HISTOIRE DES VAUDOIS.
IICHAPITRE
XXVII.
LES VALLÉES DEPUIS LA PAIX
GÉNÉRALE. (1814-1846.)
La restauration. - Conduite des
Vallées en 1814 et 1815. - Déception. -
Édit qui les replace dans leur ancienne condition. -
Mesures qui en sont la conséquence - Temple de
Saint-Jean. - Question des rentes du clergé romain. -
Traitement alloué aux pasteurs. - Lettres pastorales
des évêques de Pignerol. Charles-Félix.
- Charles-Albert. - Cessation d'abus - Restrictions.
Étrangers, bienfaiteurs des Vaudois. -
Frédéric-Guillaume III. - Le comte de
Waldbourg. - Chapelle évangélique de Turin. -
Fondation de deux hôpitaux. pour les Vallées. -
Collectes. - Bourses créées à Berlin. -
Bienfaiteurs anglais. - Collège de la Tour. -
Écoles. - Comité Wallon. - Cantons suisses. -
Érection du couvent de la Tour. - Inquiétudes
aux Vallées. - Visite de Charles-Albert à ses
sujets.
Le temps marqué par la sage
Providence pour la fin du règne de Napoléon
parut. Son ambition démesurée prépara
un immense tombeau à ses armées dans les
neiges glacées de la Russie. L'oeuvre que le Seigneur
des seigneurs lui avait donnée à faire
était accomplie ; les rois et les peuples avaient
reçu des leçons salutaires. L'empereur des
Français fut vaincu et dut abdiquer. Rentré
pendant cent jours en possession d'une partie de ses
états, il 'tomba de nouveau, et laissant pour
toujours à d'autres le soin de gouverner le monde ~
il s'en fut, prisonnier de l'Angleterre, achever à
Sainte-Hélène, dans de pénibles
réflexions, sa vie humiliée.
Le souverain légitime
du Piémont rentra en possession de ses états
agrandis des dépouilles de son ennemi.
Victor-Emmanuel reçut l'hommage des anciennes et des
nouvelles provinces de sa monarchie. Les Vallées
Vaudoises ne furent pas des dernières à
reconnaître son autorité, et à promettre
à leur prince une fidélité
entière.
Cependant, si la chute de
Napoléon fut un bénéfice pour l'Europe
épuisée autant que décimée, elle
fut bien plutôt une perte pour les Vaudois qui,
d'égaux à tous les autres membres de la
famille piémontaise, et de libres sous l'empire des
lois, redescendirent à le. condition de sectaires,
soumis à un régime exceptionnel. Ils
espéraient mieux. Ils avaient confiance en
Victor-Emmanuel, parce qu'il avait habite Pignerol dans leur
voisinage, en 1794, parcouru leurs Vallées et
commandé leurs milices lorsque, alors duc d'Aoste, il
était à la tète d'une division de
l'armée qui couvrait leurs frontières.
L'attente qu'ils fondaient sur lui était si grande,
qu'ils renoncèrent, à l'époque du
congrès de, Vienne, à l'emploi de moyens qui
auraient pu lui déplaire. On assure qu'un ami des
Vaudois avait préparé les voies à ce
que leur émancipation fût imposée au
roi, comme clause des avantages territoriaux qui lui
étaient faits. Une démarche des Vallées
auprès du congrès en aurait été
l'occasion. Un mémoire fut rédigé;
mais, au moment de l'envoyer, la Table vaudoise, craignant
de mécontenter un monarque qu'elle croyait
généreux, ne jugea pas convenable de lui
donner cours. On se contenta de faire parvenir au
gouvernement du roi les voeux de la population, et d'y
intéresser deux officiers supérieurs des
puissances alliées, le comte de Bubna,
général autrichien, gouverneur militaire du
Piémont, et lord Bentink, commandant des forces
britanniques dans la Méditerranée et alors
à Gênes. Leurs demandes se résumaient
à la liberté de conscience et de culte,
à une existence politique entièrement pareille
à celle des autres sujets du roi, à
l'abolition (déjà réelle depuis 1800)
de toutes les restrictions, humiliantes, mises autrefois
à l'exercice de ces avantages, enfin à
quelques voeux particuliers, tels que le salaire des
pasteurs, et une protection efficace contre le rapt des
enfants vaudois.
