Il est
écrit: TA PAROLE EST LA VERITE (Jean 17.17) Cela me suffit... |
REGARD
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Il est
écrit: TA PAROLE EST LA VERITE (Jean 17.17) Cela me suffit... |
CONTRE LE COURANT
|
Une seule chose est
nécessaire. |
La conversion de Roseline ne transforma
pas sa timidité en hardiesse, du jour au
lendemain. Mais, sur le sujet religieux, la
loyauté et la franchise de son
caractère lui firent une obligation
impérieuse de conquérir son
indépendance vis-à-vis de l'opinion
'publique.
Dans un pays où l'ignorance a
rendu le nom de « protestant » synonyme
« d'impie » (pour dire le moins), elle
avait toujours souffert de la sorte de mise
à part que cela impliquait. Mais maintenant,
elle recherchait cet opprobre et
secrètement, s'en réjouissait. Elle
héritait d'un noble ancêtre, mort dam
les Arènes de Nîmes où
l'avaient traqué les dragons du Roy et qui,
à toutes les tortures, avait
fièrement répondu par ces seuls mots
: « Dieu est mon Rocher, je ne serai pas
ébranlé ».
Ce sang de héros qui coulait dans
ses veines, s'était éveillé
avec une force extraordinaire. La timide jeune
fille qu'elle avait été ne redouta
plus aucune discussion avec des collègue
catholiques ou indifférentes ; et toutes,
stupéfaites de cette transformation,
s'accordaient à dire que la jeune huguenote
avait une éloquence et une
conviction entraînantes. Dans ses yeux noirs
luisait une flamme que ses auditrices appelaient
en. riant : « le feu sacré de
l'apôtre ».
Il faut faire remarquer que
l'éloignement de tout centre religieux avait
donné à la piété des
Duclavel un caractère très personnel
et très particulier.
La lecture de la Bible et de la
littérature 'évangélique
était leur seule ressource. Mais
élevés dans un milieu où la
théologie allemande n'avait pas
trouvé de crédit, ils respectaient la
Parole de Dieu et n'en retranchaient pas une ligne.
Ayant éprouvé sa puissance de
consolation et de force aux jours de
détresse, ils étaient des disciples,
non des juges du message de Dieu à la pauvre
humanité.
De ce fait, ils étaient heureux,
parce que soumis.
Et malgré, leur valeur
intellectuelle et leurs connaissances
considérables, ils ne s'imaginaient pas tout
savoir ni tout comprendre.
Cette puérile vanité qui
est la plaie des gens instruits comme des
ignorants, ne les avaient point
touchés.
Roseline, ayant entendu dire souvent
à son père que l'homme n'est rien et
ne sait rien, en comparaison de ce qui lui reste
à savoir, avait acquis inconsciemment cette
modestie qui était peut-être une des
causes de sa timidité.
Car ceux qui savent tout, ne sont point
timides ! Et pourquoi le seraient-ils ? Ne sont-ils
pas la science infuse, la sagesse incarnée ?
Ne sont-ils pas arrivés aux limites des
connaissances humaines et
capables de juger même des problèmes
de l'Au-delà ?
Pourquoi donc seraient-ils timides
?
La mésestime que l'on a de soi.
est une grande faiblesse, disent-ils, et, comme
toujours, ils ont raison.
Quoiqu'il en. soit, les Duclavel ne donnaient
pas cette impression à qui les approchait ;
et c'était peut-être une des raisons
pour lesquelles, après dix ans de
séjour à Meirage, ils n'avaient pas
d'amis intimes. Ils détonnaient par leur
mentalité particulière qui les
mettait à part. « Faibles » par
leur modestie,, ils possédaient cependant la
force immense de principes inébranlables et
l'opinion publique, inconsciemment, voyait en eux
des gens auxquels on peut avoir confiance.
Pendant ces dix ans, à
différentes reprises, des coreligionnaires,
pour la plupart fonctionnaires de diverses
administrations, étaient venus Taire leurs
« débuts » dans la petite ville
provençale. Mais, indifférents aux
choses religieuses, ou craignant de se
compromettre, dans cette citadelle du
cléricalisme, ils n'avaient eu que de vagues
relations avec les Duclavel qu'ils jugeaient trop
militants et même « fanatiques ».
Toutes les fois qu'ils avaient pu. se
désolidariser d'avec eux, ils l'avaient
fait. Pourquoi se mêler à des gens
exaltés, dont le nom seul associé au
vôtre, peut vous faire tort ?
