Heures du soir Méditations
TROISIÈME PARTIE
MÉDITATIONS SUR
LES ACTES ET LES ÉPÎTRES
ATTENDRE LA PROMESSE DU PÈRE
ACTES 1, 4.
Nous envisagerons aujourd'hui l'attitude de
l'âme qui attend, et qui possède ainsi
cette faculté précieuse de recevoir
de grandes, de magnifiques pensées.
Si, bien souvent, le génie est
incompris, c'est parce qu'il n'était pas
attendu. La Réforme était attendue
dans l'Allemagne du Nord au temps de Luther; il y
avait une attente frémissante; aussi, au
premier mot des thèses affichées par
Luther à Wittemberg, ce fut comme un
incendie qui se propage : on eût dit un ange
volant pour porter le message de l'Évangile
éternel.
La valeur de l'attente réside
dans quelque chose de très profond. Il y a
d'abord le fait que l'on se tait en se recueillant
sur ce qui est attendu; l'attente est recueillement
si les fibres de l'âme sont tendues vers le
message; il retentit alors dans le silence de
l'âme qui l'accepte lorsqu'il vient.
On attend, on réfléchit
sur cette promesse ferme, faite à l'avance;
on se représente ce qui est annoncé,
on y pense, on y est prêt, on en a le
pressentiment. Le message sera accueilli par toutes
les racines que l'attente a fait naître et
croître dans l'âme.
Puis on éprouve le besoin du
message attendu. Jésus annonce aux disciples
que l'Esprit de Dieu viendra et qu'ils en ont
besoin. En même temps nous ressentons de la
douleur à la pensée de ce qui nous
manque. Il se forme dans l'âme un
désir spirituel de recevoir : c'est comme un
courant d'air attisant la flamme.
Dans la fin du
chapitre I des Actes il est dit :
« Ils étaient tous dans la
prière en un même lieu ». Il faut
être dans cette attitude de la prière
qui prépare l'âme à recevoir
l'Esprit de Dieu.
S'il n'y avait pas la prière, il
n'y aurait pas cette parenté entre
l'âme et Dieu, qui fait que l'âme est
à l'avance, ouverte à ce qui lui est
annoncé.
Enfin, les apôtres ne restent pas
seuls; ils sont en un même lieu ensemble. Il
est dit : « Malheur à celui qui est
seul ». Seul, on n'est pas
prédisposé à recevoir de
grandes grâces. Si l'on est ensemble, on met
en commun ses pensées. De même que les
charbons mis ensemble forment un brasier, les
âmes ensemble font un foyer.
.
DISCOURS DE SAINT PAUL SUR LE RIVAGE
DE MILET
ACTES XX, 16 à 38.
Après avoir ainsi Parlé,
il se mit à genoux et Pria avec eux tous.
Ils fondirent tous en larmes, et, se jetant au cou
de Paul, ils l'embrassèrent, affligés
surtout de ce qu'il leur avait dit qu'ils ne
verraient Plus son visage. Puis ils
l'accompagnèrent jusqu'au navire
(36 à 38).
Il ne peut être question
d'étudier tout ce discours dans le
détail. C'est une suite de textes admirables
qui peuvent servir de devises pour toute une vie de
fidélité et de
dévouement.
Nous y ferons deux remarques :
1° Sur la personnalité de
saint Paul telle qu'elle apparaît dans ce
récit;
2° sur la distinction entre la
pensée de saint Paul théologien, et
celle de saint Paul apôtre.
Ici la personnalité de saint Paul
nous apparaît avec une richesse et uni
intimité extraordinaires. Si nous voulons
pénétrer les grandes
personnalités dans leur richesse, nous
devons les chercher dans certains moments
privilégiés de leur vie, quand leur
carrière est déjà
avancée et qu'il ne leur reste plus
longtemps à agir. Plus tôt, elles
seraient absorbées dans leur travail actif.
Cherchons-les aussi dans un temps d'épreuve;
c'est à ce moment que les âmes donnent
leur essence, comme certaines plantes aromatiques
qui si on les froisse, donnent tout leur
parfum.
À quel moment trouvons-nous
Jeanne d'Arc au sommet de sa personnalité ?
C'est lorsqu'elle est dans sa prison de Rouen, en
proie au mauvais vouloir de ses ennemis. Elle
trouve alors des accents
incomparables; elle parle de tout
son coeur sur les événements
passés, sur ses voix qui lui parlaient de la
part de Dieu, en sorte qu'elle se sentait une fille
de Dieu.
De même pour Napoléon, sur
son rocher de Sainte-Hélène,
entouré de quelques amis qui étaient
bien peu de choses, comparés à son
génie; à ce moment où il n'a
plus rien à espérer pour l'avenir,
ses souvenirs reviennent, et il nous dévoile
les ressorts profonds qui l'ont fait agir, et ce
qu'il aurait voulu faire.
