Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Deux compagnons d'infortune 

Jérémie DUPUY, de Caraman - Jean MASCARENC, de Castres


 A Caraman

 

J'étais, depuis le commencement de nos troubles, ancien du Consistoire de notre Eglise de Carmaing, et je puis dire que j'y étais en quelque considération. je résolus, avec la grâce de Dieu, qui m'inspira ce bon dessein, de faire mon devoir en cette occasion autant que la faiblesse humaine me le pourrait permettre ; pour cet effet, j'exhortais dans les occasions les fidèles de notre troupeau à un saint amendement de vie, afin d'apaiser la colère de Dieu, justement courroucé contre nous à cause de nos péchés ; mais je crus que je devais commencer par moi-même, afin que, comme dit un apôtre, après avoir prêché aux autres, je ne fusse trouvé moi-même non recevable (1) . J'avais déjà commencé avec quelque succès à réformer ma vie, si bien qu'avec le secours de la grâce j'avançais tous les jours quelque chose dans cet ouvrage, et je tâchais de temps en temps d'arracher de mon coeur quelqu'une de ces racines d'amertume bourgeonnant en haut, dont parle saint Paul, qui nous détournent du chemin de la piété (2).

Cependant, j'avais toujours à combattre contre la chair et le sang ; car, après tout, le vieil homme ne meurt pas de mort subite, et quand il semble que nous l'avons terrassé, il se relève de temps en temps ; il fait ses efforts pour nous donner quelque atteinte ; et étant d'intelligence avec les ennemis du dehors, il nous fait une guerre continuelle, et remporte souvent quelques avantages sur nous dont Dieu nous relève par sa grâce. Ainsi notre sainteté n'est jamais achevée en cette vie, et ne sera jamais parfaite qu'en celle qui est à venir, dans laquelle nous verrons Dieu face à face et serons transformés en son image glorieuse ; et étant dégagés de toutes nos faiblesses, nous aurons une communion plus étroite avec Dieu, qui nous fera participants de sa gloire et de sa sainteté ; mais cependant nous devons travailler ici-bas à nous sanctifier de tout notre pouvoir.

Pour éviter les occasions de toute sorte d'excès, je m'étais retiré à la campagne, à une petite maison que j'avais assez près de la ville, dont l'en droit n'était pas désagréable (3) ; mais je n'y prenais aucun plaisir dans l'amertume de mon coeur. Ni l'émail des prairies parsemées de fleurs de diverses couleurs ; ni le doux murmure de ruisseaux qui les traversaient ; ni le cristal des fontaines ; ni l'agréable chant des oiseaux, qui chantaient à la fraîcheur et dans le feuillage des arbres qui bordaient ces petits ruisseaux, et dans un petit bois proche de ma maison ; ni les allées ; ni les cabinets ; ni les jardins et les vergers où je pouvais cueillir de toute sorte de fruits en assez grande quantité ; tout cela n'était pas capable de charmer pour un moment la douleur que je ressentais pour les plaies que les ennemis de la vérité faisaient tous les jours à l'Eglise de Dieu (4). J'avais entièrement abandonné le jeu, le cabaret et tous les autres divertissements mondains, dont la plupart des gens faisaient tout leur plaisir ; et si je venais tous les jours à la ville, ce n'était que pour pleurer nos malheurs avec les personnes pieuses, pour y chercher ma consolation, et pour nous exhorter les uns les autres à faire notre devoir envers Dieu.

Photo Albinet. Toulouse
METAIRIE DE QUINQUIRY, PRES DE CARAMAN

 

