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TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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(Jean 17.17)
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L'ÉGLISE DE L'UNITÉ DES FRÈRES


CHAPITRE XX

L'ÉGLISE DE L'UNITÉ DANS LES PAYS DE LANGUE FRANÇAISE

 

L'Eglise de l'Unité compte, dans le cercle de ses communautés, quatre paroisses de langue française. Numériquement peu importantes, celles-ci nous semblent cependant offrir de l'intérêt aux lecteurs de ces pages par la longue activité morave qui a précédé leur naissance et qui n'a pas été sans influence sur le développement religieux des Eglises officiellement établies dans la Suisse romande.

Avant la fondation de Herrnhut déjà, Dieu avait préparé pour les Frères un pied-à-terre dans le pays de Montbéliard. C'est là qu'après avoir été réveillé à Halle par A. H. Franke, le ministre Pelletier prêchait l'Evangile en 1716.

Peu après lui, le pasteur Nardin, devint à Blamont-Montécheroux, un moyen de grande bénédiction.

Une douzaine de personnes, à partir de 17 19, s'y groupèrent pour former, en dehors des cadres ecclésiastiques officiels, des réunions intimes d'édification. On les accusa de tendances sectaires, on les cita devant le consistoire, mais le troupeau ne se dispersa pas.

Une vingtaine d'années plus tard, deux voyageurs, le Morave Bez, accompagné de M. Perret-Gentil, descendaient à l'auberge de la Pomme d'or à Montécheroux. Rendu attentif, pendant un séjour en Suisse, à l'esprit franchement évangélique des discours du pasteur Nardin, le messager de l'Eglise de l'Unité s'était senti puissamment attiré vers le foyer de lumière et de vie allumé dans le pays de Montbéliard. L'aubergiste catholique auquel les deux arrivants demandèrent s'il y avait, dans la localité, des personnes pieuses, leur répondit: « je n'en connais que deux, le curé et l'instituteur. » Déçus, mais bien décidés à continuer leurs recherches, ils repartirent pour Montbéliard. Ils y apprirent qu'ils n'avaient qu'à retourner sur leurs pas et furent munis des adresses qu'il leur fallait. Les quelques jours qu'ils passèrent au milieu des réveillés de Montécheroux, laissèrent des traces ineffaçables. « Frère Bez », dit une chronique, « fit une prière et un discours si remplis d'onction qu'il attendrit tous les coeurs. C'est depuis lors qu'on comprit et le péché et la grâce gratuite de Dieu en Jésus-Christ, le Sauveur. »

A côté du troupeau de Montécheroux vint se placer celui de la ville de Montbéliard, où travailla avec bénédiction le pasteur Duvernoy, fidèle ami des Frères et traducteur d'une brochure sur la constitution de l'Eglise de l'Unité.

Des relations fréquentes et intimes s'établirent entre ces petits cercles et Montmirail, en Suisse (1). Et quand, en 1756, se fut formée, sur les bords du Rhin, la colonie morave de Neuwied, plusieurs familles s'y transportèrent pour se joindre à l'Eglise des Frères.

Pendant que ces choses se passaient à Montbéliard (encore appartenant alors à la famille princière du Wurtemberg), les messagers de l'Eglise avaient déjà commencé à parcourir la France, cherchant des disciples de Christ et des âmes inquiètes de leur salut. A partir de 1740, nous trouvons les Cossart, les Molther, les Knoll, à Paris, à Montauban, à Bordeaux, à Saint-Hippolyte-le-Fort, à Lyon, à Nîmes, à Orange, à Marseille, « annonçant partout l'efficace du sang de Jésus ». L'un d'eux, Knoll, fit, en divers lieux, des séjours de trois mois. A Nîmes, à Marseille et à Bordeaux son passage provoqua des impressions durables, malgré l'inimitié du clergé romain. Ici encore, de précieux rapports se nouèrent entre les petits noyaux des amis et l'Eglise de l'Unité. Bon nombre de lettres s'échangèrent entre la France et Herrnhut, dans les premières années du XIX ème siècle. Le professeur Bonnard à Montauban, entre autres, écrivit ces lignes (1809) : « Aussi longtemps que je vivrai, si le Seigneur m'en fait la grâce, je souhaite n'être avec vous qu'un coeur et qu'une âme; vous m'êtes très chers à cause de votre foi. »

Ainsi se jetèrent dans le sol de la France les racines de ce qu'on appelait « le moravisme ». L'activité de l'Eglise de l'Unité s'y poursuivit sans interruption jusqu'à la guerre franco-allemande de 1870-1871 Elle avait son centre à Saint-Hippolyte-le-Fort, d'où la politique fit partir le dernier ouvrier de la diaspora morave, Bönhof.

