LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
4. Philadelphie
Au dix-huitième siècle furent
fondées les sociétés ou églises de
Philadelphie qui combinaient deux courants d'expérience
spirituelle. Le premier provenait du besoin d'une étroite
union de l'âme avec Dieu. Le second était l'expression
du sentiment de l'unité essentielle de tous les enfants de
Dieu, et du désir de manifester cette communion de la
véritable Église.
De bonne heure, l'Église catholique
romaine avait placé son clergé et ses sacrements entre
l'âme et le Sauveur. Mais, tandis que ce système
détournait beaucoup d'âmes de Lui, il y avait ceux qui
soupiraient après la communion avec Dieu, telle qu'elle est
révélée dans le Christ Jésus, et leur
attachement à l'Époux céleste était si
intense qu'ils ne poursuivaient que le seul but d'arriver à
une pleine connaissance de sa Personne, et d'expérimenter
l'union avec Lui. Ils pensaient y parvenir en suivant Jésus,
en l'imitant; ou encore en méditant longuement sur Lui, afin
que sa beauté, son caractère divin leur soient de mieux
en mieux révélés. Ils pratiquaient
l'ascétisme dans la pensée d'assujettir leur corps et
leur volonté naturelle.
Le protestantisme accentua les divisions parmi
les chrétiens de profession et provoqua des luttes
acharnées entre les nombreux partis. Toutefois, il y en avait
qui déploraient ces choses et s'efforçaient de mettre
en lumière l'unité fondamentale de vie et d'amour chez
tous les hommes séparés du monde, mais unis à
Christ et aux membres de son corps par la foi.
Pendant longtemps, les croyants de
l'Église catholique, appelés souvent mystiques ou
quiétistes, furent regardés comme des modèles de
vie chrétienne, et les plus connus furent canonisés.
Mais, sous Louis XIV, ils furent persécutés,
grâce à l'influence des jésuites. Venu à
Rome, vers 1670, le prêtre espagnol Miguel de Molinos
(1640-1697) devint la plus grande force spirituelle dans cette ville.
Son livre, le «Guide spirituel», servit de règle de
vie à beaucoup d'hommes, surtout à des gentilshommes et
à des prêtres. Il était le confesseur et le
conseiller le plus écouté du pape Innocent XI, qui
s'opposait personnellement à la persécution. Cependant
Molinos fut finalement condamné à la prison
perpétuelle et mourut entre les mains des inquisiteurs, on n'a
jamais su comment.
Par ses écrits et par sa vie, Madame de
Guyon (1648-1717) entraîna beaucoup de gens, appartenant
à des cercles divers, à la recherche d'une vie de
parfait amour et de soumission totale à la volonté de
Dieu. L'éminent et pieux archevêque Fénelon,
accepta et défendit l'enseignement de Madame de Guyon, au prix
de sa popularité et de ses perspectives à la cour.
Louis XIV la fit incarcérer à plusieurs reprises,
finalement à la célèbre Bastille. Mais ces murs
de quatre mètres d'épaisseur ne purent entraver
l'influence croissante de son enseignement.