Ce fut dans ce temps-là qu'on nous fit perdre notre temple (5). Notre petite Eglise, qui était la plus proche de Toulouse, où est le Parlement, fut attaquée la première dans le Haut-Languedoc. L'on nous suscita un gentilhomme (6), qui avait un tiers de la seigneurie directe sur notre temple, qui nous fit assigner au Parlement à lui délaisser cette partie de temple par droit de prélation. Nous avions de très bonnes raisons à lui opposer si on eût voulu nous rendre justice, mais il n'y avait déjà plus de justice pour nous en ce temps-là. Ce seigneur direct avait reçu de nous le droit de lods et ventes et le droit d'indemnité ; il avait accepté deux reconnaissances que nous lui avions faites en divers temps ; et de plus nous avions une double prescription à lui opposer contre laquelle on ne pouvait rien dire, et qui était à l'abri de toute sorte de chicane. Néanmoins, bien que M. de Beaumont de Rozel, avocat en ce Parlement, qui plaida notre affaire, eût fait des merveilles pour la défense de notre cause, et fait valoir admirablement bien nos raisons, la cour ne laissa pas, par son arrêt en audience, de nous condamner à délaisser cette partie de temple à ce seigneur direct qui la demandait. Ce fut assez pour nous faire perdre le tout. Un conseiller du Parlement vint pour le mettre en possession, ce qu'il fit nonobstant les actes de protestation que nous lui fîmes, lui notifiant que nous nous étions pourvus au conseil du roi en cassation de cet arrêt, qui ne pouvait subsister ni en la forme, ni au fond, et dont l'injustice était toute manifeste. Il y avait pour lors dans notre petite ville un prêtre fort bigot et fort entreprenant (7), lequel en cette même nuit monta sur notre temple avec des hommes, qu'il fit travailler toute la nuit à démolir entièrement tout le couvert, renverser la chaire et les bancs et mettre tout en désordre, ce qui fut achevé au point du jour, et on n'y laissa que les murailles. Nous voulûmes nous plaindre de cet attentat à M. le conseiller au Parlement, et lui représenter qu'on ne pouvait pas ainsi démolir notre temple, que cela n'était pas ordonné par l'arrêt, et que la cour n'ayant adjugé que le tiers au seigneur direct, l'on ne pouvait pas avec justice s'emparer du tout, ni le démolir ; mais il ne voulut pas nous écouter, et s'en retourna sans nous faire aucune justice.


Photo Albinet. Toulouse
FENETRE DE L'ANCIEN TEMPLE DE CARAMAN
(Vue de la cour du café Pujol)

 

Cependant, nous nous étions pourvus au conseil du roi, comme j'ai dit, en cassation de cet arrêt, où nous en obtînmes un, portant que M. le procureur général du roi au Parlement de Toulouse avertirait incessamment S.M. des motifs de cet arrêt du Parlement (8) ; et cependant qu'il serait sursis à son exécution. Dès que nous eûmes reçu cet arrêt du conseil, nous rentrâmes dans la possession des murailles de notre temple, et nous le fîmes promptement couvrir avec des linceuls pour nous mettre un peu à couvert de l'injure du temps. Chacun se montra zélé en cette occasion, jusques aux plus pauvres d'entre le peuple, et il se fit une si grande diligence pour cela que le lendemain nous y recommençâmes nos exercices, que nous continuâmes pendant six mois. jamais on n'avait témoigné tant de zèle ni tant d'assiduité aux prédications et aux prières publiques comme l'on en témoigna pendant ce temps-là : tout le monde y fit son devoir, et le pasteur et le troupeau. Mais quoique notre extérieur parût si beau, sans doute notre coeur n'était pas droit devant Dieu, puisqu'il permit que nous fussions si tôt privés de cet avantage. En effet, plusieurs se laissaient encore emporter aux plaisirs mondains, les uns aux excès du vin et de la débauche, les autres au jeu des cartes, et autres passe-temps et réjouissances du monde corrompu, pendant que les personnes pieuses pleuraient amèrement et menaient deuil pour la froissure de la fille de joseph (9). Néanmoins, ce zèle apparent ne laissa pas de donner de la jalousie à nos ennemis. L'on fit faire des informations secrètement sur ce que nous étions rentrés dans la possession de notre temple et de nos exercices, disant que c'était un attentat, et que nous devions laisser les choses en l'état qu'elles étaient lorsque l'arrêt du conseil fut donné ; tellement que ces informations ayant été rapportées au conseil du roi, sans que nous fussions ouïs ni appelés, par arrêt du conseil il fut ordonné que notre temple serait démoli dans un mois, ce qui fut exécuté (10), mais néanmoins nous y continuâmes nos exercices jusques à la démolition.

