Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Deux compagnons d'infortune 

Jérémie DUPUY, de Caraman - Jean MASCARENC, de Castres


 LETTRE DE MASCARENC A SA MÈRE

 

du 10 may 1687

MADEMOISELLE MA MÈRE,

 

Vous verrès par la lettre que j'écris à ma femme ce qui se parla lorsque je fus sur la selette. Grâces à Dieu, je ne fus point étonné non plus que présentement par la crainte des peines qui me paroissoient: presque inévitables. Si j'évite les galères, ce sera aparament pour aller dans cest exil qui effraye tant de monde ; mais j'espère que je trouveray partout Dieu qui sera toujours mon consolateur et qui me soutiendra jusqu'au dernier moment de ma vie ; c'est luy qui me donne la force de regarder avec un visage assuré toutes les peines qu ' on me prépare et qui m'aydera à les supporter constamment afin de luy estre fidelle jusqu'à la mort.

Il y a toutes les apparences que je ne seray ici que fort peu de jours. Vous vous imaginès bien que la plus grande consolation que j'attends du cotté du monde est de vous voir avant que je parte. je viens de voir un moment Mme de Moulens par une grille, qui m'a demande si je changeois de lieu. je luy ay répondu que je n'en sçavois rien, et elle m'a dit qu'il n'y avoit plus de retardement pour elle et qu'elle partoit demain pour Montpellier. Je n'ay point encore veu mon procureur ; j'ay seulement apris que notre affaire etoit renvoyée au greffe pour conclure ; je ne sais point à cette heure ce qu'il faut faire. je souhaiterois bien de voir mon fils, mais j'apréhende que cela ne puisse se faire qu'avec beaucoup d'embarras. je luy envoie mes bénédictions. Gardès tout ce qui pourra un jour le faire souvenir de moy et de l'exemple que Dieu me fait la grâce de luy donner. je souhaite toute sorte de bénédictions à toute la famille. Dieu veuille vous tenir en paix. je suis, avec toute sorte de respect, Mademoiselle ma mère, votre très humble et obéissant serviteur.

MASCARENC.

 

J'ay pris autres cinq écus que j'ay presque déjà achevés. Le capitaine du guet vient de dire au garçon fayancier qu'il prit garde à luy, et qu'il le conduiroit après qu'il seroit revenu de la conduitte de Mme de Moulens. Ce matin, 11 may,

Mme de Moulens est partie pour Montpellier (1), et j'ay apris qu'on a écrit pour sçavoir ce que le Roy veut faire de nous, n'ayant trouvé de quoy nous condamner.

Voici enfin la prière en vers que Mascarenc composa peu après son audition sur la sellette elle s'adapte à la mélodie du Psaume 79

.

CANTIQUE COMPOSÉ
DANS LES PRISONS DE L'HÔTEL DE VILLE
PAR MASCARENC EN 1687

 

1
0 Roy des roys souveraine puissance,
En qui j'ay mis toute ma confiance,
Assiste-moy par ta force invincible
Et l'on verra ce qu'on croit impossible.
Entretiens dans mon coeur
La céleste vigueur
Qui prend de toy sa source,
Et sans jamais broncher
On me verra marcher
jusqu'au bout de ma course.
 
2
Pour m'empêcher de fournir ma carrière
On veut m'ôter ce que j'ay de lumière,
Et l'on mettra bientôt tout en usage
Pour essayer d'ébranler mon courage.
Déjà privé du jour
Dans cest affreux séjour
Rempli d'objets funèbres,
On offre à tout moment
A mon entendement
Les plus noires ténèbres.
 
3
Puisque je vois l'erreur et le mensonge,
Ne permets pas que mon âme s'y plonge,
Que ton Esprit qui daigne me conduire
Chasse du mien ce qui peut me séduire.
Que les biens advenir
M'ôtent le souvenir
De ceux que j'abandonne,
Au milieu des liens
Et des maux que je crains,
Montre-moy la couronne.
 
4
Satan qui voit qu'un généreux martire
Sera toujours fatal à son empire,
A pris les soins à me forger des crimes
Afin qu'on crut mes peines légitimes.
Seigneur, rends ses desseins
Inutiles et vains,
Et fais-partout entendre
Que l'on poursuit en moy
Ta pure et sainte loy
Que l'on veut me deffendre.
 
5
Je t'ay suivi, je veux encor te suivre,
Privé de toy, Seigneur, je ne puis vivre,
je suis à toy et je te sacrifie
Ma liberté, mon repos et ma vie.
Je sçay que ton pouvoir
Egale ton vouloir
Et que ta Providence,
Malgré tous les humains,
Peut m'arracher des mains
De quiconque m'offense.
 
