HISTOIRE DES VAUDOIS.
CHAPITRE
VI.
MANIFESTATIONS RELIGIEUSES DU XIIe
SIÈCLE.
Puissance de la foi. - Ecrits des
Vaudois signalés. - Pierre de Bruis et Henri. - Champ
de leur prédication. - Leur origine. - Leurs
relations entre eux. - Champ d'activité d'Henri. -
Arrêté et libéré. - Sa mort. -
Succès des deux prédicateurs. -
Hérétiques de Périgueux, - de Toulouse.
- Dispute de Lombers. - Nouveaux progrès de
l'hérésie. - Raymond de Toulouse. - Mention
des Albigeois. - Doctrine de Pierre de Bruis et d'Henri. -
Détails. - Hérétiques le long du Rhin,
- à Cologne. - Arnulphe à Rome. - Abailard et
Arnaud de Brescia. - Détails sur Arnaud. -
Dénominations données aux
hérétiques. - Celle de Vaudois ou Valdenses
prévaut. - Témoignages de Rainier, - de
Bernard de Foncald.
Le peu de succès qu'eurent les
tentatives faites, au XIIe siècle, pour
rétablir dans l'Eglise «Occident les pures
doctrines et y ramener l'esprit de l'Evangile, aurait pu
faire craindre que la cause de la vérité De
fût entièrement et partout compromise, et que,
des rangs éclaircis du résidu de l'Eglise
fidèle, il ne surgit plus de courageux adversaires de
l'erreur et de la superstition. Il ne restait plus,
devait-il sembler, de chance de réussite après
tant d'essais malheureux; et alors pourquoi marcher à
une perte certaine ? Mais la foi chrétienne
espère quand, humainement parlant, il n'y a plus
d'espérance. Elle espère, parce qu'elle croit
en son divin chef. Elle attend la victoire, non du bras de
la chair, mais de la puissance de celui qui lui crie :
Parle, et ne te, tais point; voici, je suis avec vous
jusqu'à la fin du monde. Entraîné par la
foi, fortifié par l'espérance, le
racheté de Christ ne demande point : Sommes-nous en
grand nombre? Il lui suffit de la promesse du Seigneur qui
l'a lui-même sauvé; et seul, s'il le faut, il
consacre sa vie à l'oeuvre du ministère, au
salut des âmes. La crainte de la mort et les outrages
ne sauraient le retenir. Nouveau saint Paul, il part
à la conquête du monde, au nom de
Jésus-Christ. Sa lettre de crédit et son
excuse pour tant d'audace se résument dans ce peu de
mots : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai
parlé.
Cette foi ne faisait point
défaut aux faibles débris de l'Eglise
fidèle. Si la lampe de vérité, qui
brûlait encore à l'écart, était
petite, sa flamme n'en était pas moins vive et bien
nourrie, Dès l'an 1100, l'Eglise des Vallées
Vaudoises formulait sa croyance, sa discipline, et
reflétait sa vie dans des écrits que nous
ferons connaître, avec une clarté et une
précision qui n'annoncent nullement une origine
récente. Ne nous étonnons donc pas de voir,
à cette même époque, des missionnaires
évangéliques, venant de ces contrées ou
de leur voisinage, continuer l'oeuvre de leurs
prédécesseurs.
Deux hommes attirent surtout
notre attention. Ce sont Pierre de Bruis et Henri, son
compagnon de travaux. Le premier était prêtre
(1),
le second est désigné souvent sous le titre de
faux Ermite. Ils commencèrent à dogmatiser
dans la Septimanie qui, selon Dupin, comprenait le
Dauphiné et la Provence. De la Provence, ils
passèrent dans le Languedoc et en Gascogne,
d'où leur prétendue hérésie
pénétra en Espagne, en Angleterre, etc. (V.
Centuriateurs, etc., centurie XII, col. 832.)
Avant de les suivre dans leurs
champs de travaux et de nous enquérir de la doctrine
qu'ils enseignent, informons-nous de leur origine, car elle
est déjà significative. Pierre de Bruis
était du Dauphiné, et Henri, Italien. Nous
avons vu, dans le chapitre précédent, que
plusieurs manifestations religieuses étaient parties
d'Italie. Nous avons reconnu, au chapitre IV, que les
provinces au pied des Alpes, que les contrées de
Verceil, de Piémont et l'Astesan, étaient
entachées de l'hérésie
manichéenne, c'est-à-dire, selon nous, des
doctrines évangéliques. Henri, le faux Ermite,
compagnon de Pierre de Bruis, est surnommé l'Italien,
ce qui, nous l'avouons, ne prouve pas qu'il fût
précisément des contrées mêmes
accusées d'hérésie ; néanmoins,
cette supposition ne nous parait point être
présomptueuse", surtout si fou
réfléchit que les relations d'Henri avec
Pierre de Bruis et la conformité de leur doctrine
seraient expliquées par le fait des rapports
fréquents de voisinage, que le Dauphiné a
soutenus de tout temps avec le Piémont, et les
Vallées Vaudoises en particulier. Au XIIIe
siècle, ces relations devaient être, plus
intimes que jamais, puisque le Dauphiné
possédait même quelques vallées sur le
versant oriental des Alpes (vallées qui font partie
du Piémont actuel), comme on le voit par un
diplôme de l'an 1155, dans lequel l'empereur
Frédéric accordait au Dauphin le droit de
faire battre monnaie à Césanne dans la
vallée de Suse. (Voir Histoire du Dauphiné,
Genève, chez Fabry, 1772, t. I, passim et p. 93.) -
On y voit d'ailleurs que la vallée de Pragela ou
Cluson appartenait aussi au Dauphiné. Les
Vallées Vaudoises se trouvaient ainsi comme
enclavées dans le Dauphiné, dont elles
étaient alors entourées de trois
côtés. Connaissant ces faits
géographiques et politiques, rien de plus facile que
de s'expliquer l'origine de la doctrine prêchée
par Pierre de Bruis, du Dauphiné, et par Henri,
Italien, ainsi que leurs relations étroites. Il y a
plus : en suivant d'un regard intelligent les travaux de ces
deux illustres missionnaires, un scrutant leur vie et en
examinant leur doctrine, on acquiert la certitude de leur
affiliation au mouvement religieux des contrées
subalpines, dont il a déjà été
question, et dont il sera plus amplement fait mention dans
les chapitres qui auront pour objet la doctrine et la vie
des anciens Vaudois.