Nous ne fûmes pas trop surpris de cet arrêt, nous ne pouvions pas attendre mieux. Car les choses étaient déjà si outrées contre nous que nos affaires allaient tous les jours en empirant, et l'on prévoyait assez que si Dieu n'avait pitié de nous, nous étions à deux doigts de notre perte. C'est chose terrible de tomber entre les mains de Dieu quand il est courroucé! Nous l'avions si fort irrité par nos péchés, qu'il avait résolu de livrer toutes nos Eglises de France entre les mains de nos ennemis, pour les dissiper et pour les détruire, comme il fit bientôt après. Cependant, comme nous n'avions plus de temple à notre Eglise, ni par conséquent d'exercice public de notre religion, nous étions obligés d'aller dans les lieux les plus proches, où Dieu avait encore conservé cet exercice, pour y chercher notre consolation et pour assister aux prédications et aux prières publiques dans les assemblées de nos frères ; mais cela ne dura pas longtemps.

L'on n'entendait parler tous les jours que des déclarations que le roi donnait incessamment à la sollicitation du clergé, pour nous retrancher tous les moyens de pouvoir continuer nos exercices dans le royaume. Il y en eut une entre autres qui défendait de s'assembler dans les temples sous prétexte d'y faire des prières, ni sous quelque autre prétexte que ce fût, qu'en présence des ministres ; tellement qu'on n'osait plus s'assembler dans aucun temple, que le ministre ne fut présent (11). Cette déclaration avait été donnée en vue de ce qui se pratiqua dans la suite. Les assemblées ne se pouvaient plus faire dans aucune Eglise qu'en présence des ministres ; on s'avisa, pour les empêcher, de faire décréter, sur légers prétextes, tantôt les ministres d'une Eglise, et tantôt ceux d'une autre, et ainsi les ministres se trouvant interdits par ces décrets, et quelquefois même fugitifs, selon qu'on leur donnait sujet de craindre, l'on n'osait plus s'assembler, et l'on demeurait par ce moyen sans exercice (12).

Plusieurs exercices se perdirent par cette voie, et par quelques autres encore, jusqu'à ce que la fureur des ennemis de la vérité s'augmentant de jour en jour, on nous persécuta à guerre ouverte. Ce fut alors qu'on attaqua les provinces entières; ce fut alors qu'on vit marcher les évêques à la tète des dragons dans leurs diocèses, pour faire convertir à leur religion les pauvres réformés par la force et par la violence ; ce fut alors que les extorsions, les désordres, les pilleries, les mauvais traitements des personnes, et tout ce qu'il y a de plus cruel parmi les gens de guerre, fut exercé contre les pauvres protestants, et que l'on mit en usage tout ce que l'inhumanité et la barbarie peuvent inspirer de plus cruel et de plus épouvantable.

Un procédé si barbare, dont l'invention était sortie des enfers, jeta une telle frayeur dans le coeur des réformés, et ils furent saisis d'un si grand épouvantement, que tout plia sous la force et la violence de ces nouveaux convertisseurs. Les provinces de Béarn, de Guienne et de Languedoc avaient déjà succombé, lorsque notre petite Eglise était encore debout. Mgr l'archevêque de Toulouse (13), qui était pour lors aux Etats de la province de Languedoc, et qui n'avait que notre Eglise dans son diocèse, avait mandé au père Morel, son grand vicaire, qui était celui qui se mêlait le plus de ces conversions, de ne point faire venir des troupes dans notre Eglise qu'à toute extrémité ; de tenter plutôt des voies plus douces, et tâcher de nous obliger à succomber par la crainte des maux que nous avions vu souffrir à nos voisins, par le logement des gens de guerre qui les avaient tourmentés nuit et jour, qui avaient dissipé leurs biens, et qui les avaient fatigués par les plus cruels moyens que l'on puisse imaginer.

Dans ce dessein, ce grand vicaire vint à notre Eglise comme à une conquête fort aisée. J'avais déjà assez bien fait mon devoir par la grâce de Dieu ; j'avais fortement exhorté mes frères à la fermeté et à la persévérance, résolu de leur montrer un bon exemple autant qu'il me serait possible ; et il faut avouer que je les avais trouvés disposés à souffrir toutes choses plutôt que de renoncer à la vérité. Ainsi, ce grand vicaire ne trouva pas la chose si aisée comme il l'avait pensé. Cependant, parce qu'il crut que mon exemple pourrait servir de quelque chose à son dessein, et que si l'on pouvait me gagner, les autres se rendraient plus facilement, il me fit écrire une lettre par un trésorier de France de la généralité de Toulouse, qui me faisait l'honneur d'être de mes amis, lettre qui me fut rendue par un gentilhomme de ses parents qui accompagnait ce grand vicaire, lequel le chargea de me prier de sa part de prendre la peine d'aller jusqu'à son logis où il souhaitait de me parler, ne pouvant me venir trouver, à cause qu'il était un peu fatigué de son voyage. je répondis à ce gentilhomme que si c'était pour rendre quelque service à M. le grand vicaire, j'irais non seulement à son logis, mais partout où il voudrait ; mais qu'ayant appris par la lettre qu'il venait de me rendre le sujet pour lequel il me voulait parler, je le priais de me dispenser de faire cette visite, parce que, ne pouvant pas faire ce qu'il voulait sans blesser ma conscience et étant résolu de n'en rien faire, je ne voulais pas lui aller rompre en visière, aimant mieux me priver d'avoir l'honneur de le voir.

