Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



CONTRE LE COURANT

TROISIÈME PARTIE


VII

(C'est trop tard... pour moi en tout cas...)

 

Un jour, en rentrant de sa promenade quotidienne, Roseline trouva Mme Barrett qui l'attendait.
L'élégante étrangère avait beaucoup, changé physiquement. Le teint plombé sous le fard, les mains tremblantes, les yeux mornes, la tenue négligée, malgré le luxe des vêtements, elle présentait l'aspect le plus lamentable.
Assise dans le petit salon, près de la chambre de son mari, elle ne se leva pas, lorsque l'infirmière entra, mais lui tendit les mains, en un geste de supplication.
- Asseyez-vous là, dit-elle, désignant un siège à côté d'elle.

Puis, d'une voix lasse et saccadée, elle poursuivit :
- J'ai demandé de l'argent à mon mari... Il refuse de m'en donner...

Roseline protesta :
- Madame, j'ai moi-même écrit, sous la dictée de M. Barrett, une lettre au propriétaire de l'hôtel où vous êtes, par laquelle il règle toutes vos dépenses... d'ailleurs considérables...

La grande dame eut un geste hautain :
- Est-ce que cela vous regarde, qu'elles soient « considérables » ou non ?
- Nullement, fit Mlle Duclavel, d'une voix ferme, mais alors, pourquoi vous plaindre à moi de ce que votre mari vous « refuse » de l'argent ?
- Je sais très bien qu'il paie mes dépenses courantes, dit-elle, subitement radoucie... Il ne manquerait plus que cela ! ... M'a-t-il épousée pour me laisser dans la misère ? Moi, la fille d'un lord !

Roseline garda le silence.
La vulgarité et l'ingratitude de cette « fille de lord » la dégoûtait.
On pouvait, d'ailleurs, déjà constater la déchéance mentale qui résultait des basses passions auxquelles elle s'adonnait.
Ce silence lui fit lever la tête. Un éclair passa dans ses yeux lourds.
- J'ai voulu parler de mon « allowance » (1). Il la réduit à une tirelire de pensionnaire.
- Il a sans doute ses raisons, dit Roseline, calmement.
- Ses raisons ? Quelles raisons ?

De nouveau, l'infirmière garda le silence.
Mme Barrett eut un sourire amer :
- Il vous a mise au courant, je suppose, il vous a dit que j'étais une joueuse enragée, une morphinomane incorrigible... Eh ! bien, c'est vrai ! Que voulez-vous que j'y fasse ? Croyez-vous que ce soit gai d'être mariée avec un homme toujours malade, sombre, taciturne, qui pense encore (il ne le dit pas, naturellement, mais je le sens) à la femme qu'il aurait voulu épouser autrefois... et qui l'a lâché ! Ah ! oui, croyez-vous qu'il ne me faille pas des compensations et m'amuser autrement ? ... Croyez-vous...

Consternée de cette explosion, Roseline essayait de l'arrêter, mais en vain.
Mme Barrett s'était levée, et, malgré le tremblement de ses mains, s'appuyait au dossier de son fauteuil.
- Il faut pourtant se distraire... oublier... tromper l'affreuse désespérance de la vie...

Sa voix vibrait d'un son un peu rauque et métallique, et elle ajouta, comme saisie, tout à coup, d'une faiblesse immense.
- ... ou bien en finir...

Roseline frissonna.
D'un geste affectueux, elle prit la pauvre femme par les épaules et la força à se rasseoir. Elle-même choisit un tabouret et s'installa devant le fauteuil, de manière à empêcher Mme Barrett de se relever.
À ce moment, la porte s'ouvrit et, stupéfaite, l'infirmière vit son malade, debout sur le seuil.
Il était vêtu de sa robe de chambre japonaise, aux reflets de couleurs vives, qui faisaient ressortir encore davantage l'extrême pâleur de son visage.
Roseline s'élança vers lui pour le soutenir, mais il l'écarta, d'un geste sobre, referma la porte derrière lui avec soin et se tint devant sa femme.
- Florence, dit-il très gravement, pourquoi n'êtes-vous pas partie, comme vous me l'aviez dit tout à l'heure ?
- J'ai pensé ensuite que j'aimerais causer avec Mlle Duclavel. Elle a beaucoup d'influence sur vous, Ned, et j'espérais qu'elle vous déciderait à augmenter mon allowance. C'est tellement honteux ce que vous faites à mon égard ! Et on me dit que ce ne serait pas suffisant pour divorcer ! Qu'est-ce qu'il faudrait donc?