6
Mais si ta main, des prisons les plus fortes
Ne brise pas les grilles et les portes
Et pour bientôt mettre fin à mes peines,
Faire tomber et mes fers et mes chaînes,
Au moins accorde-moy
L'espérance et la foy,
Et cette patience
Qui triomphe de tout
Et qui jusques au bout
Soutienne ma constance.

 

.

 

Nous plaçons ici une lettre écrite par Mascarenc à son avocat et qui renferme des renseignements précieux :

LETTRE DE M. MASCARENC A M. DE VIE,
son advocat, escrite des prisons de l'Hôtel de Ville
(de Toulouse), en 1687, du 1er décembre

 

MONSIEUR,

J'ay jetté les yeux sur vous [pour vous] prier de défendre mon droit et de le mettre en évidence parce que je ne connois point d'advocat plus éclairé, soit par l'estude, soit par l'expérience, ni plus intègre, ni moins capable de se laisser préoccuper par un zèle de religion mal réglé et mal conduit.

1° je fais profession de la Religion Réformée, et je suis en prison poursuivi comme ayant contrevenu à la déclaration du Roy, qui déffend à ses sujets de sortir du royaume.

2°, J'ay esté arrêtté à Agen le 20 ou le 21 de février (2) de l'année 1686 (ma femme estant avec moy) par le Sr chevalier de Grammond, lieutenant de dragons, et conduit par luy et plusieurs autres officiers, accompagné de soldats au logis de St-jacques. De là, après avoir esté séparé de ma femme, je fus mené aux prisons du présidial d'Agen, avec quelques autres qu'on avoit arrettés. Une heure après, je fus visité par un sergent et un soldat du régiment de Tourayne, qui me prirent mes tablettes, après que je les eus ouvertes en présence du concierge ; dans ces tablettes, il y avoit seulement un papier volant d'un cart de feuille, sur lequel estoit marqué un cadran. Ces tablettes furent portées aux officiers qui commandaient les troupes qui pour lors estoient à Agen.

3° Deux ou trois jours après, je fus interrogé par un officier de Robe qu'on appelle Lieutenant du Présidial d'Agen, devant quy je demanday mon renvoy devant mon juge naturel, et quoyque j'eusse résolu de ne répondre à aucun de ses interrogatoires, néanmoins il ne fut pas en mon pouvoir de me contenir lorsque, m'ayant représenté mes tablettes, il s'y trouva un sonnet en langage de Gascogne, fait à ce qu'il me dit en dérision des conversions quy se faisoient. je présume que M" les officiers du régiment de Tourayne, par les mains de quy mes tablettes passèrent, l'y mirent.

Je me contentay de protester que je n'avois point composé, ny écrit, ny leu, ny entendu lire ledit sonnet, et qu'il avoit esté mis dans mes tablettes depuis que je les avois remises entre les mains du sergent et du soldat, et de cela les appellay à témoins avec le concierge. Ma protestation fut écrite même sur le sonnet.

4° Après une audition faite douze ou quinze jours après, dans laquelle j'insistay toujours à demander mon renvoy, je fus conduit à Castres avec Mr Dupuy, maintenant prisonnier à la Conciergerie, prévenu du même cas. Il fut arretté le même jour que moy, et c'est la première connoissance que j'ay faite avec luy. Quelques jours après que nous fûmes à Castres, dans les prisons de la Tour-Caudière, Mr Barbara, juge criminel, procéda à mon audition.

5° Il me demanda s'il n'étoit vray que j'avois quitté ma maison de Castres, pour aller à la campagne au commencement de l'esté de l'année 1685, à quoy je répondis que j'avois passé l'esté avec ma femme à un bien que j'avois du cotté d'Anglès, pour y faire faire la saison et ensuite la récolte et pendant ce temps-là y faire agrandir mon logement, qui ne consistoit pour lors qu'en une chambre, afin de pouvoir plus comodement y passer un ou deux mois tous les étés.

6° Il me demanda si, estant revenu à Castres, vers la fin de l'esté, je ne m'en estois retourné à ma metérie, à quoy je répondis qu'ouy.

7° Il me demanda pourquoy, environ le 10 ou 12 octobre 1684 (1685), j'avois avec ma femme quitté ma maison de campagne. je répondis que, pour lors, ma femme estoit enceinte et prette à accoucher dans sept ou huit jours, et qu'elle fut si fort effrayée par le bruit qui couroit que des gens de guerre devoient venir à discrétion à Castres et à Anglès, comme ils estoient déjà venus dans les villes circonvoisines, et que notre maison en devoit être remplie, il me fut impossible de la faire revenir de son effroy, de sorte que voyant qu'elle estoit en danger de périr avec l'enfant qu'elle portoit, je fus luy chercher un asyle chez quelques paysans de la Montagne-Noire ou des environs, où nous passâmes une partie de l'hiver. Pendant ce temps, elle accoucha d'un enfant mâle nommé Jean-Paul Mascarenc (qui est maintenant à Castres).