Souvent, d'ailleurs, on ne savait qu'ils
étaient protestants que par une circonstance
fortuite et même parfois
seulement après leur départ.
Plusieurs des plus peureux et des plus
incrédules, avaient des ancêtres dont
les plus horribles persécutions n'avaient pu
ébranler la foi et qui étaient morts
pour elle en martyrs...
Plusieurs fois, M. et Mme Duclavel
avaient eu en visite des prédicateurs de
l'Évangile et à cette occasion,
avaient convoqué dans leur salon, des
réunions où furent invités
entr'autres les quelques protestants de Meirage.
À une exception près, tous les
descendants des fiers huguenots se
dérobèrent, tels les invités
de la parabole (
Matthieu 22 : 1 à 14), par
des excuses futiles. Des voisins et des amis
d'origine catholique, assistaient seuls à
ces réunions et en conservaient un souvenir
très vif et très bienfaisant.
Ce furent les débuts d'un travail
lent, mais réel et profond, dans quelques
âmes sincères. Le bon grain
semé avec foi, lève toujours,
tôt ou tard. L'homme n'est qu'un semeur,
parfois un laboureur, qui doit bien travailler,
bien peiner et' presque toujours attendre avec une
longue patience, avant que de recueillir du fruit.
Un jour, Mme Duclavel reçut la visite
d'une dame inconnue, accompagnée d'une jeune
fille d'environ 22 ans. Leur carte portait
:
- Madame Jean Lenormand et au-dessous,
au crayon : Mademoiselle Mireille
Lenormand.
Sur leurs poitrines à toutes
deux, étincelait la croix huguenote, ce qui,
comme cela arrive toujours,
rendit l'introduction plus naturelle et plus
facile.
- Oui, Madame, dit la mère, nous
sommes des coreligionnaires, et de Marseille. Mon
mari vient d'être nommé ici, dans les
Contributions indirectes, et comme nous sommes
très « pratiquants », nous avons
de suite demandé s'il y avait un culte. On
nous a répondu que c'était
très rare, mais qu'en tout cas, c'est chez
vous qu'il. avait lieu. Il paraît, Madame,
que vous avez aussi une jeune fille à peu
près de l'âge de la nôtre, ce
qui rendra nos relations encore plus
agréables, je l'espère.
Mme Duclavel répondit aimablement
qu'elle l'espérait aussi et souhaita la
bienvenue à ces dames.
- Mon mari, continua Mme Lenormand avec
volubilité, n'a pu s'absenter aujourd'hui,
mais. il compte bien faire la connaissance de M.
Duclavel, le plus tôt possible, et Mireille
celle de Mademoiselle votre fille. Aussi, Madame,
nous feriez-vous le plaisir de venir prendre le
thé avec nous, dimanche prochain ? Nous
serons à peu près
installés.
Mme Duclavel, tout en trouvant que
c'était aller un peu vite en besogne, ne
voulut pas refuser des avances si gracieuses et
accepta en principe, se réservant toutefois
l'avis de son mari et de sa fille qui pouvaient
avoir d'autres projets.,
Mme Lenormand était une grande
femme brune et plantureuse, aux yeux noirs
étincelants, au verbe haut, aux gestes
larges et nombreux. Elle représentait
à la perfection un type de la
méridionale de la classe
moyenne, intelligente, débrouillarde, mais
souvent superficielle.
Sa fille, au contraire, était
petite et menue et tranquille. Sans l'opulence que
Mistral a prêtée à son
immortelle homonyme, elle en avait les « noirs
cheveux », le « front blanc »,
« deux fossettes aux joues » et un regard
plein de flamme, comme sa mère, mais
où passaient des lueurs
énigmatiques.
On devinait chez elle une âme
ardente et peut-être inquiète. Son air
« sauvage un peu » comme celui de la
Mireille d'Arles, s'alliait à une certaine
distinction d'allure qui faisait un mélange
curieux et piquant. De suite, elle plut. à
Mme Duclavel qui pressentit, avec plaisir, une
compagne intéressante pour Roseline.
En se levant pour partir, Mme Lenormand
demanda :
- Pensez-vous qu'il y aurait ici
quelques leçons de piano à donner
pour Mireille ? Elle est excellente musicienne,
mais sa santé, un peu délicate, nous
oblige à la garder près de nous. Elle
a déjà deux ans de professorat
à son actif.