Dans le pays de Montbéliard seul, le travail de l'Eglise de l'Unité continua sans obstacles jusqu'à nos jours. Il traversa, entre 1830 et 1840, une crise pénible; le foyer évangélique de Montécheroux (en 1839) était près de s'éteindre; mais Dieu, par le fidèle ministère du frère Schippang, établi au Locle et visitant de là le pays de Montbéliard deux fois par an, ralluma le feu et ramena la vie. Plus tard, il donna à ces contrées, dans la personne de Théodore Schütz (décédé 1875), un évangéliste aussi fervent d'esprit que puissant et humble. Le visage toujours serein, le coeur affermi par la grâce, se dépensant au service d'une tâche souvent au delà de ses forces physiques, ce frère devint pour de nombreuses âmes un conducteur à Christ et un sage et ferme pédagogue spirituel.

Sur les bords de la Thièle, près Neuchâtel, Abraham Tribolet construisit, vers 1620, un château et établit des jardins. François de Langes, baron de Lubières, ayant acquis le domaine en 1716, l'appela Montmirail. C'est sous ce nom qu'il passa, en 1722, entre les mains des de Watteville.

On sait les rapports d'intimité dans lesquels plusieurs membres de cette famille se trouvaient avec le comte de Zinzendorf. Il est naturel, dès lors, que Montmirail soit devenu le pied-à-terre des messagers de l'Eglise de l'Unité en Suisse (2). Dans l'espoir de pouvoir offrir un lieu de refuge aux protestants persécutés en France et dans les vallées vaudoises du Piémont, l'Eglise acheta, en 1742, la propriété; mais, soit la Vénérable Classe de Neuchâtel, soit les autorités du canton, s'opposèrent à la réalisation de ce plan qui échoua. Dieu avait réservé Montmirail pour une oeuvre tout à la fois plus modeste et plus grande.

Le synode de 1764 proposa d'y établir une maison d'éducation, ce qui eut lieu en 1766. Dieu, pendant plus de cent vingt ans, et au milieu de toutes les péripéties que traversa le canton de Neuchâtel au point de vue religieux et politique, bénit visiblement cet établissement, auquel il fut donné de rendre à des milliers d'élèves (près de 3700 jusqu'en 1887) des services d'une inappréciable valeur. La maison pour laquelle on avait choisi la devise: Paix, amour et simplicité (Nicolas de Watteville), ne tarda pas, en outre, à devenir, pour ses alentours, un foyer de vie et de lumière chrétiennes.

Les membres de la diaspora morave regardèrent à elle comme à une sorte de mère, toujours prête à les accueillir au nom du Seigneur. A l'heure de la révolution de 1831, elle reçut, dans la période de détresse générale, quelques familles d'opinion fort différente qui s'étaient réfugiées à la campagne. Protégée par Dieu, elle protégea les autres !

Plus de soixante-dix ans après la fondation de l'institution de Montmirail, le Seigneur ouvrit pour l'Eglise de l'Unité un nouveau champ d'activité dans la Suisse romande. Quelques pères de famille de Bâle, désireux de posséder dans la Suisse romande une maison d'éducation chrétienne pour leurs fils, établirent à Lausanne, en 1837, un pensionnat pour jeunes gens. L'institution, placée d'abord sous la direction de l'Eglise morave, finit par passer entièrement entre les mains de celle-ci qui en fit l'acquisition. Grâce à la bénédiction de Dieu qui accompagna le long et fidèle travail de H. B. Reichel, et de son excellente épouse, l'oeuvre prospéra à vue d'oeil. De nombreux élèves (1370 jusqu'en 1887) firent dans la pension des séjours richement bénis pour plusieurs. La vieille maison de la Cité jouissait d'un respect général et répandait dans la ville sa modeste lumière. Aussi ne fut-ce pas sans regret que Lausanne, en 1873, vit le pensionnat transféré au château de Prangins, près Nyon, que l'Eglise de l'Unité, ensuite d'un paragraphe nouveau, généreusement intercalé dans la loi vaudoise par le Grand Conseil du canton, avait reçu la permission d'acheter à cet effet.