8°, Il me demanda pourquoy etois-je venu à Toulouse. je répondis qu'ayant [oui dire] que vingt-deux soldats du régiment de Conismark (après avoir vendu tous mes cabaux (bestiaux) et tous les foins et la paille qu'ils trouvèrent dans mes météries avec tous mes meubles) se détachoient la nuit pour nous prendre, cela redoubla si fort l'effroy que ma femme avoit déjà, que nous fûmes obligés de nous éloigner, d'autant plus que nous ne pouvions plus rester dans les lieux où nous fussions connus à cause d'une ordonnance de Monseigneur l'Intendant, qui déffend de loger des gens de la Religion à peine de 500 livres d'amende, et que d'ailleurs l'édit du Roy qui révoque celuy de Nantes dans l'article 12 nous donnoit la liberté d'aller dans toutes les villes du royaume sans y être troublés pour la religion.

9° Il me demanda pourquoy je n'avois resté à Toulouse et pourquoy je me sois embarqué sur la Garonne dans le bateau de poste ; à quoy je répondis que n'ayant pas cru pouvoir rester en sûreté dans Toulouse pour y être trop connu, j'avois résolu d'aller dans les villes où, ne l'estant pas, je puisse attendre avec moins d'allarmes ce qu'il plairoit au Roy d'ordonner à l'égard de ses sujets de la R.P.R., qui ne voudroient pas changer, car bien que par l'édit de Sa Majesté, il feut déffendu de les troubler, néanmoins plusieurs particuliers abusoient de leur pouvoir et du tems pour persécuter ceux contre lesquels ils avoient quelque ressentiment, et que parce que ma femme n'étoit pas encore bien remise d'une rechute qu'elle eut dans cet accoucher, ny par conséquent en estat d'aller commodément à cheval, je résolus de nous embarquer sur la Garonne, dans le bateau qui part ordinairement pour Agen. Et qu'estant arrivé à Agen, je crus n'y pouvoir rester en sûreté, parce que j'appris que le sieur de Romens (3), natif de Castres, à qui jettois connu, commandoit les troupes qui estoient dans la ville en qualité de plus ancien capitaine, que je vis quelques autres officiers de quy ma femme et moy estions connus, et que j'entendis dire qu'on avoit arretté des gens de la Religion. Tout cela m'obligea à m'en aller promptement au bateau qui partoit pour Bordeaux, dans lequel je ne fus pas plustôt que le Sr chevalier de Grammont estant venu, me demanda si je ne faisois pas profession de la Religion prétendue Réformée, à quy je répondis qu'ouy ; sur quoy il nous fit commandement, à ma femme et à moy, de la part du Roy, de le suivre et nous obéismes.

10° M. Barbara, juge criminel, me demanda encore s'il n'étoit pas vray que je voulus quitter le royaume ; à quoy je répondis que j'aymois trop ma patrie pour vouloir la quitter [à moins] que d'y être forcé.

11° Il me demanda ensuitte si je n'avois pas tait complot avec M. Dupuy, de Carmaing, M. de Moulens et Mlle sa femme, le Sr Caudier et sa femme, habitans de Bruniquel, à trois lieues de Montauban, et le Sr Malabiou (qui est présentement à Castres.), de quitter le royaume. je deniay ledit interrogatoire, et j'avouay que je ne connoissois pas du tout M. Dupuy, ny le Sr Caudier, ny sa femme, que je ne connoissois que de vue M. Moulens et Mme sa femme, qu'ils estoient éloignés du lieu de mon habitation, les uns de neuf ou dix lieues, et les autres de douze ou quinze lieues. J'avouay qu'en venant à Toulouse, j'avois fait rencontre du sieur Malabiou, qui me dit qu'il alloit à la foire de Bordeaux sur un cheval qu'il montoit (il appartenoit à M. Barbara juge) et je fus surpris de trouver ensuitte ledit Sr Malabiou en bateau, et luy demanday ce qu'il avoit fait de son cheval.

12° Il me demanda ensuitte pourquoy j'avois eu dessein de m'en aller à Bordeaux ; à quoi je répondis que c'estoit parce que je n'avois pu rester en sûreté à Agen, et que j'esperois de pouvoir passer quelques jours en repos et sans qu'on prit garde à moy, au moins durant la foire quy commençoit: dans sept ou huit jours (et j'avois resollu de m'arrêter à La Réole ou en quelqu'autre lieu en cas que j'y eusse trouvé la sûreté et le repos que je cherchois).