Saint Paul, nous le voyons dans sa
prison, écrivant aux Philippiens,
l'épître dans laquelle il n'y a pas
une grande doctrine, mais où s'expriment son
âme la plus profonde, et son amour pour
l'Église de Philippe. « Christ est ma
vie et la mort m'est un gain », et aussi :
« je puis tout par Christ qui me fortifie
».
Nous ne le trouvons nulle part mieux que
dans le discours de Milet, dans ce portrait de lui
que nous font ces versets du chapitre XX du livre
des Actes. C'est un récit peint, auquel
saint Luc, le médecin, auteur du livre des
Actes, et qui assistait à cette
scène, s'est appliqué avec amour.
Saint Luc aimait saint Paul de toute son âme,
et il avait le sens des grandeurs
chrétiennes.
1° Il nous donne le discours dans
sa totalité. L'apôtre parle aux
anciens de ce qu'il a fait parmi eux : il y a
là une vision de l'apôtre parlant
à l'Église et se donnant à
elle; ce sont ses souvenirs, c'est la
première partie.
2° L'apôtre parle des peines
qui l'attendent, et de l'Esprit qui le conduit de
ville en ville. Paul est décrit là
comme un homme de l'Esprit, et nous voyons le
dialogue d'un grand chrétien qui
s'entretient avec son Dieu.
3° L'apôtre donne des
avertissements aux anciens: « Veillez, Prenez
garde ! » Ici l'apôtre est l'homme
de l'Esprit, qui porte dans son
coeur les Églises en grand danger.
4° En appendice du discours, nous
voyons le désintéressement de
l'apôtre qui travaillait de ses mains;
laissant à l'Église, l'exemple d'un
désintéressement complet.
Tout ceci est peint : on se met à
genoux sur le rivage, on s'élance au cou de
l'apôtre, on s'embrasse, et c'est le
départ vers les épreuves, le destin,
la mort. Nous avons ainsi l'apôtre Paul
intime, profond et complet.
La 2e remarque est au sujet de la grande
différence qui existe entre les
écrits de saint Paul théologien, et
l'épître aux Philippiens. Saint Paul
théologien se manifeste dans les
épîtres comme celles aux Romains et
aux Ephésiens, qui sont des traités
de pensée chrétienne profonde.
L'épître aux Romains est le premier
livre de théologie chrétienne; il est
à la base de ce que saint Augustin, Luther
et Calvin ont écrit sur la sanctification
par la foi.
L'épître aux
Ephésiens est un peu différente c'est
la pure doctrine de saint Paul; sa pensée y
est condensée en beaux paragraphes riches;
c'est un enseignement religieux
catéchétique de tout premier
ordre.
L'épître aux Philippiens,
au contraire, c'est le coeur qui se donne;
l'écrit est vivant, avec le jaillissement de
la vie intérieure.
Pourquoi ces différences? Il est
normal qu'il y ait dans ces écrits une
hauteur doctrinale peu facile à atteindre.
L'épître aux Romains devait exiger des
efforts pour être comprise, puisqu'elle
constituait un enseignement : l'opposition entre la
loi et la grâce. Le Seigneur avait
donné l'or pur de sa doctrine :
l'Évangile du royaume de Dieu; il fallait
que cet or pur soit frappé et mis entre les
mains des fidèles.
Ces épîtres sont-elles
ardues et difficiles ? Les
âmes simples, si elles
veulent les creuser, peuvent les comprendre; mais
elles s'adressent à des âmes ayant une
certaine préparation, un état
réceptif, et un certain nombre
d'idées leur permettant de comprendre. Il
faut à ces épîtres, des
âmes ayant de la profondeur, sinon
l'enseignement glisse et ne pénètre
pas. Il faut que cet enseignement soit une aube qui
se lève et amène au jour
éclatant. Gréard disait à
Auguste Sabatier : « Vous ne ferez pas croire
qu'en Ardèche vos vieilles paysannes
comprennent cela ». - « Non seulement
elles le comprennent, répondit Sabatier,
mais elles en vivent. » Il est certain que
saint Paul, fondateur d'Églises, directeur
d'âmes, est sur un autre plan que le plan
banal quotidien; il est sur le plan de la vie et de
l'intensité.
Ce discours nous montre la figure de
l'apôtre; et tout d'abord, la clarté
avec laquelle il voulait s'exprimer. Son
enseignement se réduit à deux
éléments bien distincts : la
repentance envers Dieu et la foi en
Jésus-Christ. À Éphèse,
où l'Évangile était tout
à fait ignoré, l'apôtre est
comme un marin qui pénètre dans ides
eaux où nul navire n'a jamais vogué.
