HISTOIRE DES VAUDOIS.
CHAPITRE
XIX.
LES VAUDOIS RENTRÉS SOUS LA
DOMINATION DE LEUR PRINCE LÉGITIME SONT
PERSÉCUTÉS AVEC LA DERNIÈRE RIGUEUR.
Suite
Retour des Vaudois sous la domination
de Savoie. Emmanuel-Philibert, sollicité, publie un
édit de persécution, en 1560. L'inquisition
sévit dans la plaine. - Martyrs à Carignan,
à Méane, à Barcelonnette. -
Démarches des Vaudois. - Cruautés. -
Commissaires du duc aux Vallées. - Les moines de
l'Abbadie et leurs victimes. - Concession momentanée
du duc. - Mission de Poussevin. - Dispute publique. -
Dernières démarches. - Préparatifs de
défense. - Le comte de la Trinité aux
Vallées, avec une armée, recourt à la
ruse, éloigne les notables. - Oppression croissante.
- Alliance avec le val Cluson - Les Vaudois attaqués
à réitérée fois, dans leur
refuge du Pradutour, toujours vainqueurs. - Trêve. -
Signature du traité de paix; base des relations
futures des Vaudois avec leur souverain.
À peine les
députés étaient-ils partis pour Verceil
que le comte recommença de molester les gens du
Taillaret, hameau considérable de la commune de la
Tour, situé au nord-ouest, an pied du majestueux
Vandalin. Cette localité est d'une certaine
importance en temps de guerre, étant à la
jonction des chemins de montagne qui mettent en
communication les hameaux supérieurs du Villar avec
le bourg de la Tour, comme aussi ces mêmes hameaux et
bourg avec le vallon du Pradutour de la vallée
d'Angrogne. Se plaignant de manque d'égards pour lui
et de menaces faites à ses gens (c'était le
loup se disant offensé par l'agneau), il exigea
d'abord qu'on s'humiliât devant lui, puis qu'on lui
remit toutes les armes, puis il saccagea les habitations,
sans doute pour qu'elles fussent abandonnées et que
le chemin des monts lui restât ouvert. Il fit aussi
des prisonniers en grand nombre. Il se conduisit de la
même manière dans les hameaux du Villar.
L'oppression devint telle qu'à la Tour, sous les yeux
du général, nul, ni rien n'était en
sûreté, et que les évangéliques
du bourg cherchaient à se mettre à couvert,
eux, leurs femmes et leurs filles, avec ce qu'ils pouvaient
emporter, dans les antres des rochers, quoique ce fût
en hiver. D'autres plus heureux trouvèrent un asile
dans les communes voisines. Les soldats les suivaient
à la piste. Citons un fait. Ils trouvèrent
dans une caverne un vieillard de cent trois ans et sa
petite-fille qui le soignait. Après avoir tué
l'homme vénérable, ils allaient outrager la
fille, quand elle s'élança en bas les rochers,
préférant la mort à la
honte.
La Trinité imposa aussi
à la vallée une contribution forcée de
seize mille écus. Il exigea ensuite le renvoi des
ministres; au moins, disait-il, jusqu'au retour des
députés. On dut, on plutôt, on crut
devoir y consentir. Il espérait pouvoir s'assurer de
leurs personnes à leur départ; mais les
Vaudois prirent de telles précautions, qu'ils les
conduisirent en sûreté, bien qu'au travers des
neiges et par les hauts passages de Giulian, puis du val
Saint-Martin, chez leurs frères de Pragela sur terre
de France. Étienne Noël, pasteur d'Angrogne,
seul avait été excepté, comme par une
faveur du comte qui paraissait avoir pour lui une grande
estime. Mais on vit bientôt que c'était dans
l'espérance de l'enlever plus sûrement. Le coup
manqua heureusement, grâce à l'attachement des
paroissiens de Noël, qui le protégèrent
contre les soldats envoyés pour le saisir et qui le
conduisirent hors de leur atteinte.
Enfin, le comte de la
Trinité, après avoir détruit tout le
vin et toutes les récoltes qu'il ne put emporter, et
après avoir brisé tous les moulins qu'il lui
fut possible, conduisit son armée en quartier d'hiver
dans la plaine, laissant toutefois de fortes garnisons dans
les forts et châteaux de la Tour, du Villar, de la
Pérouse et du Perrier.
Pendant l'absence du chef, ces
garnisons commirent toutes sortes de cruautés et
d'infamies. Mais il est plus honorable de les taire que de
les raconter.
L'on attendait aux
Vallées avec une grande impatience les
députés envoyés à Verceil pour
obtenir une capitulation honorable. L'on annonça,
enfin, leur retour dans leurs montagnes chéries, au
sein de leurs familles et de leurs frères
persécutés. Mais, à leur air souffrant,
à leur regard abattu, on vit, avant même qu'ils
ne parlassent, qu'ils n'apportaient aucune bonne nouvelle;
qu'ils avaient été cruellement trompés,
qu'ils étaient honteux tout à la fois
d'eux-mêmes et du rôle qu'on leur avait fait
jouer. Gastaud, le secrétaire du comte,
racontèrent-ils, les avait effrayés, et leur
avait fait présenter au duc une lettre toute
différente de celle que leurs frères des
Vallées les avaient chargés de remettre. Ils
avaient dû demander pardon à son altesse et
ensuite au légat du pape. Durant les six semaines de
leur séjour à Verceil, ils avaient
été continuellement harcelés par les
moines. On les avait accablés d'injures et de
menaces, au point qu'ils s'étaient vus contraints de
promettre d'aller à la messe. Ils apportaient l'ordre
formel aux communes vaudoises de recevoir des prêtres,
de fournir à leur entretien et de consentir au culte
romain, à l'introduction de la messe, par
conséquent, sous peine d'une extermination
générale.