Après cela, je dis à ce gentilhomme que je ferais réponse à M. le trésorier sur le sujet de la lettre qu'il venait de me rendre de sa part. Par cette lettre, ce trésorier m'avertissait, comme étant de mes amis, de songer à moi, et me priait de me laisser persuader à faire la volonté du roi, qui voulait nous ramener par la douceur au giron de l'Eglise pour y faire notre salut ; qu'étant en quelque considération dans notre Eglise, je devais être le premier à montrer un bon exemple ; que j'en recevrais toute sorte de satisfaction, et que j'aurais sujet d'être content. J'entendais bien ce qu'il voulait dire ; mais j'étais bien éloigné de donner dans ce sentiment, puisque j'étais résolu d'abandonner tous les avantages du monde pour donner gloire à Dieu. Il me disait ensuite que si je voulais m'opiniâtrer contre la volonté du roi, je m'exposerais à la rigueur des gens de guerre,. qui dissiperaient tous mes biens et me réduiraient dans la misère, et que je serais encore exposé à souffrir beaucoup de fâcheux accidents qu'il me serait difficile de supporter. J'envoyai le lendemain mon valet à Toulouse, avec ma réponse à cette lettre, et je le chargeai de la donner en main propre à M. le trésorier. Elle contenait en substance que je lui étais obligé du soin qu'il avait pris de m'écrire, et qu'en toute occasion je serais bien aise de suivre ses conseils ; mais que s'agissant de mon salut, je le priais d'agréer que je suivisse les mouvements de ma conscience, selon les lumières que Dieu m'avait données ; qu'un coeur fortifié par la grâce de Dieu ne pouvait être ébranlé ni par les promesses, ni par les menaces ; que je verrais manger tout mon bien avec joie, et que quand il irait de ma vie, je la sacrifierais avec plaisir pour la gloire de Dieu et pour mon salut.

Cependant, le grand vicaire fit dire à tous les principaux de notre Eglise de l'aller trouver à son logis ; mais pas un n'y voulut aller. Nous avions tous résolu d'en user ainsi, et chacun se tint ferme dans cette résolution, tellement qu'il fut obligé de s'en retourner pour le coup avec beaucoup de confusion.

