HISTOIRE DES VAUDOIS.
CHAPITRE
XXI.
LES BIENFAITS DE LA PAIX
ACCOMPAGNÉS DE GRANDES MISÈRES.
Les Vallées dans la
misère secourues. - Tracasseries de la part des
prêtres. - Ordre injuste. - Intrigues. - Les
Vallées sous le gouverneur Castrocaro. - Ambassade
des princes Palatin et de Saxe. - Persécution dans le
marquisat de Saluces. La Saint-Barthélemi; attaque du
val Pérouse. - Mort de la bonne duchesse Marguerite.
- Règne de Charles-Emmanuel. - Les Vallées
sous la domination française. - Leur retour sous
celle de Savoie. - Moyens employés pour
entraîner les Vaudois au papisme. - Les bannis. -
Martyre de Coupin. - Les milices vaudoises en campagne. -
Amende au sujet de cimetières. - Le val
Pérouse occupé par les troupes du duc. -
menées de l'inquisition. - Rapt d'enfants. - Les
Vaudois à leurs frontières. - Essai
infructueux d'établir les moines et la messe dans les
communes vaudoises. Invasion des Français en
Piémont. - Une terrible maladie emporte la
moitié de la population.
La paix, signée à
Cavour, le 5 juin 1561, par Philippe de Savoie et par les
députés des Vallées, avait
dissipé bien des craintes et ramené des jours
sereins sur une terre désolée. Le coeur des
mères ne défaillait plus à l'ouïe
du seul nom de soldats, et la perspective de scènes
odieuses ou déchirantes ne leur faisait plus jeter
à la dérobée un regard inquiet sur
leurs enfants. L'on avait fait redescendre à pas
lents les vieillards des retraites des montagnes. La joie du
retour aux lieux où s'était passée leur
enfance, sous les treilles du coteau, ou à l'ombre
des châtaigniers, avait ramené le sourire sur
leurs lèvres. Les fils, les pères, avaient
suspendu leurs armes, et allaient reprendre de leurs mains
aguerries la bêche et la faucille pour de paisibles
travaux. Mais la signature du traité, en apaisant
bien des craintes, n'avait pas cicatrisé toutes les
plaies. Il en était même de
très-profondes. La plus généralement
sentie était une misère croissante. Sept mois
d'une guerre impitoyable de la part des papistes avaient
appauvri toutes les familles. Des villages entiers et une
infinité de hameaux avaient été la
proie des flammes et n'étaient plus qu'un amas de
décombres. Il fallait les rebâtir, mais on
manquait de tout. Les provisions de l'année
précédente avaient pris fin. Le temps de semer
le blé était passé. Les moissons
approchaient, mais elles étaient presque nulles, les
hauteurs seules ayant pu être cultivées, et les
meilleurs champs étant restés en friche.
À cette pénurie se joignait encore la
difficulté de pourvoir aux besoins d'entretien et
d'établissement des fugitifs de Calabre qui
arrivaient dénués de tout aux
Vallées.
Dans ces conjonctures, et par
les conseils de l'Église de Genève, les
Églises des Vallées recoururent à la
charité de leurs frères de la Suisse et de
l'Allemagne. Jean Calvin s'employa pour elles avec un grand
zèle. Leurs députés, reçus
partout avec intérêt, eurent la consolation de
recueillir des sommes assez fortes pour subvenir aux plus
grandes de leurs nécessités. L'électeur
Palatin fit le don le plus considérable. Après
lui, on peut signaler le duc de Wurtemberg, le marquis de
Baden, les cantons évangéliques avec Berne au
premier rang, l'Église de Strasbourg, et un grand
nombre d'autres entre lesquelles il convient de citer celles
de Provence. La France eût envoyé bien
davantage, si les collectes qui s'y faisaient en divers
lieux n'avaient été arrêtées par
les troubles intérieurs.
Aux épreuves
journalières, causées par leur indigence
actuelle, vinrent s'ajouter des tracasseries
suscitées par des prêtres et des moines.
Ceux-ci provoquaient les pasteurs à des disputes de
religion. Un échange de lettres eût lieu et
devint un prétexte de mesures violentes. Les Vaudois
furent accusés de fomenter la discorde, et
l'autorité trompée par de faux rapports
publia, le 6 mai 1563, un mandement défendant aux
catholiques toute relation et tout commerce avec les
hérétiques. Mais cette mesure vexatoire
portant préjudice aux papistes, autant pour le moins
qu'aux pauvres Vaudois, les gentilshommes de la
contrée et du voisinage réclamèrent
auprès du due, et firent modifier le décret
(1).
Le jour du marché, 9 de juillet, on publia à
Luserne que son altesse n'entendait pas que le commerce
cessât entre les deux religions, mais que seulement on
s'abstint de controverse.
Les ennemis des Vaudois ne se
tinrent pas pour battus. Prétendant que le
traité de paix n'avait pas été
observé exactement dans tous ses points par ceux des
Vallées, ils ne cessaient de fomenter contre eux des
intrigues à la cour et de circonvenir le duc par des
rapports mensongers. Sur leurs instances, calomnieuses, le
gouvernement de son altesse songea à restreindre les
libertés des Vaudois par des mesures
sévères, et choisit, pour exécuter ses
desseins, un homme digne d'une telle confiance,
Sébastien Gratiol de Castrocaro, toscan de naissance.