On a peu de détails sur
les circonstances particulières, sur les luttes et
les souffrances de l'un de ces deux grands serviteurs du
Seigneur Jésus-Christ, savoir de Pierre de Bruis. On
sait seulement qu'après vingt ans de
prédication et de travaux pour établir et
étendre le règne du Sauveur, il reçut
la palme du martyre sur un bûcher, à
Saint-Gilles, en Languedoc, l'an 1126. (Centurie XII, col.
832.)
Ou a plus de détails
sur la vie aventureuse d'Henri. Après avoir
travaillé quelque temps de concert avec Bruis, il
s'en sépara, sans que nous ayons appris pourquoi. On
peut croire que leur oeuvre étant bien
acheminée, il fut jugé convenable qu'ils
annonçassent isolément la bonne nouvelle du
salut et la régénération, pour la
conversion d'un plus grand nombre. Henri dirigea d'abord ses
pas vers Lausanne. Il vint plus tard au Mans, avec deux
autres Italiens. Ils marchaient nu-pieds, dans toutes les
saisons, portant chacun un bâton surmonté d'une
croix. L'époque de l'arrivée de Henri au Mans
est incertaine. Dupin indique l'an 1110. Les auteurs sont
mieux d'accord sur les effets de sa prédication dans
cette ville. Henri obtint d'Héribert, qui
était évêque du Mans et qui allait
quitter momentanément cette ville, la permission de
prêcher dans les temples en son absence. Sa
prédication fit une vive impression sur ses
auditeurs. Le peuple fut entraîné. Mais le
clergé qui, dans les commencements, avait
approuvé et fort goûté le frère
étranger, ne tarda pas à changer
«opinion, lorsqu'il se fut aperçu que son
crédit personnel était en baisse. La
défense de prêcher davantage fut intimée
à l'entraînant orateur. Le peuple exprima en
vain son mécontentement, menaçant de ne plus
vouloir «autre pasteur. Henri, quoiqu'aimé et
soutenu par la multitude, dut céder et
s'éloigner. Du Mans il se rendit à Poitiers;
puis, selon quelques-uns, à Périgueux, ensuite
à Bordeaux> à Toulouse, et dans les
quartiers où il avait déjà
travaillé avec Bruis. (DUPIN, Nouv. Biblioth., t. IX,
p. 101. - Recueil des Historiens des Gaules, t. XIV, p. 430.
- Admonitio praevia... GIESLER... P. 442.)
L'an 1134, ayant
été arrêté par l'ordre de
l'archevêque d'Arles, il fut conduit par ce
prélat au concile de Pavie, qui eut lieu cette
même année. Condamne comme
hérétique par cette assemblée, Henri
fut mis en prison. Il en sortit cependant, sans que nous
sachions comment, et il reparut dans le midi de la France.
Alors on lui opposa saint Bernard, abbé de Clairvaux,
homme éloquent et énergique, qui
s'était fait une grande réputation par la
direction supérieure qu'il avait donnée
à son couvent, par son zèle, par divers
miracles dont on lui attribuait l'honneur et par sa victoire
sur Abailard qu'il fit condamner, au concile de Sens, en
1140. Par les efforts de cet abbé et du légat
Albéric, envoyés à Toulouse pour
comprimer l'hérésie, l'an 1147, Henri fut
livré entre les mains de l'évêque de
cette ville, et conduit, l'année suivante, au concile
de Rheims. Condamné de nouveau, il fut encore
jeté en prison, ou il mourut bientôt,
après plus de quarante ans de fatigues et de travaux
pour la cause du pur Evangile. Plusieurs de ces faits sont
consignés dans la lettre de saint Bernard à
Ildephonse ou Alphonse, comte de Toulouse et de
Saint-Gilles, écrite à l'époque de sa
mission. Si l'injustice de l'abbé de Clairvaux envers
ses ennemis n'était pas bien connue, on
s'étonnerait de l'entendre attribuer à des
poursuites pour mauvaises moeurs, le brusque départ
d'Henri de plusieurs villes, dans lesquelles il
s'était arrêté; mais l'on sait assez que
c'est à cause de sa prédication et de sa
prétendue hérésie que ce confesseur de
la foi était persécuté et contraint
à s'enfuir. (D. BERNARDI Epistola, 241. - Acta
Episcop. Cenomanensium., cap. XXXIII. - Mabillionis
Analecta, t. III, p. 312. - PETRUS CLUNIACENSIS in Maxima
Biblioth., P. P., t. XXII, col. 861 1034... - Histoire du
Languedoc, par deux Bénédictins, t. II, p.