- Nous ferons tout notre possible, dit
Mme Duclavel. Ma fille et Mlle Mireille en
parleront ensemble et tout s'arrangera, je crois,
selon vos désirs.
Le dimanche suivant vit donc les deux familles
réunies. Les Lenormand habitaient au centre
de la ville, un grand appartement, assez
confortable pour une ville moyenâgeuse, mais
où l'on manquait de soleil et de vue.
L'arrangement raide et conventionnel
d'un mobilier de style, donnait à l'ensemble
un certain air non-habité, froid et
triste.
Mme Lenormand se trouvait très
heureuse de ce logement de grande allure qu'elle
qualifiait de « très chic
».
Mireille ne disait rien, mais Mme
Duclavel pensa que son air « sauvage un peu
» paraissait encore plus dépaysé
dans cette obscurité. Son vrai cadre
était une plaine brûlante, sous un
ciel ardent, ou dans un jardin de grenadiers et de
tamaris.
Roseline, une passionnée de la
nature, remercia Dieu intérieurement, en
pénétrant dans ce sanctuaire
d'élégance à la mode, de leur
maison ensoleillée, aux murs fleuris de
roses, de leur jardin aux senteurs
délicieuses, cil face des montagnes
austères, aux lignes nobles, baignées
d'or et de violet, dans la gloire des
soirs...
Elle jugeait assez souvent les gens
d'après leurs goûts, leurs besoins,
même leurs vêtements et leurs
maisons... et ne se trompait guère.
Mireille plut de suite à Roseline
comme elle avait plu à sa mère. Cet
intérêt fut réciproque. Elles
se « devinèrent » mutuellement.
Roseline n'avait trouvé de vraie joie en
aucune de ses collègues, dans le domaine
moral et religieux et soupirait après une
compagne de sa pensée et de son
âge.
Elle ne pouvait savoir encore si
Mireille Lenormand possédait quelques
convictions, mais elles avaient quand même
-un lien commun en cette croix d'or sur leurs
poitrines. Ce frêle
chaînon qui
paraîtrait bien insignifiant à ceux
qui n'ont pas connu le désert des pays
catholiques, servit pourtant de base (du moins pour
le moment) à leur amitié
nouvelle.
La foi des ancêtres, leur
héroïsme, leur endurance, leurs
sacrifices, sont un héritage commun que les
âmes qui en sont dignes savent goûter
ensemble et qui confère une noblesse plus
haute que les plus fiers blasons.
Mireille Lenormand, dès cette
première rencontre, s'attacha à
Roseline, profondément. Leurs
affinités étaient
créées, non pas tant par l'âge,
la situation ou la faveur des circonstances, que
par un idéal secret que toutes deux
portaient en elles et que Mireille s'était
encore à peine formulé à
elle-même.
Les jeunes filles causaient ensemble,
assises sur un canapé, près d'une
table où reposaient une quantité de
photographies dans leurs cadres. Mireille en prit
une et la mit entre les mains de Roseline.
- C'est mon frère Jacques,
dit-elle, qui est à Saint-Cyr. Nous n'ayons
pas en tout les mêmes idées, mais nous
nous aimons beaucoup.
J'espère qu'il viendra en
permission pour Noël.
Au même instant, Roseline entendit
Mme Lenormand qui prononçait le même
nom, en parlant avec Mme Duclavel, et discourait
avec feu sur les qualités extraordinaires de
« Jacques ».
- C'est un jeune homme qui ira loin,
disait-elle, il est intelligent et ambitieux. Et
dans la carrière qu'il a choisie, il faut
viser haut, dès le début. C'est si
long, si difficile, pour arriver !
Mais nous faisons de grands sacrifices
pour Jacques.
Roseline contemplait, par politesse, le
portrait du héros. C'était un visage
dur, impérieux, au regard vif, à la
bouche serrée. La photographie,
naturellement, ne pouvait rendre les jeux de
physionomie que l'on devinait fréquents et
divers. Mais à première vue, Roseline
éprouva une antipathie qu'elle se reprocha
comme une injustice envers un inconnu.
Elle ne s'étonnait pas de
l'enthousiasme de la mère, mais elle
comprenait encore mieux la discrète
réserve de la soeur. « Nous n'avons pas
les mêmes idées », avait-elle
dit.