Il avait fait la guerre aux Vaudois comme colonel de milices
dans la dernière persécution, sous le comte de
la Trinité. Fait prisonnier dans une affaire, il
avait été traité honorablement, puis
relâché par respect pour madame la duchesse,
dont il se disait gentilhomme. Profondément
blessé de s'être vu entre les mains de ces
rustres montagnards et d'avoir dû sa liberté
à leur générosité, il se sentit
propre au rôle d'oppresseur et réussit à
se faire nommer, «abord, commissaire du duc dans les
Vallées, puis peu après gouverneur de
celles-ci. Deux influences contraires contribuèrent
à son élévation : l'appui de
l'archevêque de Turin, à qui il avait promis de
tout entreprendre pour la conversion des Vaudois au papisme,
et la recommandation de la pieuse princesse, protectrice des
Vallées, dont il sut toujours fasciner les yeux ou
tromper la vigilance par de faux discours.
Les premières paroles
de Castrocaro à son arrivée dans le val
Luserne, au printemps de 1365, furent menaçantes. Le
duc, disait-il, retirait les concessions qu'il avait faites
dans le traité de paix. Mais les Églises ayant
réclamé auprès de son altesse, le
commissaire modifia ses paroles et insista seulement sur la
signature immédiate de promesses
rédigées par lui-même, tendant à
restreindre considérablement les libertés des
Églises et des particuliers. En cas de refus, la
cavalerie entrerait aussitôt dans les Vallées
et la guerre recommencerait.
Dans une position si critique,
les Églises se conduisirent avec sagesse, unissant
dans leurs réponses la prudence à la
fermeté, la convenance du ton à l'excellence
des raisons. Celles-ci cependant, selon toutes les
apparences, auraient été de peu de poids, si
l'excellente princesse que Dieu avait placée
auprès du due, comme leur sauvegarde, n'eût
encore intercédé en leur faveur. La
réponse, dans laquelle elle apprit aux Églises
le succès de son intervention et l'abandon des
exigences qui les avaient si fort inquiétées,
laisse percer néanmoins une trop grande confiance
dans l'homme astucieux, imposé aux Vallées en
qualité de gouverneur.
Castrocaro, établi avec
une forte garnison au château de la Tour, dans la
vallée de Luserne, ne tenait que trop bien les
promesses qu'il avait faites à l'archevêque. Il
ordonnait au pasteur de Saint-Jean de refuser la sainte
cène aux nombreuses personnes qui, du bas
Piémont, venaient la lui demander. Il exigeait de
l'Église de Bobbi le renvoi de son pasteur, sous
prétexte qu'il était étranger : puis,
sur le refus des hommes de coeur qui la composaient, il
prononçait leur séquestration,
défendant à tout ressortissant de son
gouvernement le moindre rapport ou commerce quelconque avec
eux. Il emprisonnait, rançonnait ou maltraitait d'une
autre manière tous ceux qui ne se pliaient pas
à ses moindres volontés. Il abreuvait de
dégoût les pasteurs. L'un des plus
considérés, Gilles, à son retour d'un
voyage à Genève par le Dauphiné, se vit
arrêté comme conspirateur par les soldats du
gouverneur, jeté dans un cachot du fort, puis
chargé de fer, conduit à Turin par les archers
de justice et un détachement de
cavalerie.
Ce n'était pas
seulement dans les vallées de Luserne, d'Angrogne et
de Saint-Martin (la majeure partie de celle de
Pérouse, rive gauche, était alors
française), que l'intolérance, que
l'oppression religieuse se faisait sentir, c'était
dans toutes les villes du Piémont où se
trouvaient des réformés. Un édit,
publie le 10 juin 1565, leur enjoignait d'aller à la
messe ou de quitter, dans les deux mois, les états de
son altesse. Le duc ne veut plus deux religions dans son
pays, avait répondu le chancelier à quelques
membres réformés de la noble famille des
Solari. En effet, un grand nombre d'entre eux durent choisir
entre l'exil et la prison.