C'était trop attendre
d'une cour politique, dévote et peu disposée
à innover. Rétablir les affaires vaudoises sur
l'ancien pied était à ses yeux la
décision la plus prudente. Ce fut celle à
laquelle elle s'arrêta. Un des premiers actes
présentés à la signature de
Victor-Emmanuel, après son retour dans sa capitale,
fut l'édit qui rétablissait les Vaudois sous
l'empire de toutes les ordonnances restrictives en vigueur
durant le règne des prédécesseurs de sa
majesté, avant la domination française. On se
représentera facilement la surprise, la douleur,
l'abattement produits aux Vallées à cette
nouvelle. Après quinze ans d'une pleine jouissance
des avantages de la liberté religieuse et de
l'égalité politique, il paraissait dur de
devoir remettre les intérêts
généraux des Églises sous la tutelle
inquiétante d'un gouvernement dominé par les
prêtres, et de se voir renfermés dans
d'étroites limites, comme des coupables dans une
prison, ou restreints à un petit nombre de
métiers, à l'exclusion d'occupations plus
honorables, comme des hommes indignes de
considération.
Le premier usage que
l'autorité fit de cet édit restrictif, fut de
faire fermer le temple de Saint-Jean, bâti aux
Blonats, centre de la paroisse, pendant l'occupation. Il
fallut rouvrir l'ancien édifice, situé hors de
la commune, sur Angrogne.
Un second cas se
présenta bientôt après : les cures,
biens et rentes, assignés aux curés des
Vallées avant la domination française, et
remis pendant celle-ci par la commission exécutive
entre les mains de la direction ou Table vaudoise, furent
réclamés par les anciens usufruitiers. Il n'y
avait rien à objecter. Mais, non contents
d'être remis en possession de leurs anciens
bénéfices, les curés
prétendaient au remboursement des
intérêts et revenus dont les pasteurs avaient
joui. Exigence injuste, puisque la Table vaudoise n'avait
administré ces biens que par ordre de
l'autorité, alors légitime.
Cependant, si le pouvoir avait
refusé aux Vaudois la position qu'ils eussent
désiré obtenir dans l'état, il ne
pensait nullement à sanctionner des
réclamations aussi ridicules que celles du
clergé romain des Vallées. Par son ordre, sans
doute, le comte Crotti, intendant de la province de
Pignerol, magistrat dont le souvenir est encore
révéré (1),
assembla les intéressés et les invita à
débattre leurs droits devant lui. Bien que
modérée dans la forme, la discussion
était tenace; chaque parti abondait dans son sens;
elle ne paraissait pas tourner vers une solution, quand le
plus jeune des prêtres, qui comme tel prit la parole
après ses confrères, émit un avis
différent du leur : « Les ministres, dit-il, ont
administré non-seulement légitimement, mais
encore loyalement, ils nous ont conserve nos biens intacts
et en parfait état. Nous ne devons rien
réclamer d'eux. » Ce prêtre
équitable justifia avec tant de franchise et de
vérité sa manière de voir qu'elle
prévalut, et termina le différend à la
grande satisfaction du digne Intendant qui, au nom du roi,
avait entrepris de l'arranger.
L'intention du souverain, en
replaçant les Vaudois sous l'empire d'une
législation exceptionnelle et surannée,
n'était pas, on le voit, de pousser les choses au
pis. Aussi, à l'égard du temple de Saint-Jean,
accorda-t-il, après une année, la permission
d'y faire le service religieux. Toutefois, car il fallait
bien accorder quelque victoire au prêtre qui se disait
lésé, offusqué, incommodé par la
vue de ceux qui y entraient, ainsi que par le chant. des
cantiques qui retentissaient par la porte souvent
laissée ouverte, il fut ordonné de faire une
construction qui masquât celle-ci. On obéit en
élevant une paroi en planches
(2).
Par une large tolérance, le souverain a
également consenti à ce que le pasteur
conservât son domicile dans la paroisse, et à
ce que les écoles y fussent aussi tenues. Ainsi prit
fin l'exception qui, depuis 1658, privait Saint-Jean d'un
culte et d'écoles sur son territoire, comme de la
présence de son pasteur. Ce redressement d'abus,
cette large tolérance sont dûs au nouvel esprit
qui parait se faire jour, quoique lentement, dans le
gouvernement, en ce qui concerne les affaires
vaudoises.