Les violences et les désordres que les gens de guerre avaient commis dans les Eglises de notre voisinage étaient parvenus à un tel excès, que nos gens en furent intimidés. je fis encore en conscience tout ce que je pouvais faire pour les rassurer. je leur représentai qu'il fallait souffrir toutes choses plutôt que d'abandonner la vérité de notre sainte religion, qui est la véritable religion de Jésus-Christ hors de laquelle il n'y a point de salut ; qu'il fallait abandonner le monde pour suivre Jésus-Christ et persévérer jusques à la fin pour être faits participants de la vie éternelle que Dieu ne donne qu'à ceux qui lui sont fidèles : Sois fidèle Jusqu'à la mort et je te donnerai la couronne de vie (Apoc.) (14) ; que les menaces qu'on nous faisait ne devaient pas nous intimider, puisque nous savons que tout ce que les hommes peuvent nous faire souffrir n'est rien en comparaison des promesses que Dieu fait à notre persévérance (15) ; qu'on ne va point en paradis par le chemin de l'enfer, chemin où se trouvent les plaisirs et les joies du monde, mais que c'est par plusieurs tribulations qu'il nous faut entrer au royaume des cieux (16) ; que nous devions être persuadés que Dieu ne nous abandonnerait point, et qu'il nous donnerait toujours avec la tentation l'issue en telle sorte que nous la pourrions soutenir (17) ; que je ne leur conseillais rien que je ne voulusse faire avec eux, moyennant la grâce de Dieu. Il y en eut quelques-uns qui voulant s'excuser me dirent que Dieu ne leur avait pas donné cette force pour résister ainsi à tous les maux dont on les menaçait ; je leur dis qu'il fallait la demander à Dieu qui ne la refuse à personne, pourvu qu'on la lui demande avec foi, comme notre Seigneur nous en assure dans l'Evangile, quand il dit à ses disciples : Que si les pères charnels savent bien donner à leurs enfants les choses qui sont bonnes, combien plus votre Père céleste donnera-t-il son Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent (18). Ils me dirent qu'ils priaient Dieu tous les jours pour cela. « Oui, leur dis-je, mais vous ne voulez pas être exaucés, parce que vous croyez que si Dieu vous exauçait, vous perdriez votre bien, et vous ne le voulez point perdre. » je croyais de leur faire honte de leur faiblesse et de relever par ce moyen leur courage abattu ; mais tout cela ne fut pas capable de les rassurer tant soit peu ; un si grand épouvantement: les avait saisis que toutes mes exhortations furent inutiles. Le mauvais exemple de nos voisins qui avaient succombé les détermina à faire comme eux plutôt que de souffrir la dissipation de leurs biens, et de s'exposer aux mauvais traitements que quelques-uns avaient reçus, qui néanmoins avaient à la fin succombé. Enfin la faiblesse humaine, jointe à ces considérations, les obligea de se résoudre à faire comme les autres. Malheureux enfants, qui doutèrent de l'amour de notre Père céleste, qui se méfièrent de ses promesses, et qui doutèrent de sa grâce et du secours qu'ils devaient attendre de sa divine Providence et de sa bonté infinie ! Ces hommes avaient dans le coeur une idole à laquelle ils encensaient sans y prendre garde, c'étaient les biens et les avantages du monde ; tellement que l'amour qu'ils avaient pour ces choses fit, que lorsqu'il fut question de choisir entre Dieu et cette idole, tout le monde abandonna Dieu pour suivre Mammon (19).

Le grand vicaire étant averti de l'état où était notre pauvre Eglise, revint à la charge, mais ce fut avec plus de succès que la première fois ; il trouva les choses disposées comme il le souhaitait, si bien qu'il fit succomber tout le monde sans beaucoup de peine (20). J'eus le regret de voir de mes propres yeux les gens qui s'en allaient en foule signer leur abjuration pour éviter le logement des gens de guerre dont on les menaçait, et qui était prêt à fondre sur eux. Dieu sait la douleur que je ressentis à ce coup, et combien de larmes me coûta cette journée. Il ne restait plus que moi, deux de mes neveux (21) et deux autres encore qui n'avaient pas voulu signer, mais qui succombèrent tous à la fin malheureusement.

Ce changement général évita le logement pour quelques jours ; mais voyant que nous étions encore quelques-uns qui n'avions pas voulu abjurer notre religion, ce grand vicaire résolut de faire venir un détachement de gens de guerre pour les faire loger chez nous. je fus chez M. Dèze (22), notre ministre, pour lui dire adieu, parce que je savais qu'il devait partir le lendemain pour s'en aller ; il avait bien fait son devoir, et il ne quitta jamais son troupeau qu'après que son troupeau l'eût abandonné, et que, par un aveuglement étrange, il se fut rangé sous la houlette d'autres pasteurs qui, étant déguisés sous l'habit de bergers, étaient néanmoins des loups ravissants qui ne travaillaient qu'à le perdre (23).