Quatre de mes metayers de differantes metéries déposent que je suis parti de ma métérie de Carrelle, où j'avois passé l'esté, et qu'ils n'ont point seu où j'étois allé. L'un d'eux dit que je suis party de nuit avec ma femme ; vous verrès nia réponse dans l'article 7.

Deux consuls d'Anglès déposent que lorsque vingt soldats du régiment de Conismark et un sergent commendés par un officier feurent allés à ma metérie de Carrelle, quelqu'un d'entr'eux revint à Anglès dire qu'il ne m'y avoit point trouvé. Vous verrès ma réponse dans l'article 7.

Un nommé Durraquy, précepteur chez un gentilhomme, dépose qu'ayant esté interrogé par ce gentilhomme chez quy il estoit, si je ne voulois pas changer de religion, je répondis que j'etois persuadé de la vérité de nia religion, et que je voulois y persévérer toute ma vie. Non seulement j'accorday le fait, mais outre cela je dis à M. Barbara qui me confrontoit ces témoins, que s'il prenoit la peine de me faire la même demande, je luy ferois la même réponse.

Par sentence du mois d'avril 1686, M. Dupuy et moy avons été condamnés aux galères perpétuelles, nos biens confisqués et mille écus d'amande envers le Roy, nous avons esté menés de suitte au parlement de la Prévosté de Toulouse, on nous sépara quelques jours après, M. Dupuy est resté à la Conciergerie, et j'ay esté transféré aux prisons de l'hostel de ville, d'où je vous écris.

Un an après, savoir le 7 may de la présente année 1687, nous avons esté mis sur la sellette, où M" les Conseillers de la Tournelle me firent quelques interroges de ceux que je vous ay cidessus spécifiés, et le reste de mon audition fut employé en questions de controverse qui ne touchent en rien à ce que je souhaite maintenant de vous. Car quoique ma religion passe pour un crime, et que je vois bien que sans ma religion je ne serois à l'estat où je suis, je ne prétends point me justifier de ce crime prétendu et j'ayme mieux être toujours criminel de cette manière que recouvrer tout ce que j'ay perdu. Toute controverse à part, je suis persuadé de la vérité de ma religion, ma conscience ne peut goûter celle qu'on me propose, j'ay une aversion insurmontable pour l'hipocrisie, et j'estime que tout ce qui nous peut porter à embrasser une religion, c'est seulement la connoissance que nous avons de Dieu et de ce qu'il a fait pour nous, l'amour et la reconnaissance que nous devons avoir pour luy, la connoissance et l'amour de la vérité, la crainte d'un malheur infiny et éternel, et l'espérance d'une félicité parfaite et éternelle.

Dans toutes mes auditions, j'ay obmis ce qui estoit le principal sujet de ma femme et quy nous donnoit lieu de craindre avec raison d'être pris et maltraités, et comme vous jugerez peut-être que cela pourra être de quelque importance dans mon affaire, il ne sera pas mal à propos que je fasse icy une petite digression. Il y a environ quatre ans que Marguerite de Salavy (avec quy je suis marié depuis trois ans), receut un affront du nommé Calvet fils, quy luy donna un soufflet en pleine rue, pour lequel affront il fut décrété de prise de corps, capturé et remis aux prisons de la Tour-Caudière, où les parents et amis de ladite delle Marguerite de Salavy, présentement ma femme, feurent obligés de le garder à vue parce que le concierge ne vouloit pas s'en charger à cause du mauvais estat où se trouvoient les prisons et de la peur qu'il avoit dudit Calvet. Le procès luy fut fait, et par sentence des officiers ordinaires de Castres, il fut condamné aux galères pour dix ans et conduit icy de suitte, et par arrest du Parlement, il fut condamné à aller demander pardon à ladite delle de Salavy, dans sa maison, à Castres, en présence des personnes qu'elle voudroit et bany pour un an de la ville et fauxbourgs de Castres.

Le père dudit Calvet estoit consul de Castres en 1685, lorsque les gens de guerre y vinrent, et comme c'estoit un temps où ceux quy avoient quelque authorité en abusoient de la manière qu'ils vouloient pour satisfaire leurs ressentiments particuliers, il se jacta (vanta) que les premiers cinquante dragons quy entreroient dans Castres seroient détachés pour venir ravager notre bien et nous persécuter à ma metérie de Carrelle, où nous estions, et où nous n'avions encore pour tout logement qu'une chambre. Représentés-vous l'estat d'une femme enceinte et qui compte qu'elle doit accoucher dans deux ou trois jours et à quy l'on vient annoncer de telles nouvelles.