Les Vallées
reçurent d'autres preuves encore des dispositions
bienveillantes de sa majesté. Par le retrait des
biens et rentes assignés au culte et aux
écoles, sous le gouvernement français, les
pasteurs, les régents et l'administration se
trouvaient dans la pénurie. Les subsides
étrangers avaient bien repris la route des
Vallées avec la paix, mais la somme en était
moins" élevée que précédemment.
Le subside royal anglais ne parvenait plus par l'effet d'une
cause connue des Vaudois. Les capitaux de Hollande,
diminués d'un tiers, sous l'administration
française, ne rendaient plus que dans cette
proportion. Ces besoins ayant été
exposés à sa majesté, elle daigna s'en
occuper, ainsi que de quelques autres demandes; et, le 9.7
février 1816, elle publia un édit, par lequel
elle octroyait trois grâces à ses sujets
vaudois :
1° un traitement fixe,
annuel, aux pasteurs (3) ;
2° la permission de
conserver les biens acquis hors des limites sous le
gouvernement français; 30 la licence d'exercer, outre
les arts vulgaires, ceux de chirurgien, d'apothicaire,
d'architecte, de géomètre et ceux pour
lesquels la licence de docteur (laurea) n'est pas
exigée, toutefois après avoir subi les examens
prescrits, et en se conformant aux
règlements.
Un nouvel esprit, celui d'une
tolérance plus large, présidant aux actes du
gouvernement, le clergé romain changea aussi de
système dans sa vieille lutte contre l'Église
vaudoise.
La violence ou l'oppression
n'étant plus de ce siècle, il eut recours
à un moyen déjà souvent employé
dans les siècles précédents; savoir, la
discussion, mais en lui donnant une forme radoucie, celle de
lettres pastorales. Ce fut l'Évêque de
Pignerol, Mgr Bigex, qui se chargea de ce soin. Ses
mandements fort bien écrits réuniraient toutes
les qualités requises pour persuader, si le nombre et
l'arrangement des arguments, si l'art de les
présenter pouvaient suppléer à la
faiblesse du fond. Tout ce qu'on peut dire, pour attirer des
disciples du Sauveur dans le grand établissement dont
le centre est à Rome, fat
répété; l'erreur fut palliée,
les fausses doctrines colorées ou
atténuées. À l'apparition de la
première de ces pastorales, en 1818, le public
vaudois, soit à cause de la nouveauté du fait,
soit par crainte des conséquences, s'en émut.
Cependant, on put bientôt reconnaître que,
là où a soufflé l'esprit de la
réforme, ou plutôt l'esprit des anciens
Vaudois, qui est l'esprit de Dieu, l'esprit de Rome ne peut
plus égarer l'intelligence; que, là où
la Parole de Dieu est non-seulement prêchée,
mais à la portée et dans les mains de tous.,
l'erreur papiste, le culte des saints et les pratiques de la
messe ne trouvent plus que des partisans isolés.
Néanmoins plusieurs pasteurs crurent devoir
répondre par des réfutations manuscrites qui,
copiées à un grand nombre d'exemplaires,
circulèrent de famille en famille; on remarqua
surtout celles de MM. Geymet, Rod, Peyran et Mondon. Le
sérieux des unes et l'excellent choix des arguments
contrastent avec le ton un peu trop léger de quelques
autres. Une parole toujours digne eût dû
être le caractère de toutes.
La faiblesse de la cause des
adversaires et l'excellence de la sienne ne sont pas des
raisons suffisantes, quand au fond il s'agit de
l'Évangile et du règne de Dieu, pour
s'abandonner au plaisir d'un bon mot, d'une
personnalité ou d'une malice. Cette guerre de plume
après quelque vivacité se calma, sans autre
résultat que le bruit qu'elle avait fait. Elle a
été essayée de nouveau, mais sans
succès par les évêques successeurs de
Mgr Bigex, par Mgr Rey, en 1826, dans une lettre pastorale
dénuée de toute démonstration
persuasive, et dernièrement surtout par
l'évêque actuel, Mgr Charvaz, dans des
pastorales et dans des écrits nombreux,
composés avec habileté, où
l'érudition est déployée au profit de
l'erreur avec un art infini. Par ces publications
imprimées et répandues dans le diocèse,
en Piémont et ailleurs, on s'efforce de donner le
change à l'opinion, comme si les Vaudois,
réduits au silence, succombaient sous les coups des
arguments du système romain. Certes, les
Vallées comptent à cette heure parmi leurs
pasteurs des hommes de talent, versés dans la science
biblique et dans l'histoire de l'Église, capables
assurément de relever le gant qui leur est
jeté. Mais, indépendamment du peu d'importance
qu'il y a à réfuter des objections cent fois
faites et cent fois renversées, et à
démentir des assertions dont la fausseté est
généralement reconnue, surtout dans les
Vallées, il est difficile, il est même presque
impossible, que les conducteurs spirituels de ces
Églises le fassent par le moyen de l'imprimerie,
parce que leurs écrits seraient biffés ou
arrêtés par la censure, et qu'eux-mêmes
pourraient être pris à partie, sous
prétexte d'injures faites à l'Église
romaine.