Nous parlâmes des gens de guerre qui devaient arriver bientôt ; je dis que j'étais tenté d'attendre le logement, que je me sentais une force plus qu'humaine qui venait de la grâce de Dieu, avec laquelle j'étais persuadé que je pourrais souffrir avec patience tous les maux qu'on me saurait faire ; mais que d'ailleurs je voyais que cela serait inutile et ne pourrait servir de rien à mes frères qui étaient déjà tombés, et qui étaient dans un si grand épouvantement, que tout ce que je souffrirais ne ferait que les intimider davantage et augmenter leur frayeur, et qu'ainsi je ne voulais pas tenter Dieu témérairement. Il y avait là un homme de Villemur, qui est une petite ville à trois lieues de Montauban, qui dit tout épouvanté : « Hélas, Monsieur, gardez-vous bien d'attendre le logement, on vous ferait mille cruautés ; je viens d'échapper à huit soldats qu'on avait logés chez moi, qui m'ont gardé à vue trois jours et trois nuits sans me laisser dormir un moment ; il y en avait toujours deux qui veillaient pendant la nuit et qui se relevaient de temps en temps pour m'empêcher de dormir ; tellement que si j'eusse demeuré encore quelque temps entre leurs mains, je serais tombé dans quelque grande maladie ou j'aurais perdu le sens à faute de pouvoir dormir (24). » - « je profiterai de votre avis », lui dis-je, et notre pasteur m'exhorta aussi à profiter de cet exemple, à quoi j'étais déjà tout résolu. Depuis, il m'a écrit d'Angleterre que ce bon homme y était réfugié, étant sorti heureusement de France sans avoir changé, de quoi je loue Dieu. J'attendis le logement jusqu'à l'extrémité ; mais ayant été averti, le 17 d'octobre 1685, que les gens de guerre devaient venir le lendemain, je partis avant le jour avec deux de mes neveux, ayant abandonné nos maisons au pillage des gens de guerre qui arrivèrent ce jour-là (25).



