Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LE PÈLERINAGE DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A TRAVERS LES ÂGES



 CHAPITRE XII

Labadie. Les piétistes. Zinzendorf. Philadelphie

(1635-1750)

Labadie - forme une communauté dans l'Église catholique romaine - entre dans l'Église réformée - va à Orange - à Genève. - Willem Teelinck, Gisbert Voet, van Lodensteyn. - Labadie en Hollande. - Différence d'idéaux entre presbytériens et indépendants. - Réformes dans l'Église de Middelbourg. - Conflit avec les synodes de l'Église réformée. - Conflit avec le rationalisme. - Labadie condamne les synodes. - Il est exclu de l'Église réformée. - Formation à Middelbourg d'une église séparée. - La nouvelle église expulsée de Middelbourg. - Transférée à Veere. - Puis à Amsterdam. - Fondation d'une église privée. - Anna Maria van Schürman. - Divergence avec Voet. - Troubles dans la communauté. - Transfert à Herford. - Labadie meurt à Altona. - La communauté se rend à Wienwerd. - Dissolution de la communauté. - Effets du témoignage. - Spener. - Les piétistes. Franke. - Christian David. - Zinzendorf. - Herrnhut. - Dissensions. Les statuts de Zinzendorf acceptés. - Réveil. - Découverte d'un document à Zittau. - Détermination de restaurer l'Église bohémienne. La question des relations avec l'Église luthérienne. - Le nègre Antoine. Missions moraves. - La Mission en Angleterre. - Cennick. - Le contrôle central nuit à l'extension de l'oeuvre. Sociétés de Philadelphie. - Miguel de Molinos. - Madame de Guyon. Gottfried Arnold. - Wittgenstein. - Bible de Marbourg. - Bible de Berlebourg. - Invitation philadelphienne. - Hochmann von Hochenau. - Tersteegen. - Joung Stilling. - Églises primitives, réformées et autres. - Méthodes diverses de retour aux Écritures.



1. Labadie

Les conceptions religieuses des mystiques de l'Église catholique romaine influencèrent un jeune homme, Jean de Labadie (93), né à Bordeaux en 1610 et éduqué par les Jésuites pour en faire un membre de leur société. Peu satisfait de ses études théologiques, il étudia le N. Testament et fui profondément impressionné par la grandeur de l'Evangile. Il vit aussi que la chrétienté s'était lamentablement corrompue et que sa seule voie de restauration était un retour au modèle laissé par la première église de Jérusalem. Ordonné prêtre (1635), il sentit qu'il avait été consacré, non par un évêque, mais par le Seigneur Lui-même qui l'avait appelé, dès le sein de sa mère, à réformer l'Église chrétienne. Quitter les jésuites, avec lesquels il n'était pas encore définitivement associé, lui parut une nécessité. Il lui était cependant très difficile, même alors, de briser les liens qui l'attachaient à la Société. Il était déjà allé trop loin pour reculer. Aussi se mit-il entre les mains de Dieu, attendant que le chemin lui soit ouvert. Une maladie grave et prolongée amena les jésuites à abandonner la pensée de faire de Labadie un membre de leur Société. Il put donc quitter Bordeaux et tout son entourage. Son activité à Bordeaux avait été si heureuse que, autorisé par l'archevêque, il répondit à un appel et se mit à enseigner d'abord à Paris, puis à Amiens.