L'ouïe et la vue de tant
de vexations, et surtout la crainte fondée de plus
grandes encore, dictèrent une mesure extrême
à quelques Vaudois et à leurs amis; ils
implorèrent l'intercession de princes protestants de
l'Allemagne, et spécialement des électeurs
Palatin et de Saxe, auprès du due. Ces
généreux défenseurs de la foi
envoyèrent, à cet effet, en ambassade,
à son altesse de Savoie, Jean Junius, conseiller
d'état de l'électeur Palatin, homme pieux et
versé dans les affaires. Il arriva à Turin, en
février 1566. Un étrange
procédé, contraire au droit des gens,
l'instruisit aussitôt du degré de zèle
ou de fureur avec lequel on agissait contre les
non-papistes. Barberi, fiscal général, n'eut,
pas plutôt appris que le secrétaire de
l'ambassade, David Chaillet, était ministre du saint
Évangile, qu'il alla le constituer prisonnier dans
son hôtel. Il est vrai de dire que le conseiller
Junius s'étant plaint, l'instant d'après, de
cette infraction grossière du droit des gens, et
ayant demandé réparation de l'injure faite
à son prince dans la personne d'un des membres de
l'ambassade, en obtint la libération immédiate
et l'arrestation de Barberi. Mais cet acte inouï servit
de base et de preuve aux remontrances que le
délégué des cours protestantes
d'Allemagne fit de la part de ses maîtres à la
cour de Savoie, au sujet des persécutions contre les
Vaudois et contre les réformés en
général. Le gouvernement de Turin ne fut point
satisfait de ces démarches officieuses. Cependant le
duc promit quelque adoucissement, aux mesures prises contre
les réformés du Piémont et en
général de ses états. Il assura aussi
à l'ambassadeur, que les conditions du traité
de paix, fait avec ceux des Vallées, seraient
observées exactement. Le résultat le Plus
rapproché fut la libération de quelques
prisonniers, du respectable ministre Gilles en particulier,
à la grande joie des fidèles de son
Église, de ses collègues et de tout le
peuple.
Le peu de fond que l'on
pouvait faire sur les promesses de la cour de Turin à
l'ambassadeur protestant parut aussitôt après
son départ. Il avait à peine franchi la
frontière, que Castrocaro fit publier dans la
vallée de Luserne deux ordonnances, dont l'une
enjoignait à tout habitant, natif d'autres lieux que
de ceux de son gouvernement, de sortir des terres de sa
juridiction dès le lendemain, sous peine de la vie et
de la confiscation de ses biens. L'autre ordonnance
défendait aux réformés de Luserne,
Bubbiana, Campillon et Fenil, devenir au prêche
à Saint-Jean, sous les mêmes peines. Le
château de la Tour regorgea bientôt de
prisonniers qui n'avaient pas cru devoir obtempérer
à de tels ordres. Une députation à la
cour et l'intercession de la bonne duchesse
détournèrent encore cette fois Forage. Les
cachots s'ouvrirent, les accusés rentrèrent en
paix dans leurs demeures et les ordonnances tombèrent
en oubli (2).
Castrocaro ne se laissait pas
arrêter par les obstacles imposés de haut lieu
à son ardeur. Il n'en poursuivait pas moins le cours
de ses tentatives oppressives, conformément à
ses engagements secrets. Il avait déjà
essayé, mais sans succès, grâce à
l'intervention de Madame, de restreindre un usage
établi de temps immémorial, celui de la
réunion en synodes des pasteurs et des
députés des paroisses de toutes les
Églises vaudoises, tant de celles des vallées
piémontaises, que de celles du Dauphiné et
d'autres lieux (3).
N'ayant pu empêcher les synodes, il s'efforça
d'en altérer le caractère et d'y gêner
la liberté des membres, ainsi que des discussions et
des votations en y assistant en personne. On protesta contre
sa présence au synode de Bobbi, mais vainement ;
Castrocaro resta dans l'assemblée.
La persécution
recommença aussi contre les réformés du
bas Piémont, de Barcelonnette et. d'autres lieux.
Elle devint même si vive qu'un grand nombre de ces
pauvres gens se réfugièrent pour un temps
à Vars, à Guillestre, en Fraissimère et
dans les autres vallées du haut
Dauphine.
La nouvelle de ces actes, si
peu conformes aux promesses faites au conseiller Junius,
parvint aux princes qui l'avaient envoyé en ambassade
à Turin, et leur causa un vif déplaisir.
L'électeur Palatin s'en plaignit au duc de Savoie :
l'historien Gilles nous a conservé la lettre
remarquable que ce prince écrivit à cette
occasion. Elle est aussi distinguée par
l'élévation des vues que par la noblesse et la
pureté des sentiments. C'est une défense
chaleureuse de la liberté de conscience, un
éloquent plaidoyer en faveur de la tolérance,
en même temps qu'un hommage à la foi
chrétienne, un appel à la conscience, à
la justice du due, et un sérieux avertissement du
jugement à venir. « Que votre Altesse, y
lisons-nous, sache qu'il y a un Dieu au ciel, qui
non-seulement contemple les faits, mais aussi qui sonde les
coeurs et les reins des hommes et auquel il n'y a rien de
caché. Que votre Altesse prenne garde de ne pas faire
volontairement la guerre à Dieu, et de ne pas
persécuter Christ dans ses membres, car s'il supporte
ceci pour quelque temps, pour exercer la patience des siens,
il châtiera néanmoins finalement les
persécuteurs par d'horribles punitions. Que votre
Altesse ne se laisse point abuser par les discours
persuasifs des papistes qui peut-être lui promettent
le royaume des cieux et la vie éternelle, pourvu que,
par quelque moyen on prétexte que ce soit, elle
exile, traîne en prison et extermine à la fin
ces huguenots (c'est ainsi qu'ils appellent maintenant les
bons chrétiens); car, certainement, on ne va pas au
royaume des cieux par des cruautés, des actes
inhumains et des calomnies. Il faut suivre une autre voie
pour y entrer, La persécution d'ailleurs n'avance pas
la cause qu'elle prétend défendre. Tant s'en
faut que ceux qui ont affligé les chrétiens,
qui les ont tourmentés, exilés, livrés
à la mort par des supplices, les aient
anéantis; au contraire, ils en ont accru le nombre,
tellement que l'on a vu cet adage se vérifier
constamment:
Les cendres des martyrs sont
la semence de l'Église chrétienne. Car
l'Église est semblable à la palme qui
s'élève, d'autant plus qu'elle est davantage
gênée à l'entour. Que votre Altesse
considère que la religion chrétienne
s'établit par la persuasion et non par la violence.