Dans les milieux protestants, les écrits
de Gottfried Arnold (1666-1714) eurent un grand retentissement. Ayant
étudié à Wittenberg, il devint professeur
d'histoire à Giessen. Mais il renonça à cette
position lorsqu'il s'aperçut que sa vie intérieure de
communion avec le Seigneur était entravée par ses
obligations sociales et professorales. Spener n'approuva pas ce point
de vue. Il maintenait que, tant que l'on petit aider à
d'autres, il faut persévérer dans une voie que l'on
condamne, même au détriment de sa propre âme. Mais
Arnold regardait l'Église luthérienne comme une
Babylone, incapable de réformation. Il estimait que le chemin
solitaire de séparation, choisi par lui, était celui
qu'indiquait l'exemple des apôtres. Son ouvrage initial,
«Premier amour, ou une fidèle description des premiers
chrétiens, d'après leur foi vivante et leur vie
sainte», était une histoire de l'Église, depuis
les temps apostoliques jusqu'à Constantin ; il y montrait les
maux engendrés par l'union de l'Église à
l'État. De plus en plus persuadé que l'histoire de
l'Église avait été écrite par des
représentants des églises dominantes et dans un esprit
de parti, il se décida à présenter cette
histoire si importante de façon impartiale, en écrivant
l'ouvrage si répandu en sa génération et en
celles qui suivirent: «Histoire impartiale des Églises et
des hérétiques, depuis le début du Nouveau
Testament jusqu'en l'an de grâce 1688». Abandonnant
l'idée que l'Église se rattache à quelque
société, ou organisation spéciale, il mit en
lumière l'Église universelle, cachée et
dispersée dans le monde entier, parmi tous les peuples et dans
toutes les églises. Naturellement, le livre suscita des
critiques diverses. Un théologien déclara que
c'était le livre le plus nuisible qui eût paru depuis la
naissance de Christ; un autre le nomma le meilleur et le plus utile
des livres de ce genre, après les Stes-Ecritures.
Les écrits de Madame de Guyon
démontrèrent à beaucoup d'âmes qu'il leur
était possible de vivre en intime communion avec Dieu.
Le livre d'Arnold éveilla l'espoir de la
séparation d'avec le monde et de la communion avec tous les
saints.
Vers 1700, ces divers éléments
dispersés se rapprochèrent en formant ces
sociétés, ou églises nommées Philadelphie
(amour fraternel).
Le petit pays de Wittgenstein (98),
à l'extrémité sud de la
Westphalie, fut gouverné par une série de souverains
capables et tolérants, ce qui y attira une nombreuse
population composée d'éléments variés.
Des fugitifs des Cévennes y furent reçus avec
bonté, d'autant plus que les deux frères, gouvernant
respectivement le nord et le sud du pays, avaient
épousé deux soeurs (1657), filles d'un gentilhomme
français, qui avait fui en Hollande, lors du massacre de la
St-Barthélemy. Ces deux familles étaient
sincèrement chrétiennes. En 1712, la partie nord du
pays, Berlebourg, était gouvernée par un descendant
d'une de ces familles, le comte Casimir, qui, de même que sa
femme et sa mère veuve, fut le constant protecteur de tous les
opprimés.
Ces croyants se rattachaient aux églises
de Philadelphie, très répandues à
l'époque. Jane Leade de Norwich, et d'autres, enseignaient
que, dans les deuxième et troisième chapitres de
l'Apocalypse, les messages aux églises, avaient un sens
historique progressif. Sardes représentait le protestantisme,
passant pour être vivant, mais étant mort. Plus tard,
viendraient l'indifférence et l'apostasie de Laodicée.
Toutes les âmes réveillées étaient
appelées à imiter la fidèle Philadelphie et
à s'y joindre. En 1695, une église de ce nom se fonda
à Londres, non pas, dit-on, pour créer une nouvelle
secte, mais pour maintenir dans ses réunions, l'esprit d'amour
et la forme de la première Ste-Église catholique et
apostolique. Les membres ne se séparaient pas
nécessairement des églises auxquelles ils appartenaient
et n'engageaient personne à le faire. Cependant les
réunions se tenant aux mêmes heures que celles d'autres
églises, cela rendait impossible la fréquentation des
deux cultes. Pour le moment - disaient ces croyants - l'église
de Philadelphie est faible. jusqu'à ce qu'elle se manifeste
avec puissance, nous ne saurions nous attendre à
l'accomplissement de certaines prophéties, telles que la
conversion des Juifs, des Turcs et d'autres infidèles, la fin
de l'apostasie, le rétablissement de toutes choses et la venue
personnelle du Christ sur la terre.. On tint des réunions
semblables en plusieurs parties de l'Allemagne, de la Hollande et
d'ailleurs. Berlebourg devint le centre d'un important réveil
qui s'étendit à toute l'Allemagne occidentale, des
Alpes à la mer.