Il peut prêcher la repentance qui remue les
consciences. C'était le premier timbre sur
lequel l'apôtre frappait.
Ensuite il prêche la foi. Il y a
dans l'âme humaine un besoin profond de
confiance, de libération, de salut.
L'apôtre apporte son message avec une
intensité de coeur : c'est là le
secret pour ceux qui veulent répandre le
bien autour d'eux; il faut que l'on sente en eux la
sympathie, l'amour des âmes. Saint Paul parle
des larmes avec lesquelles il a apporté
l'Évangile.
Les larmes ! la place que tiennent les
larmes dans la vie... Que signifient-elles ? Il y a
ceux qui pleurent facilement, alors leurs larmes ne
signifient plus grand'chose. Il y a ceux qui ne
pleurent plus, car la source
profonde est tarie. Des yeux qui ne pleurent plus !
Des coeurs qui n'ont plus la souffrance à
laquelle les larmes répondent ! Chez
l'apôtre les larmes ont un double
caractère : Ou bien ce sont des larmes de
douleur, ou bien d'intenses larmes de supplication
et d'avertissement. Paul avait pleuré et
prié pour chacun, comme une mère le
fait pour ses enfants, lorsqu'elle les sent en
péril et qu'elle voudrait les
préserver. Si l'on se sent impuissant, on ne
peut s'empêcher d'en pleurer. Il faudrait un
poète pour exprimer tant d'intensité,
tant d'amour : les larmes des prophètes, les
larmes de saint Paul ! Quel
désintéressement elles
révèlent ! Quel don de lui-même
!
Enfin il ne veut pas être à
charge aux Églises. Il travaille la nuit
pour gagner son pain et être libre de
s'occuper d'elles pendant le jour. Et il termine
par la parole du Seigneur, « qu'il y a plus de
bonheur à donner qu'à recevoir
». Nous avons beaucoup de paroles du Seigneur,
nous avons l'essentiel, mais il y en a une grande
partie que nous n'avons pas. Cette parole sur le
bonheur qui consiste à donner, elle est dite
pour nous. Nous sommes ici pour la plupart gens
âgés, souffrants, infirmes, et, pour
ceux qui sont dans ce cas, la tendance est de
regarder en soi, de s'isoler. C'est le secret du
parfait malheur : s'enfermer avec soi-même.
C'est une société indésirable.
Mais quand le cercle est brisé, que notre
âme est devenue -un centre de rayonnement, le
secret du bonheur nous est
révélé. Quand nous avons pu
réconforter quelqu'un cela revient sur
nous-mêmes, comme quelque chose de
céleste, d'incomparable, et quand nous avons
pu consoler tout à fait quelqu'un qui
était angoissé, quand par nos soins,
un ami a compris la parole du Seigneur : « Si
quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et
qu'il boive », alors, nous avons trouvé
le bonheur.
PRIÈRE
Ô Seigneur notre Dieu, nous te
prions pour tant d'âmes qui ont
besoin de réconfort. Que nous
soyons des âmes de prière,
qui savent ce qu'est l'intercession,
l'apostolat de la prière, auquel
tous tes enfants sont appelés. Nous
te prions pour le monde entier, pour la
paix du monde.
Apprends-nous à
discerner le prix de l'Évangile;
que nous sachions le prendre dans sa
force, dans sa beauté, dans ce
qu'il a de fécond. Que notre vie en
soit transformée; qu'elle ne soit
pas comme une pauvre chose sur une mer
démontée. Mais donne-nous la
force d'encourager autrui; que nous soyons
les amis que nous devons être,
fidèles à notre mission, et
à ce que le monde attend de tes
enfants. Nous t'en prions, au nom de
Jésus-Christ. Amen.
|
.
LES LAMPES DE LA VIE:
LA LAMPE DU CARACTÈRE
1 COR. XV, 51 à 58;
XVI, 13, 14.
Veillez; soyez fermes dans la foi, soyez
virils, soyez forts. Faites tout avec
charité.
Dans les « Sept lampes de
l'architecture » de J. Ruskin, les hautes
vertus sont considérées comme les
lampes de la vie. Il en considère sept.
Prenons comme sujet d'étude quelques-unes de
ces lampes de la vie, et d'abord, celle que nous
pourrons appeler la lampe du caractère. Le
caractère est un des secrets de la vie, une
des hautes vertus nécessaires. Le grand
talent éveille l'admiration, mais, plus que
le génie même, le caractère
inspire le respect, parce que, devant lui, on se
sent en présence d'une valeur morale qui
s'impose.
Avec quoi cette lampe du
caractère est-elle alimentée
?