Et, comme il est certain que la religion n'est pas autre
chose qu'une persuasion ferme et éclairée de
Dieu et de sa volonté révélée
dans sa Parole, puis gravée dans le coeur des
croyants par le Saint-Esprit, elle ne peut, une fois
enracinée, en être arrachée par des
tourments; car les fidèles endureront plutôt
quelque supplice et souffrance que ce soit, que de se
soumettre à aucune chose estimée par eux
contraire à la piété.
»
L'on ignore quel fût
l'effet moral de cette lettre sur l'esprit du duc. Il serait
possible qu'elle ait contribué pour une part
quelconque au système plus modéré qui
prévalut en général dans
l'administration des Vallées, durant une suite
d'années, même alors que le roi de France
eût donné le signal et l'exemple de la
persécution à outrance, en faisant verser des
flots de sang de ses sujets protestants dans la nuit de la
Saint-Barthélemi.
Les Églises vaudoises
du marquisat de Saluces, au sud de la vallée de
Luserne, sur les rives et près des sources du
Pô, avaient subi le sort du territoire et se
trouvaient depuis un grand nombre d'années sous la
domination de la France. Grâce aux ménagements
de toute espèce que les intérêts de la
politique française prescrivaient dans
l'administration d'une contrée de moeurs et de langue
étrangères, au-delà des monts, la
réforme, ou ce qui est la même chose,
l'Église vaudoise y avait fait de rapides
progrès. Des assemblées ou Églises plus
ou moins nombreuses s'étaient formées dans la
plupart des villes du marquisat et dans un grand nombre de
villages. Des pasteurs actifs et, dévoués
visitaient à tour et fréquemment celles des
lieux où ils ne résidaient pas. Ils
étaient au nombre de neuf, en 1567. Pour la
sûreté de leurs personnes, ils étaient
généralement obligés de recourir
à des précautions de prudence dans leurs
courses d'évangélisation et dans leurs
assemblées. Les Églises écartées
dans les montagnes, comme celle d'Aceil, jouissaient de plus
de liberté. À Pravilhelm surtout, ancienne et
vénérable souche de l'Église vaudoise
dans ces contrées (4),
la prédication de la Parole et l'administration des
sacrements se faisaient ouvertement et avec une pleine
sécurité. Aussi s'y rendait-on dans ce but de
toute part. D'ordinaire cependant, partout ailleurs, le
service religieux se faisait à domicile et dans de
petites assemblées.
Le clergé romain
irrité des progrès de la réforme, mais
contenu dans ses transports jaloux par l'intention royale de
ne pas inquiéter les réformés paisibles
et prudents dans l'exercice de leur culte, recourut à
un moyen adroit de les affaiblir. Sachant que le plus grand
nombre des pasteurs n'étaient pas natifs des
états du roi, ils réclamèrent et
obtinrent du duc de Nevers, gouverneur, un édit du 19
octobre 1567, enjoignant à toits ceux de la religion
(réformée) habitant le pays, mais non sujets
du roi, d'en sortir, eux et leurs familles dans trois jours,
sous peine de la vie et de la confiscation de leurs biens.
La mesure n'atteignit pas le but qu'on s'était
proposé; les pasteurs, fidèles au devoir,
continuèrent en secret leur oeuvre de salut. Deux
d'entre eux, il est vrai, ayant été
découverts, furent jetés en prison où
ils restèrent plus de quatre ans, après
lesquels, sur les instantes démarches faites à
la cour par le ministre Galatée, au nom des
Églises du marquisat, ils furent remis en
liberté.
L'on était
arrivé à l'année 1572. Si l'on excepte
quelques actes arbitraires et rigoureux, intervenant de
temps à autre, ainsi qu'une gêne et une
surveillance habituelles, les Vaudois et les
réformés, tant du marquisat que des
Vallées et du Piémont proprement dit,
jouissaient d'une certaine tranquillité. La nouvelle
du prochain mariage de la soeur du roi de France avec le
jeune roi de Navarre, chef du parti protestant en France,
avait parti indiquer un rapprochement dans les esprits et
annoncer un meilleur avenir, quand tout-à-coup, au
commencement de septembre, le bruit d'horribles massacres,
exécutés sur toute la surface de ce royaume,
passe les monts avec la rapidité du vent, vient semer
l'angoisse et jeter la terreur dans l'âme de tous les
réformés. Tout ce qu'il y avait de plus
considéré dans les rangs de leurs
frères avait été perfidement
égorgé, la plupart dans leur lit, en cette
nuit odieuse de la Saint-Barthélémi. La
boucherie avait continué les jours suivants
(5).