M. Barrett se tourna vers l'infirmière :
- Trouvez-vous, Mademoiselle, que ce soit « honteux » ?

Elle les considérait tous deux, avec une angoisse intense et une profonde compassion.
Il était bien évident que, l'un était aussi malheureux que l'autre. L'orage déferlait sur leurs deux têtes avec la même rage impitoyable. Tous deux désemparés... pauvres loques humaines, sans amour, sans espoir ; deux épaves, presque informes, emportées par le courant...
Exemple poignant de cette déclaration des Livres sacrés :

Sans Dieu et sans espérance dans le monde (Ephésiens 2 : 12) ».
Sans Dieu , c'est-à-dire, sans secours à l'heure de la détresse, sans consolation, sans père, sans refuge...
Sans espérance , c'est-à-dire sans raison de vivre, sans même un rayon de lumière à ce sombre horizon, pas même la plus lointaine et la plus froide étoile... Néant du néant !...

Et, plus Roseline considérait ce malheureux couple, entouré d'un luxe qui lui apparut comme le cadre insolent d'un tableau de tragédie, plus elle le plaignait.
- Je vous demande vous trouvez que ce soit honteux, répéta la voix creuse de M. Barrett.

Alors, saisie d'une pitié qui dominait tout, remplie de cet amour pour les âmes perdues, qui balaie toutes les idées conventionnelles et tous les obstacles, Roseline se jeta à genoux entre eux deux, joignit les mains, et, d'une voix pleine de larmes, se mit à prier :
« 0 Dieu des miséricordes, aie compassion de ces deux coeurs qui souffrent, de ces âmes qui, sans te chercher, ont un si pressant besoin de Toi ! Délivre-les de leurs chaînes. Révèle-leur l'amour de Jésus-Christ et l'oeuvre merveilleuse du Calvaire, afin qu'elles retrouvent l'Espérance qu'elles ont perdue ! ... »

Cela s'était fait, d'une manière si spontanée, si naturelle, et, en même temps si émouvante, que M. et Mme Barrett ne firent aucun mouvement de protestation.
Eux qui avaient interdit que l'on prononçât le nom de Dieu devant leur enfant, entendaient maintenant invoquer ce Nom auguste, en leur faveur, et sans pouvoir s'en défendre.
Mais ils étaient encore bien plus impression nés et émus par l'amour intense qui se traduisait ,sur ce visage mouillé de pleurs, dans ces mains jointes et frémissantes, dans cette voix dont l'ardeur implorait le Dieu du ciel pour deux rebelles impénitents...
Mme Barrett mit la main. sur ses yeux. Son mari, lorsque Roseline eût prononcé son « amen », se dirigea en silence vers la fenêtre. Tous deux semblaient oppressés comme si quelque influence mystérieuse fût soudain descendue sur eux, pour les arrêter dans leur course insensée vers un abîme qu'ils n'avaient jamais soupçonné.
Mlle Duclavel s'était relevée.

D'un geste rapide, elle essuya ses larmes, et se pencha vers la malheureuse femme, pour l'embrasser.
M. Barrett s'était retourné. Il tendit la main à l'infirmière :
- Je vous remercie, dit-il. Mais s'il existe un Dieu, Il doit être las d'un être comme moi.
- S'il existe un Dieu, répondit-elle Il n'est las de personne - puisqu'Il appelle tous les hommes à Lui. Le Christ n'a-t-Il pas dit qu'Il cherche Ses brebis « jusqu'à ce qu'Il les trouve ? ».

Un sombre pli barrait le front du convalescent. On sentait en lui un tel désarroi, une telle souffrance devant la situation sans issue qui était la sienne, qu'on n'aurait su que lui dire de plus.
- De quelque côté que je me tourne, dit-il, je trouve l'horizon fermé.
- Si vous regardiez en haut, dit Roseline doucement, il serait ouvert et sans limites.

Il était de nouveau devant la fenêtre par où l'air pur et léger entrait comme une caresse.
- Je connais votre genre, dit-il : fanatique, illuminé, absurde, et pourtant, avec une force qui oblige à l'admiration et peut entraîner la persuasion.