Ses cours attirèrent un grand nombre d'étudiants. Il avait pour méthode de lire une longue portion de l'Écriture, souvent plusieurs chapitres, puis de les expliquer. Les gens commencèrent à délaisser leurs rosaires pour lire les N. Testaments que Labadie répandait largement. Il enseignait que l'Evangile est la seule règle de la foi et de la piété, et que le mode de vivre des premiers chrétiens reste un exemple pour tous les temps. Avec la permission de l'évêque, il forma une «congrégation» ou «fraternité» qui réunissait tous ceux qui avaient été réveillés. Les frères se rencontraient deux fois par semaine pour la méditation et lisaient leurs Bibles chez eux. Dans ce cercle, il exprima l'intense désir de voir un jour, avec l'aide de Dieu, l'Église ramenée à sa condition première, afin que l'on pût y lire la Parole de Dieu et y prêcher comme le faisait l'église primitive, (1 Cor. 14) et aussi y prendre la Cène sous les deux espèces. Persécuté sans relâche par les jésuites, Labadie quitta la Picardie et se rendit en Guyenne, sa province d'origine, accompagné de plusieurs membres de la fraternité, telle une sorte d'assemblée en voyage. Il y apprit à connaître l'enseignement de Calvin et l'étudia, pensant trouver parmi les réformés un peuple vivant pour Dieu et appliquant les principes de l'Evangile à leur doctrine, à leur culte et à toute leur conduite. Il réalisa que la plupart des convictions, dont l'importance avait été décisive, lui étaient venues par l'étude de l'Écriture, alors qu'il était encore dans l'Église catholique, et non par l'étude des oeuvres de Calvin. En Guyenne, il entendit parler des efforts tentés au seizième siècle par Lefèvre, Briçonnet, Roussel et d'autres, pour réformer l'Église. Une persécution renouvelée l'obligea à se cacher parmi les carmélites et dans les châteaux de ses admirateurs. Là il vint en contact avec des familles de l'Église réformée, dont la vie et l'enseignement l'impressionnèrent. Il avait essayé de servir et de guérir l'Église romaine, mais il dut se rendre à l'évidence qu'il se mettait en opposition irréductible avec son clergé. Espérant qu'en se joignant à l'Église réformée, il aurait la liberté de confesser ouvertement les vérités que Dieu lui avait mises au coeur, et étant d'une manière générale d'accord avec l'enseignement de l'Église réformée, il entra dans cette église en 1650, à Montauban. Toutefois, il estimait que la discipline était relâchée et le niveau de la vie peu élevé. Il pensait donc, qu'après avoir échoué dans ses essais de réforme de l'Église catholique, il était maintenant appelé à « réformer » l'Église réformée.

Par ses écrits et par sa prédication, Labadie montra que le secret d'une réforme extérieure et d'une vie pieuse se trouve dans une vie intérieure de communion avec Dieu. Aussi donna-t-il des indications détaillées sur la prière et la méditation. Le but constant du chrétien, disait-il, doit être la conformité de sa volonté à celle de Dieu, l'union avec Dieu. Son amour pour Lui doit être désintéressé et sans conditions. Il aimera et glorifiera Dieu, même si ce Dieu l'a amené à prendre place parmi les perdus.

Obligé de quitter Montauban, Labadie traversa Orange, où le Conseil presbytéral le persuada de rester. Aidé par les membres de l'église, il y commença une réforme radicale, tellement que l'église fut vraiment «réformée» et il réussit en une grande mesure. Moins de deux ans après, les menaces de Louis XIV rendirent son séjour dangereux, même sur le territoire du prince d'Orange. Il accepta alors une invitation de l'Église française de Londres d'en devenir le ministre. Craignant de traverser la France, Il passa par la Suisse, où il se vit contraint de rester comme prédicateur de l'église de Genève (1659). Sa prédication fut assez puissante pour arrêter immédiatement le relâchement qui avait suivi le gouvernement austère de Calvin. Il y eut un retour à la fidélité qui affecta les conditions morales de la cité en général. Une bénédiction spéciale découla des études bibliques qu'il tenait chez lui. Il y groupa des jeunes gens auxquels il enseignait que «la pure doctrine et la vie sainte» sont «les deux mains» du chrétien. Philippe Jakob Spener fut parmi ceux qui profitèrent de ces études bibliques.

En 1661, Labadie fut invité en Hollande par des croyants bien connus pour leur excellent témoignage chrétien. Parmi eux, Voet, van Lodensteyn et Anna Maria van Schürman le prièrent d'accepter le poste de prédicateur à l'église de Middelbourg, où Teelinck avait exercé un ministère extrêmement puissant et béni.

Depuis que, grâce à la lutte héroïque sous Guillaume d'Orange, les Pays-Bas avaient secoué le joug de l'Espagne, ces provinces étaient en tête des pays voisins en fait de liberté religieuse et de prospérité matérielle. Elles étaient devenues le théâtre et le centre d'une intense activité spirituelle. L'université de Franecke était renommée pour l'érudition et la piété de ses professeurs. Le principal auteur de cette vie spirituelle et de cet intérêt pour les choses religieuses était Willem Teelinck, né en 1579 et dont le père occupait une position importante dans l'administration du pays. Teelinck avait voyagé et étudié pendant sept ans en France, en Ecosse et en Angleterre. A Londres, il fit la connaissance de familles puritaines et fut conduit à un changement de vie, par ce qu'il vit et lut. Il passa beaucoup de temps à prier et à jeûner, puis il décida d'abandonner ses études de droit pour se consacrer exclusivement au ministère de la Parole. Pendant quelque temps, il vécut dans une famille de Bamburgh, où il fut témoin d'une vie de prière et d'oeuvres d'amour telle qu'il n'en eût jamais imaginé de semblable. La prière et la lecture journalière des Écritures en famille avec explication, l'action de grâces aux repas, la conversation à table, le chant, la fréquentation des réunions, toutes choses auxquelles serviteurs et enfants s'intéressaient tout autant que les parents; la bonté inlassable, la compassion témoignée aux malades et aux pauvres - tout cela produisit sur lui une influence que rien ne put effacer. Revenu en Hollande, il prêcha, visita et écrivit avec d'excellents résultats. Cette activité, corroborée par sa conduite exemplaire au sein de sa famille, fut le moyen d'un réveil étendu. Il passa les seize dernières années de sa vie à Middelbourg, où il mourut en 1629. Il avait vivement ressenti le caractère purement nominal du christianisme réformé. Il lui semblait que, dans sa patrie, il était presque toujours comme un corps sans vie, lumière ou chaleur. Aussi se dévoua-t-il entièrement à son réel renouvellement. Tout en se confiant surtout dans les moyens spirituels pour produire cette transformation, il pensait pourtant qu'il était désirable de faire appel à l'État pour la suppression des erreurs fondamentales.