Mais ce ne fut pas aux élèves de ces deux établissements que se borna, dans la Suisse française, l'influence de l'Eglise morave.

L'on se souvient qu'en 1741, le comte de Zinzendorf, obéissant à un appel intérieur, s'était rendu à Genève avec un nombreux cortège de frères et de soeurs. Arrivé dans cette ville à l'heure où l'incrédulité y faisait de grands progrès et où la philosophie française, quoique combattue par le clergé, gagnait de nombreux et fervents adeptes, il s'empressa d'établir des réunions publiques pour proclamer les grandes vérités de la rédemption par Christ et de la justification du pécheur par le sang du Sauveur. Le clergé, sans cacher ses sentiments de méfiance, traita le comte avec politesse. La plèbe lança des pierres. Beaucoup de personnes (600 - 700) se groupèrent, avides de vérité et de vie chrétiennes. Le troupeau morave de Genève, sans se détacher de l'Eglise établie, devint un sel qui travaillait et une lumière qui brillait. Et quand, au commencement du XIX ème siècle, des jours nouveaux se levèrent sur l'Eglise de la ville, le mouvement, dans une grande mesure, eut pour point de départ les cercles moraves. « Le réveil de Genève (3) fut moins, dans le principe, un réveil nouveau que la conséquence de celui qui s'était opéré lors du passage de Zinzendorf.... Las de n'entendre pour l'ordinaire dans les temples que les froids et impuissants discours d'une morale tout humaine, quelques jeunes gens (Ami Bost, L. Empeytaz et d'autres) demandaient aux assemblées moraves la pâture dont ils sentaient le besoin. C'est là qu'ils allaient chercher cette paix intérieure que seule peut donner une foi simple au Seigneur Jésus Les évangélistes moraves n'avaient certes ni le savoir ni l'éloquence de nos pasteurs, mais ils adressaient, dans un langage simple et tout biblique, les âmes travaillées à Celui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Le réveil de Genève, dans sa phase initiale, est essentiellement morave. »

A son retour de Genève, Zinzendorf séjourna à Yverdon. Sa parole y embrasa un feu dont les étincelles, volant d'étape en étape, se répandirent sur de nombreuses localités du jura vaudois et neuchâtelois. Quelques ouvriers de Sainte-Croix, mis en relation avec les réveillés d'Yverdon, emportèrent avec eux les messages de l'Evangile qu'ils avaient entendus. Il se forma des noyaux évangéliques à Sainte-Croix (4), puis à la Côte aux Fées, à Buttes, à Saint-Sulpice, à Travers, aux Ponts de Martel, au Locle. Fidèlement visités par les frères H. Mettetal, Mérillat et autres, ils crûrent dans la grâce et dans la connaissance du Seigneur Jésus. Un grand nombre d'âmes isolées aussi, disséminées dans les montagnes de Travers et des Ponts de Martel, tirèrent un précieux profit de ces ministères, accomplis avec autant de sagesse que de simplicité chrétiennes.

Pendant que ce mouvement, parti de la ville d'Yverdon, se propageait au loin, Dieu créa à Travers un second centre de lumière évangélique, un second point de départ de vie spirituelle aussi. Il donna, en 1788, à ce village le pasteur Péters, placé dès sa jeunesse sous le souffle de la piété morave et lié d'amitié avec quelques frères, s'encourageant les uns les autres à ne plus vouloir parler, dans leurs prédications, que de Jésus-Christ, le Crucifié. Enigme pour bien des gens qui, tout en l'aimant à cause de l'aménité de ses manières, lui en voulaient d'être « Morave » et d'avoir, en religion, des idées hétérodoxes, puisqu'il appelait Jésus « son cher Sauveur et Dieu », Péters réussit néanmoins à organiser, au sein de sa paroisse, un troupeau rempli de vie chrétienne, petite Eglise dans la grande, foyer de riche bénédiction pour plusieurs. Symptôme remarquable aux jours de l'orthodoxie froide et morte dans le pays de Neuchâtel! Témoignage frappant à l'appui de ce fait que l'Eglise de l'Unité faisait valoir, jusque dans les rangs du clergé neuchâtelois, une influence puissante et bénie!