À son tour, Mme Barrett s'était levée. Elle semblait vouloir secouer l'impression sérieuse qui venait de l'envahir.
- Il y a bal, ce soir, à l'hôtel, dit-elle, d'un air languissant, et ma toilette n'est pas prête. Il faut que je passe chez la couturière.

Son mari ne se retourna pas lorsqu'elle sortit avec Mlle Duclavel qui voulut l'accompagner jusqu'en bas. Dans l'ascenseur, Mme Barrett serra le bras de sa compagne et lui chuchota à l'oreille :
- Merci de nous plaindre, mais c'est trop tard... pour moi en tout cas. Il y aurait des sacrifices au-dessus de mes forces. je n'ai plus aucun ressort et ma seule jouissance, c'est de me laisser aller avec le courant de ce milieu mondain que j'aime et dans lequel j'ai toujours vécu.
- Oui, mais... la fin ? dit Roseline.

L'ascenseur s'était arrêté.
Une fois dans le jardin, les deux femmes se dirigèrent vers le portail.
- La fin ? murmura Mme Barrett, elle ne saurait être pire que le présent.

Puis elle ajouta, avec un rire sarcastique :
- Oh ! je sais bien que vous autres, gens dévots, vous pensez à l'enfer, pour « la fin » ! Mais moi, je sais bien qu'il n'y a pas d'enfer, qu'il ne peut y en avoir d'autre pire que celui que nous endurons ici-bas, Ned et moi. Heureusement qu'il y a des coins de paradis...
Et d'un air de défi, elle ouvrit son sac à main, en sortit un petit écrin de cuir où reposait une seringue d'argent, qu'elle agita devant Mlle Duclavel.
- Et vous voudriez m'en priver ? cria-t-elle, furieuse. Oui, votre prière tout à l'heure, c'est à cela qu'elle visait ! Vous vouliez que je sois « délivrée de mes chaînes » ! Mais je les aime, mes chaînes, je les adore, je refuse d'en être délivrée, du moins de celles qui me font jouir ! La seule dont je veuille secouer le poids, c'est celle de mon mari...

Elle débitait ces énormités d'une voix. rapide, basse et saccadée, tantôt en crispant ses mains, tantôt en les laissant retomber mollement le long du corps.
Puis avec un sanglot subit, elle se détourna, sortit sur le trottoir, fit signe a un taxi et disparut.
Le coeur lourd, Roseline remonta à son poste. M. Barrett s'était enfermé dans sa chambre et n'ouvrit que lorsque l'heure de son dîner l'obligea à le faire.
Son visage était dur et sa pâleur trahissait un combat intérieur qui durait encore.
L'infirmière le servit en silence, puis rejoignit Miss Duncan et Daphné dans là salle à manger. Le repas ne fut pas gai, car la fillette était fatiguée et boudeuse.
Sur un fauteuil, reposait une nouvelle poupée : une de ces figurines immenses et fluettes, affublées de costumes de style et de perruques blanches, dont la mode nous impose les silhouettes insolentes et niaises, comme dernier cri du « modernisme ».
- Qui est cette dame inconnue ? demanda Mlle Duclavel, en souriant, et pour dérider l'enfant. Ne me la présentez-vous pas ?

Daphné eut un petit haussement d'épaules:
- C'est maman qui me l'a apportée, mais je n'en veux pas ; je ne peux pas jouer avec une vieille dame. Regardez, elle a les cheveux blancs. Moi, je veux m'amuser avec une vraie poupée, une petite fille...
- Vous aimez beaucoup les poupées ? demanda l'infirmière.
- Oui, des fois... D'autres fois... non. Ce soir, je voudrais papa.
- Eh ! bien, s'il le veut aussi, vous irez lui faire une petite visite, tout, à l'heure.

M. Barrett accueillit sa fille avec un geste de tendresse ardente et là fit asseoir sur ses genoux. Roseline les laissa seuls, et lorsqu'elle vint chercher l'enfant à l'heure du coucher, une détente semblait s'être produite chez les deux. La fillette était gaie et le visage du père avait perdu sa dure expression.
Ils ignoraient que celle que Dieu avait placée près d'eux, tel un ban ange, avait intercédé en leur faveur, et fait descendre, dans leurs coeurs meurtris, un peu de la grande paix du ciel.


Table des matières

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(1). Somme fixe pour un objet quelconque. Ici: toilette, plaisirs, argent de poche, etc.

 

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