Gisbert Voet poursuivit l'oeuvre sur les mêmes lignes que Teelinck. Il prit une part active aux débats théologiques de son époque, défendit habilement l'Église réformée contre toutes les attaques et fut reconnu comme le membre le plus distingué de cette Église. Il y introduisit la pratique des conventicules, ou petites réunions, tenues en dehors des services réguliers de l'Église et auxquelles participaient les laïques. Ces réunions prirent plus d'essor encore sous la conduite de Jodocus van Lodensteyn, disciple de Voet, qui avait aussi étudié à Franecke. Grâce à ses encouragements, les conventicules devinrent un facteur important de la vie religieuse du pays.

Mais revenons à Labadie Invité par une telle église, où les conditions étaient apparemment si favorables, il résolut de quitter Genève, en dépit de tous les efforts tentés pour l'y retenir. Le voyage en Hollande était dangereux; mais il y avait à Genève quatre-vingts Vaudois munis de passeports pour se rendre dans le Palatinat. Trois d'entre eux étant retenus par la maladie, Labadie et ses amis Yvon et Dulignon, prirent leur place et firent le voyage sans être découverts. A Heidelberg, le trio fut rejoint par Menavet, et les quatre firent voeu d'entière sanctification, d'abandon du monde avec ses convoitises, ses biens, ses plaisirs et ses amis. Ils promirent de suivre Jésus-Christ, pauvre, méprisé et persécuté, afin de Lui ressembler de plus en plus, et de porter sa croix et son opprobre; de se donner à Dieu et à son Évangile, en pratiquant cela d'abord eux-mêmes, afin de pouvoir venir en aide aux autres.

Arrivés en Hollande, ils allèrent de suite à Utrecht, où ils furent, dix jours durant, les hôtes d'Anna Maria van Schürman qui, avec Voet et d'autres, les accueillit cordialement. Pendant ce séjour, Labadie prêcha avec puissance et efficacité. Leur hôtesse fut captivée par son enseignement, mais Voet et van Lodensteyn comprirent que Labadie avait un tout autre esprit que Teelinck et se demandèrent s'ils pourraient travailler avec lui. Ils doutaient que le monde pût être absolument banni de l'Église, comme l'affirmait Labadie.

Déjà alors, une différence marquée se fit sentir entre les systèmes presbytérien et indépendant (94). Le premier avait été adopté par l'Église réformée, le dernier prévalait en Angleterre et était celui que Labadie approuvait de plus en plus manifestement. Les Indépendants refusaient l'autorité des synodes, estimant que chaque congrégation était dirigée par Christ et responsable envers Lui seul, tandis que les Églises réformées hollandaise et française avaient établi des synodes semestriels auxquels chaque église envoyait deux représentants qui transmettaient à leur congrégation les décisions du synode. L'Église réformée attachait aussi une grande importance aux fonctions et aux droits de ses pasteurs et à leur préparation théologique. Elle avait été confirmée dans ce mode de faire par les fautes commises dans certains corps de croyants, tels que les Mennonites. Les indépendants ne reconnaissaient aucune fonction pastorale comme absolument nécessaire et voulue de Dieu. Ils pensaient, comme le fit Labadie, qu'une église est une congrégation de croyants et que leur foi constitue une base suffisante à l'enseignement et au témoignage. D'autre part, Teelinck et Voet regardaient l'Église comme le champ de travail où se manifestait la puissance de l'Evangile; le but de leur oeuvre étant la conversion des membres, suivie de leur développement spirituel. Van Lodensteyn aurait aimé appeler l'Église, non point «réformée», mais «à réformer». Voet et lui cherchèrent longtemps un juste milieu entre ces deux tendances. Une autre fraction pensait que l'Église avait si misérablement failli à sa mission qu'elle n'existait plus dans le monde et que la seule chose à faire était d'attendre le Retour de Christ.