Que faire ? la situation avait
empiré. Il ne restait de choix qu'entre l'apostasie
avec la paix, mais au prix du salut de leur âme, et de
la fidélité à Dieu, à sa Parole,
à l'Église des apôtres avec une
perspective de maux affreux et immédiats, mais avec
l'approbation de la conscience et l'espérance de la
couronne de vie dans le ciel auprès du Seigneur.
Placé entre ces deux alternatives, le peuple choisit
la bonne part. Aux avantages de ce monde, il
préféra la vie éternelle. Il rejeta les
conditions honteuses qu'on lui faisait au nom du prince. Il
rappela ses pasteurs et rendit au service divin sa
publicité et sa forme usitée. Là
où l'on avait souffert l'introduction de quelques
images dans le temple, à Bobbi, par exemple, on les
en arracha avec indignation. Partout se manifesta hautement
l'intention généreuse de tout souffrir,
jusqu'à l'incendie, la fuite et la mort, plutôt
que de renier la foi de leurs pères.
Les pasteurs reçurent
aussi, dans ces circonstances critiques, des lettres pleines
d'affection et de sympathie chrétienne de leurs
frères de l'étranger. La certitude du vif
intérêt qu'on leur portait, la connaissance des
prières qu'on faisait en divers lieux en leur faveur,
les conseils de la charité la plus pure et les
encouragements à ne regarder et à ne
s'attendre qu'à Dieu pour leur délivrance:
tous ces témoignages leur firent du bien, ils se
sentirent moins seuls dans la lutte.
L'attachement sincère
que leurs voisins et coreligionnaires du val Cluson ou
Pragela (1)
leur avaient toujours montré dans les jours de joie,
comme dans ceux de deuil et de persécution, notamment
dans les derniers événements, fit songer
à renouveler l'ancienne union. Des
députés des trois vallées
passèrent les monts couverts de neige et vinrent
proposer l'alliance aux communautés val-clusonnes,
que leur souverain François Il, roi de Franco, avait
donné ordre de persécuter aussi.
Acceptée sans hésitation, elle fut
aussitôt jurée. On convint de se secourir
mutuellement de toutes les forces disponibles, toutes les
fois que leur ancienne Église apostolique serait
persécutée. On réserva cependant la
fidélité, que les contractants devaient
à leurs souverains respectifs;
(2).
Les envoyés des vallées de Luserne, de
Pérouse et de Saint-Martin reçurent le serment
de leurs frères du Dauphiné qui, à leur
tour, envoyèrent des députés recevoir
le serment de leurs alliés. Ils arrivèrent par
le Giulian à Bobbi, où l'union fut
jurée par l'assemblée unanime de tous les
pères de famille. Ils purent même voir, le
lendemain, le premier acte agressif de ces hommes paisibles,
qui dans l'espérance de la paix s'étaient
jusque-là bornés à la plus stricte
défensive. Tout le peuple des hameaux occidentaux de
la vallée de Luserne vint se ruer, semblable à
un torrent de leurs montagnes, sur la forteresse du Villar,
réclamant la mise en liberté de leurs parents
prisonniers dans ses cachots. Les gentilshommes de la
contrée enfermés dans le château, firent
avec la garnison une vigoureuse défense. Les Vaudois
manquaient de canon et de machines de siège. Une
partie d'entre eux devait surveiller la route de la Tour,
car ils y livrèrent, en quatre jours, trois combats
aux troupes que le commandant du château de ce dernier
lieu envoyait au secours de ses compagnons d'armes.
Cependant les assiégés mal approvisionnes, et
surtout manquant d'eau, durent capituler au dixième
jour. Ils rendirent le fort qui fut aussitôt
démoli, et s'estimèrent heureux d'être
reconduits à leurs avant-postes, la vie
sauve.
Dans l'intervalle, les
députés de toutes les communes
s'étaient réunis et avaient ratifié et
juré l'union, se promettant secours mutuel et
s'engageant à ne rien conclure les uns sans les
autres. Entre les mesures de détail qu'ils prirent,
on ne peut omettre la levée d'une troupe
d'élite de cent arquebusiers constamment de service,
destinée à se porter en hâte sur les
points menacés, et appelée à cause de
cela la compagnie volante. Et, chose digne de remarque aussi
bien que d'une juste louange, deux pasteurs furent
désignés pour l'accompagner à tour,
dans toutes ses expéditions, pour lui rappeler les
devoirs du chrétien, s'opposer à tout
excès, et célébrer
régulièrement avec elle un service
religieux.
Il était bien temps de
se préparer au combat; car le comte de la
Trinité, ayant appris le siège du fort du
Villar, s'était hâté de rassembler ses
troupes disséminées en quartier d'hiver dans
la plaine et de les jeter dans la vallée de Luserne.