Depuis ce tems-là, le même Calvet fut cause que nous quittâmes aussy le lieu où ma femme accoucha, car ayant rencontré en son chemin un homme du masage de Poussines (4), il s'informa curieusement où j'estois, disant qu'il estoit un de mes intimes amis et qu'il souhaitoit de savoir le lieu où j'estois pour me venir faire offre de ses services et pour passer quelques jours avec moy. Et nous seumes qu'il estoit allé à Castres pour advertir le Sr Calvet, son père, consul, qu'il n'avoit qu'à envoyer des soldats et qu'ils ne manqueroient pas d'exécuter ce qu'ils avoient une fois manqué à l'égard de nos personnes seulement, car pour nos biens il eut tout le plaisir de les voir dissipés. Sur ces mémoires que je vous donne icy, et les autres instructions que nous pourrons vous donner si nous en avons le tems, vous aurez s'il vous plaît la bonté de dresser un factum en quittant le reste de vos affaires pour tout le temps qu'il faudra ; car M. le Procureur général a fait intimer aujourd'hui la production à M. Manen, mon procureur, et il pourroit peut-être nous faire juger samedi prochain ; cependant, il faut du tems pour faire imprimer le factum et pour le distribuer. S'il est nécessaire que je vous parle, je vous prie d'avoir la bonté de venir jusqu'icy, vous assurant que tout le tems que vous employerès pour moy ne sera pas un tems perdu. S'il y a quelques dépenses à faire (outre celles que nous fairons pour tacher de voir, s'il se peut, la procédure), je vous prie d'en donner advis à celuy quy vous rendra cette lettre, car je suis resollu d'employer tout le soin de mes parents et de mes amis, tout ce que je puis prétendre d'eux et tout ce qui me reste, à me bien deffendre, en attendant de Dieu l'issue de mon affaire, telle qu'il luy plaira de me la donner. S'il me faut souffrir, je souffriray avec plus de patience lorsque je n'auray rien à me reprocher. J'estime qu'il faut donner les biens pour sauver le corps comme il faut donner l'un et l'autre pour sauver l'âme.

Je suis, Mr, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

MASCARENC.

 

Je ne crois pas, Monsieur, qu'il soit parlé dans ma procédure de ce que je vous ay icy écrit du Sr Calvet, parce que ne m'étant point venu dans l'esprit que M. Barbara peut me condamner à des peines, je ne m'estois pas soucié de prendre des grandes précautions pour justifier ma conduite. Si cependant vous jugés que cela puisse être de quelque importance et qu'il faille en parler, ce que j'avance se peut justifier ainsi. Il paroit que le Sr

Calvet père estoit consul en 1685. Les causes du ressentiment que luy et son fils avoient contre ma femme et contre moy paroissent par la sentence des ordinaires de Castres qui le condamnent aux galères, donnée à la requeste de Marguerite de Salavy, à présent ma femme, et par l'arrest quy fut donné icy à La Tournelle, il y a environ quatre ans, sur l'appel de suite quy le condamne au banissement pour un an et à demander pardon, et l'on pourra aisément prouver ce dont il se jacta publiquement. Il me semble que le 7 may de l'année présente 1687, lorsque je fus ouï sur la sellette à La Tournelle, quelqu'un de Mrs mes juges me fit un interrogat, sur quoy cela venoit à propos et que j'en parlay ; mais je n'en suis pas bien asseuré.

Le Sr Barbara me condamna sur une présomption qu'il a eue que voyageant sur la Garonne et voulant aller du costé de Bordeaux, par conséquent je voulois sortir du royaume ; mais il se trouve une autre cause de mes courses, sçavoir la persécution d'un ennemi particulier qui abusoit de son pouvoir. Pourquoy faut-il qu'il me condamne sur une imagination qu'il a ? Qui, quand elle auroit quelque apparence, ne vaudroit qu'à poser que j'ay eu la volonté de sortir du royaume ; or, j'ay toujours ouï dire que les volontés ne sont point punies en France.