Les préventions et la
répulsion que les suggestions der, prêtres
inspirent aux catholiques romains contre les Vaudois ont eu
des représentants sur le trône.
Charles-Félix, devenu roi après l'abdication
de Victor-Emmanuel, en 1821, refusa de recevoir à son
audience la députation vaudoise, chargée par
les Vallées de présenter leurs hommages
à sa majesté. Ses préjugés
religieux lui inspiraient cette
sévérité. Il tint à en faire
connaître la cause. « Dites-leur,
s'écria-t-il, qu'il ne leur manque qu'une chose,
c'est d'être catholiques. » La
fidélité, en effet, ne leur manquait pas; car,
lorsque, en 1821, tout le Piémont, pour ainsi dire,
adhérait au soulèvement
révolutionnaire, les Vaudois presque seuls restaient
attachés à l'ordre légal, à la
légitimité.
Par l'élévation
à la royauté du prince de Carignan,
Charles-Albert, actuellement sur le trône, les
préventions qui s'y étaient assises avec son
prédécesseur en sont bannies aujourd'hui.
Intelligent, généreux, père de ses
sujets, Charles-Albert a mis fin à plusieurs rigueurs
et humiliations dont on abreuvait les Vaudois. L'avancement
leur était refusé dans l'armée; depuis
la domination française, il ne s'y était fait
aucune nomination de Vaudois à des places
d'officiers; Charles-Albert a réparé cet oubli
volontaire. La superstition refusait à Aoste une
sépulture honorable à un Vaudois, ancien
militaire, le major Bonnet; Charles-Albert, écoutant
de justes réclamations, imposa silence à la
voix de l'intolérance et munit de pouvoirs un de ses
sujets vaudois, le chapelain des ambassadeurs protestants,
à Turin, pour transporter avec honneur la
dépouille du vieux guerrier dans un des
cimetières des Vallées. On ne saurait nier,
néanmoins, que par quelques mesures ce prince n'ait
paru revenir parfois à la politique défiante
et restrictive de la plupart de ses
prédécesseurs. Ainsi son gouvernement a voulu
remettre en vigueur, il y a quelques années, les
édits qui repoussaient dans les Vallées tous
les Vaudois, et ne leur permettaient pas de séjourner
plus de trois jours de suite dans une localité hors
des limites, si ce n'est peut-être à Turin. De
même, on a paru vouloir contraindre les Vaudois
propriétaires de biens fonds sur territoire
catholique, à les vendre dans un court espace de
temps. Hâtons-nous d'ajouter que sa majesté,
sollicitée au nom de la tolérance et de
l'équité, n'a pas donné suite à
la première mesure, et qu'elle a modifié la
seconde de la manière suivante: Les biens
possédés hors des limites par des Vaudois ne
seront pas vendus forcément, et pourront passer en
succession aux héritiers; mais, le cas
d'aliénation échéant, ils devront
être vendus à des catholiques
romains.
Ces restrictions nuisibles au
fisc augmentent le malaise qu'une population trop forte.,
pour l'étendue des limites, cause aux Vallées.
Une partie des vingt mille Vaudois, resserrés entre
les cimes neigeuses, les rochers stériles et la
plaine qui leur est fermée, ne fait que
végéter. L'activité se consume pour
néant et s'éteint. L'émigration devient
la seule ressource des non propriétaires, car le
commerce est presque nul et l'industrie n'est guère
plus florissante. La France et la Suisse s'accroissent des
pertes d'hommes que font les Vallées. Marseille,
Nîmes, Lyon et Genève en renferment un grand
nombre, qui, du reste, tend à s'augmenter de jour en
jour, par le fait de la politique défiante qui prive
le Piémont de sa population la plus
morale.