Il est vrai que, arrivé, le 2 février 1561, un
jouir après la reddition du fort, il renonça
pour le moment à ses vengeances sur le fond de la
vallée; mais après avoir encore essayé,
quoique inutilement, de diviser ses adversaires en faisant
aux Angrognins des offres et des promesses, il reprit ses
préparatifs contre la citadelle de ces montagnes,
nous voulons dire contre la partie supérieure du
vallon d'Angrogne, nommé le Pradutour. Cet endroit,
célèbre dans l'histoire des Vallées
(3),
a la forme d'un immense entonnoir, dont les bords ont une
hauteur diverse, et qui est déchiré sur l'un
de ses côtés. Il est entouré, an nord,
des liantes cimes rocheuses de l'Infernet et de Soiran qui
le séparent du val Saint-Martin; à l'occident,
par la ceinture infranchissable des monts neigeux du Rous et
des pics dentelés, rivaux du Vandalin, qui
enveloppent un vallon alpestre, la Sellaveilla avec ses
chalets d'été; au midi, par les flancs
échancrés du superbe Vandalin, qui s'abaisse
en pentes rapides sur le large plateau de Costa-Roussina,
d'où l'on descend au sud vers le Taillaret et dans la
plaine de la Tour; enfin, à l'orient, par des
pâturages plus on moins inclinés et par le
massif de rochers, nommé la Rocciailla, qui, quoique
inférieur en hauteur aux orgueilleux pics du
voisinage, forme cependant une barrière
infranchissable entre le pied du mont Cervin au nord, et le
torrent de l'Angrogne au midi. Entre ces monts imposants et
la Rocciailla, s'étendait au bord d'une eau pure et
mugissante une prairie, le Praou Prédutour avec sa
bourgade, et de tous côtés, sur les pentes, de
petits domaines avec leurs édifices rustiques
entourés d'arbres fruitiers.
Ce quartier fort peuplé
en été l'est beaucoup moins en hiver; mais il
n'avait pas cessé de l'être dans les mois
rigoureux de la fin de 1560 et du commencement de 1561. La
rentrée dit comte de la Trinité dans les
Vallées avait fait refluer aussitôt les
Angrognins dans leur asile. Un moulin y existait
déjà pour les besoins de la localité;
on en construisit un second par prudence. (GILLES,- chap.
XXIII, p. 142.)
L'ennemi, comprenant fort bien
que l'asile du Pradutour était le coeur des
Vallées et qu'on ne les blesserait à mort
qu'autant qu'on s'en rendrait maître, dirigea tous ses
efforts de ce côté. Après deux attaques
successives de la partie inférieure d'Angrogne, une
première infructueuse, par les Sonnagliettes ou
Roccamanéot, et une seconde, opérée de
divers côtés à la fois avec de grandes
forces et un plein succès, quoique chèrement
payé, le comte de la Trinité en était
resté maître jusqu'à la Rocciailla et
à la Cassa. Puis, après avoir porté
l'incendie dans tous les hameaux, sans pouvoir toutefois
consumer les deux temples, il assaillit le Pradutour, le 14
février, par trois points différents ; savoir,
par son entrée naturelle, au sud-est, le long du
torrent et au pied de la Rocciailla, par les hauteurs qui le
séparent au nord-est du vallon de Pramol, et au nord,
par celles de la vallée de Saint-Martin. L'attaque
par la route ordinaire, au sud-est, s'annonça par
l'incendie. À la vue des flammes, consumant les
hameaux abandonnés, les réfugiés
pouvaient croire que l'armée approchait; ils se
seraient peut-être jetés en masse dans cette
direction, si Von n'avait soupçonné une feinte
et réfléchi qu'en tous cas quelques hommes
suffiraient pour défendre un si étroit
passage. L'on ne s'était pas trompé. De ce
côté, l'attaque n'était que
simulée. Six arquebusiers arrêtèrent et
mirent en fuite ce qui se présenta. Un corps de
troupe, qui se montra tout-à-coup sur le plateau de
la Vachère an nord-est de la Rocciailla, venant de
Pramol (4),
où il avait passé la nuit, éprouva le
même sort. Mais, tandis que nos pâtres aguerris
les poursuivaient, l'on aperçut du quartier du
Pradutour, sur les pentes des hautes montagnes qui le
séparent au nord du val Saint-Martin, une masse
considérable de soldats qui descendaient en toute
hâte. Un cri d'effroi est jeté.
La foule sans défense
adresse une prière fervente à Dieu
(5),
et tandis que quelques-uns courent avertir leur force
principale, occupée à la poursuite des fuyards
du côté de la Vachère, vingt-cinq
à trente hommes seulement montent à la
rencontre de l'ennemi. Bientôt rejoints par leurs
frères victorieux et par la compagnie volante, en
face (les papistes, ils se jettent à genoux, priant
Dieu de les secourir, et tombent avec tant
d'impétuosité sur leurs adversaires, qu'ils
les culbutent, les épouvantent et les chassent devant
eux. Deux fois, les malheureux soldats, fatigués par
une marche inaccoutumée et forcée sur le gazon
glissant ou sur les pierres roulantes de la montagne, se
retournent, préférant se battre plutôt
que de gravir ces mêmes pentes sans fin qu'ils ont
descendues, et deux fois effrayés de la force et, du
courage croissant des Vaudois, ils reprennent la fuite en se
dispersant. Le montagnard au jarret vigoureux et
exercé les atteint bientôt et les immole. Le
carnage fut grand, mais il l'aurait été bien
davantage, si le ministre de la compagnie volante ne l'eut
fait cesser partout où il put se porter et faire
entendre sa voix.