Peu après son arrivée à Middelbourg, Labadie fut vivement désappointé de la pauvreté du niveau spirituel des assemblées hollandaise et française. La discipline avait été négligée et l'église ne répondait pas à ses aspirations. Il entreprit une réforme par ses sermons et ses catéchismes, exerçant la discipline au sein de petits groupes de membres. Mais ce furent sa piété personnelle et son dévouement qui eurent la plus forte influence. Il démontrait avec insistance aux membres du Consistoire que seulement par le jeûne, la prière et la séparation absolue de tout mal, ils pourraient employer avec succès les clés que le Christ leur avait confiées pour «lier et délier». Il leur recommandait la mort au «moi», des heures de méditation et de prière comme seuls moyens efficaces de transformer l'assemblée.

Jamais telle prédication n'avait retenti en Hollande. Ses prières improvisées, qu'il conseillait à d'autres, étaient une nouveauté pour l'Église et il enseignait d'une façon toute spéciale la communion de l'âme avec Dieu. Sous sa direction, l'assemblée s'efforça de mettre en pratique les principes du N. Testament. Elle comprit le vrai sens du terme «prophétie», comme étant un don que tout frère, conduit par l'Esprit, peut employer dans l'assemblée, en exposant la Parole et en l'appliquant aux besoins de l'église. Labadie écrivit un livre intitulé «Le discernement d'une vraie église selon la Ste-Ecriture, contenant trente signes remarquables, au moyen desquels elle peut être reconnue». Il montre que seuls ceux qui sont vraiment nés de nouveau constituent une vraie église, où tous, par le St-Esprit, sont unis en un même corps, et où tous les membres de l'assemblée sont conduits par l'Esprit de Christ.

Son enseignement gagna les coeurs d'un grand nombre, non seulement à Middelbourg, mais dans tout le pays. En même temps, il fallut bien se rendre à l'évidence qu'en suivant cette doctrine on changeait entièrement le caractère des églises réformées, mettant l'accent sur une vie intime de communion avec Dieu que ces congrégations ne connaissaient pas. La crainte se fit jour qu'en plaçant cette vérité au premier plan, on risquait de nuire au repos de l'âme sur l'oeuvre de Christ, de donner plus d'importance à Christ en nous qu'à Christ pour nous, ce qui exalterait les oeuvres aux dépens de la foi et placerait la sanctification au-dessus de la justification. On percevait encore que la liberté du ministère entraverait l'autorité et l'influence des ministres consacrés par l'Église.

Bientôt se manifesta une opposition amère et bien définie contre ce que Labadie estimait être nécessaire à un renouvellement, mais que la plupart des conducteurs de l'église regardaient de mauvais oeil, comme des changements troublants. Lors du synode français, tenu en 1667 à Amsterdam, Labadie fut prié de signer la Confession de foi wallonne. Il s'y refusa, disant que maintenant il y trouvait plusieurs expressions non-scripturaires, quoiqu'il eût pourtant signé la même Confession française à Montauban, Orange et Genève. Ce refus augmenta si bien l'opposition qu'au synode suivant, à Leyde, il fut résolu que s'il ne signait pas la Confession wallonne au synode de Flessingue, et ne se conformait pas aux usages de l'Église réformée, il serait suspendu de ses fonctions. En apprenant ceci, les gens de Middelbourg furent si indignés que le magistrat dut s'interposer, et que le synode assemblé à Flessingue dut faire disparaître du procès-verbal du synode de Leyde les plaintes contre Labadie.