Je suis arretté à Agen, à quarante ou cinquante lieues de la frontière, et pour ainsi dire au coeur du royaume ; j'aurois bien eu le temps de changer de volonté (supposé que je l'eusse eu), sachant surtout que depuis l'édit du Roy qui révoque celuy de Nantes, ceux de la R.P.R. pouvoient rester dans toutes les villes du royaume sans être inquiétés, ny troublés pour leur religion. Il n'y avoit à craindre que les ressentiments particuliers et la malice de ceux quy abusoient de leur pouvoir. Une marque bien visible que M. Barbara étoit prévenu de passion contre moy, c'est que lors du confrontement de mes trois voisins quy (à ce que je pense) furent les premiers témoins quy me furent confrontés, il se trouva que le Sr Barbara avoit fait coucher sa déposition propre selon sa fantaisie au lieu de celle des témoins ; car lorsqu'il leut la déposition du premier témoin conçue en ces termes « Tel cordonnier a déposé que le Sr Mascarenc est party de sa maison de Castres pour aller à sa maison de campagne afin de ne point changer de religion selon la volonté du Roy », ce témoin tout étonné se récria que ce n'estoit point là sa déposition, qu'il estoit vrai qu'il avoit dit que j'estois party de Castres pour aller à la campagne avec ma famille ; mais qu'il ne savoit point les affaires que j'y avois et qu'il n'avoit point le don de deviner pour scavoir ce quy se passoit dans mon coeur. Le Sr Barbara le menaça en ma présence de le faire pendre. Le témoin persista toujours à dire que quand il scaurait d'être pendu, il ne vouloit dire que ce qu'il scavait ; sur quoi il corrigea la déposition dudit témoin, et comme il avoit fait la même chose à l'égard de la déposition des autres deux quy attendoient à une autre chambre de la prison, qu'il avoit eu un peu de confusion de me voir assister à la correction de la déposition du premier témoin, il me fit passer dans une autre chambre et appella les deux autres témoins dont la déposition ne parla plus ensuitte du dessein pour lequel j'étois party de Castres pour aller à la campagne. Ce que je dis ici paroitra par les ratures quy se trouveront dans les originaux de la procédure.

Mon nom est Jean Mascarenc ; je suis natif de Castres ; lors de ma première audition, j'estois âgé d'environ 26 ans ; je suis dans ma 28e année depuis le 20 du mois d'avril dernier. »

Il s'écoula encore quatre mois, puis justice fut rendue aux prisonniers ; ils furent acquittés et conduits à la frontière avec défense de revenir dans le royaume. Voici de quelle façon Mascarenc apprit la nouvelle : « Un bon matin, le lieutenant entra dans la chambre de mon oncle qu'il trouva au lit. « Allons, Monsieur, lui dit cet officier, il faut se lever au plus tôt », à quoy mon oncle répondit : « Donnez-moy le temps de faire ma prière, et je suis prêt d'aller partout où Dieu voudra m'appeler. » Il ne douta point que son dernier moment n'approchât ; dans demyheure, l'officier sort un mouchoir de sa poche, luy bande les yeux et le fait mettre dans une litière dans laquelle l'officier se met aussy ; il conduisit mon oncle sur la frontière et luy défendit de la part du Roy de revenir en France ; il remercia l'officier du soin qu'il avoit pris de luy et luy dit qu'il ne valoit pas la peine de l'avoir retenu pendant deux ans pour l'emmener où il désiroit d'aller lorsqu'on l'arrêtta, qu'il se consoloit de toutes les souffrances qu'il avoit faittes, qu'il regardoit comme rien en comparaison de la gloire à venir, de laquelle il espéroit fermement de jouir (5). »

Photo due aux soins du "Ryksbureau de Monumentenzorg" ZTRECH AU XVIle SIECLE, VU DU NORD-EST
 (Peinture d'un maître inconnu, 1665)
 

Ce fut le 23 mars 1688 que les deux compagnons d'infortune quittèrent Toulouse ; après plusieurs arrêts et plusieurs incidents que Dupuy a fidèlement mentionnés dans son récit, ils arrivèrent à Genève le 12 avril, n'ayant pour tout bien que ce qu'iIs portaient sur le corps.

Peu de temps après, Mascarenc passa en Hollande ; il y vécut dans la gêne, tirant sa subsistance d'une pension de 200 florins que lui firent les Etats à partir du 18 septembre 1691 ; sa mère ne l'oubliait pas et lui envoyait de temps en temps les secours dont elle pouvait disposer ; établi à Utrecht, il souffrait de sa solitude, sa femme ne l'ayant pas suivi et semblant l'avoir oublié ; quant à son fils, il ne cessait de réclamer qu'on le lui envoyât, et, quand on se décida, c'était trop tard, car, par une malechance bien douloureuse, l'enfant atteignit Utrecht juste le surlendemain de la mort de son père. Celui-ci, en effet, s'éteignit sur la terre d'exil, à Utrecht, le 6 avril 1698, à l'âge de 38 ans seulement (6).

Si nous revenons maintenant au jeune Jean-Paul, né dans la montagne d'Anglès, à une époque bien troublée, le 25 octobre 1685, nous rappellerons qu'il fut mis en nourrice dans cette région et qu'il fut élevé à Castres par sa grand' mère, Louise de Balarand ; quand il eut atteint onze ans, il fut conduit à la frontière par son oncle, César Mascarenc, et réussit, sous une livrée de page, à gagner Genève, où il arriva le 14 décembre 1696 (7). Quoique seize mois dussent encore s'écouler avant la mort de son père, celui-ci n'eut pas la satisfaction de revoir son fils ; M. de Rapin, un ami de la famille, l'avait gardé à Genève pour lui apprendre la langue, et l'enfant n'arriva à Utrecht, par une fatale coïncidence, que le surlendemain de la mort de son père.