1020. - Recueil des Historiens des Gaules, t. XII, p. 547 et
suiv.)
Les succès de Pierre de
Bruis et d'Henri furent étonnants. L'oeuvre à
laquelle ils travaillèrent, secondés par des
frères dont le nom n'est pas venu jusqu'à
nous, se consolida rapidement . s'étendit dans de
nombreuses contrées, malgré les efforts d'une
partie du clergé et des papes pour l'anéantir,
jusqu'à ce qu'enfin, au XIIIe siècle, les
pontifes romains soulevèrent contre elle ces
persécutions si brutales et si sanglantes, connues
sous le nom de croisades contre les
Albigeois.
Les contrées que Pierre
de Bruis et Henri avaient parcourues fourmillèrent
bientôt d'hérétiques, même celles
où ils s'étaient peu arrêtés. Par
exemple, à Périgueux, ville qu'Henri traversa,
en allant de Poitiers à Bordeaux, on
découvrit, en 1140, et dans toute la contrée,
nous apprend Héribert, un grand nombre
d'hérétiques, qui prétendaient mener
une vie apostolique. Un autre auteur contemporain,
l'annaliste abbé Morgan, rapporte de son
côté que, vers l'an 1163, de semblables
hérétiques, qui aspiraient aussi à
mener une vie apostolique, avaient fait de grands
progrès dans le Périgord. (Mabillionis
Analecta, t. III, p. 467. - Histoire du Languedoc, etc.,
dans le préambule du XIX. XIX.)
A Toulouse et autres lieux,
où la doctrine nouvelle avait été
semée, les efforts de saint Bernard, qui la
combattait, eurent d'abord quelques succès, surtout
au moment où l'Eglise naissante fut privée de
son chef Henri, mort dans les prisons. Les temples
catholiques, déserts auparavant, se remplissaient de
nouveau; les hérétiques se cachaient ; la
prédication de l'abbé de Clairvaux et ses
prétendus miracles semblaient avoir subjugué
les masses. Cependant, cet état de choses ne dura pas
longtemps. Les historiens du Languedoc en conviennent :
« Saint Bernard eut le bonheur, disent-ils, de ramener
alors à la foi ceux qui s'en étaient
écartés; mais, malgré tous ses soins,
l'hérésie des henriciens y demeura
cachée; et elle s'y renouvela si fortement, quelques
années plus tard, qu'elle y causa enfin une
extrême désolation. » (Histoire du
Languedoc, par deux Bénédictins, t. II, p.
447.)
La gravité de ce fait
est confirmée par les actes du concile
assemblé à 'Tours, l'an 1163. Le IVe canon,
dans lequel il est ordonné aux évêques
de Toulouse et des lieux voisins de surveiller les
hérétiques, les mentionne dans son
préambule de la manière suivante : « Il
s'est élevé, il y a longtemps, dans les
quartiers de Toulouse, une damnable hérésie
qui, se répandant peu à peu, de proche en
proche, comme un cancer, a déjà infecté
la Gascogne et les autres provinces en grand nombre.. »
(Ad Labbeum,... Concili., t. X. col 1419.)
En 1165 ou en 1176 (les
auteurs varient sur la date) (2),
un concile tenu à Lombers fit comparaître les
hérétiques, découverts dans la province
de Toulouse et mentionnés sous le nom de bons hommes
(boni homines). Interrogés en la présence de
Pierre, archevêque de Narbonne, de Girard, d'Albi, de
Gaucelin, de Lodève, et «autres
évêques, ils furent déclarés
hérétiques, et livrés au bras
séculier. Le principal d'entre eux s'appelait
Olivier. Ils étaient en grand nombre. Les seigneurs
partageaient leur opinion.