Vers cette époque, -un docteur d'Amsterdam, Ludwig Meijer, publia un livre, où il cherchait à démontrer que la raison seule devait servir de base à toute exégèse des Écritures. Cet enseignement rationaliste provoqua en Hollande une telle opposition chez tous ceux qui croyaient en l'inspiration des Écritures que les autorités civiles chargèrent le savant professeur Coccejus d'écrire une réfutation. D'autres écrivirent aussi, entre autres Ludwig Wolzogen, pasteur de l'Église réformée française d'Utrecht. Mais son livre, écrit pour s'opposer au rationalisme, différait tellement de l'enseignement accepté par l'Église, que ceux qui croyaient à l'inspiration de la Bible le regardèrent plutôt comme une apologie de la doctrine à rejeter. Labadie écrivit également, et le Conseil de l'église française de Middelbourg estima que son livre était une si excellente réfutation de l'enseignement rationaliste qu'il décida de présenter au prochain synode de Flessingue, -une proposition de condamnation formelle du livre de Meijer. Dans ce but le synode chargea les consistoires de trois villes, entre autres Middelbourg, de présenter, sur le livre, un rapport au synode de Naarden (1668). Les rapports des trois consistoires différaient grandement, et on constata avec surprise qu'une forte majorité du synode acceptait le livre de Meijer comme orthodoxe et justifiait Wolzogen. Labadie quitta le synode pour aller consulter le consistoire de son église à Middelbourg. Mais, en son absence, le synode proposa de le suspendre provisoirement de ses fonctions pastorales, pour avoir introduit dans l'église des doctrines et des pratiques étranges. D'autres accusations furent formulées contre lui, notamment qu'il avait enseigné que le temps présent est le règne de la grâce et que le millénium ne commencerait que lorsque Christ aurait vaincu ses ennemis. Il devait ainsi accomplir l'objet de la création, en dépit de la chute de l'homme, et amener le rétablissement de toutes choses, comme au jour où Dieu les avait créées. Si Labadie ne se soumettait pas, il serait définitivement suspendu de ses fonctions. Le synode envoya à Middelbourg une commission, ayant mandat de suspendre tout membre du consistoire qui s'opposerait à ce décret. Mais aucun deux n'accepta la décision prise, déclarant que Labadie ne pouvait être convaincu d'avoir manqué dans son enseignement, ni dans la discipline de l'église. Le consistoire fut donc suspendu. Il fut décidé qu'au prochain synode, il serait interdit à Labadie de prêcher.

On le jugeait d'autant plus dangereux qu'il était remarquablement doué. Quant à lui, la pensée de céder ne l'aborda même pas. Il continua de prêcher, puis il écrivit qu'il ne pouvait plus avoir de relations fraternelles avec le synode, qui était tombé dans l'erreur et le mal. Non seulement il déclara la confession de foi erronée, mais encore il affirma que le synode rejetait l'enseignement de 1 Corinthiens 14. Il alla jusqu'à condamner tout le système des synodes et des consistoires, les formes liturgiques stéréotypées, la lecture de l'Écriture sans explications, l'abus des sacrements en permettant à des inconvertis d'être témoins lors des baptêmes et de prendre part à la Ste-Cène. Il mentionna aussi qu'aux mariages des gens manifestement impies faisaient des voeux chrétiens et recevaient l'assurance de la bénédiction divine; enfin que les autorités ecclésiastiques assumaient les droits du pape en liant les consciences par leurs règlements. Labadie dit encore qu'il n'existe dans l'Église d'autre autorité que celle de l'Esprit et de la Parole de Dieu, c'est-à-dire ce que renferment les Écritures et le témoignage intérieur à la Parole qui lui correspond. Puisque la conscience chrétienne n'est guidée que par l'autorité de la Parole de Dieu, il n'y a aucune désobéissance à refuser la soumission aux exigences des synodes et des autres institutions humaines lorsqu'elles contredisent l'Écriture. C'est plutôt le devoir d'une assemblée chrétienne d'agir ainsi dans l'intérêt de la liberté chrétienne et de s'élever contre un nouveau système papal qui cherche à se placer au-dessus de la Bible.

Le synode impatiemment attendu eut lieu à Dordrecht, en 1669. Labadie, le consistoire de Middelbourg et quelques ,membres de l'église restèrent une semaine à Dordrecht pour protester contre la manière dont on les avait traités. On ne leur donna même pas audience. Le synode confirma l'expulsion de Labadie et de tous ses adhérents, «parce qu'ils avaient désobéi aux lois de l'Église et cherché à provoquer une division».

Labadie était convaincu que Dieu l'avait appelé à restaurer l'Église apostolique. jusqu'à l'âge de quarante ans, il s'était efforcé de réformer l'Église de Rome, puis pendant vingt ans, l'Église réformée. Avec amour et enthousiasme, il avait consacré ses merveilleux dons et le meilleur de sa vie à ces deux efforts - pour arriver à un double échec! Il en vint à conclure «qu'une réforme des corps ecclésiastiques existants est impossible et que la restauration de l'église apostolique ne peut s'accomplir qu'en se séparant d'eux». Il introduisit aussitôt ce principe dans l'église de Middelbourg. Trois cents membres en sortirent pour former un nouveau rassemblement. Plusieurs anciens et trois pasteurs en prirent la direction. On organisa des réunions deux fois par jour et trois fois par dimanche. L'un des bancs, un peu plus élevé que les autres, était occupé par anciens et pasteurs, qui tous parlaient aux réunions. La nouvelle congrégation abandonna le nom de «réformée» pour s'appeler «évangélique». Seuls pouvaient être membres ceux que l'on estimait être nés de nouveau.