Ce combat coûta la vie
à deux des principaux chefs de l'armée du
comte. L'un, Charles Truchet, seigneur de Rioclaret, qui
avait persécuté ses propres vassaux, comme
nous l'avons vu, et qui était l'un des promoteurs de
cette guerre, terrassé d'abord par une pierre
lancée avec la fronde et abandonné des siens,
eut la tête coupée par sa propre
épée, dont soli vainqueur le frappa. Son
général et l'armée le
regrettèrent, car il était vaillant et
expérimenté. L'autre chef, Louis de Monteil,
qui s'était enfui l'un des premiers, avait
déjà passé la crête des monts
quand un jeune homme de dix-huit ans l'atteignit sur les
neiges, refusa sa rançon et le tua.
Ainsi s'évanouirent
pour les papistes les espérances de cette grande
journée. Dieu avait accordé la victoire
à ses enfants. Les pasteurs et tous ceux qui ne
pouvaient combattre n'avaient cessé du matin jusqu'au
soir d'invoquer son nom, comme Moïse, Hur et Aaron
lorsque Israël combattait Amalec. Le soir dans toutes
les directions, l'air retentissait du chant des louanges du
Dieu fort et de paroles d'actions de grâces. Cette
victoire valut aux Vaudois un butin considérable
d'armes, de vêtements et de provisions de
guerre.
N'ayant pas réussi au
Pradutour, la Trinité, qui avait déjà
incendié la plupart des hameaux d'Angrogne,
déchargea sa colère sur quelques
communautés du val Luserne. Il surprit celle de Rora,
composée de quatre-vingts familles, et située
dans un vallon derrière la montagne qui
s'élève de la rive droite du Pélice au
midi de la Tour et du Villar, et qui, incliné vers
l'orient, verse ses eaux dans la rivière qu'on vient
de nommer à peu de distance du bourg de Luserne.
Cependant, malgré les forces que le
général y envoya, ce ne fut que le
troisième jour qu'il se rendit maître du
village. Mais, grâce au courage
déterminé de ses hommes valides et surtout de
la compagnie volante envoyée à leur secours,
toutes les familles et même quelque peu de leurs biens
purent être sauvés et conduits au travers des
neiges par d'affreux sentiers au Villar où on les
reçut avec la plus touchante
hospitalité.
Le Villar avait aussi
été désigné par le comte
à ses chefs. Son armée s'ébranla de la
Tour, divisée en trois corps, le gros de l'infanterie
par le grand chemin, la cavalerie avec les pionniers et
quelques troupes légères le long du
Pélice dans la plaine; la troisième colonne
suivait de l'autre côté de la rivière le
sentier qui traverse l'envers de la Tour pour arriver entre
Bobbi et Villar. Les troupes du duc eurent l'avantage sur un
terrain aussi découvert. Les Vaudois durent plier sur
tous les points. Peut-être
s'opiniâtrèrent-ils trop à
défendre quelques positions avancées. Pendant
ce temps, ils furent tournés et durent battre en
retraite avec quelque perte, abandonnant le Villar pour se
porter dans les vignes, à l'entrée de la Combe
que l'ennemi ne put jamais forcer.ils virent leur beau et
grand village incendié sous leurs yeux, mais en
s'estimant moins malheureux de ce désastre que si
l'ennemi s'était établi et fortifié
dans leurs demeures.
La Trinité poursuivit
ses ravages dans le fond de la vallée, pillant,
incendiant et tuant. Il essaya même d'attaquer avec
des forces considérables les hameaux
supérieurs (le la commune du Villar; mais il dut y
renoncer et s'en retourner avec perte.
L'on était parvenu
à la fin de février. Le comte voyant soit
armée fort affaiblie employa un mois à la
renforcer. De nouvelles troupes arrivaient tous les jours au
quartier général. Le duc de Savoie avait
même obtenu du roi de France dix compagnies de
fantassins et quelques autres troupes
d'élite (6).
Un corps d'Espagnols joignit aussi les drapeaux de la
persécution. En sorte que, de quatre mille hommes,
nombre auquel se montait d'abord. l'armée de la
Trinité, elle s'accrut jusqu'au chiffre d'environ.
sept mille. Elle comptait dans ses rangs la noblesse du.
pays. À la tête d'une aussi belle armée,
le comte se crut assuré de réussir, et son
premier effort se porta encore contre le coeur et le
boulevard des Vallées, contre l'asile de tous les
fugitifs, contre le célèbre Pradutour. Il
l'attaqua, le 17 mars, à l'orient, par le chemin le
long du torrent, au bas de la Rocciailla, par la croupe ou
arête de la montagne, au nord-est de la même
Rocciailla où les Vaudois avaient élevé
sur toute la largeur un formidable rempart
(7),
et par un sentier intermédiaire, un peu au-dessous de
ce dernier, sentier dangereux à travers les rochers,
et qu'on n'avait pas songé, à cause de cela,
à garnir de défenseurs. Peu s'en fallut que
l'ennemi ne pénétrât par cet
étroit passage, car toutes les forces des Vaudois
étaient rassemblées aux places principales de
défense; heureusement, il fut aperçu à
temps et repoussé. Battu à la fois sur les
trois points d'attaque, le général ennemi vit
tuer sous ses yeux ses meilleurs officiers et décimer
ses troupes d'élite si belles et si renommées.