Le système papiste, il
est vrai, se trouve bien de cette gêne, car elle lui
fournit des sujets de conquête. C'est surtout parmi
les pauvres dans la détresse et chargés de
famille, et parmi les gens démoralisés, que la
religion de Rome trouve accès, de temps à
autre, à prix d'argent. Quinze à vingt
personnes ont eu passé de cette manière au
papisme, dans une seule année.
Les besoins croissants de la
population vaudoise ont, depuis la restauration,
attiré de nouveau, comme dans les siècles
précédents, l'attention et
l'intérêt des protestants de l'Europe. Un
souverain, le glorieux roi de Prusse défunt,
Frédéric-Guillaume III, leur a
témoigné une vive sollicitude. lis ont
trouvé, dans le clergé de l'Angleterre et dans
de nombreux gentlemans de cette noble nation, des
bienfaiteurs infatigables. La Hollande et la Suisse ont
ajouté de nouveaux secours aux anciens. D'autres
étais y ont pris part.
Pendant une longue suite
d'années, le pieux Frédéric-Guillaume
III se fit représenter à Turin par le comte de
Waldbourg-Truchsess, muni, sans nul doute, d'instructions
spéciales concernant les colonies vaudoises (comme il
appelait les Vallées). Le noble comte en fut le
constant appui. Il les visita, séjourna au milieu
d'elles, prit connaissance de leurs besoins, s'occupa
activement de l'amélioration de leur sort, parla
souvent en leur faveur à leur souverain, et prit leur
cause à coeur dans plus d'une circonstance. C'est par
ses soins, unis à ceux des ambassadeurs d'Angleterre
et de Hollande, qu'a été établie
à Turin, avec l'approbation du roi, une chapelle
évangélique, desservie
régulièrement par un pasteur vaudois,
résidant, et ouverte à la population
protestante et vaudoise, assez nombreuse dans la
capitale.
C'est encore au comte de
Waldbourg qu'appartient l'idée première d'un
établissement dont la charité protestante a
doté les Vallées ; savoir, d'un hôpital
pour les malades. Frappé des misères et des
maux que le manque de secours et de soins médicaux
laissait incurables, navré surtout de voir qu'aucun
Vaudois n'était admis dans les maisons de
santé sans s'y voir obsédé d'instances
pour changer de religion, l'ambassadeur intéressa son
auguste maître à la fondation de
rétablissement désiré; des demandes
furent faites auprès de tous les états
évangéliques, à l'effet d'obtenir la
permission de faire des collectes dans ce but.
L'agrément du roi de Sardaigne fut demandé et
accordé avec bienveillance. C'était en 1825.
L'on collecta en Prusse, en Angleterre, en Hollande, en
France, en Suisse (4),
dans toute l'Allemagne protestante, et jusqu'en Danemarck,
en Suède et en Russie (5).
Les fonds recueillis sont conservés à
l'étranger. lis ont été assez
abondants, pour qu'on ait pu construire et doter deux
hôpitaux au lieu d'un : l'un à la Tour pour la
vallée de Luserne, l'autre au Pomaret pour les deux
autres vallées. La bénédiction des
malades, de leurs familles et des Vallées tout.
entières, repose sur les auteurs «un si grand
bienfait.
Un troisième service
signalé rendu aux Vallées par le roi de
Prusse, Frédéric-Guillaume III, est la
création de deux bourses en faveur
«étudiants vaudois, à l'université
de Berlin. Par ce moyen, l'élément
scientifique se fortifie aux Vallées; les candidats
au ministère, formés sous les yeux du roi, par
les leçons d'un Auguste Neander, par les conseils
paternels d'un Dieterici, ne peuvent, avec la
bénédiction de Dieu, qu'avancer la
prospérité spirituelle des chrétiens
des Alpes.