« Mais, nous disent les
historiens bénédictins du Languedoc, la
condamnation de ces hérétiques n'empêcha
pas leurs progrès tant dans la province que dans les
pays étrangers, et ils s'étendirent surtout en
Bourgogne et en Flandre, sous le nom de Poplicains. Enfin,
disent-ils ailleurs, l'erreur fit des progrès si
étonnants qu'elle gagna la plupart des
ecclésiastiques et de la noblesse du haut Languedoc,
et «une partie du bas. Raymond, comte de Toulouse,
prince zélé pour la foi, résolut d'y
remédier. Se rappelant les services de saint Bernard,
rendus trente ans auparavant au comte Alphonse, son
père, il s'adressa au chapitre général
de Citeaux, assemblé en septembre 1177, et le pria de
venir à son secours. Cette hérésie,
ajoute-t-il, a tellement prévalu qu'elle a mis la
division entre le mari et la femme, le père et le
fils, la belle-mère et la belle-fille. Ceux qui sont
revêtus du sacerdoce se sont laissés corrompre,
les églises sont abandonnées et tombent en
ruines, on refuse d'administrer le baptême ;
l'eucharistie est en abomination... Pour moi, qui suis
armé, des deux glaives, et qui me fais gloire
d'être établi en cela le vengeur et le ministre
de la colère de Dieu, je cherche en vain le moyen de
mettre fin à de si grands maux, et je reconnais que
je ne suis pas assez fort pour y réussir, parce que
les plus notables de mes sujets ont été
séduits et ont entraîné avec eux une
grande partie du peuple.... J'implore donc, avec
humilité, votre secours, vos conseils, vos
prières, pour extirper cette hérésie.
» ( Histoire du Languedoc, etc., t. Il, p. 4-46.
)
Plus tard, ce même comte
Raymond adopta les principes, qu'il avait d'abord
méconnus, et leur fit enfin le sacrifice de ses biens
et de ses états, dans la terrible croisade dont son
peuple et lui furent l'objet.
Nous n'entreprendrons pas de
raconter l'histoire subséquente des prétendus
hérétiques du Languedoc et des provinces
voisines. Un tel objet mérite d'être
traité à part, et il l'a été
déjà par divers auteurs auxquels nous
renvoyons le lecteur. Il nous suffit, pour le but que nous
désirons d'atteindre, d'avoir montré la
liaison des mouvements religieux du midi de la France, au
XlIe siècle, avec les manifestations semblables du
siècle précédent, et avec l'état
religieux de quelques contrées du nord de l'Italie,
du Piémont en particulier.
Mais, avant de terminer ce
sujet, il nous reste à rendre compte des doctrines
que, d'après le rapport de leurs adversaires, Pierre
de Bruis, Henri et leurs compagnons d'oeuvre
prêchèrent et propagèrent dans les
contrées dont il vient d'être
question.
Pierre-le-Vénérable, abbé
de Clugny, attribue à Pierre de Bruis les cinq points
de doctrine suivants, qu'il mentionne dans sa lettre IXe,
intitulée : Contre les Pétrobrusiens, et
adressée aux archevêques d'Arles et d'Embrun
ainsi qu'aux évêques de Gap et, de
Die.
1° Il (Bruis) nie que les
enfants, avant l'âge d'intelligence, puissent
être sauvés par le baptême de Christ, ni
que la foi d'un autre puisse lui être utile, parce
que, selon ceux de son opinion, ce n'est pas la foi d'autrui
qui sauve, mais la propre foi de chacun avec le
baptême, selon ce que dit le Seigneur : Celui qui aura
cru et aura été baptisé sera
sauvé ; mais celui qui n'aura pas cru ne sera pas
sauvé.
2° Le second point
consiste eu ceci : Qu'on ne doit construire ni temple, ni
église, mais qu'on doit renverser ces édifices
qui subsistent; que les lieux sacrés ne sont pas
nécessaires aux chrétiens pour prier, parce
que Dieu qui est invoqué entend et exauce ceux qui en
sont dignes, que ce soit dans une taverne ou dans une
église, sur la place publique ou dans un temple,
devant un autel ou dans une étable.
3° Le troisième
article prescrit de mettre en pièces les croix
sacrées et de les brûler, parce que c'est la
forme ou l'instrument qui a servi à torturer et
à ôter si cruellement la vie à
Jésus-Christ; qu'elle n'est digne ni d'adoration, ni
de vénération, ni d'aucune supplication, mais
que, pour la vengeance des tourments et de la mort de
Christ, la croix mérite tout déshonneur, comme
d'être coupée à coups
d'épée et brûlée.
4° Non-seulement Bruis
nie que le vrai corps et le sang du Seigneur soient offerts
journellement et continuellement dans l'église par le
sacrement, mais il déclare que ce sacrement n'est
rien et qu'il ne doit pas être offert à
Dieu.
5° Il (Bruis) se moque
des sacrifices, des prières, des aumônes, et
des autres bonnes oeuvres faites par les fidèles
vivants en faveur des fidèles défunts, et il
affirme que ces choses ne peuvent le moins du monde aider
quelqu'un des morts.
« J'ai répondu
à ces cinq points, ajoute
Pierre-le-Vénérable, selon que Dieu m'en a
accordé la grâce, dans la lettre que j'ai
adressée à vos saintetés. » (
Maxima Biblioth., P. P., t. XXII, f. 1033.)
Le vénérable
abbé continue ainsi : « Mais après que le
zèle des fidèles, en brillant Pierre de Bruis
sur un bûcher, près de Saint-Gilles, a
vengé le feu qu'il avait allumé et qui avait
consumé la croix du Seigneur, après que cet
impie eut passé du feu du bûcher au feu
éternel, l'HERITIER de son hérésie,
Henri (3),
avec je ne sais quels autres, bien loin d'amender sa
doctrine diabolique, la renforça encore. Et, comme
j'ai vu dans Un VOLUME qu'on dit être sorti de sa
bouche, non-seulement il a publié les cinq points de
doctrine, mais un plus grand nombre encore. »
(Même citation, f. 1034.)