Le jura bernois aussi vit se former une diaspora morave. A Moutier-Grandval se constitua, par l'activité de Henri Mérillat, un groupe d'âmes réveillées et unies les unes aux autres dans l'amour et dans la foi. Plein de respect pour le pasteur du village, mais soutenant avec courage le droit de la libre association religieuse sous le drapeau de Christ, Mérillat dirigea jusqu'en 1825, avec sagesse et fidélité, cette oeuvre dont il avait été l'instrument choisi par Dieu.

Dans tous les cercles de la diaspora française, on se nourrissait, spirituellement, des cantiques moraves mal traduits, fort souvent, péchant contre les règles de la versification, mais respirant l'Esprit de l'Eglise de l'Unité, parlant au coeur de la grâce gratuite de Dieu en Jésus-Christ, et dévoilant les expériences les plus intimes Île l'âme. Plusieurs d'entre eux (5) passèrent dans les recueils de cantiques d'autres Eglises. Quelques-uns devinrent un trésor commun des Eglises du protestantisme français.

L'Idea fidei Fratrum, exposition de la doctrine chrétienne, par Spangenberg, ne jouissait pas d'une moindre estime. Traduit en français, ce livre fut comme une grande lumière éclairant et réchauffant les coeurs. « Des pasteurs s'en servirent pour l'instruction de leurs catéchumènes, ce qui donna à cet enseignement une saveur évangélique qu'on ne retrouvait pas dans la prédication des mêmes hommes. »

Les Paroles et Textes, publiés en français et imprimés en Suisse depuis 1807, accomplirent à leur tour un humble ministère de paix. Ce modeste volume, répandu de plus en plus dans les cercles chrétiens les plus divers, devint « la lampe que l'Eglise de l'Unité remet chaque matin à des milliers de mains », afin qu'elle verse sur la journée un rayon de lumière d'En - Haut. A ces Publications) il faut ajouter celle du journal de l'Unité des Frères. Fondé, en 1835, par le ministre Linder de Bâle, placé, à partir de 1840, sous le patronage d'un groupe d'amis et de frères du Locle, ce journal passa, en 1864, sous la direction distinguée d'Eugène Reichel qui lui assura de nombreux et fidèles lecteurs. (6)

Ainsi l'Eglise de l'Unité poursuivait, dès longtemps déjà, au sein de l'Eglise neuchâteloise, une oeuvre qui n'était pas demeurée sans fruit pour celle-ci. « Les troupeaux moraves formèrent dans plusieurs paroisses du canton des noyaux qui exerçaient une bonne influence sur les autres membres de l'Eglise établie. Lorsque les visites de l'évangéliste morave devinrent régulières, les personnes rattachées aux Frères n'aimèrent pas moins leur pasteur, mais celui-ci savait qu'elles ne se donnaient complètement qu'au Morave. Aussi les âmes groupées pour les réunions de l'Eglise des Frères, étaient-elles la joie du pasteur. » (7)

Un détail contribua puissamment au maintien de ces bons rapports. Les Frères, de tout temps, étaient les ennemis déclarés de la dissidence. Ils édifiaient l'Eglise établie, ils ne la détruisaient pas ; et cela, tout en se rendant compte des trésors de connaissance et d'expérience spirituelles qu'ils possédaient, de préférence à tel conducteur de l'Eglise officielle du pays.

On remarquera ce fait en comparant la manière d'agir des évangélistes sortis, en 1819, des rangs de la jeune Eglise du Bourg-de-Four, à Genève, avec celle des messagers de l'Eglise de l'Unité. Arrivés à Moûtier et à Sainte-Croix, F. Neff et A. Porchat, de Genève, y prêchèrent la séparation d'avec l'Eglise établie. « Il (Porchat) (8) dépeignit sous les couleurs les plus vives la corruption des soi-disant chrétiens. Leur culte dans les temples n'était, selon lui, autre chose qu'un acte d'hypocrisie; leur Cène, une profanation; leur clergé, un groupe de mercenaires. » Au contact de ces doctrines, ignorées jusqu'alors au sein des troupeaux moraves, les esprits se troublèrent. La joie d'avoir rencontré dans les Genevois des frères à aimer, se trouva mêlée la crainte d'être entraîné loin du chemin de la simplicité et de la charité chrétiennes. Les autorités ecclésiastiques s'émurent. Il fallut, de la part des Moraves, la déclaration formelle qu'ils n'approuvaient pas les vues des nouveaux venus, et l'oeuvre, après un moment de crise, reprit sa marche paisible. (9)