Il y a des caractères
privilégiés par leur atavisme ou par
l'éducation qu'ils ont reçue de
parents croyants. Le caractère est une
possession solide chez ceux qui ont une très
forte base morale et religieuse.
« Soyez fermes. » Sur quoi
remporte-t-on la victoire ? Sur la mort et la peur
de la mort. « Mais grâces soient rendues
à Dieu qui nous donne la victoire par notre
Seigneur Jésus-Christ. » On est alors
vainqueur de la mort par l'espérance
chrétienne. Les promesses sont certaines
mais il faut les croire. La foi vivante en
Jésus-Christ Sauveur, voilà l'huile
qu'il faut mettre dans notre lampe si nous voulons
qu'elle brûle, voilà l'origine des
grandes bénédictions que nous pouvons
recevoir.
Que voyons-nous dans le
caractère? Une grande fermeté;
l'attachement à l'oeuvre commencée;
la ténacité; le caractère
chrétien est inébranlable. Certaines
gens ont la peur de vivre; la peur des
responsabilités, des initiatives. Le
chrétien ignore cela. Il va au devant des
difficultés, car il est en
Jésus-Christ. Il est affranchi de cette
crainte qui est une lâcheté. Le
courage devant la vie, la vaillance quotidienne,
c'est la vaillance chrétienne.
Nous ferons une étude
spéciale de la loyauté qui est un des
traits essentiels du caractère. Mais dans le
caractère nous trouvons encore bien autre
chose : l'apôtre parle de la richesse du
caractère chrétien, abondance et
richesse. « Si vous ne saluez que vos
frères, que faites-vous d'extraordinaire ?
»
(Matthieu V, 47)
Le caractère se manifeste dans
bien des domaines; dans la vie courante, les
occasions de le déployer sont nombreuses;
nous trouvons chaque jour de quoi nous
élever haut dans le domaine de la conscience
chrétienne, ou bien au contraire, de nous
laisser aller à une négligence
amoindrissante. Si j'agis tout de suite, je monte;
si je remets au lendemain, je descends dans la
valeur de mon caractère.
Je peux agir, ou hésiter à
agir suivant la confiance plus où moins
grande que j'ai dans le résultat de mon
action. Si je n'ai pas confiance dans ce
résultat, c'est que je doute de la valeur du
talent qui m'a été confié :
« Ainsi mes frères bien-aimés,
soyez fermes. inébranlables, progressant
toujours dans l'oeuvre du Seigneur, sachant que
votre travail n'est pas vain dans le Seigneur
»
(I Corinthiens XV, v. 58)
Ou bien au contraire nous sommes trop
ambitieux des résultats, nous les voudrions
trop rapides, trop extraordinaires. Il y a toujours
un résultat : ainsi la mère qui
exerce humblement et journellement son influence
par l'exemple d'une vie qui rayonne.
pénètre les
âmes autour d'elle; son influence crée
une impossibilité de manquer aux principes
qu'elle a donnés. Elle est une force de
conservation et de
bénédiction.
Enfin l'apôtre termine par une
exhortation: «Faites tout avec charité
». Car le caractère a affirmé
parfois une certaine dureté, une
brutalité dont on se vante. Il faut s'en
garder. L'effort que l'on fournit pour être
vaillant conduit à cette dureté, si
l'on ne mêle à cet effort de la
douceur. Que tout ce qui se fait parmi nous se
fasse avec charité; voilà le
remède aux défauts qui peuvent
accompagner la force. Rien n'est aussi beau qu'un
caractère fort mêlé de
bonté et de charité. Les paysagistes
disent qu'il faut mêler un peu de la couleur
du ciel à tout ce que l'on peint. Au point
de vue moral c'est ainsi qu'il faut agir - se dire
: « Qu'est-ce que je mêle du ciel
à telle parole que j'ai à dire,
à tel acte que j'ai à faire ? »
En y mêlant quelque chose du ciel qui nous
vient de notre communion avec Jésus-Christ,
nous éviterons l'âpreté, nous
trouverons le mot de charité
nécessaire.
Voilà les secrets de victoire :
persévérance, ténacité,
amour chrétien, qui donneront à notre
lampe le rayonnement de la force et de la
charité.
PRIÈRE
Ô Seigneur notre Dieu, daigne
nous accorder par ta grâce, par ton
secours, ce caractère
chrétien solide et beau, rayonnant
et fort que les croyants doivent
acquérir. Consolide notre
être intérieur par la foi,
donne-nous pour le travail quotidien les
forces nécessaires; augmente-nous
par ta grâce la vertu
chrétienne, augmente-nous la foi,
une foi ferme et vaillante. Nous t'en
prions, au nom de Jésus-Christ.
Amen.
|
|