Nous avons lu une nouvelle
lettre aux prélats nommés plus haut, dans
laquelle Pierre-le-Vénérable réfute les
prétendues fausses doctrines, dont il vient de faire
mention, en les qualifiant de renforcées dans leur
tendance diabolique; mais, sauf quelques
développements nouveaux, et sauf une critique du
chant d'église, elles nous ont paru, à fort
peu de chose près, les mêmes. (Voir, ibid.,
Max. Biblioth., P. P. y t. XXII, col. 1036. - 1048 à
1076. )
Les Centuriateurs de
Magdebourg, qui ont extrait et recueilli les divers points
de doctrine professés par les
hérétiques du. midi de la France, au XlIe
siècle, mentionnent en outre quelques autres articles
de foi, par exemple, sur la cène du Seigneur: «
Que le corps et le sang de Christ n'étaient pas
offerts dans la messe théâtrale, et que ce
n'était point une oblation faite pour le salut des
âmes; que les autels devaient être
détruits; que la doctrine du changement des
espèces était fausse; que la cène
sacrée ne doit pas être donnée
maintenant aux hommes, parce qu'elle a été
donnée une seule fois par Christ aux apôtres.
» Evidemment, cette dernière opinion est mal
rapportée, puisque, comme nous allons le voir, par le
témoignage de saint Bernard, les prétendus
hérétiques du midi de la France prenaient la
cène. Il s'agit sûrement du sacrifice
expiatoire de Jésus-Christ qui n'a eu lien qu'une
fois, et qui ne doit ni ne peut être
renouvelé.
Sur le mariage : « Que
les prêtres et les moines devaient se marier,
plutôt que d'être la proie de
l'impudicité, ou de se livrer à
l'impureté. »
Sur les chants et les
instruments de musique : «Que Dieu est moqué par
ces chants que les prêtres et les moines font retentir
dans les temples ; que Dieu ne peut être apaisé
par des mélodies monacales. »
Sur les aliments : «
qu'il est permis de manger de la viande le dimanche et les
autres jours. »
Sur l'Ecriture sainte : «
Que le bruit s'est répandu, dit l'abbé de
Clugny, qu'ils ne reçoivent pas tout le canon,
c'est-à-dire tous les écrits de l'Ancien et du
Nouveau Testament;» de même il dit « qu'ils
ne reçoivent que l'Évangile.
»
Mais ici, nous ferons observer
qu'une accusation aussi grave que celle que
Pierre-le-Vénérable fait aux
hérétiques, de ne recevoir pas tout le canon
de l'Ecriture, repose sur un bien faible fondement, sur un
le bruit s'est répandu. Une telle accusation exige de
plus fortes preuves, qu'un simple bruit
public.
Il dit aussi : « Qu'ils
croient au seul canon ; qu'ils n'accordent pas aux
écrits des Pères la même autorité
qu'à la sainte Ecriture. » ( V. Centuria XII,
col. 832, etc. )
Les mêmes Centuriateurs
ont aussi extrait des écrits de saint Bernard les
erreurs qu'il a reconnues dans les hérétiques
apostoliques. Nous traduisons : « Des apostoliques ou
henriciens. Leurs dogmes, d'après saint Bernard,
autant qu'on petit le deviner, sont:
1° Qu'on ne doit pas
baptiser les enfants.
2° Qu'ils ont eux ( les
apostoliques ) le pouvoir de consacrer chaque jour le corps
et le sang de Christ à leur table, pour se nourrir,
comme étant (eux) le corps de Christ et ses membres
(4).
3° Que les personnes
vierges seules peuvent se marier parce que Dieu a
créé vierges l'homme et la
femme.
4° Qu'il faut suivre la
continence dans le mariage.
5° Que le feu du
purgatoire n'existe pas. La raison en est que l'âme
dégagée du corps passe ou au repos, ou a la
damnation.
6° Qu'il ne faut pas
prier pour les morts.
7° Qu'il ne faut pas
demander les suffrages des saints qui sont
morts.
8° Que celui qui est
pécheur ne peut pas être
évêque.
9° Qu'il ne faut manger
ni lait, ni ce qui en provient, non plus que ce qui provient
de procréation.
10°ils ne reconnaissent
pas l'Eglise, la pontificale, et assurent qu'ils sont, eux,
l'Eglise.
11° Que les serments ou
jurements sont défendus. »
Saint Bernard cite encore
beaucoup d'autres points de doctrine et opinions des
apostoliques. Il dit entre autres :
Qu'ils rabaissent les ordres
de l'Eglise, qu'ils ne reçoivent pas ses
institutions, qu'ils méprisent ses sacrements et
n'obéissent pas à ses commandements. » Il
remarque que ces doctrines ont été recueillies
par ses propres investigations, en partie dans des
altercations ou disputes, et en partie de la bouche de ceux
qui étaient rentrés dans l'Eglise pontificale.