Il renonça donc au dessein de continuer l'assaut les
jours suivants, quoiqu'il eût fait les
préparatifs pour cela, et se retira le soir
même avec soit armée harassée et ses
blessés, laissant un grand nombre de morts au pied du
rempart et sur tous les abords.
Pendant que l'armée
battue se retirait en grande hâte, les Vaudois
auraient pu lui causer des pertes irréparables, en
l'attaquant dans les défilés, au passage des
torrents ou le long des précipices ; c'était
aussi le désir d'un grand nombre. Mais les principaux
chefs, et surtout les ministres, ne voulurent jamais y
consentir, rappelant qu'on était convenu de
n'employer les armes que pour défendre sa vie, et de
n'en user qu'aussi longtemps qu'elle serait menacée,
modération admirable, et d'autant plus exemplaire,
que ceux qu'on épargnait étaient sans
pitié.
Le succès de cette
journée redonna du courage et de l'espérance
aux Vaudois. Les ennemis, au contraire, en furent
déconcertés et abattus. Dieu combat pour eux,
s'écriaient-ils; et ces paroles se
répétaient dans tout le Piémont. Le
comte parut même désirer la paix, et fit faire
à ces paysans invincibles des propositions
d'accommodement. Ils répondirent qu'ils souhaitaient
aussi de voir la guerre faire place à une honorable
paix, qui leur permît de servir Dieu avec une bonne
conscience. Mais ils n'osèrent se fier à lui,
ayant été déjà plus d'une fois
la dupe de ses belles paroles, et. ayant même
expérimenté que c'était lorsqu'il
parlait de paix qu'il méditait les coups les plus
rudes. Ils se montrèrent plus confiants à
l'égard de Philippe de Savoie, comte de Raconis, qui,
quoique haut commissaire de la persécution,
paraissait désapprouver cette guerre. Ils
reçurent avec faveur son envoyé, ce même
Gilles de Briquéras, qui était parvenu
à remettre leurs doléances,
réclamations et apologie à la princesse de
Savoie, à Nice, l'année
précédente. Mais le plus triste
événement vint interrompre cette
négociation. Gilles, quoiqu'il se fit tard, voulut se
rendre le même soir au quartier de son seigneur. On
lui donna une escorte; mais l'ayant renvoyée trop
tôt, il fut tué par deux hommes d'Angrogne qui
le rencontrèrent. Les démarches qu'on fit
aussitôt auprès du comte de Raconis, et la
remise immédiate des coupables, lavèrent de
tout soupçon l'autorité vaudoise. Mais la
négociation fut interrompue pour le
moment.
Pendant ces pourparlers,
l'armée du comte était allée dans la
vallée de Saint-Martin débloquer le
château du Perrier, étroitement par les Vaudois
du voisinage et par leurs voisins et alliés du val
Cluson. À son approche les assiégeants se
retirèrent avec leurs frères des villages
inférieurs dans les hameaux. du haut de la
vallée, où ils se défendirent avec
succès pendant un mois, après lequel ils
eurent la joie de voir l'ennemi
s'éloigner.
Les Vaudois retirés
dans les localités les plus âpres et les plus
sauvages, pressés, entassés dans un petit
nombre de cabanes avec toutes leurs familles, voyaient
diminuer rapidement leurs provisions, en même temps
que grossir le nombre de leurs frères fugitifs, qui
venaient réclamer d'eux un abri et du pain. On
eût pu craindre que la disette ne se fît sentir
et ne vint, ajoutée à tant d'autres
souffrances, affaiblir les corps et décourager les
coeurs. Mais celui qui avait nourri Élie sur les
bords du Nérith fournit aussi de vivres ses
serviteurs réfugiés vers les sources des
torrents de leurs montagnes, et il remplit à souhait
de farine et d'huile les vases des veuves, dos enfants et
des pauvres, comme il l'avait fait autrefois à
Sarepta pour la pieuse veuve.
Le printemps commençait
à faire sentir, même sur les monts, sa douce
chaleur. Mais, tandis que le souverain bienfaiteur et
dispensateur de toutes choses allait rendre la vie à
la création endormie et féconder la terre, le
cruel comte de la Trinité ne songeait qu'à
détruire de nobles créatures et à
arroser le sol de leur sang. Il voulait à tout prix
pénétrer dans l'asile du Pradutour pour y
éteindre sa soif dans un bain de sang, semblable
à un loup amaigri, qui, la gueule béante, la
langue desséchée et pendante, rôde
depuis bien des jours, la rage dans le coeur, autour d'une
multitude de brebis et d'agneaux parqués dans une
bergerie bien close, y cherchant quelque ouverture pour s'y
introduire. Le comte espéra enfin l'avoir
découverte. Il se proposa de surprendre le Pradutour
par le Taillaret. On se souvient que le hameau de ce nom est
situé au nord de la Tour, sur le versant
méridional d'un plateau médiocrement
élevé (au pied du flanc oriental du Vandalin),
qui sépare la vallée de Luserne, et la commune
de la Tour en particulier, du vallon supérieur
d'Angrogne, ou Pradutour.