Le différend entre l'Église réformée et la nouvelle assemblée, amena les autorités locales à enjoindre aux membres de cette dernière de quitter Middelbourg. Dès que la chose fut connue, la ville de Ter-Veere, à une heure de distance, invita l'église exilée à venir s'y fixer. L'invitation fut acceptée avec reconnaissance, mais le premier magistrat de Middelbourg se rendit bientôt compte de son erreur quand il vit des foules de gens se rendre à Ter-Veere pour entendre Labadie, désertant ainsi Middelbourg. Vexé par la perte matérielle causée à la ville, le magistrat persuada l'autorité suprême du district d'ordonner aux autorités de Veere l'expulsion de Labadie et d'Yvon, sous prétexte qu'ils divisaient l'Église et semaient le trouble parmi le peuple. Sous la conduite de leur magistrat, des hommes armés vinrent de Middelbourg pour faire observer le décret. Mais les gens de Veere se levèrent comme un seul homme pour résister. Une guerre civile était imminente. Alors Labadie s'avança et déclara que nul ne verserait son sang pour lui. Il voyait en ceci la main de Dieu et décidait de se rendre à Amsterdam, avec ceux qui désiraient l'accompagner. Ce fut un gros désappointement à Veere, mais Labadie resta ferme et les citoyens durent céder. Le magistrat dit qu'il ne le laissait partir «qu'à grand regret et poussé par l'absolue nécessité».

Labadie, ses trois amis et d'autres de ses adhérents partirent pour Amsterdam, où ils furent bien reçus et où on leur promit protection et liberté religieuse. L'oeuvre de Labadie avait si bien progressé que plusieurs milliers de personnes à Amsterdam s'attachèrent à la nouvelle église et ,s'abstinrent de prendre la Ste-Cène à l'Église réformée. Il en fut de même dans toutes les plus grandes églises du pays, et beaucoup de gens furent influencés par les nouvelles congrégations, sans s'y joindre définitivement. Comprenant le danger que courait l'Église réformée, ses chefs demandèrent l'aide du gouvernement, mais l'éminent homme d'État, Jan de Witt, avait assuré la liberté religieuse, et il la maintint.

Malheureusement, le témoignage de Labadie allait être entravé bien davantage par ses propres actions dans le cercle intime que par les attaques du dehors. L'expérience et la Parole de Dieu lui avaient enseigné qu'il est impossible de réformer une ville ou un système ecclésiastique pour les amener à l'idéal qu'il s'était formé. Il n'était pas satisfait non plus des églises fondées d'après le modèle apostolique - composées, il est vrai, de personnes sauvées et séparées du monde, mais dont beaucoup étaient faibles et demandaient une surveillance patiente et constante. Il décida donc de former une communauté privée, dont tous les membres vivraient sous un même toit, ce qui, pensait-il, faciliterait une connaissance intime de chaque personne qu'il pourrait amener à suivre Christ et, dans l'union avec Dieu. Il loua donc, à Amsterdam, une maison pouvant recevoir quarante personnes et la famille de croyants s'organisa. On tenait des réunions régulières et, une fois par semaine, il y avait un repas en commun. Plusieurs personnes du dehors vinrent aux réunions et les discours français étaient traduits en hollandais. Yvon, Dulignon et Menuret entreprirent des tournées de prédication dans les Pays-Bas et les régions environnantes.

Anna Maria van Schürman vint à Amsterdam, loua un appartement dans la maison et se joignit à la nouvelle communauté. Elle passait pour la femme la plus accomplie de son temps. Elle correspondait en plusieurs langues avec les plus fameux littérateurs d'Europe et son opinion, ses conseils étaient appréciés même par ceux qui étaient experts en matière d'art et de science. Elle était chrétienne depuis sa tendre enfance. Dans son ouvrage latin, Eukleria, elle écrit: «Ayant à peine quatre ans, j'étais assise, un jour, avec ma bonne, sur les bords d'un cours d'eau. Elle me répéta les mots: Je ne m'appartiens pas, mais j'appartiens à mon fidèle Sauveur, Jésus-Christ. - Je fus remplie alors d'un sentiment si intime d'amour envers Christ que rien, à travers les années qui suivirent, ne put effacer le vivant souvenir de cet instant.» Pour justifier son adhésion à la nouvelle compagnie, elle écrivit: «Voici des années que je constate avec chagrin combien la chrétienté s'est éloignée de ses origines, tellement qu'elle n'est plus la même qu'au début... Aussi ai-je perdu tout espoir dans la possibilité d'une restauration par le moyen de notre clergé (qui a lui-même grand besoin de réformation, dans sa majorité). Qui donc pourrait m'accuser d'avoir joyeusement choisi, pour ma part, ces hommes, divinement qualifiés pour accomplir la réforme de cette chrétienté dégénérée?» La décision prise par cette femme célèbre fut très discutée et elle fut accablée de lettres la suppliant de rentrer dans l'Église réformée. Mais elle jouissait d'avoir mis de côté le vieil homme et choisi la bonne part qui ne lui serait point Ôtée. Autrefois, elle avait désiré la gloire de Dieu, mais aussi la sienne propre; maintenant elle ne recherchait rien pour elle, tout pour Dieu. Elle vendit ce qu'elle possédait et le donna à Labadie, ce quelle semble n'avoir jamais regretté. Dans toutes les vicissitudes de la famille spirituelle, elle donna sa précieuse assistance, et demeura sa fidèle conseillère jusqu'à un âge avancé.