D'accord avec ses devanciers dans l'oeuvre de la diaspora morave en pays romand, Théodore Schütz (1850-1875) « marchait la main dans la main avec l'Eglise nationale. Les sourdes menées des sectes qu'il avait souvent l'occasion d'observer dans ses voyages, lui inspiraient un profond dégoût. Avait-il affaire à un dissident qui mettait ses idées particulières au-dessus des trésors communs à tous les enfants de Dieu, il pouvait lui arriver d'opposer à cet esprit sectaire toute l'indignation d'un coeur qui se sent froissé dans ses plus chères affections. Rencontrait-il, en revanche, des frères qui mettaient l'amour pour le Sauveur au-dessus. de tout le reste, il fraternisait et jouissait avec eux, à quelque Eglise, dénomination ou secte qu'ils appartinssent. »

La direction de Montmirail, aussi, demeura fidèle aux principes qu'on pratiquait dans la diaspora. Les catéchumènes de l'institut suivirent jusqu'en 1803 les cours d'instruction religieuse du pasteur de Cornaux. En 1853 seulement, soit presque un siècle après la fondation du pensionnat, on se décida à les admettre à la Cène à Montmirail même, en dehors de l'Eglise nationale.

Nous ne saurions passer sous silence un dernier service qu'il a été donné à l'Eglise de l'Unité de rendre aux Eglises protestantes de langue française. Aune époque où l'intérêt pour les Missions parmi les païens commençait seulement à se réveiller dans la Suisse romande, l'Eglise morave, par la voie de ses publications et, plus tard, par le ministère d'Eugène Reichel, plaida puissamment cette grande et belle cause. Dieu lui fit la grâce de pouvoir appeler ses Eglises soeurs au saint combat. Elle vit naître le zèle missionnaire, les vocations pour le service de Dieu en pays païens, les saintes ambitions de l'heure présente. Aujourd'hui, celui qui sème et celui qui moissonne, sont ensemble dans la joie. (Jean 4, 36).

Pendant que l'Eglise de l'Unité continuait l'activité rapidement esquissée, quelques-uns de ses cercles se groupèrent plus étroitement. Le troupeau du Locle reçut en 1837 une organisation qui, tout en le laissant étroitement rattaché à l'Eglise établie, faisait de lui une petite Eglise dans l'Eglise. Cela se répéta pour les troupeaux de la Chaux-de-Fonds et de Peseux, formés, l'un et l'autre, par l'intermédiaire des Frères du Locle. Mais de là à l'établissement d'Eglises distinctes et séparées, il y avait fort loin. Pendant plus de vingt ans, le directoire de l'Eglise de l'Unité répondit négativement à toute demande de séparation. Ni à Montmirail, ni ailleurs, il ne crut devoir céder à ce sujet aux instances multipliées de quelques membres de la diaspora de langue française.

Sur ces entrefaites, arriva, pour le canton de Neuchâtel, la crise ecclésiastique de 873. En face d'un projet de loi dont J'adoption semblait devoir entraîner la désorganisation complète de l'Eglise du pays, mise en demeure de se déclarer par les membres de sa diaspora inquiète de l'état de choses nouveau qui s'annonçait menaçant pour la vie religieuse du canton, croyant enfin reconnaître le doigt de Dieu, l'Eglise de l'Unité finit par accorder ce à quoi elle s'était toujours refusée. Après avoir averti le président du Synode de l'Eglise nationale neuchâteloise par une lettre datée du 12 mai (10), elle déclara avoir consenti à la formation de quelques paroisses moraves sur le sol neuchâtelois. Ce furent celles du Locle, de la Chaux-de-Fonds, de Peseux et de Montmirail qui reçurent chacune son pasteur, chargé de la prédication, de l'administration des sacrements et de la cure d'âmes. Le synode provincial de Herrnhut de 1878 confirma la décision qui avait été prise, et assura aux quatre petites Eglises de langue française, leur place au foyer morave.