Pour réussir, par ce
côté-là, il était de toute
nécessité d'arriver sans bruit, avec toute la
colonne expéditionnaire, sur le plateau de
Costa-Roussina avant que l'alarme eût pu être
donnée; sinon on s'exposait à être
assailli et infailliblement repoussé d'en haut, en
gravissant une pente de plus de deux lieues de longueur. La
triste fin de Truchet et de sa division taillée en
pièces dans une situation pareille, par un petit
nombre de pâtres, était une leçon
suffisante. Il fallait donc, si la chose était
possible, endormir la vigilance des gens du Taillaret et de
leurs voisins. Le comte, à qui les paroles trompeuses
coûtaient peu, persuada à quelques particuliers
influents du Taillaret, et en particulier au capitaine
Michel Reymondet, de le venir trouver, leur ayant
envoyé le sauf-conduit nécessaire. Il flatta
leur vanité en leur disant que le duc les estimait et
qu'il leur donnerait des preuves de son bon vouloir, s'ils
posaient les armes et cessaient de lui montrer de la
défiance et un esprit de révolte par les
patrouilles incessantes qu'ils se permettaient de faire sans
nécessité. Il les assura que, s'ils restaient
en repos, il empêcherait ses soldats de leur causer le
moindre déplaisir; mais que, dans le cas contraire,
il les châtierait avec la dernière
rigueur.
La vanité de ces
pauvres gens ainsi mise en jeu, ils promirent de rester en
repos, et ils gardèrent leur parole, malgré
les sérieux avertissements et les reproches du
ministre de la compagnie volante, à qui ils rendirent
compte de leur voyage. Le ministre, augurant ce qui allait
arriver, fit réunir sa compagnie «arquebusiers
à la Combe du Villar, placer des sentinelles et
envoya des messagers dans diverses directions annoncer une
attaque prochaine.
En effet, à l'aube du
jour, le petit corps d'élite, qui avait
déjà rendu de si grands services à la
cause vaudoise, fût averti par ses sentinelles
avancées que les papistes montaient au Taillaret. Il
se mit aussitôt en marche par un chemin affreux, le
long des escarpements et des précipices, dans
l'intention d'arriver au plus haut du Taillaret et au-dessus
de l'ennemi, Cependant, celui-ci, en plusieurs bandes,
surprenait toutes les bourgades de ce grand quartier. Un
régiment d'Espagnols se fit remarquer par ses
excès. Le crédule Reymondet échappa
à peine avec sa femme qui était
accouchée depuis peu et son petit enfant. Les troupes
atteignirent le plateau. Les arquebusiers vaudois n'avaient
pu arriver à temps. Du haut de la montagne, les
ennemis virent devant eux, au nord, le grand et profond
ovale du Pradutour. En moins d'une heure de descente, par
les pentes de Barfé, ils en auraient atteint les
habitations du côté du midi. Mais ils
préférèrent suivre un sentier qui leur
permît d'attaquer le Pradutour par le haut : c'est ce
qui les perdit. Les Vaudois venaient d'achever la
prière accoutumée du matin, quand, presqu'en
même temps, leurs sentinelles avertirent de l'approche
de l'ennemi sur trois points : par le plateau à leur
midi dont il vient d'être fait mention, et à
l'orient par les deux chemins au nord et au sud de la
Rocciailla. Douze hommes seulement
s'élancèrent tout d'abord au-devant de la
colonne débouchant du plateau par l'étroit
sentier, et ils suffirent pour
l'arrêter.
Le voyageur, peu exercé
aux courses de montagnes, ne marche qu'avec
hésitation et tremblement sur le sentier à
peine tracé qui coupe une pente rapide. Le pas de la
plupart des soldats du duc n'était pas plus
assuré; aussi s'arrêtèrent-ils, quand
ils virent leur étroit passage barré par six
hommes résolus, et des pierres, des débris de
rochers que les six autres détachaient des hauteurs
du voisinage rouler sur eux et menacer de les
entraîner d'un même bond dans le ravin. Mais le,
coeur leur manqua tout-à-fait à la vue des
agiles et intrépides montagnards, accourant toujours
plus nombreux au secours de leur avant-garde. Ils
tournèrent le dos et s'enfuirent ait plus vite sur le
plateau ou était encore une partie de leur troupe.
Sur ces entrefaites, la compagnie volante arriva par le
flanc du Vandalin sur les hauteurs qui dominent le plateau,
et s'abritant derrière de gros arbres, des rocs et de
petits murs qui séparent les pâturages, fit un
feu nourri et meurtrier. La colonne papiste, ramassée
et à découvert, perdit beaucoup de monde,
tandis que les tirailleurs des montagnes n'eurent que trois
morts. Enfin, après avoir encore fait l'essai de
reprendre l'offensive, elle battit en retraite, non par le
Taillaret par lequel elle aurait été trop
exposée, mais par le sommet de la montagne qui
s'abaisse insensiblement, en contournant vers la Tour, et
qui par son peu de largeur facilitait la
défense.