Le sous-gouverneur des pays du
roi en Piémont, Louis de Birague, avait aussi
reçu l'ordre de faire mourir les principaux
réformés de son gouvernement, mais il
s'était décidé à en retarder
l'exécution, sur les observations judicieuses et
charitables (nous aimons à le croire) de
l'archidiacre de Saluces. Cet ecclésiastique avait
fait remarquer le désaccord complet entre les
derniers ordres si cruels et les précédents
qui prescrivaient la mise en liberté des deux
ministres, et une manière d'agir tolérante et
douce avec les réformés. Il avait donc
proposé de se borner à l'arrestation des
principaux, disant qu'on pourrait toujours procéder
plus fard à les faire mourir, si sa majesté
l'exigeait. Cet avis prudent et humain avait
été suivi, mais aux premières
arrestations, la plupart des suspects s'étaient
éloignés ou retirés en lieu sûr.
Un message royal portant de surseoir à toute
exécution, s'il en était encore temps, et de
s'en tenir aux ordonnances précédentes
relatives aux réformés, arriva peu de jours
après et rétablit les choses sur le pied
où elles étaient auparavant.
La nouvelle des horreurs de la
Saint-Barthélemi ne fuit pas plutôt connue dans
le Piémont (sujet au duc de Savoie), que les papistes
ardents firent de grandes démonstrations de joie et
bafouèrent les réformés, leur criant
que leur Dieu était aboli et leur ruine prochaine.
Les discours du gouverneur des Vallées, Castrocaro,
jetèrent la population dans le trouble; aussi l'on
eut rien de plus pressé que de retirer dans les
retraites accoutumées des montagnes les familles et
les objets importants. Les hommes seuls restèrent en
observation dans leur domicile, le coeur serré, ne
trouvant de repos que dans la prière. Mais le duc,
qui ne paraissait pas approuver le système
d'assassinat qui venait de souiller la France, n'eut pas
plutôt connaissance de la défiance des Vaudois,
qu'il les fit assurer de ses dispositions pacifiques et les
invita à rentrer dans leurs demeures pour y reprendre
leurs travaux, ce qui eut lieu.
À cette époque,
le même gouverneur des terres françaises
au-delà des monts, Louis de Birague, essaya d'enlever
à la vallée vaudoise de la Pérouse
(passée sous la domination de la France, en 1562)
l'exercice public de sa religion. Les Églises
réclamèrent, s'appuyant sur ce que le roi,
lors de leur annexion à la France, avait reconnu
leurs privilèges et libertés, tant
ecclésiastiques que politiques, et leur en avait
garanti l'exercice. Ne pouvant les persuader de
céder. Birague recourut à la force. Cependant,
craignant que les Vallées Vaudoises, restées
sous l'autorité de la Savoie, ne secourussent leurs
soeurs dans la détresse, il obtint du duc qu'une
défense leur fût faite d'intervenir. Mais si
les braves Vaudois, fidèles à leurs traditions
et aux exemples qu'ils avaient tant de fois donnés,
exprimèrent dans leur réponse leur dessein
bien arrêté de respecter la volonté de
leur souverain dans tout ce qui regardait ses
intérêts ainsi que sa gloire, ils ne se
montrèrent pas moins décidés à
servir Dieu invariablement et à soutenir, par tous
les moyens en leur pouvoir, la religion menacée dans
les droits comme dans la personne de leurs frères du
val Pérouse.
Le nouveau gouverneur pour le
roi de France, Charles de Birague, renonçant
bientôt aux mesures de persuasion que son frère
défunt avait essayées, rassembla des troupes,
et en juillet 1573, les lança sur le village de
Saint-Germain. Cinq pauvres villageois furent faits
immédiatement prisonniers et conduits à
Pignerol. (Quelques jours après, ils furent
condamnés à être ramenés
près de leur bourgade pour y être pendus.) Le
joui, même de la prise de ces cinq hommes, les gens
d'Angrogne, conduits par le vaillant Pierre Frasche, se
précipitèrent de leurs hauteurs dans la plaine
au secours de leurs frères, en danger, et
réunis à eux ils repoussèrent l'ennemi.
Des contingents de toutes les communes des Vallées
venant, les jours suivants, grossir la troupe vaudoise,
celle-ci se trouva en état de tenir tête aux
deux divisions françaises qui, de la Pérouse
et de Pignerol, l'assaillaient à la fois.
Après plus d'un mois d'attaques inutiles et d'une
vaillante défense, la paix étant
désirée aussi bien dans un camp que dans
l'autre, on tomba «accord assez facilement. Pour
satisfaire aux convenances., ou plutôt pour sauver les
apparences, on convint que les Vaudois du val Pérouse
présenteraient une requête pour obtenir la paix
et l'exercice de la religion que leurs pères,
écrivirent-ils, avaient suivie de temps
immémorial. Ils s'engagèrent aussi à
suspendre pour un mois leur culte publie, et, ce qui
était plus grave quoique remédiable, à
congédier leur pasteur Guérin
(6).