Sur quoi, nous ferons remarquer, à notre tour, qu'il
est à craindre que la prévention et
l'animosité n'aient plus «une fois reproduit
inexactement et défavorablement les dogmes de ceux
qu'on regardait comme hérétiques. Le lecteur a
déjà fait de lui-même cette observation;
car évidemment plusieurs opinions des
hérétiques, mentionnées par Pierre de
Clugny et par saint Bernard, sont incomplètes et
présentées sous un jour qui n'est pas le leur.
On n'a qu'à comparer celles qui sont analogues pour
s'en convaincre. Voici ce qu'un autour contemporain, que
nous avons déjà mentionné plus haut,
Héribert, moine d'Angoulême, dit des
hérétiques du Périgord et de
Périgueux en particulier : « Il s'est
élevé dans la contrée de
Périgueux un grand nombre d'hérétiques,
qui prétendent mener une vie apostolique. Ils ne
mangent pas de viande, ne boivent pas de vin, si ce n'est
tous les trois jours et avec modération. Ils
fléchissent le genou cent fois le jour. Ils ne
reçoivent pas d'argent. Leur secte est fort perverse
et cachée. Ils ne font point cas de la messe, et
disent qu'il ne faut point prendre la communion, mais nu
morceau de pain. Ils n'adorent ni la croix ni l'image de
Jésus-Christ. Ils empêchent plutôt ceux
qui le font. Un grand nombre de gens ont déjà
été séduits, non seulement des nobles
qui abandonnent leurs richesses, mais aussi des clercs, des
prêtres, des moines et des religieux.»
(MABILLIONIS Analecta, III, p. 467 à 483.
)
L'annaliste de Morgan, dans
Thomas Gale, à la date de Fan 1163, s'exprime
à peu près de la même manière. Il
ajoute un trait remarquable de la puissance de persuasion et
de la vie chrétienne qui était en eux ; c'est
le seul que nous rapportions. « Si des ignorants,
dit-il, venaient à eux, au bout de huit jours, ils
devenaient si habiles qu'ils ne pouvaient être
surpassés, ni en instruction, ni en exemple. » (
Recueil des Historiens des Gaules, t. XIII, p. 108. ) Le
mouvement religieux et évangélique ne resta
pas resserré dans les limites du midi de la France.
Des manifestations assez semblables, bien que
présentant sur d'autres points, au rapport des
auteurs, quelques divergences, eurent lieu le long du Rhin,
en Flandres, en Bourgogne, dans la basse Bretagne et
ailleurs. Evervin, écrivant à saint Bernard,
au sujet d'hérétiques découverts
à Cologne, dont un grand nombre fut
brûlé et l'autre rentra dans l'Eglise,
s'exprime comme suit : « Vous saurez, seigneur, qu'en
rentrant dans l'Eglise, ils nous ont dit qu'ils sont une
très grande multitude, répandue presque
partout, et qu'ils ont dans leurs rangs de nos
ecclésiastiques et de nos moines. Et ceux qui ont
été brûlés ont avancé dans
leur défense, que cette hérésie est
demeurée cachée jusqu'à ces temps,
depuis les temps des martyrs, et quelle a existé dans
la Grèce et dans certains autres pays.
»
Cette milice spirituelle,
armée contre l'erreur pour le triomphe de la
vérité, se recrutant depuis longtemps en
secret, avec prudence et une sagacité quelque peu
craintive, avait enfin, comme on a pu le voir
déjà, entrepris une guerre plus ouverte,
à mesure qu'elle avait vu s'accroître ses
forces. Rome même, la résidence du pape, la
forteresse de la superstition, avait vu son ennemi franchir
ses portes et prêcher dans ses murs. C'est en 1128 que
les discours d'un prédicateur étranger
excitèrent autant de surprise que d'admiration on de
haine. Son nom était Arnulphe, son origine est
restée inconnue. Mais ce qu'on peut dire, c'est qu'un
missionnaire vaudois n'eût pas prêché
autrement. Au reste, écoutons ce qu'en rapporte
Tritème : « En ce temps-là, sous le pape
Honorius II, il vint à Home un certain prêtre,
nommé Arnulphe, homme d'une grande dévotion et
prédicateur distingué. Pendant qu'il
annonçait la Parole de Dieu, il reprenait la
dissolution, le libertinage, l'avarice et le faste
extrême du clergé. Il proposait à
l'imitation de tous la pauvreté et la vie
extrêmement intègre de Jésus-Christ et
de ses apôtres. A la vérité, sa
prédication fut approuvée par la noblesse
romaine, comme celle d'un véritable, disciple de
Jésus-Christ. Mais, d'un autre côté.,
elle l'exposa à l'extrême haine des cardinaux
et du clergé, qui se saisirent de lui, de nuit, et le
firent mourir secrètement. » (TRITÈME, ou
Chronica insignis, p. 157. - LÉGER, Ill éme
partie, p. 152, qui rapporte la chose un peu autrement,
d'après Platine. )
Dans les rangs des
antagonistes de Rome, de la superstition et des mauvaises
moeurs, l'on vit aussi des hommes dont les principes ne
découlaient peut-être pas toujours d'une foi
simple au pur Evangile de Christ. Tel avait
été Abailard en France; tel fut Arnaud de
Brescia, en Italie. Ce dernier osa, comme Arnulphe, attaquer
Rome dans Rome même. Un mot sur sa vie et sur son
oeuvre. Originaire de Brescia ( Brixia ), dans la Lombardie,
il a pu avoir connaissance des doctrines vaudoises ;
cependant l'histoire ne nous le dit pas. Elle nous apprend
simplement que c'est en France, auprès du fameux
Abailard, qu'il se forma. Sa carrière fut fort
aventureuse, et son oeuvre semble avoir été
autant politique que religieuse. Ayant pris l'habit de moine
à son retour dans sa patrie, il se mit à
prêcher. Excommunié au concile de Latran, sous
Innocent Il, l'an 1139, il dut prendre la fuite.