Quant aux deux colonnes qui
s'étaient avancées par Angrogne, comme elles
devaient, non opérer seules, mais simplement appuyer
l'attaque par le Taillaret, en faisant diversion, elles se
retirèrent lorsqu'elles virent leurs frères
d'armes en fuite sur la montagne voisine.
Telle fut l'issue du dernier
combat livré aux Vaudois dans cette campagne. Le
comte de la Trinité craignant peut-être,
après tant de revers, de se voir attaqué dans
ses quartiers de la Tour par les montagnards aguerris,
détala le soir même et se retira à
Cavour avec une partie de ses troupes. De là, il
menaçait encore de tout ravager, d'aller couper les
blés en herbe, les vignes et les arbres. Mais une
dangereuse maladie qui l'atteignit, et le fit descendre
jusqu'aux portes du tombeau, rendit impossibles ses
sinistres projets. Pendant son inactivité
forcée, les Vaudois renouèrent avec Philippe
de Savoie, comte de Raconis, les relations interrompues par
le meurtre de Gilles de Briquéras. Ce prince, qui
dans l'acquit de sa charge de haut commissaire avait
toujours fait preuve de modération, se montra
favorable à la paix. Il consentit à
transmettre à madame la duchesse les voeux et une
requête de ses sujets persécutés,
tendant à obtenir des conditions que leur conscience
pût accepter. Ayant reçu les pouvoirs
nécessaires pour traiter, le comte de Raconis
déploya une bienveillance pleine de confiance, qui
abrégea la négociation et, après un
mois de pourparlers, amena un accord résolvant toutes
les questions pendantes et signé par les deux
parties.
Un pardon
général y était accordé à
tous ceux des Vallées et d'ailleurs, qui avaient pris
les armes contre son altesse et contre leurs seigneurs
particuliers, pour cause de religion.
La liberté de
s'assembler dans les lieux accoutumés pour ouïr
des prédications, et pour célébrer tous
les actes de leur religion, était reconnue à
la majeure partie des communautés des trois
vallées (8),
ainsi que celle de construire des édifices à
cet usage. Mais le droit de prêcher et de se
réunir était formellement refusé, en
dehors des limites indiquées dans la capitulation.
Toutefois les ministres étaient autorisés
à faire des visites pastorales à ceux des
leurs qui seraient domiciliés dans des lieux
où il n'y avait pas d'exercice public de leur
religion (9),
pourvu que ces visites se fissent avec prudence et
discrétion. Il était spécifié,
qu'on ne regarderait point comme une infraction au
présent accord, ni comme une prédication
prosélytique, les réponses qu'un Vaudois
pourrait faire lorsqu'il serait interrogé touchant sa
foi.
Tous les fugitifs desdites
Vallées et tous ceux qui auraient abjuré ou
promis d'abjurer avant, la guerre étaient admis
à rentrer dans leurs maisons, avec leurs familles,
ainsi que dans le libre exercice de leur religion. Leurs
biens devaient leur être restitués, tous ceux
du moins qui leur avaient été enlevés
par le fait de cette guerre. La même promesse
était faite à ceux de la vallée de
Méane et à ceux de
Saint-Barthélemi.
On assurait à tous la
restitution, par voie de justice, de leurs meubles et de
leur bétail (sauf ce qui aurait été
enlevé par les soldats), ainsi que le rachat des
objets vendus, au même prix que les acquéreurs
les auraient payés. Le même droit était
garanti aux catholiques contre les Vaudois.
On confirmait aux susdits
Vaudois (10)
toutes franchises et immunités, ainsi que tous
privilèges, tant généraux que
particuliers, concédés, soit par son altesse,
soit par ses prédécesseurs, soit par des
seigneurs, pourvu qu'ils ressortissent de documents
publics.
Une bonne justice leur
était promise.
Un rôle des fugitifs
à réintégrer serait dressé et
remis à son altesse.
Le duc se réservait de
pouvoir construire un fort au Villar; mais il donnait
à la fois l'assurance de ne pas s'en servir au
préjudice des biens et des consciences de ceux des
Vallées.
Le duc exigeait aussi des
susdits de renvoyer ceux de leurs pasteurs qu'il
indiquerait; mais en retour, il leur permettait de les
remplacer auparavant. Il excluait toutefois de leur choix le
pasteur Martin du Pragela.
Le droit de faire
célébrer des messes et autres offices du culte
romain dans toutes les paroisses des Vallées
était réservé par son altesse. Mais
elle reconnaissait à son tour à ceux de la
religion opposée la liberté de ne pas y
assister, en leur imposant toutefois l'obligation de laisser
faire ceux qui voudraient y venir.
Remise était faite aux
susdits de tous les frais de guerre, ainsi que des huit
mille écus qu'ils redevaient à son altesse sur
les seize mille qu'ils s'étaient engagés a
payer.
Tous les prisonniers
restés entre les mains des soldats seraient
relâchés contre une rançon
modérée; tous ceux qui pour cause de religion
auraient été envoyés aux galères
seraient mis en liberté gratuitement.