À ces conditions, les Vaudois de la vallée de
Pérouse obtinrent la conservation et la garantie de
leurs coutumes et en particulier de la capitulation
accordée par le duc de Savoie, leur ancien seigneur,
aux Vallées Vaudoises, dont ils faisaient partie.
Ainsi se termina, à la satisfaction de tous, la lutte
appelée guerre de la Radde, dut nom de l'officier qui
commandait les troupes françaises.
Pendant ces troubles, et dans
le voisinage de la contrée attaquée,
l'Église vaudoise avait obtenu, par le zèle de
ce même pasteur Guérin, que les siens
sacrifièrent pour avoir la paix, un succès
moral notable, qui fut sans doute la cause de son
éloignement.
Pramol, dont les divers
hameaux occupent le centre d'un vallon solitaire au
nord-ouest de Saint-Germain, entre la Séa (ou
arête) d'Angrogne, vers le midi et les
dernières, ramifications des montagnes de la
vallée de Saint-Martin, au nord, Pramol avait
jusqu'alors compté des papistes et un curé
dans son enceinte. Mais Guérin y étant monte
un dimanche ! Pour célébrer le service divin,
apostropha le prêtre qui avait achevé sa messe,
lui demandant s'il aurait bien le courage de soutenir que la
messe qu'il avait chantée fût bonne. Le pauvre
homme montrant un assez grand embarras à celte
interpellation, Guérin, qui ne, voulait pas
paraître abuser de l'avantage de l'attaque contre un
adversaire non préparé et surpris, le quitta
en lui disant que, le dimanche suivant, il lui
démontrerait, par la Parole de Dieu, et par le missel
même dont il se servait pour la chanter, qu'elle
était pleine d'erreurs. Le dimanche suivant, le
ministre étant monté à Pramol, n'y
trouva ni prêtre ni messe. Le serviteur du pape avait
fui le combat. Guérin, dans une allocution aux
ouailles délaissées, les pressa
d'éclairer leur conscience et leur offrit
d'être leur guide dans l'étude de la Parole du
salut. Ces hommes, déjà à moitié
persuadés, se rendirent assidûment à son
domicile de la Balma, entre Pramol et Saint-Germain, et en
peu de temps, tons se déclarèrent pour
l'Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ. La
population évangélique étant
considérablement augmentée par cette
conversion des papistes du vallon, Pramol fut
dès-lors érigé en paroisse et pourvu
d'un pasteur particulier.
À l'occasion des
troubles de la Pérouse et du secours que les Vaudois
des vallées de Luserne, d'Angrogne et de Saint-Martin
avaient porté à leurs frères dans la
détresse, Castrocaro renouvela ses mesures de
rigueur; mais la faveur de la duchesse les fit
révoquer, ou du moins en affaiblit l'effet. Ce fut la
dernière fois que Marguerite de France, duchesse de
Savoie, donna aux Vaudois, méconnus et
opprimés, une preuve signalée de sa
bienveillance. Princesse éclairée et
compatissante, elle osa accepter et garda jusqu'à sa
mort, arrivée le 19 octobre 1574, le rôle
difficile de médiatrice. C'est sans doute à
elle, après Dieu, que les Vaudois durent les
conditions comparativement plus douces qui leur furent
accordées à cette époque si orageuse,
marquée par la persécution et par la mort de
tant de leurs frères réformés, en
France, en Espagne, en Italie et ailleurs.
Depuis la mort de la duchesse,
le crédit de Castrocaro diminua rapidement à
la cour, car chacun savait que, si elle avait soin de
tempérer son ardeur contre les Vaudois,
c'était elle toutefois qui l'avait fait nommer et qui
l'avait maintenu dans son gouvernement. Des cris de
mécontentement se firent, jour de toute part. Les
seigneurs des Vallées, qui avaient vu avec tant de
regret leur autorité affaiblie et leur position
rabaissée par la sienne, s'agitèrent contre
lui. Une occasion de le mettre en accusation se
présenta bientôt. Un officier de Castrocaro,
à la tête d'une troupe de soldats, assassina
par son ordre, dit-on, un capitaine, Malherbe, qui
s'était toujours montré assez froid pour le
gouverneur et très-attaché au contraire aux
gentilshommes de la Vallée. Quoique Vaudois, le
capitaine Malherbe était estimé du duc
à cause de sa valeur. Les parents du mort ayant
porté plainte, et les seigneurs la soutenant de tout
leur pouvoir, la cause de Castrocaro prit une tournure
fâcheuse pour lui. Il lutta encore quelque temps, il
est vrai, contre ses adversaires, parmi lesquels il comptait
l'archevêque de Turin, irrité de ce que,
malgré ses promesses secrètes, il n'avait pas
même réduit une seule commune vaudoise à
embrasser le papisme, ni enlevé aux Vaudois aucun de
leurs droits. En vain, pour se remettre en bonne odeur
auprès du prélat, il essaya de rétablir
la dîme en faveur de certains prêtres, et de
soutenir adroitement le jésuite Vanin, trop faible
malgré sa présomption, pour lutter en publie
avec les pasteurs; en vain, pour se rendre
nécessaire, il accrédita des bruits sinistres,
sema l'inquiétude parmi les Vaudois, afin de les
noircir dans ses rapports; la chute de cet adroit aventurier
avait été résolue.