Le monarque de la Prusse, qui
se plut à avancer le bien temporel et spirituel de
ses humbles frères des Vallées, a rendu son
âme à Dieu sans avoir reçu des preuves
de la reconnaissance qu'on lui avait vouée. Elles ont
été données en retour à son
représentant, plus d'une fois de son vivant, et en
dernier lieu à sa dépouille mortelle. Son
excellence le comte de Waldbourg-Truchsess avait
ordonné de déposer ses restes au milieu de ses
chers Vaudois, car c'est ainsi qu'il les appelait. Le 18
août 1844, les chefs de la famille vaudoise
reçurent sa dépouille,
l'accompagnèrent, les yeux en pleurs, au
cimetière de la Tour, et la déposèrent
parmi les cendres de leurs morts. Tous les pasteurs, les
consistoires., des députés de toutes les
communes, le, collège, les écoles, une foule
de deux à trois mille personnes témoignaient
de la vénération que le peuple ressent, pour
ses bienfaiteurs pieux.
Après le comte de
Waldbourg et son souverain, il appartient à
l'Angleterre de nommer, parmi ses fils, les plus chauds amis
des Vaudois, les révérends Sims et Gilly, M.
George Lowther Esqr., le, colonel Beckwith et d'autres
encore. Par des publications, par leur correspondance et par
leurs discours, ils ont excité dans leur patrie un
vif intérêt pour les descendants des
confesseurs du pur Évangile avant la réforme.
Plusieurs d'entre eux ont ensuite concentré leurs
efforts sur l'amélioration des écoles. Quant
à l'instruction supérieure, jadis un seul
maître, stipendié par le comité Wallon
de Hollande, en avait toute la charge, sous le nom de
recteur de l'école latine. Le révérend
Gilly et ses amis ont appliqué les fonds
réunis par eux à développer cette
première institution, du consentement de la direction
hollandaise, et avec l'approbation de sa majesté
sarde.
Deux places de professeurs ont
été ajoutées à celle qui
existait déjà à la Tour ; leur
réunion a constitué un collège
où le latin, le grec, le français, l'italien,
la géographie, l'histoire et les mathématiques
sont enseignés. avec la religion. Un bâtiment
spacieux, destiné aux classes et à la
bibliothèque, a été construit au sortir
de la Tour, sur le chemin du Villar, dans une belle,
situation, aux frais des communes vaudoises, avec l'aide
d'un don généreux. Des, bourses ont
été également fondées en faveur
des élèves. L'ancienne école latine du
Pomaret, dans la vallée de Saint-Martin, par le fait
d'une augmentation de traitement à l'instituteur, a
aussi pu être confiée à un homme plus
capable. Excitées par l'exemple des chrétiens
anglais, les communes ont augmenté le salaire des
régents de paroisse, dans l'espérance que
leurs jeunes gens qui entreraient dans cette utile
carrière s'y prépareraient par des
études plus étendues et plus solides,
qu'auparavant. Plusieurs, en effet, sont allés se
former dans l'école normale du canton de Vaud, qui
leur a été ouverte avec empressement par une
autorité bienveillante. Les habitations des
régents et les salles d'école ont
été mises sur un pied uniforme. Il est
impossible, en partant de tant «efforts et de tant
«améliorations, d'oublier le nom
vénéré, aux Vallées, du colonel
Beckwith, anglais, dont la charité
éclairée s'est plue à faciliter, par
des subventions abondantes, la réparation ou la
construction de plus de quatre-vingts écoles, petites
ou grandes, de quartier ou de paroisse.
Une école
supérieure pour les jeunes filles manquait encore,
elle a été créée sous le nom de
pensionnat par le même bienfaiteur. Des
maîtresses d'école et d'ouvrages de femmes ont
aussi été établies, en divers lieux,
par de généreux secours. S'il nous.
était permis, nous nous plairions à nommer
parmi les bienfaitrices une noble dame prussienne, la
comtesse F.....
Les Cantons suisses continuent
à donner des subsides aux quelques étudiants
vaudois des académies de Lausanne et de
Genève.
La bienfaisante Hollande, dont
l'appui moral et matériel fut si précieux aux
Vallées, dans leurs détresses, ne discontinue
pas de leur rendre des services signalés par ses
subsides pour le salaire des régents et du recteur de
l'école latine, par ses secours aux pasteurs
émérites et à leurs veuves, ainsi que
par ses dons aux étudiants
recommandables.