Retiré en Suisse, à Zurich, il y
répandit ses principes. Dénoncé par
saint Bernard à l'évêque de Constance,
il fut inquiété dans sa retraite et repassa en
Italie. Il était à Rome, en 1145, sous
Eugène IV. Saint Bernard de Clairvaux écrivit
encore contre lui au cardinal Guidon, l'avertissant «
que sa conversation était de miel et sa doctrine un
poison. - Il a, dit-il encore, une tête de colombe et
une queue de scorpion. » Dans sa lettre à
l'évêque de Constance, saint Bernard avait
rendu involontairement un bon témoignage à son
ennemi, en disant : « Je voudrais qu'Arnaud de Brescia
eût une doctrine aussi saine que sa vie est
austère, et, si vous voulez le connaître, c'est
un homme qui n'est ni mangeur ni buveur ; avec le diable
seul il est affamé et altéré du sang
des âmes. » ( Ceci se rapporte au zèle
d'Arnaud à convertir le monde à ses doctrines.
) Sa prédication portait incessamment sur l'abus
criant de, la puissance et des richesses du clergé.
Selon Otton de Freisingen, Arnaud prêchait « que
les clercs qui avaient des propriétés, les
évêques qui possédaient des
régales, les moines qui avaient des possessions, ne
pouvaient être sauvés
(5).
Que toutes ces choses appartenaient au prince, et que sa
bénéficence ne devait les octroyer qu'à
des laïques. » Le poète Guntherus ajoute :
« qu'Arnaud méprisait les mets délicats,
l'éclat des vêtements., les plaisanteries
déplacées et les joies bruyantes du
clergé, le faste des pontifes, les moeurs
entièrement relâchées des abbés,
l'orgueil des moines. »
Après avoir
réussi à se cacher longtemps à Rome,
où ses opinions politiques étaient fort
goûtées par les Romains, il fut enfin
arrêté, en 1155, et brûlé dans
cette ville par ordre du préfet Pierre. Ses cendres
furent jetées dans le Tibre, afin que ses adeptes ne
pussent pas en faire des reliques. (OTTON DE FREISINGEN, p.
248. - NATALIS, t. VII, p. 88, 89. - DUPIN et FLEURY...
)
Tous ces antagonistes de Rome,
qui soutinrent, au XIIe siècle, la cause de la
vérité, et qui étaient liés les
uns aux autres par une origine analogue ou commune, ainsi
que par des traits de ressemblance de plus d'un genre, ont
reçu de leurs ennemis, outre le nom commun
d'hérétiques, des dénominations
particulières. Il paraîtrait aussi qu'ils se
désignèrent quelquefois eux-mêmes par
des noms de leur choix.
Flétris au Xle
siècle du nom de manichéens, comme fauteurs
des anciennes hérésies, ils furent
appelés apostoliques, au XIIe siècle, à
cause de leur prétention à mener une vie digne
de celle des apôtres. Saint Bernard désigna
surtout ainsi, par ironie, soit les disciples de Pierre de
Bruis et «Henri, soit les sectaires de Cologne.
Dès la seconde moitié du XII, siècle,
de nouvelles dénominations furent ajoutées aux
précédentes, à mesure que le vent de la
prétendue, hérésie souffla sur des
contrées nouvelles, et que quelque circonstance
particulière modifia en apparence, plus encore qu'en
réalité, le cours de cette réforme. Ils
portèrent en divers lieux le Dom de cathares ou de
purs, à cause de la pureté à laquelle
ils aspiraient (6).
En Flandres, celui de piphles, dont nous ignorons
l'étymologie ; en plusieurs localités, en
France, celui de texerans ou tisserands, d'après le
métier d'un grand nombre «entre eux. Les
hérétiques «Aquitaine qui
passèrent en Angleterre, vers l'an 1160, furent
appelés poplicains, ainsi que ceux de Vezelay,
peut-être parce qu'en attaquant le formalisme
pharisien ils faisaient ressortir l'humilité, la
repentance et la foi du publicain de l'Evangile. Le nom de
patarins ou paterins, donné en Italie, et aussi en
France, à ces mêmes personnes, dérive du
nom d'un quartier de Milan où l'on relégua, en
1058, les prêtres mariés, pour y
célébrer leur culte
(7);
ou plutôt encore il est synonyme de
persécutés, ou de réservés pour
la persécution, du verbe pati qui signifie souffrir
(8).