Un nouveau prince avait pris
la direction des affaires Charles-Emmanuel, âgé
de dix-neuf ans avait succédé à son
père, Emmanuel-Philibert, décédé
le 30 août 1580. N'ayant aucune raison de soutenir un
homme justement accusé de malversation, d'abus de
pouvoir, de rapine et même de meurtre, tant par ses
administrés que par ses égaux, le jeune duc
consentit à son arrestation, et en chargea le comte
de Luserne qu'il nomma gouverneur en sa place. Castrocaro
finit ses jours en prison.
Environ ce temps-là,
pendant une suite «années, les Églises
vaudoises du Dauphiné, situées à
l'ouest et au nord des vallées piémontaises,
dans celles de Queiras, de Château-Dauphin, de
Césane, d'Oulx et d'autres encore, furent souvent
assaillies et si maltraitées par les papistes que,
dans quelques lieux, on ne pouvait plus s'assembler que de
nuit pour vaquer aux exercices de la religion. Et lorsque
ces Églises aspirant à la mesure de
liberté, alors générale en France,
cherchaient à secouer la tyrannie de leurs voisins
catholiques romains, on leur courait sus à main
armée pour les détruire, avec d'autant plus
d'ardeur que la situation de leurs Vallées
élevées et reculées rendait impossibles
les secours de leurs frères éloignés.
L'aide de leurs alliés et coreligionnaires des
vallées piémontaises ne leur fit du moins pas
défaut, et les tira souvent de la plus grande peine.
Peut-être même que le zèle que l'on mit
à secourir des frères dans la détresse
dégénéra quelquefois en passion de la
guerre. Du reste, nous ne suivrons point le vaillant
capitaine Frasche et ses compagnons d'armes dans les combats
qu'ils soutinrent avec et pour leurs frères des
vallées, dauphinoises. Car, après que beaucoup
de sang eut été versé de part et
d'autre en diverses rencontres, les choses reprirent la
position qu'elles avaient auparavant.
En 1592, les Vallées
Vaudoises, qui avaient passé quelques années
dans une assez grande tranquillité, furent
occupées subitement, ainsi qu'une partie de la
plaine, par une armée française sous les
ordres du sire de Lesdiguières, chef aussi habile que
courageux, qui venait d'enlever le haut Dauphiné aux
ligueurs, ou parti catholique. Durant cette occupation, ce
général fortifia Briquéras, à
l'entrée de la vallée de Luserne,
rétablit le château de ce dernier lien et rasa
ceux de la Tour et de la Pérouse. Gentilshommes et
habitants des Vallées durent prêter serment de
fidélité ait roi de France. Ils ne le firent
qu'à regret, après plusieurs
représentations et un premier refus. L'occupation ne
dura que deux années. À la fin de 1594,
Lesdiguières dut battre en retraite, ayant perdu
l'importante place de Briquéras, et le duc rentra en
possession de cette partie de ses états. Mais comme
si ce n'eût pas été assez pour les
pauvres Vaudois d'avoir été chargés de
logements militaires et de contributions de guerre, d'avoir
essuyé toute sorte de maux, même le pillage et
l'incendie (7),
il fut même un moment question, en conseil, de les
punir encore pour le serment qu'ils avaient dû
prêter à la couronne de France en même
temps que leurs seigneurs et les autres papistes, à
qui cependant on n'en faisait point un crime. Il se trouva
heureusement au conseil du duc des hommes consciencieux,
qui, sachant que les Vaudois avaient premièrement
pris avis à Turin, et qu'ils n'avaient agi comme ils
l'avaient fait qu'avec l'autorisation tacite de la duchesse
(le duc se battait alors en Provence) et de son conseil,
firent agréer leurs explications et excuses, mais non
sans peine.
Au bruit des armes, au tumulte
des gens de guerre, aux réclamations qui surgissent
de leur passage comme de leur départ, succéda
un bruit de voix animées, un tumulte de gens
d'église, de moines et de prêtres,
déclamant, réclamant, insistant,
assourdissant, disputant, récriminant, injuriant
parfois, et ce qui est pire, fomentant la haine, la
défiance et les divisions, recourant à la
tromperie, à l'intimidation et jusqu'aux
persécutions qui s'accomplissent dans
l'obscurité silencieuse des cachots. Le jeune duc
avait, il est vrai, en traversant la vallée de
Luserne, rassuré ses fidèles sujets vaudois
par ces paroles (8) :
« Soyez-moi fidèles et je vous serai bon prince,
et même bon père; quant à votre
liberté de conscience et à l'exercice de votre
religion, je n'y veux faire aucune innovation ; je ne
changerai rien à votre mode de vivre usité
jusqu'à présent; et si quelqu'un entreprend de
vous y troubler, venez à moi, et j'y pourvoirai.
» Mais le duc n'avait pas pu refuser à son
clergé l'autorisation de faire une mission,
même des missions régulières aux
Vallées ; et il n'en fallait assurément pas
davantage pour créer bien des troubles et des
tourments au sein de celles-ci.