En effet, lorsque Roseline eut
reposé le cadre sur la table et regarda de
nouveau sa compagne, elle fut frappée du
contraste, entre ces deux visages.Celui du
frère respirait la force, la confiance en
soi, la satisfaction, ajoutées à un
désir intense de monter, d'arriver. Tout y
parlait d'ambitions mondaines et
matérielles. On sentait que lorsque ces
lèvres avaient dit : « je. veux »,
rien ne résistait à cette
volonté.
Ces traits manquaient
complètement chez Mireille que sa
santé, fragile rendait plus ou moins
dépendante des autres et dont le beau regard
inquiet trahissait une âme délicate
qui n'ose trop attendre de la vie.
Les deux Messieurs causaient aussi, mais
leurs voix calmes étaient couvertes par le
verbe métallique de Mme Lenormand.
Le mari de celle-ci était un
homme grisonnant, trapu, haut en couleurs et fort
paisible, autant que sa femme
était grande, pâle et agitée.
À la façon dont il la regardait, on
devinait qu'elle était, dans le
ménage, le principe directeur et que le mari
et la fille s'inclinaient devant sa volonté
sans la moindre résistance., avec une
admiration un peu béate pour ses dons et
capacités. Roseline conclut que Jacques et
sa mère représentaient dans cette
famille, l'énergie, te savoir-faire, la
décision et surtout la soif d'arriver
à la fortune et la situation qu'ils
pensaient mériter.
Cette première réunion
n'eut d'autre résultat que la connaissance
faite et des relations établies. Mais Mme
Lenormand ne laissa pas beaucoup de temps
s'écouler avant de retourner chez Mme
Duclavel. Elle trouvait en celle-ci une auditrice
résignée devant sa loquacité,
et comme le silence et la solitude pesaient
lourdement à la bouillante Marseillaise, ces
visites lui servaient de soupape de
sûreté.
Au bout de 15 jours, Mireille avait, par
l'entremise de Roseline trouvé quelques
leçons de piano. C'était une
musicienne consciencieuse et d'intuition
réelle, avec des dons de professeur
très affinés, malgré sa
jeunesse.
- Ah ! si vous entendiez Jacques jouer
du violon ! exclama Mme Lenormand, lorsque Mme
Duclavel lui fit des compliments sur le
succès de sa fille. Çà, c'est
un artiste !
La famille Duclavel commençait
à prendre Jacques en grippe, même
avant de l'avoir vu, tant on lui chantait ses
louanges à tout propos.
À Noël, il vint en effet en
permission et ne dissipa
guère les préjugés qui
s'étaient formés contre lui.
Le soir de Noël, les deux familles
se réunirent chez les Lenormand pour
dîner. Roseline parut plaire au jeune
officier qui déploya pour elle ses
grâces les plus séduisantes.
Mme Lenormand le regardait d'un oeil
surpris et un peu courroucé. Elle avait
d'autres visées pour son héros et le
moment venu, se proposait de lui trouver une riche
héritière et qui sait ?
peut-être une particule qu'il ajouterait
à son nom et qui ferait tellement bien dans
le tableau !
Quand l'imagination de Mme Lenormand
partait en campagne sur l'avenir de Jacques, les
résultats étaient
fantastiques.
- Vous êtes quelques protestants,
à St.-Cyr, cette année ? demanda M.
Duclavel, pendant le dîner.
Jacques haussa les épaules d'un
mouvement élégant.
- Ah ! çà, Monsieur, je
l'ignore. Vous savez, chez nous, la religion, c'est
une affaire délicate. On doit être
prudent.
Il disait « chez nous » comme
si de temps immémorial, St.-Cyr lui
eût appartenu.
- Qu'entendez-vous par là ?
demanda le professeur.
- J'entends que la maison est
plutôt cléricale et que les
protestants n'y sont pas très bien vus.
Alors, vous comprenez, Monsieur, que celui qui veut
arriver se tient tranquille.
Un silence tomba. Chacun à sa
manière traduisait ce que voulait dire
« se tenir tranquille ».
- Oh ! j'ai bien - deux ou trois copains
qui veulent faire les crânes, poursuivit
Jacques, et ne vont pas à la messe. Mais
à quoi bon se particulariser ainsi ? C'est
imprudent et de bien mauvais goût. Moi, dans
les grandes cérémonies, j'y vais.
Ça ne tire pas à conséquence
et ça me fait bien noter.
