au début du IIIe siècle, il
s'y était tenu un synode auquel Origène s'était rendu. Au temps de
Julien, l'évêque Titus écrivait que « les chrétiens pouvaient s'y
mesurer par le nombre avec les Hellènes ». Il y eut même des conflits
avec la population païenne, qui excitèrent la colère de cet empereur.
L'Évangile se répandit au sud de l'Arabie, dans le Yemen, où les
habitants étaient sédentaires et le commerce très actif. Un roi, bien
disposé par une ambassade de Constance chargée de présents, autorisa
la
fondation d'une Église arienne sur son territoire. Ailleurs, la
princesse Mavia demanda, dans son traité de paix avec Valens, qu'on
lui
envoyât comme évêque Moïse, solitaire renommé (Théodoret, IV, 23). La
vie des moines et des ermites fit une grande impression sur quelques
tribus arabes. Siméon le Stylite recevait du haut de sa colonne la
visite de nombreux nomades qui le regardaient comme un, être
surnaturel.
En Éthiopie, au temps de Constantin,
Frumentius et son compagnon Edésius, qui s'étaient fait apprécier par
le roi, restèrent après sa mort, à la demande de la reine, pour
l'aider
à élever son fils et à gouverner. Frumentius réunit chez lui, pour le
culte, des marchands chrétiens arrivés par la mer Rouge et fit bâtir
une église pour eux. De passage à Alexandrie (vers l'an 330), il vit
Athanase, et le patriarche, ému par ses récits, le sacra évêque et le
contraignit à rentrer en Éthiopie. Plus tard, il vint à Axoum, au
nord-est de l'Éthiopie, avec une lettre de Constance pour le roi de
cette ville, et il le convertit. L'Évangile se répandit sur les
territoires voisins (Socrate H. B., I, 19). « C'est de là que date,
dit
Chastel, la fondation de cette Église d'Éthiopie ou d'Abyssinie, qui,
tout entourée qu'elle a été de païens et de mahométans, a pu, grâce
probablement à la situation peu accessible du pays, subsister jusqu'à
nos jours, défigurée, il est vrai, par le maintien d'usages juifs et
par bien des superstitions et des
abus. Cependant, dès le IVe siècle, elle avait une version de la Bible
d'après le texte des Septante ».
Signalons enfin, parmi les conquêtes
du christianisme au IVe siècle, les progrès de l'Église fondée en
Grande-Bretagne. vers la fin du ne, par des commerçants. En 314, on
vit
trois évêques bretons siéger au concile d'Arles. Sous Théodose, leur
nombre s'élevait à trente environ.
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