Voet ne vit pas de bon oeil cette nouvelle entreprise, qu'il jugeait dangereuse, et quoiqu'il eût été un chaud partisan de Labadie, il devint son adversaire. Il écrivit que personne ne devrait quitter l'Église réformée, à cause de ses fautes, de sa tiédeur et de sa faiblesse, ou pour se joindre à une association séparée, de caractère monastique, et prenant la place de l'église. Il pensait qu'une maison de ce genre provoquerait de mauvais soupçons. La publication de son livre eut un effet extraordinaire. Dans une réponse anonyme, Voet fut attaqué violemment et indignement. Lorsqu'on découvrit que Labadie était l'auteur de cet ouvrage, sa réputation fut sérieusement compromise. Plusieurs écrits furent dirigés contre lui; mais ces attaques ne firent que resserrer les liens de la famille qui vit affluer d'autres membres, dont l'un était le bourgmestre d'Amsterdam.

Toutefois des troubles se produisirent dans la communauté. L'un des membres, une veuve, mourut et l'on fit courir le bruit qu'elle avait été tuée et que son corps serait enterré dans le jardin. La populace cerna la maison, qui dut être protégée militairement pendant trois jours. Menuret, que Labadie aimait comme un fils, souffrit d'aliénation mentale et mourut dans un accès de folie. Des membres commencèrent à se demander si pareille chose pouvait se produire, si l'église était vraiment de Dieu. On découvrit que, malgré tant de soin, l'un des frères avait des vues sociniennes et qu'un autre avait les idées des Quakers. Lorsqu'on leur reprocha la chose, ils se vengèrent en écrivant un pamphlet calomniateur. L'affaire vint devant la justice et il fut prouvé que les accusations du pamphlet étaient fausses. Mais le bruit se répandit rapidement que certains membres de la communauté étaient de dangereux sectaires. Tout ceci leur causa beaucoup de tort et, dans l'intérêt de la paix, les magistrats interdirent aux gens du dehors la fréquentation des réunions. Cet ordre mettait fin à tout espoir de développement de l'oeuvre.

Pour sortir de ces difficultés, Anna Maria van Schürman fit appel à sa vieille amie, la princesse Elizabeth, abbesse de Herford, qui invita toute la famille à venir s'installer sur son domaine. Accompagné d'une cinquantaine de personnes, Labadie s'embarqua à Amsterdam pour Brême; de là le voyage, jusqu'à Herford, se poursuivit en char (1670). Les habitants luthériens s'opposèrent violemment à l'arrivée de ces «Quakers». comme ils les nommaient. Il fallut toute l'autorité de la princesse pour qu'ils pussent rester. La haine et la malveillance qui l'entouraient isolèrent plus que jamais la communauté et la conduisirent à s'absorber entièrement dans ses exercices religieux. Les exhortations de Labadie faisaient si grande impression sur les auditeurs qu'ils pensèrent que le moment était venu de se livrer plus entièrement à Dieu et, dans ce but, introduisirent la communauté des biens. C'était, croyaient-ils, le vrai moyen d'exprimer leur abandon de toutes choses terrestres, de réaliser la mort au «moi» et leur parfaite union avec les membres du corps de Christ. Lorsqu'ils introduisirent ce changement - étant en train de rompre le pain en mémoire de la mort du Seigneur - une étrange extase spirituelle saisit quelques membres d'abord, et tous ensuite. Ils commencèrent à parler en langues, puis se levèrent et dansèrent. Ceci dura environ une heure. Des manifestations semblables se répétèrent à de rares intervalles. Pour la plupart d'entre eux ces choses prouvaient une union parfaite du coeur et de l'âme avec le Seigneur. D'autres désapprouvèrent ces signes et se retirèrent de la fraternité. Quand ces manifestations furent ébruitées, la haine des gens du dehors augmenta. jusqu'alors, la communauté avait plutôt découragé le mariage. Alors elle changea soudain d'opinion. Labadie, Yvon et Dulignon se marièrent et leurs femmes furent de précieuses aides de l'oeuvre.