En 1712, ces églises publièrent
la Bible de Marbourg, sous ce titre: «Bible mystique et
prophétique, renfermant toutes les Stes-Ecritures de l'A. et
du N. Testament, récemment traduite de l'original, avec
explications des principaux types et prophéties,
spécialement du Cantique des Cantiques et de l'Apocalypse,
avec leurs doctrines essentielles, etc.» Plus tard, de 1726
à 1742, on édita une oeuvre plus considérable,
la Bible de Berlebourg, en huit volumes, magnifiquement
imprimée en gros caractères. Elle contenait des notes
détaillées, y compris des extraits de l'enseignement de
Madame de Guyon.
L'église de Philadelphie
représentait les aspirations d'une grande
variété de mouvements. Elle se proposait de faire
disparaître les différences entre églises, d'unir
tous les croyants dans l'amour, et plaçait la purification et
le perfectionnement de l'âme au-dessus des rites et observances
des «églises».
Pour s'aider mutuellement, les membres
consacraient chaque matin, à la même heure et en tous
lieux, un certain temps au recueillement dans la présence de
Dieu.
A Berlebourg, le Dr Carl, médecin du
comte Casimir, était un membre actif de la
société. En 1730, il publia l'«Invitation
philadelphienne », un appel aux âmes les exhortant
à se détourner de la circonférence des opinions
et des passions pour se fixer au centre, par l'adoration en Esprit et
en vérité. Ceux qui ont des oreilles ouvertes (dit
l'écrivain) ont les mêmes sentiments: ils sont un par le
langage, les goûts et les affections. Mais cette unité
centrale ne se trouve que chez ceux qui, abandonnant la lettre
charnelle et les articles de conception humaine, se recueillent
continuellement en Esprit et en vérité, pour
goûter la théologie du coeur, qui est la douce Parole de
Dieu. Qu'ils se nomment catholiques romains, luthériens,
réformés, etc., sur ce terrain, tous sont un: Tauler,
Kempis, Arndt et Neander. La partie réelle, durable du
christianisme, c'est la mise à mort du vieil homme et le
renouvellement de l'Esprit.
Cet appel eut un écho dans de nombreuses
vies, surtout en Würtemberg et en Suisse. Beaucoup de croyants,
sans se rattacher extérieurement aux églises de
Philadelphie, leur appartenaient de coeur. Ils cherchaient tous le
Royaume de Dieu et vivaient pieusement. Philadelphie était
pour eux une société à laquelle ils
étaient spirituellement unis, car ils y trouvaient tout ce qui
est essentiel au Royaume de Dieu. Tandis que dans les
différentes églises et confessions, ils ne voyaient que
des formes et des rites, sous lesquels se cachait l'esprit de
l'Antichrist. Zinzendorf essaya d'organiser ces
sociétés pour les incorporer à l'Unité
des Frères moraves; mais il n'y réussit pas.
A cette époque, la prédication de
Hochmann von Hochenau fut un grand moyen de réveil. Des
pécheurs se convertirent et des églises
philadelphiennes furent fondées. Il entreprit de nombreux
voyages et fut souvent attaqué par la populace, ou jeté
en prison, ce qui n'empêchait pas la foule de se presser pour
écouter ses prédications. Ce fut une vie de service
enthousiaste pour le Seigneur et il fut en bénédiction
à une multitude d'âmes. Il ne connaissait d'autre repos
que celui qu'il prenait de temps en temps au petit ermitage qu'il
possédait dans les forêts de Wittgenstein. Autrement,
son amour pour tous les hommes, et surtout pour les juifs,
l'obligeait à voyager en prêchant dans tout l'ouest et
le nord de l'Allemagne. Les paroles de Hochmann amenèrent la
conversion d'un jeune étudiant en théologie,
nommé Hoffman, dont les réunions en dehors de
l'Église luthérienne contribuèrent à la
conversion de Gerhard Terrsteegen. Celui-ci devint plus tard un
puissant témoin de Christ, qui édifia bien des
générations par ses beaux cantiques. Joung Stilling
(1740-1817), dont la vie et les écrits exercèrent une
grande influence, a dit de cette époque. «Jamais encore,
dans l'histoire de l'Église, il n'y eut une attente si
réelle et si universelle de la venue du Seigneur que dans la
première moitié du siècle qui s'achève.