Nous n'ignorons pas que ce fait a été peu compris, vivement blâmé et sincèrement regretté. Mais à ceux qui auraient désiré nous voir choisir un autre chemin, nous répondrons que la force des circonstances, ainsi que la conviction d'accomplir la volonté de Dieu, nous ont seuls dirigés. Ennemis déclarés de toute scission parce que fidèles à l'esprit de l'Eglise de l'Unité, nous avons retenu nos troupeaux dans les cadres ecclésiastiques officiels jusqu'au moment où ceux-ci se furent brisés. Ce fait accompli, il fallait écouter la voix de ceux qui devaient à l'Eglise de l'Unité les plus précieuses expériences de leur vie chrétienne et qui se sentaient attachés à elle comme à nul autre corps spirituel. L'oeuvre de la diaspora, d'ailleurs, sous son ancienne forme, avait perdu de sa valeur. Le souffle de Dieu pénétrait, bien plus qu'autrefois, les Eglises établies. Il ne leur fallait plus l'humble ministère des Frères moraves.

Ainsi l'Eglise de l'Unité, congédiée de sa place de servante auprès de l'Eglise du pays et élevée, par des événements que Dieu avait permis, à une position nouvelle, vint occuper sa place de soeur à côté des Eglises nationale et indépendante du canton.

Jusqu'à quand le Seigneur voudra-t-il la laisser là où il l'a mise ? Croîtra-t-elle numériquement ou non? Sans nous préoccuper de cette question secondaire, nous nous bornons à demander à Dieu de tout diriger pour elle selon son bon plaisir et pour le seul bien de sa sainte cause.