Il était impossible que
des marques aussi visibles de l'intérêt,
accordé aux Vallées par les protestants de
l'Europe, n'attirassent pas l'attention et n'excitassent pas
quelque peu la défiance de l'autorité,
quoique, en y regardant de près, on pût
aisément s'assurer que rien de ce qui était
fait n'avait l'apparence d'un antagonisme
déclaré ou caché, et que toutes ces
améliorations tendaient uniquement au plus grand bien
des Vallées. Aussi, pensa-t-on que le pouvoir avait
voulu mettre un contre-poids à ce
développement, en permettant de fonder aux portes de
la Tour, au chef-lieu et au centre de ce mouvement, un
établissement de mission romaine, pour huit
pères, sous le nom de Prieuré de la
sacrée religion et de l'ordre militaire des saints
Maurice et Lazare. Durant la construction de ce couvent et
de sa vaste église, le peuple des Vallées,
inquiet, soucieux, ne pouvait penser sans émotion aux
intentions qu'elle annonçait. Ceux qui connaissaient
l'histoire de leur patrie se souvenaient que, plus d'une
fois, les troubles, suivis de mesures cruelles contre leurs
pères, avaient été occasionnés
par l'introduction des moines au centre des populations
vaudoises. On craignait que l'établissement de
ceux-ci ne devînt l'origine de maux depuis longtemps
inconnus. À l'approche du jour de l'achèvement
des travaux et de la consécration,
l'anxiété s'accroissait.
Telle n'était pas
l'intention de sa majesté. On est du moins
autorisé à le penser, d'après la preuve
qu'elle a donnée alors de sa bienveillance et de sa
confiance en ses sujets vaudois. Charles-Albert, en sa
qualité de grand-maître de l'ordre des saints
Maurice et Lazare, avait consenti à assister à
la dédicace du temple neuf de la Tour. Le commandant
militaire avait déjà donné des ordres
pour loger des troupes de ligne dans cette ville pour la
garde de sa majesté. On les attendait quand le bruit
se répand que Charles-Albert s'y est opposé,
qu'il a même fait reprendre le chemin de Pignerol
à un demi-escadron de carabiniers royaux,
destinés à l'accompagner, qu'enfin les marquis
de Luserne et «Angrogne ont proposé au roi
«être reçu par les milices vaudoises et
que cette offre a été agréée.
Cette nouvelle dissipa les sombres pensées
amoncelées dans bien des murs. Ils
s'épanouirent complètement, lorsqu'on apprit
que sa majesté avait répondu à ceux qui
la pressaient de laisser marcher des troupes : « Je
n'ai pas besoin de garde au milieu des Vaudois. » Tous
conclurent instinctivement que le roi n'avait que les
meilleurs sentiments pour eux, puisqu'il ne voulait pas
&autres défenseurs que leur amour.
L'espérance se leva de nouveau dans leur coeur, comme
le soleil qui, dès l'aube, le 24 septembre 1844,
dorait les montagnes, après les deux jours de pluies
incessantes qui avaient glacé les membres des
catholiques, accourus le 22, pour la
dédicace.
Tous les hommes valides de la
vallée de Luserne, d'Angrogne et de Prarustin, sous
les armes, formèrent la haie pour le passage du roi,
qui, au milieu d'un silence solennel, se rendit au nouveau
temple romain faire ses dévotions. Pendant ce temps,
les milices réunies en compagnies gagnèrent
Luserne, éloigné «une demi-lieue, et
quand le roi eut quitté la Tour, marchant à
pied, entouré d'une foule compacte qui le saluait
avec amour, et que, remonté en voiture, il se
fût éloigné, l'on entendit, dans la
direction de Luserne, les vivat
répétés, les cris de joie des milices
vaudoises qui accueillaient son arrivée. Le roi,
ému dune réception si cordiale, se
plaça sur le seuil de la porte du palais de Luserne
et fit défiler en parade les milices par compagnies,
selon leurs communes et avec leurs drapeaux. Il salua chaque
étendard, et chacun put voir un sourire bienveillant
errer sur ses lèvres, alors même qu'un
porte-enseigne, non content d'incliner la bannière
devant son souverain, le saluait encore en tirant son
chapeau. La Table, ou direction vaudoise, se présenta
à son tour à l'audience et remporta le
souvenir d'une réception distinguée.
Charles-Albert, tout entier au peuple des Vallées,
refusa &admettre aucune autre députation. Et
quand, après avoir remis au syndic de la Tour un don
généreux pour les pauvres des deux communions,
il reprit, à la nuit, le chemin de Turin, il vit de
loin la Tour illuminée et les noires montagnes qui
l'entouraient couvertes de feux de joie, comme pour
éclairer encore aussi loin que possible le
départ d'un prince qui avait su gagner le coeur de
ses sujets.