Table des matières

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(1) Allusion à I Cor. 9 :27.
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(2) Allusion à Hébreux 12 :15.
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(3) Quoique nous en soyons réduits à des conjectures en ce qui concerne la campagne de Dupuy, nous pencherions pour le domaine de Quinquiry, situé à 3 kilomètres sud-est de Caraman, et qui porte le nom de la mère de Dupuy. Cette métairie, dans une agréable situation, est agrémentée d'un colombier, d'une petite habitation assez ancienne, d'un jardin avec quelques cyprès qui signalent certainement des sépultures.
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(4) On s'attaqua, en premier lieu, au cimetière de Caraman, dès l'année 1681 ; voici le récit d'Elie Benoit à ce sujet : « L'onzième de décembre (1681), le Parlement de Toulouse condamna les réformés de Carmaing, petite ville à quatre lieues de Toulouse, à délaisser à La Garrigue, qui avoit le quart de la seigneurie directe de ce lieu, le cimetière qu'ils possédoient de tems immémorial. Il prit pour raison de cette injustice qu'ils n'avoient pas indemnisé le seigneur : prétexte faux et ridicule, parce qu'ils avoient en effet payé l'indemnité il y avoit longtemps, et parceque, quand cela n'auroit pas été fait, il ne falloit que les y condamner conformément aux ordonnances ; et tout au plus y ajouter quelques intérêts pour le dommage prétendu du seigneur. Mais Carmaing étant le lieu le plus proche de Toulouse où l'exercice de la Religion Réformée fut permis, suivant l'Edit, le Parlement qui ne pouvoit faire pis, ni toucher à l'exercice, sur le droit duquel il y avoit instance pendante au Conseil, voulut ôter aux Réformés la commodité de leurs sépultures. » (Histoire de l'Edit de Nantes, IV, 507).
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(5) En l'année suivante, 1682.
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(6) Probablement le sieur de La Garrigue, qui avait déjà fait détruire le cimetière.
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(7) Le clergé de Caraman se composait à cette époque du prêtre Gaugy et du vicaire de Lartigue ; il y avait aussi l'archiprêtre Maffre de Puybusque.
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(8) Ce dossier existe probablement dans les archives du Parlement de Toulouse qui sont encore renfermées dans 80.000 sacs non inventoriés, ce qui rend toute recherche impossible.
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(9) Locution très familière aux réformés d'autrefois, suivant l'ancienne traduction d'Amos 6 : 6.
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(10) « Le dixième (d'août 1682), le temple de Châteaudun fut condamné à être démoli, et la même chose fut ordonnée, le même jour, pour le temple de Carmaing, lieu nommé dans l'Edit même comme le plus proche où il fut permis aux Réformés de faire leurs exercices dans les environs de Toulouse, comme je l'ai déjà remarqué. » (Elie Benoit : Histoire de l'Edit de Nantes, IV, 520).
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(11) Il s'agit de l'arrêt du conseil du 13 juillet 1682 qui ordonnait aux ministres et proposans de la R.P.R. de se retirer des lieux où l'exercice avait été interdit.
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(12) Les fidèles de Caraman allèrent alors faire baptiser leurs enfants et assister au culte à Cuq-Toulza et aussi à Revel, dont les deux pasteurs, Lavernhe et Quinquiry, furent emprisonnés à Toulouse en mai 1685, quelques mois avant la Révocation.
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(13) L'archevêque de Toulouse était alors joseph de Montpezat de Carbon.
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(14) Apocalypse 2 : 10.
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(15) Allusion à Romains 8 : 18.
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(16) Allusion à Actes 14 :22.
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(17) Allusion à I Cor. 10 : 13.
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(18) Luc I I : 13.
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(19) Allusion à Matthieu 6 :24.
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(20) Nous n'avons pas retrouvé dans les archives de Caraman cette liste générale d'abjurations, mais seulement, dans le registre paroissial, quelques abjurations isolées et individuelles, en 1684 et jusqu'au 14 octobre 1685 ; puis, dans le registre de délibérations communales, une douzaine d'abjurations, le 25 octobre 1085, que nous dormons plus loin (page 52).
A cette époque un zélé réformé, Etienne Cambolives, avocat au Parlement de Toulouse, visitait, au péril de sa vie, les églises dévastées pour en grouper les éléments survivant ; il vint à Caraman, convoqua et présida une assemblée dans la demeure de la femme du ministre Quinquiry, puis continua sa route vers Puylaurens.
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(21) Les deux neveux de Dupuy étaient Jean et Paul Baron ; étaient aussi fugitifs avec eux : Soual, Sirven, et la femme du sieur Bret.
Jean et Paul Baron avaient été déjà, le 8 juin 1682, condamnés à la confiscation de leurs biens par le sénéchal de Toulouse.
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(22) Le dernier pasteur de -Caraman, François Dèse, né à La Guépie, avait d'abord desservi les Eglises de Campagnac, de Verlhac et se trouvait à Caraman depuis 1682 ; il était « d'une grande taille, bien fait, le nez gros, le visage long et les yeux un peu de travers ». Il se retira en 1685 en Angleterre par Bordeaux ; il fut pasteur à Colchester et vivait encore en 1717.
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(23) Allusion à Matthieu 7 : 15 et à Acte, 20 :29.
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(24) Le culte de Villemur (Haute-Garonne) avait été interdit le 28 février 1684.
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(25) Les dates données par Dupuy sont d'une rigoureuse exactitude. Voici des extraits des délibérations communales de Caraman qui confirment les faits et les dates de ces événements :
« Séance du 18 octobre 1685. - Le premier consul vient d'apprendre qu'il y a une compagnie du régiment de Conigsmark qui est partie ce matin pour venir loger en notre ville jusqu'à nouvel ordre sur les religionnaires... »
« Séance du 21 octobre 1685. - Le premier consul fait savoir que le sieur Vendeils, capitaine du régiment de Conigsmark, estant arrivé en ceste ville de Carmaing le dix-huitième du courant avec sa compagnie, on les auroit logés sur les religionnaires, conformément aux ordres de Monseigneur le Duc de Nouailles, et parce que toute la ville se trouve estre à présent convertie à la religion C.A.R. à la réserve de trois ou quatre chefs de famille qui sont fugitifs, desquels y a déjà mangé une partie de leurs biens et qu'il est à craindre que quand il n'y aura plus des effets de ces fugitifs, la foule de ces gens de guerre ne tombe sur les catholiques... (on priera M. de Nouailles et M. Morel, vicaire général, de relever les troupes). »
« Le Conseil délibère de députer M. de Lavaysse pour se transporter en la ville de Castres pour voir M. Le Verrier, porteur des ordres de Monseigneur le Duc de Nouailles pour les logements des troupes sur les religionnaires, le prier de vouloir donner le deslogement de la compagnie du sieur Vendeils, capitaine dans le régiment de Conigsmark, qui a esté envoyé en ceste ville pour loger chez les personnes de la religion préthendue réformée, veu qu'elles se sont converties à la réserve des sieurs Dupuy, Soual, Sirven, Jean Baron, adt, et sa famille, et autre Baron cadet et sa femme, et damoiselle de Bourg, femme du sieur Bret, adt, tous fugitifs... On tâchera de découvrir les effets mobiliaires des fugitifs, pour estre vendus, et-l'argent employé à la subsistance des troupes logées chez lesdits fugitifs... »

 

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