Mme Lenormand, un peu
gênée, se mit à rire et fit
signe à la bonne de repasser un plat qu'elle
jugeait recherché et délicieux. Elle
souhaitait de voir la conversation changer de
sujet.
Mireille avait jeté un regard
furtif à Roseline. Le visage de celle-ci,
comme celui de ses parents, n'exprimait que
l'intention polie d'en rester là pour le
moment.
Mais Jacques aimait à parler de
lui, et un sujet en valait un autre.
- Ne trouvez-vous pas que j'ai raison,
Mademoiselle ? fit-il aimablement, en se tournant
vers sa voisine.
- Je ne vous juge pas, Monsieur,
fit-elle, très grave. je sais seulement ce
que je ferais moi-même en pareil cas.
- Eh bien ! que feriez-vous ?
- Je n'irais pas à la messe. L'on
a des principes ou l'on n'en a pas.
Ici Mme Lenormand s'interposa, en riant
toujours et dit, -en tournant la salade :
- Oh ! Mademoiselle Roseline, on le
voit, est une rigide huguenote ! Mais, entre ce
qu'une jeune fille doit faire et le devoir d'un
jeune homme qui prépare son avenir, il y a
loin.
Le visage de Roseline se couvrit de
confusion.
- Je vous demande pardon, Madame,
d'avoir parlé si franchement, mais M.
Jacques m'a interrogée et je ne sais pas
dissimuler ma pensée.
M. et Mine Duclavel eurent pour leur
fille un regard approbateur. Ils la savaient
ardente et convaincue, mais ils étaient
heureux de son à-propos, de sa
manière ferme et digne. Elle n'avait
après tout, que 26 ans et leur isolement
religieux joint à sa timidité
naturelle, auraient pu faire prévoir moins
d'assurance et de hardiesse.
Mireille avait fait à son
frère un signe discret, mais il n'en tint
pas compte.
- Ma foi, fit-il en haussant de nouveau
les épaules, çà dépend
de l'importance qu'on attache à la religion
! Moi, on m'a baptisé protestant, eh bien !
le suis protestant. Mais, à part cela, je ne
m'occupe pas de ce sujet. Être honnête,
bon camarade, faire son devoir, çà
suffit. je n'aime pas les temples (c'est trop
froid), ni les pasteurs (avec leurs habits noirs,
ils ont l'air de croque-morts). Tout ça
« me rase », je le dis franchement, car
je suis franc, comme Mlle Roseline.
Et Jacques riait de tout son coeur.
C'était vraiment trop drôle !
Mme Lenormand se souvenant avoir dit
à Mme Duclavel que toute la famille
était « très pratiquante »,
riait aussi, mais d'un air gêné.
D'autre part, malgré l'admiration sans borne
qu'elle professait pour son fils, elle trouvait
qu'aujourd'hui, il manquait
décidément de tact et de tenue, en
parlant si librement devant des invités
qu'il connaissait à peine.
Elle oubliait qu'elle même l'avait
toujours traité, depuis son enfance, en
personnage important qui pouvait donner à
tout propos, un avis toujours écouté
par des parents émerveillés de tant
d'esprit et de précoce
supériorité. Il ne faisait,
après tout, que rendre justice à
cette éducation.
- Alors, poursuivit M. Duclavel, avec le
plus grand calme, vous êtes protestant de
force. Vous avez donc raison Je ne pas afficher des
croyances que vous ne possédez pas. Mais,
Monsieur Jacques, croyez-vous vraiment que la
religion soit sans importance ?
- Je trouve, dit l'officier en appuyant
sur le pronom JE et en jetant à Roseline et
à Mireille, un regard malicieux, je trouve,
Monsieur, qu'elle fait très bien chez les
dames. Une femme athée me fait horreur ! Fi
! que c'est laid ! Imaginez-vous ma jolie
soeurette, ici présente, faisant parade
d'incrédulité ? Ce serait quasi une
monstruosité. Mais les hommes n'ont pas
besoin de cet ornement.
Le jeune homme débitait toutes
ces inepties avec une parfaite désinvolture
et l'air heureux de quelqu'un qui est sûr de
produire son effet, et croit qu'en secret, chacun
admire son esprit et son
originalité.