Ce furent d'abord les réveils de Halle, suivis
immédiatement de la restauration de l'Église des
Frères par Zinzendorf, puis de la fondation de la
société mystique de Philadelphie à Berlebourg,
qui eut pour fruit la Bible de Berlebourg. A cette même
époque parurent deux hérauts de l'Evangile, Friedrich
Roch et Hochmann von Hochenau, puis Gerhard Tersteegen et bien
d'autres encore».
5. Divers essais pour retrouver
l'unité
Les Vaudois, les Anabaptistes et d'autres
chrétiens du même type ne furent pas des
réformateurs de l'Église catholique romaine, ni plus
tard, des Églises luthériennes et
réformée. Leur origine remonte plus haut; ils mirent en
pratique les enseignements bibliques et les formes de culte des
premiers chrétiens, et maintinrent cette attitude au cours des
siècles qui virent naître et grandir les Églises
nommées ci-dessus.
Les Pauliciens, et d'autres, spirituellement en
rapport avec eux, ne furent pas non plus les rénovateurs de
l'Église orthodoxe grecque. Ils la
précédèrent et restèrent toujours
séparés d'elle.
Mais il y eut d'autres mouvements qui furent
vraiment une réforme, soit de l'Église catholique, soit
de l'Église protestante. Quelques-uns s'efforcèrent
d'influencer ces églises en y restant attachés;
d'autres en sortirent de leur plein gré ou en furent exclus.
C'est le cas de la «Réformation», mouvement
né dans l'Église catholique romaine et aboutissant
à la formation de dénominations protestantes, qui
représentent, à des degrés divers, une
réforme du catholicisme romain.
Il y eut aussi des essais de réforme au
sein de l'Église catholique, tels que ceux de François
d'Assise et de plusieurs papes. Ce furent des efforts sincères
de faire disparaître les abus, mais qui ne purent triompher des
coutumes longtemps établies et de l'écheveau
inextricable des obligations financières.
De même, certains cercles, comme les
piétistes, cherchèrent à influencer les
Églises luthérienne et réformée sans les
quitter. D'autres, comme les Labadistes, s'en
séparèrent.
Les Frères bohémiens furent
à l'origine de la même foi que les Vaudois. Mais,
lorsque Zinzendorf réorganisa ces congrégations sur le
plan piétiste, il les rapprocha plutôt des
Églises de l'État.
Les mystiques représentent les croyants
qui, ne voyant aucune possibilité de revenir à l'ordre
de l'église primitive, se retranchèrent dans la
sanctification personnelle, la communion avec Dieu, tout en restant
dans leurs milieux religieux respectifs, qu'ils appréciaient
plus ou moins, selon leur caractère individuel. Ils eurent des
affinités spirituelles avec les meilleurs
éléments des ordres monastiques et appartinrent aux
deux Églises, protestante et catholique. Après la
publication de «l'Invitation philadelphienne», ils
essayèrent de constituer des églises.
La chrétienté s'était
grandement éloignée des commandements du Christ et de
la doctrine apostolique, et cela dans tous les détails des
enseignements scripturaires. Aussi fallut-il du temps pour revenir
à la source, en découvrant une vérité
après l'autre. Ces réveils spirituels, ayant lieu dans
des sphères variées et à des époques
différentes, devaient produire un grand nombre
d'églises, d'évolution très diverse, dans la
mesure où elles saisissaient la révélation
biblique et retournaient aux pratiques primitives. On reproche
à ces divers réveils d'avoir multiplié les
sectes, mais il s'agit en réalité de plusieurs sentiers
convergeant vers un but commun - l'unité première, qui
sera définitive un jour, car les voyageurs atteindront enfin
l'objectif exprimé par le Seigneur dans sa prière:
« ... Moi en eux et Toi en moi, - afin qu'ils soient
parfaitement un, et que la monde connaisse que Tu M'as envoyé
et que Tu les as aimés comme tu M'as aimé» (Jean
17. 23)
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