Il paraîtrait qu'on désigna les
hérétiques voyageurs ou missionnaires, du nom
moqueur de passagins (9).
On les appelait aussi bons-hommes ( boni homines) en
Allemagne et en France. Selon Gretser, dans la
répression des novateurs de Mayence, l'inquisition
leur demandait : « Combien de fois t'es-tu
confessé aux hérésiarques,
c'est-à-dire à ces bons-hommes qui sont venus
à toi en secret, se prétendant appelés,
en la place des apôtres, à parcourir le monde
de lieu en lieu pour y prêcher, confesser, etc.
(10)
? » Ces mêmes bonshommes étaient aussi
appelés parfaits (perfecti) par leurs
coreligionnaires; ce qui indiquait leur
supériorité éprouvée sur les
simples fidèles, désignés par le nom de
consolés ( consolati ), en raison de la paix du coeur
que l'Evangile leur procurait
(11). Le nom injurieux d'insabbatés (
mentionné pour la première fois par Eberard de
Béthune, sous cette forme : xabatatenses, de
xabatata, espèce de chaussure ) leur fut aussi
donné, parce que, dit le père Natalis, Us ne
célébraient aucun sabbat, aux jours de
fêtes, et qu'ils ne discontinuaient pas leurs travaux
les jours solennels consacrés, chez les catholiques,
à Christ, à la bienheureuse vierge et aux
saints. (Maxima Biblioth., P. P., t. XXIV, col. 1520 et
passim 1572, etc. - P. NATALiS Alexandri, etc., t. VII, p.
94, 95. )
Ce fut surtout dans le
siècle suivant, quoique l'on en puisse citer
déjà bien des exemples dans le XIIe, que les
amis des doctrines prétendues nouvelles furent
désignés par les noms de leur patrie ou de
leurs chefs particuliers. Tels furent ceux
«hérétiques provençaux,
toulousains, agenois, albigeois, picards, lombards,
bohémiens et pétrobrusiens de Pierre de Bruis,
henriciens d'Henri, arnaldistes d'Arnaud de Brescia,
arnoldistes d'un compagnon de Valdo, léonistes de
Léon, etc., etc.
Enfin, et surtout, nous devons
mentionner la dénomination la plus
célèbre et la plus digne de toute notre
attention, celle de Vaudois, qui fut habituellement
donnée par les auteurs catholiques, dès le
XIIIIe siècle, non à quelqu'une des
subdivisions de la secte prétendue
hérétique, mais à la secte
entière. Un seul témoignage suffira, entre
plusieurs, pour nous convaincre de la
généralité de cette désignation
; c'est le livre qu'a écrit, vers l'an 1254, un
célèbre inquisiteur, Rainier ou Reinier Sacco,
de l'ordre des frères prêcheurs, qui
persécuta les chrétiens opposes à Rome.
Cet ouvrage, qui traite de toutes les hérésies
et impiétés prétendues,
attribuées aux cathares, aux paterins, aux
toulousains, aux albigeois, aux passagins, aux pauvres de
Lyon, aux arnaldistes, etc., en un mot, aux sectaires du
XII,, siècle, est intitulé : Livre de Rainier,
de l'ordre des prêcheurs, contre les
hérétiques vaudois ( valdenses ). D'où
il résulte que, dès le commencement du XIIIe
siècle, le nom de Vaudois servait à
désigner tous les prétendus
hérétiques de l'époque.
Il y a plus, un auteur du XIIe
siècle, Bernard de Foncald ( Fontis-Calidi),
près de Saint-Pons, en Languedoc, qui a écrit,
selon Dupin, vers l'an 1180, nommait Vaudois ces mêmes
hérétiques, appelés bons-hommes dans
les actes du concile de Lombers. « Ces Vaudois, dit-il,
quoique condamnés par le même souverain pontife
( Lucius Il ), continuèrent à vomir, avec une
audace téméraire, au long et au large, dans le
monde entier, le poison de leur perfidie. C'est pourquoi le
seigneur Bernard (12), archevêque de Narbonne, s'opposa
à eux (au concile de Lombers, étant
évêque de Lodève ), au nom de l'Eglise,
comme une forteresse; en effet, ayant assemblé un bon
nombre de clercs et de laïques, de religieux et de
séculiers, il les appela en jugement. En un mot,
après que leur cause eut été
examinée avec un grand soin, ils furent
condamnés. » Le recueil des Historiens des
Gaules, dans un résumé qui
précède les actes du concile, confirme en
partie les faits mentionnés ci-devant. ( Voir la
citation à la marge, et Maxima Biblioth., P. P., t.
XXIV, p. 1585-1586. ) Ce nom de Vaudois ( Valdenses ),
donné aux hérétiques du midi de la
France, par un auteur contemporain et de la contrée,
est une nouvelle preuve de l'origine commune des
manifestations religieuses en deçà et
au-delà des Alpes, une confirmation de ce que nous
avons rapporté, au commencement de ce chapitre, des
relations étroites qu'ont eues certainement Pierre de
Bruis et Henri avec les chrétiens des Vallées
du Piémont . avec les héritiers des principes
de Claude de Tarin et des amis de Vigilance.
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