Table des matières

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(1) A Montécheroux et ailleurs, on appelait Montmirail la maison du désir.
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(2) Des Frères moraves étaient établis à Bâle, Zurich, Berne, Lausanne (1742), Genève (1745) et dans les Grisons où leur influence était très considérable. Le comte de Zinzendorf lui-même séjourna à Montmirail en 1741 et en 1757, la dernière fois pendant dix semaines.
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(3) Notice historique sur l'Eglise évangélique libre de Genève par E. Guers (p. 10, 11).
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(4) A l'époque de la formation de l'Eglise libre de Sainte-Croix, un tiers des personnes se rattachant à cette dénomination, appartenaient à la diaspora morave.
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(5) Rien, ô Jésus, que ta grâce &c., Trésor incomparable &c., et d'autres.
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(6) Nous mentionnerons encore parmi les publications moraves de langue française:
La vie de Spangenberg.
L'abrégé historique des livres de l'ancien Testament par Jérémie Risler.
La saine doctrine, tirée des écrits des plus célèbres docteurs de l'Eglise réformée.
Les discours de Zinzendorf sur l'Evangile selon St-Matthieu.
Le grand jour de la réconciliation.
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(7) Témoignage d'un pasteur de l'Eglise de Neuchâtel.
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(8) Rapport du frère H. Mérillat de 1819.
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(9) « J'ai eu la joie que le Seigneur m'a légitimé dans l'esprit du pasteur de Sainte-Croix qui m'a témoigné beaucoup de confiance. Il m'a fait part d'une lettre qu'il avait écrite au gouvernement, afin de mettre fin au schisme produit dans sa paroisse par le moyen des Genevois. Dans son rapport, il distingue, le plus avantageusement, la société morave, laquelle existe, dit-il, depuis cinquante ans sans jamais avoir donné le moindre sujet de plainte, et qui s'est toujours montrée très assidue au culte public et en bon exemple à chacun. Il prie, par conséquent, le gouvernement de nous conserver sa protection » (H. Mérillat, rapport de 1819).
« Je passerai sous silence toutes les discussions que j'ai eues avec les préposés de la nouvelle Eglise de Genève sur leur système de séparation, ainsi que sur le baptême des enfants, qu'ils envisagent comme non valable. J'ai tâché de pouvoir fraterniser avec eux en bonne conscience... je n'ai pu m'empêcher de leur dire que je ne pouvais nullement approuver leur façon d'agir envers les ministres du culte qu'ils méprisent. Cependant. j'ai assisté avec bien de l'édification à leurs assemblées où la doctrine du Sauveur est annoncée avec onction et bénédiction ».
« Il est bien regrettable que cette nouvelle vie soit accompagnée de tant de maladies et d'infirmités spirituelles » (Idem).
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(10) A Monsieur le pasteur Perret, président du synode de l'Eglise nationale neuchâteloise.
Monsieur le Président et très honoré frère,
Vous n'ignorez pas que l'Eglise des Frères exerce, depuis bon nombre d'années, au sein de l'Eglise neuchâteloise, une activité semblable à celle qu'elle poursuit, sous le nom de l'oeuvre de la diaspora, dans les Eglises nationales de tous les pays protestants de l'Europe.
Cette oeuvre consiste à grouper spirituellement, sans les enlever pour cela à leurs Eglises respectives, les chrétiens qui sentent le besoin de sortir d'un isolement toujours funeste à la vie spirituelle de l'individu et de l'Eglise, et de mettre en pratique la communion fraternelle.
Notre activité dans le canton de Neuchâtel ne s'est étendue que sur un petit nombre de paroisses, et, dans celles-ci, sur quelques âmes seulement. Elle a fait, par conséquent, peu de bruit, et elle est restée d'autant plus inaperçue qu'elle a plus soigneusement évité tout prosélytisme.
En effet, bien que l'Eglise des Frères jouisse, en plusieurs pays, d'une organisation ecclésiastique bien établie et légalement reconnue, elle a renoncé, de son plein gré, à faire valoir son caractère d'Eglise partout où elle travaille sur le terrain d'autres Eglises amies, et, par son oeuvre de diaspora, elle s'est mise, en quelque sorte, au service de ses soeurs.
C'est là aussi la position que nous avons occupée, jusqu'ici, au milieu de l'Eglise nationale neuchâteloise, à la prospérité de laquelle nous avons toujours pris l'intérêt le plus sympathique.
C'est donc avec une vive peine que nous avons assisté aux derniers événements et, en particulier, à la présentation d'un projet de loi ecclésiastique dont l'adoption entraînerait la désorganisation complète, sinon la ruine de l'Eglise actuelle du pays.
Or, ce qui nous a douloureusement affectés, a vivement alarmé tous les membres fidèles de notre Eglise et, parmi eux, les quelques personnes qui se rattachent à notre diaspora. Plusieurs de celles-ci ont cru devoir nous faire part des sujets d'inquiétude qui les préoccupent. Nous ne saurions plus reconnaître, ont-elles déclaré, notre chère Eglise neuchâteloise dans cet assemblage de paroisses que la nouvelle loi veut substituer à l'Eglise actuelle, - dans culte nouvelle institution qui sera asservie au bon plaisir de nos corps politiques et dans laquelle tout citoyen, porteur d'un diplôme quelconque, pourra nous être octroyé comme pasteur par un corps électoral qui n'offrira plus aucune garantie, - et nous vous demandons, en conséquence, de nous accorder un asile dans l'Eglise des Frères que nous connaissons et aimons depuis longtemps, sans en avoir fait partie jusqu'ici.
Ainsi mis en demeure, nous nous sommes posé la question de savoir si nous serions tenus de vivre avec l'Eglise altérée par la nouvelle loi ecclésiastique, dans les mêmes rapports que nous avons toujours soutenus avec l'Eglise actuelle du pays.
Après mûre réflexion, et après en avoir référé à la direction centrale de notre Eglise, nous avons cru devoir répondre négativement à cette question, et, sans vouloir déclarer dès maintenant notre constitution en Eglise dans ce pays, nous nous réservons néanmoins la liberté, dans le cas où le projet de loi serait adopté dans ses dispositions essentielles et mis en vigueur, d'agir selon ce que nous croyons être la volonté du Seigneur à notre égard, et, le cas échéant, de recevoir membres de notre Eglise ceux qui pourraient nous en faire la demande.
En agissant de la sorte, nous n'aurions d'autre but que celui de contribuer, non seulement au bien des quelques personnes qui se sentent attirées vers notre organisation ecclésiastique, mais aussi de travailler, comme par le passé, dans un accord parfait et en sincère communion fraternelle avec tous les conducteurs fidèles de l'Eglise neuchâteloise qui, sous quelque forme que ce soit, continueront à vouer leurs forces à la construction, dans ce pays, d'un temple spirituel et impérissable au sein des ruines d'un temple vénérable, mais humain.
C'est dans cette conviction intime que nous avons senti le besoin de vous adresser cette communication, Monsieur le Président, en vous priant, si vous le jugez convenable, d'en faire part au synode.
Nous saisissons cette occasion pour vous assurer, Monsieur et très honoré frère, de nos sentiments de respectueuse affection fraternelle, en. Jésus, notre commun Sauveur et Maître.

 

Montmirail, le 12 mai 1873.

Au nom des ouvriers de l'Eglise des Frères dans le canton de Neuchâtel, Th. Richard.

 

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