L'archevêque de Turin se
fit voir aux Vallées avec une suite nombreuse. On
semblait attendre un grand effet de sa présence. Les
Vaudois, éblouis par l'éclat qui entoure un
prince de l'Église, allaient, pensait-on, se jeter
à ses pieds ; ou du moins, s'ils retardaient encore
un peu leur passage au papisme, ils écouteraient avec
faveur les missionnaires placés sous son haut
patronage et installés par lui. Ces missionnaires
étaient, les uns, des jésuites dans la
vallée de Luserne; les autres, de
révérends capucins, dans celles de
Pérouse et de Saint-Martin.
Ces serviteurs du pape ne
s'épargnèrent point.ils étaient
partout, dans les assemblées publiques, dans les
maisons particulières, dans les boutiques, dans les
champs, sur les chemins. Ils entraient en discussion avec
chacun, passant aussi rapidement d'un auditeur à un
suivant que d'un sujet à un autre. Ce n'était
que criailleries continuelles. Les ministres avaient
cédé à la tentation de répondre;
ils avaient même cru leur honneur et leur
ministère intéressés à leur
participation à ces luttes. Mais ils
s'aperçurent bientôt qu'ils se consumaient en
paroles, sans grande édification, à cause de
la souplesse de leurs adversaires à changer le
terrain du combat, aussitôt qu'ils le sentaient trop
glissant. Les flèches de la vérité
s'éparpillaient, et le but n'était pas
atteint. Les ministres résolurent donc de ne plus
discuter qu'en séances régulières et
publiques sur un sujet énoncé avec
précision, et ils s'en tinrent à leur
décision. La première de ces disputes eut lieu
à Saint-Jean, en 1596, sous la présidence du
comte de Luserne; elle tourna. tellement à la
défaite du jésuite, que le comte,
pressé de se prononcer et de donner raison au
ministre, recourut à un
échappatoire (9)
et clôtura précipitamment les
débats.
Dans les vallées de
Pérouse et de Saint-Martin, les pères capucins
s'agitaient aussi beaucoup, d'autant plus qu'ils se
sentaient appuyés par le voisinage des troupes du
duc, en guerre dans le val Cluson avec celles du roi de
France. Entre autres, ils firent tant que le gouverneur de
Pignerol entreprit d'ôter aux nombreux
évangéliques de Pinache l'usage de leur
temple, ravagea ce village et envoya en prison, à
Turin, le père et le frère du pasteur Ughet
qui leur avait échappé. D'autres vinrent les y
joindre, plusieurs y moururent. On n'en sortait que
difficilement, et rarement sans abjurer. Le pasteur de
Pravilhelm, Antoine Bonjour, enfermé dans le fort de
Revel, avait été plus heureux; s'étant
dévalé en bas les murailles, il avait pu
gagner les bois, puis les montagnes, et était
rentré en paix à Bobbi, sa patrie, dont il
devint le pasteur jusqu'à sa mort.
Pleins de présomption,
les capucins, en mission dans le val Pérouse et le
val Saint-Martin, voulurent aussi s'accorder l'honneur d'une
dispute publique à Saint-Germain, en 1598, mais ils
n'eurent pas lieu de s'en féliciter beaucoup. Ils
recoururent donc à une méthode plus habile et
moins compromettante de faire des prosélytes. Ils
faisaient dire avec mystère aux
évangéliques qu'il y avait de grands et
terribles desseins contre eux qui s'effectueraient au
dépourvu. Cette communication confidentielle, qu'ils
priaient de tenir secrète de peur que mal n'en
arrivât à ses auteurs pour leur charitable
imprudence, n'avait d'autre but, disaient-ils, que d'inviter
les intéressés à se tourner du bon
côté pendant qu'il en était temps
encore. Ces bruits suscitèrent, on n'en peut douter,
bien des craintes, mais n'eurent pas l'effet que les
alarmistes en avaient espéré.
Les moines missionnaires,
mécontents de leurs efforts infructueux,
songèrent à un autre moyen, dont ils sentaient
la force et qui n'a été dès lors que
trop mis en pratique au détriment de l'honneur de
ceux qui l'employèrent et de la religion qui y a
recours. Ils s'attachèrent aux endettés, aux
misérables, chargés de famille et de peu de
probité, leur promettant une somme convenue et des
secours subséquents, s'ils abjuraient
l'Évangile. On promit également un plein
pardon, s'ils allaient à la messe, à des
coupables de délits que la vengeance des lois allait
atteindre. Ce moyen immoral eut le plus de succès.
Les Vaudois se seraient consolés de la perte d'hommes
indignes, occasion de honte pour leur Église, si par
leur infidélité leurs enfants n'avaient
été entraînés avec eux dans
l'abîme. Deux hommes plus considérables, l'un
de Pramol, l'autre de la vallée de Saint-Martin,
abjurèrent aussi ; le premier, pour éviter le
châtiment qui le menaçait pour abus
d'autorité et concussions; le dernier, par
vanité, séduit qu'il était par les
caresses des gentilshommes et des magistrats de la
contrée. Ces défections servirent du moins
à démontrer aux Vaudois dans quel nouveau
danger l'orgueil, l'amour de l'argent et tout acte immoral,
pouvaient les précipiter.
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