Jean-Paul resta quelques années en Hollande il fut reçu membre de l'Eglise Wallonne de La Haye en janvier 1704 ; puis il se rendit en Angleterre, où il fut naturalisé en 1706 et où il obtint une commission de lieutenant. En 1711, il fut envoyé dans la Nouvelle Ecosse avec un corps de troupe. Il s'éleva au grade de lieutenant-colonel, devint membre du conseil provincial et, en 1740, il fut nommé lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Ecosse. « Son administration des affaires de cette province fut éminemment habile et sage. Succédant à un gouverneur complètement incompétent, il se montra en même temps si ferme et si conciliant qu'il gagna tout le respect et la confiance des Français aussi bien que des Anglais. Lorsqu'une armée française vint en 1744 assiéger Annapolis, les Acadiens refusèrent de se joindre aux assiégeants contre les Anglais, déclarant qu'ils vivaient sous un gouvernement doux et tranquille, et qu'ils avaient tout espèce de raisons pour lui demeurer fidèles. La modération de Mascarenc, caractéristique de la race huguenote, embarrassa quelquefois les autorités françaises de Québec et de Versailles. Les Indiens, alliés des Anglais, ayant incendié l'église de Port-Royal ou Annapolis, il la fit reconstruire. Il encouragea les villageois acadiens dans leurs efforts pour obtenir des missionnaires et protégea les prêtres toutes les fois qu'ils se montrèrent pacifiques et loyaux envers le gouvernement anglais. Le gouverneur du Canada écrivait qu'il ne pouvait pas deviner les motifs de cette politique, « à moins que M. Mascarenc ne calcule que des mesures de douceur seront plus propres que toute autre à détacher les affections des Acadiens de France » (8).

JEAN-PAUL MASCARENC (1685-1760)
Lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Ecosse
(Peinture de Jean Swibert)

 

Il résigna sa charge en 1749, et s'établit à Boston, où il habitait dans School-Street, tout près de l'Eglise française ; c'est là qu'il mourut, le 15 janvier 1760, à l'âge de 75 ans.

De son mariage avec Elisabeth Perry, qu'il avait épousée à Boston le 21 avril 1714, il laissait un fils et trois filles.

Le fils, John, né en 1722, habitant Boston, visita l'Angleterre en 1763 ; désirant savoir s'il existait encore des membres de sa famille en Languedoc, il fit des recherches à Londres, et, sur les conseils d'une personne de cette province, il écrivit à « M. Mascarenc, à Castres ». La lettre fut reçue par son oncle Henri, fils de César, qui répondit immédiatement par les précieuses lettres que nous donnons ci-après, en lui envoyant des papiers, ou des copies, concernant son grand-père.

Ce John Mascarenc étant mort sans enfants, les traditions et les souvenirs de famille furent conservés par sa soeur Joanna, qui épousa en 1744 James Perkins ; la fille de ceux-ci épousa William Hubbard, et dans sa descendance se trouvait en 1885 M. James Mascarenc-Hubbard, qui résidait à Boston, 382, Malborough Street ; celui-ci s'intéressait vivement à ses ancêtres français, et il a fourni au Révérend Baird les précieux documents que celui-ci a utilisés dans son volume sur les réfugiés en Amérique.

Plus près de nous, d'autres membres de cette branche de la famille se sont intéressés à tel point à leurs ancêtres Mascarenc qu'ils ont franchi l'océan uniquement pour chercher leurs traces dans le pays Castrais. Dans l'été de 1921, M. et Mme Edward R. Warren, de Boston, 22, Chestnut Street, sont venus explorer nos archives de Castres et visiter à pied toute la région d'Anglès ; nous avons été heureux de pouvoir les guider dans ce pieux pèlerinage, tout empreint de souvenirs émouvants.

 

Revenons aux Mascarenc restés en France.

La mère de Jean, l'exilé d'Utrecht, Louise de Balarand, vécut seule à Castres, au milieu des multiples épreuves dont sa longue vie fut semée.

Elle s'occupa d'abord de l'éducation de son petit-fils Jean-Paul, et le garda auprès d'elle à Castres, jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge de onze ans ; puis, son père ne cessant de le lui réclamer, elle s'en sépara en 1696 et l'envoya à Genève.

Des onze enfants qu'elle avait eus, huit moururent jeunes sans postérité, et elle eut le chagrin de survivre encore aux trois autres ; son fils Jean était mort à Utrecht en 1698 ; sa fille Esther était morte à Castres en 1699 ; enfin son fils César, qui était devenu le chef de la famille en France, mourut à Castres en 1730.