M. Duclavel ne put réprimer un
regard quelque peu sévère :
- Monsieur, dit-il, je ne suis point une
femme, comme vous le voyez et n'ai donc pas besoin
« d'ornement ». Mais je puis vous
affirmer que, pour moi, la religion est la chose la
plus importante qui soit au monde. Il s'agit
tout simplement de savoir si,
après la vie si courte et (comme vous en
ferez sans doute l'expérience dans la suite)
si agitée qu'est la nôtre à
tous, il y en a une meilleure.
- C'est à souhaiter, dit Jacques
en riant, et, si c'est le cas, j'espère bien
en profiter. M'en trouvez-vous vraiment indigne,
cher Monsieur ?
- Je crois que ce n'est pas le moment de
discuter sur ce sujet, dit M. Duclavel, très
sérieusement, mais il me semble, Monsieur
Jacques, que vous vous faites des illusions sur
cette autre vie.
- Allons, allons, dit Mme Lenormand,
n'allez pas vous disputer le jour de Noël !
Jacques se fait passer pour un
mécréant, alors que c'est le meilleur
garçon du monde ! Il a fait, m'a dit le
pasteur qui fut chargé de son instruction
religieuse, « une excellente première
communion ». Ça ne s'oublie pas, ces
choses-là.
- Ma première communion ! cria
Jacques, un peu excité par le champagne,
c'est comme mon baptême. Est-ce qu'on m'a
demandé...
- Passons au salon pour le café,
dit Mme Lenormand, en se levant de table, avec
quelque précipitation.
En servant le café, Mireille dit tout bas
à Roseline :
- Maman a raison, Jacques se fait plus
mauvais 'qu'il ne l'est.
Puis, plus bas encore
- Son malheur, c'est d'être un peu
snob.
Pendant ce temps, le jeune snob,
vaguement confus d'avoir entendu
M. Duclavel affirmer sa foi religieuse, essayait de
se faire pardonner ses maladresses. Le professeur
connaissait trop, par expérience, les
prétentions fanfaronnes de beaucoup de
jeunes gens pour lui en tenir rigueur.
Mais M. Lenormand qui, avec sa
placidité habituelle, ne s'était que
fort peu mêlé à la
conversation, trouvant que Jacques avait tout de
même, un peu trop unis « les pieds dans
le plat », s'empara de M. Duclavel et lui fit
toutes sortes de questions sur le pays, qu'il
désirait connaître à
fond.
Le Saint-Cyrien n'avait plus de refuge
qu'auprès des jeunes filles qui
l'accueillirent sans enthousiasme. Roseline
était lasse de cette atmosphère et
Mireille était déçue.
Jacques feignit de ne pas s'en
apercevoir.
- Ah ! Mesdemoiselles, dit-il, debout
devant elles, les mains dans 'les poches de ses
belles culottes en drap rouge satiné, que
ces croix huguenotes sur vos poitrines vous
siéent bien ! Comme elles symbolisent les
coeurs brûlants qui battent derrière
elles ! Vous, au moins, vous ne les trahissez pas,
ces reliques sacrées, comme le «
mécréant » que je suis, selon
l'expression choisie de mon indulgente mère
!
- Jacques, fit Mireille, tais-toi, je
t'en prie. Changeons enfin de sujet. Ce genre de
plaisanterie déplaît à Mlle
Roseline.
Le jeune homme rajusta son lorgnon et
d'un air surpris.
- Vraiment, Mademoiselle ? je suis
désolé, mais qu'ai-je donc dit ?
- Rien de très grave à
votre ~ point de vue; répondit Roseline.
Mais Mireille a raison. Votre manière de
traiter légèrement, comme vous le
faites, ce qui, pour moi, est le plus sacré,
et le plus important de la vie, ne peut que
m'être pénible.
Pour la première fois, Jacques
resta silencieux, parce qu'il ne comprenait rien
à la situation. Était-ce par pose que
cette belle jeune fille faisait la dévote ?
Trouvait-elle que cet air austère donnait
à son profil de madone, un caractère
plus touchant ? Ou, était-il possible
qu'elle fût sincère ? Qu'elle
crût vraiment à la
nécessité et au sérieux de la
religion ?
Mais Mireille le regardait d'un air si
malheureux qu'il s'inclina d'assez bonne
grâce.
- Mille pardons, Mademoiselle. Cela ne
se renouvellera pas. J'ignorais votre rigueur. N'en
parlons plus. Tenez, je m'en vais chercher mon
album. Vous verrez les photographies que j'ai
prises, pendant Les manoeuvres, cet
été.
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