Il était permis
à tous ceux des vallées de Méane et
autres lieux mentionnés dans la capitulation, les
ministres exceptés, de s'arrêter, d'aller et de
venir, d'acheter, de vendre et de trafiquer dans les
états de son altesse, pourvu qu'ils eussent leur
domicile dans l'intérieur de leurs
limites (11), et qu'ils s'abstinssent dans leurs voyages
de controverser, de prêcher et de faire des
assemblées.
Ce traité de paix fut
signé, à Cavour, le 5 juin 1561, an nom du
duc, par Philippe de Savoie, comte de Raconis, et au nom des
communautés des Vallées, par deux pasteurs,
François Val, ministre du Villar, Claude Berge,
ministre du Taillaret, et par deux des principaux
députés, George Monastier, syndic d'Angrogne,
et Michel Reymondet, envoyé dit Taillaret
(12). (V. LÉGER,... II ème part., p.
38. - Storia di Pinerolo,... Torino, 1834, t. III, p.
54.)
Tel fut l'accommodement qui
intervint, grâce au coeur noble et
généreux du glorieux Emmanuel Philibert,
secondé par sa royale épouse, Marguerite de
France, par le loyal Philippe de Savoie, comte de Raconis,
et assurément par la majorité d'un conseil,
éclairé et juste. Que ce soit un accord, un
traité ou une patente, peu importe; l'essentiel est
que le contrat ait eu son effet, selon l'engagement des
parties signataires. Appeler faiblesse blâmable un tel
acte de clémence, il est vrai, mais aussi de justice,
comme l'a fait l'historien Botta, parce que le duc de Savoie
a admis le concours de ses sujets vaudois pour régler
et déterminer les points de cet accommodement, nous
paraît une critique mal fondée autant
qu'injuste. Car pourquoi un souverain n'admettrait-il pas
ses peuples à exprimer leur adhésion à
l'acte, solennel qui règle leurs rapports avec lui,
surtout lorsque, étant de religions
différentes, il s'agit de régulariser un mode
de vivre qui concilie ses droits avec l'acquit des devoirs
qu'ils s'estiment obligés de rendre à Dieu.
Loin d'être coupable de faiblesse, le prince qui
condescend aux besoins religieux de ses sujets ne se montre
que juste, et s'il consent à leur donner des
garanties par un accord signé des deux parts, il fait
preuve d'une haute sagesse, il se place au rang
élevé et glorieux de pète de son
peuple. Certes, la maison de Savoie n'a pas à
regretter la politique qu'elle a suivie. Si, pour
condescendre aux exigences de Rome, elle a dû souvent
persécuter ses sujets vaudois, en leur rendant
ensuite sa bienveillance, elle a aussi tellement conquis
leurs coeurs, que leur attachement, leur
fidélité et leur dévouement pour elle
ne se sont jamais démentis. ( Storia d'Italia da
CAROLO BOTTA,... t. Il, p. 428, etc.; Parigi,
1832.
Botta remarque encore que,
quoique le duc observât l'édit pendant quelques
années, il ne voulut cependant jamais le ratifier, ni
le faire enregistrer par le sénat et par la chambre
des comptes, formalité indispensable pour qu'il
acquît force dédit exécutoire. Mais
cette argumentation est étrange.
L'authenticité du traité ne saurait être
niée (13), et son exécution, n'eût-elle
été que momentanée, est
également, une preuve suffisante pour en constater la
valeur. La suite de cette histoire démontrera,
«ailleurs, qu'il est devenu la base des relations
ordinaires entre l'autorité civile et, les
Vallées. Il est triste de voir recourir à un
tel subterfuge, lorsqu'il est si essentiel que la parole du
prince soit entourée de respect et de confiance.
Honneur à Emmanuel Philibert, qui, pendant toute sa
vie, a été fidèle à
I'accommodement qui avait été fait en son nom
!
Si les deux parties
intéressées consentirent à la
convention, y trouvant chacune leur avantage, une personne
en éprouva un vif déplaisir ; ce fut le pape
à qui le duc la communiqua. Le pontife de Rome S'en
plaignit avec amertume. Il pensait que ce pernicieux exemple
de tolérance pourrait trouver des imitateurs, et que,
par leur lâche complaisance, l'hérésie
s'implanterait à toujours dans tant de royaumes
placés sous sa houlette. Les moines et les
prêtres du Piémont se donnèrent beaucoup
de mouvement, et, s'ils ne réussirent pas à
faire rompre l'accord, ils en retardèrent on
entravèrent l'exécution,
particulièrement en ce qui concernait la restitution
des biens confisqués ou enlevés
(14), et la libération des prisonniers,
surtout de ceux qu'on avait envoyés aux
galères. Cependant Philippe de Savoie, comte de
Raconis, ayant consenti à porter aux pieds de la
duchesse les griefs des Vaudois, cette excellente princesse,
après avoir encore appelé auprès d'elle
le vénérable pasteur Noël d'Angrogne,
obtint le redressement de tous les torts et la stricte
exécution du traité. (Voir, pour tout ce
chapitre, GILLES,... chap. XI à XXVIII. -
LÉGER,... II ème part., p. 29 à
40.)
La persécution avait
duré quinze mois, dont sept de guerre
acharnée.
Quittons maintenant les
vallées du Piémont et transportons-nous dans
une de leurs anciennes colonies, en Calabre, pour assister
à son entière destruction.
|