Elle-même s'était retirée aux environs de Castres, dans sa campagne de Lagarrigue, paroisse de St-Pierre-d'Avits ; c'est là qu'elle s'éteignit, en déclarant sa foi protestante, le 13 décembre 1731, à l'âge de 89 ans (9).

 

Photo Rigal, Castres.
METAIRUE DE LAGARRIGUE, PRES DE CASTRES
 

La femme du noble prisonnier, Marguerite de Salavy, aussitôt après son abjuration à Agen et sa mise en liberté, regagna Castres ; elle vécut surtout à Anglès, et paraît s'être désintéressée de l'éducation de son fils qui fut, nous l'avons dit, élevé par sa grand'mère. D'après la lettre de son neveu Henri, que nous donnons plus loin, elle paraît avoir été en froid avec la famille de son mari.

Dès qu'elle eut connaissance de la mort de celui-ci, elle épousa en secondes noces (1699), Jean d'Albié, sieur de La Serre, capitaine ; restée veuve et sans enfants de cette seconde union , elle conclut un troisième mariage en épousant en 1704 (contrat du 18 décembre 1704, Alba, notaire à Anglès), Jean-Louis de juge, seigneur de Montespieu, fils de l'ancien pasteur de Castres, décédé en 1701 à Bois-le-Duc ; de cette union est issue la famille actuelle de Juge-Montespieu.

Le fait qu'elle ne s'allia, par ses mariages successifs, qu'avec des gentilshommes protestants, indique combien superficielle et extérieure avait été son abjuration d'Agen ; son neveu Henri dit textuellement du reste qu'elle vécut toujours dans les principes de sa jeunesse. Elle mourut à Castres en mai 1734, âgée de 70 ans.

Jean Mascarenc avait laissé à Castres un frère, César, né en 1678 (ils avaient été onze enfants), qui vécut paisiblement à Castres et fut le père de quatre enfants.

L'un de ceux-ci, Henri, né en 1703, avocat au Parlement, suivit la trace de son oncle pour la fidélité et le zèle de ses convictions religieuses ; il présidait souvent les assemblées du Désert convoquées aux environs de Castres, y publiait les bans de mariages, et il se compromit à tel point, pour le relèvement de son Eglise, qu'il fut arrêté par ordre du 15 décembre 1744 et emprisonné au château de Ferrières, où il resta sept mois (10).

Nous avons dit plus haut que c'est lui qui reçut la lettre que lui envoyait, avec une adresse un peu vague, son parent de Boston ; il y répondit par les deux lettres du 15 novembre 1763 et du 20 février 1764 ; nous les donnons maintenant in extenso, car, malgré quelques répétitions de ce que nous savons déjà, elles contiennent plusieurs détails intéressants que nous ignorerions sans ce précieux témoignage.

Henri Mascarenc, qui avait épousé le 10 septembre 1737 Marie Baudecourt, ne laissait que deux filles : Elisabeth et Anne.



Table des matières

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(1) Sur Mme de Moulens, voy. plus haut p. 77. Arrêtée une première fois à Agen, avec Mascarenc et les autres, elle avait été relâchée après abjuration. Arrêtée une seconde fois à Bordeaux, en essayant de s'embarquer, elle avait été internée dans plusieurs prisons, et était en ce moment dans celle de l'Hôtel de Ville, d'où elle fut transférée à Nîmes.
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(2) C'était le 22 février, d'après Dupuy.
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(3) Il s'agit certainement de Salomon de Faure, seigneur de Roumens, originaire de Castres ; il avait épousé Blanche de Falguerolles.
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(4) Poussines est un hameau situé tout à côté de la métairie de Carrelle.
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(5) Lettre d'Henri Mascarenc (1763).
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(6) Le pasteur réfugié, Jean Mathurin, avait demandé le 17 novembre 1698 pour son fils Gabriel, étudiant en théologie, « la pension vacante par la mort de M. de Mascarenc, à Utrecht, qui est de 200 florins ». Mais elle fut reportée sur la tête du jeune Jean-Paul Mascarenc.
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(7) Voyez le détail de ce voyage dans la lettre d'Henri Mascarenc (1763). Appendice 1.
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(8) Révérend Charles Baird : Histoire des réfugiés huguenots en Amérique. Toulouse, 1886, pages 102-103.
Des lettres de Mascarenc que nous publions, certaines sont insérées dans cet ouvrage ; d'autres sont inédites.
Les papiers de Jean-Paul Mascarenc sont conservés à la bibliothèque de Harvard (Cambridge, Massachussets).
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(9) Lagarrigue, à 4 kilomètres au nord-ouest de Castres ; maison de campagne et ferme autrefois fortifiées ; on y voit encore, dans l'enclos du jardin, une ancienne sépulture protestante.
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(10) Archives de l'Hérault, C. 400, 425.

 

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