À ce qu'il
paraît, ce n'est pas dans les coeurs des seuls Vaudois
que la journée du 24 septembre 1844 a laissé
des traits ineffaçables. Charles-Albert, par une
attention charmante, en a conservé le souvenir sur la
pierre. Il a fait élever, à l'entrée du
bourg de la Tour, une belle fontaine avec cette inscription:
Le Roi, Charles-Albert, au peuple qui ta accueilli avec tant
d'affection (6).
Rien depuis lors n'a
interrompu la confiance entre le souverain et ses
fidèles sujets vaudois. Puisse-t-elle durer toujours
et s'affermir dans son auguste maison, comme la
fidélité à Dieu et au Roi dans les
coeurs des habitants des Vallées!
UN MOT À MES CHERS
COMPATRIOTES DES VALLÉES VAUDOISES.
Arrivé au terme de cette
histoire de l'Église vaudoise, depuis son origine, et
des Vaudois des vallées du Piémont,
jusqu'à nos jours, je ne puis me séparer de
vous, pour qui principalement j'ai écrit cet ouvrage,
sans vous adresser une parole d'adieu. C'est celle d'un
vieillard connu de tous vos pasteurs dont la plupart ont
été ses élèves, dont plus d'un
sont ses parents. Je puis vous dire aussi à tous
comme Abraham à Lot : Ne sommes-nous pas
frères ? Écoutez donc ma voix.
Le coin de terre que, vous
habitez, sous la voûte des cieux et sous le regard du
Tout-Puissant, a été de temps
immémorial le berceau de notre Église
vaudoise. Notre origine, comme chrétiens
évangéliques, remonte aux premiers âges
de l'Église chrétienne. On a cherché
à flétrir par le ridicule la juste
prétention qui fait notre gloire. L'erreur a voulu
vous forger une fausse histoire. Comme enfant des martyrs
ainsi que vous, comme descendant des plus anciens
confesseurs de la vérité, j'ai cru devoir vous
retracer les faits, mettre sous vos yeux les
témoignages sur lesquels repose notre histoire; je
l'ai fait sans art, guidé que j'étais par
l'amour de la vérité.
Descendants des Vaudois,
aspirez à ressembler à vos pères. Vous
avez reçu de génération en
génération le glorieux héritage de la
saine doctrine, transmettez-le intact à vos enfants.
C'est dans vos Vallées reculées, que, dans des
temps de ténèbres, l'Éternel conserva
la lumière qui s'éteignait ailleurs; gardez-la
soigneusement, aujourd'hui qu'elle brille de nouveau avec
éclat dans d'autres lieux, sous d'autres climats.
À la foi au Père., au Fils et au Saint-Esprit,
joignez la preuve de votre sincérité, une vie
de renoncement au péché, de dévouement
entier à votre céleste Berger, au souverain
Rédempteur de vos âmes. Que votre
lumière luise devant les hommes, afin que, voyant vos
bonnes oeuvres., ils glorifient votre Père qui est
dans le ciel.
Mais pour cela, chers
compatriotes, gardez-vous de dire avec complaisance, comme
l'Église de Laodicée : Je suis riche, je me
suis enrichi, je n'ai besoin de rien. Craignez la
tiédeur et l'indifférence religieuse, car
derrière ces fatales dispositions se cache la mort.
La vie de Pâme, que Dieu seul donne, comme celle du
corps, a besoin d'aliment ainsi que celle-ci. Donnez-lui la
nourriture qui lui convient, et vous vivrez. Jésus
est le pain de vie. Cherchez-le dans votre Bible, par des
lectures assidues; cherchez-le au ciel, par vos
prières; cherchez-le dans l'Église, qui est
son corps, par la fréquentation des fidèles,
des saintes assemblées, et en vous approchant avec
foi et repentance de la table du Seigneur.
Maintenant, chers
compatriotes, je prends congé de vous et de vos
familles, en implorant sur vos personnes comme sur ce,
travail la bénédiction divine.
Votre frère en la
foi comme en la chair,
Ant. MONASTIER,
Pasteur.
Lausanne, ce 13 octobre 1846.
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