L'animosité croissante du peuple obligea la communauté à quitter Herford, en dépit de la protection de la princesse, qui ne cessa jamais de prendre leur défense. Ils trouvèrent une retraite à Altona, où ils louèrent deux maisons. Labadie y mourut paisiblement (1674), et ce fut là qu'Anna Maria van Schürman écrivit son livre «Eukleria». La guerre les obligea. à quitter cet asile. Ils se rendirent au château de Waltha, dans le petit village de Wieuwerd, en Frise occidentale, qui avait été mis à leur disposition. Ce fut leur dernier foyer. Les paysans les reçurent amicalement et une commission, nommée par l'Église réformée pour s'enquérir de leurs vues et de leur manière de vivre, déclara qu'ils n'étaient pas dangereux. On leur permit donc de rester. Ce fut là que moururent Anna Maria van Schürman, figée de 71 ans, ainsi que Dulignon et sa femme.

La communauté grandit et un nombre considérable de personnes de la contrée suivirent les réunions. Deux fractions importantes quittèrent le pays pour se rendre, l'une à Surinam, l'autre à New-York. Elles étaient subventionnées et contrôlées par la communauté de Wieuwerd. Mais elles revinrent après avoir échoué, car, au lieu de chercher à gagner les païens, elles s'étaient appliquées à attirer les chrétiens dans leurs rangs. Ces expéditions appauvrirent la communauté et certaines difficultés s'attachant à la mise en commun des biens les obligèrent à abandonner le système qu'ils avaient appliqué durant vingt ans.

Ce dénuement causa une vraie détresse, car la plupart des membres étaient pauvres. Beaucoup n'avaient jamais appris à gagner leur vie, ou étaient incapables de le faire, ayant toujours vécu aux dépens des plus fortunés. Yvon expliqua que, quand la première église à Jérusalem avait été dispersée, la communauté des biens avait cessé, et qu'eux aussi étaient maintenant appelés à se répandre dans le monde et à y travailler comme le levain dans la pâte. Si cette conclusion avait été tirée plus tôt, ces chrétiens n'auraient eu nul besoin d'abandonner le modèle scripturaire de l'église, qu'ils avaient d'abord imité, pour créer une communauté qui limita leur témoignage et entrava le plein développement d'une oeuvre pleine de promesses. La communauté dut se disperser. Yvon resta au château de Waltha, où il mourut. Vingt-cinq ans plus tard, le château passa à d'autres propriétaires et le dernier des Labadistes dut le quitter.

La vie de Labadie fut un long et vaillant effort qui prit sa source dans une vie de communion intime avec Dieu, nourrie par la prière systématique et par l'étude diligente des Écritures. Il comprit que son grand plan de réforme de l'Église catholique romaine était irréalisable. Puis il découvrit, après plusieurs expériences, qu'une ville ou un état ne peuvent, comme tels, se convertir et former une église. Enfin il s'aperçut aussi que l'Église protestante réformée ne pouvait être transformée et ramenée au modèle du N. Testament. Alors, au travers de longues luttes, il comprit ce qu'étaient et ce que sont encore les vraies églises de Dieu. Découragé par beaucoup de résistances et de désappointements, il chercha refuge dans une communauté privée, pensant pouvoir mieux maintenir la pureté dans un cercle si limité. Mais ce fut une erreur, car les églises ne sont pas des retraites pour les gens parfaits, mais des chambres d'enfants et des écoles, où sont reçus tous ceux qui confessent Christ, où l'on doit supporter avec patience et amour leur faiblesse, leur ignorance et leurs imperfections, tout en les instruisant. En Labadie nous voyons un homme dont la vie renfermait des éléments d'insuccès héroïques, mais aussi de réussite durable. D'abord il essaya d'élargir les cadres de l'Église, en y introduisant de grands systèmes mondains, desquels les vraies églises doivent se séparer. Puis il passa à l'autre extrême et rétrécit trop les cadres, dans la pensée que tous les membres doivent être parfaits. Pendant un temps, il fonda de vraies églises de Dieu, et l'influence de sa prédication et de son exemple lui survécut. Enfin, en pratiquant une conception trop limitée de l'Église, il tomba dans l'erreur qui s'attache à cette manière de voir - la communion restreinte favorisa les extravagances et le manque de pondération. Les expériences de Labadie sont de grande valeur; elles illustrent la sécurité d'une voie d'obéissance à la Parole et le danger de s'en détourner à droite ou à gauche - d'inclure le monde dans les églises ou d'en exclure les saints.



Table des matières

Page suivante:


93 «Geschichte des Christlichen Lebens in der rheinisch-westphälischen Kirche>, Max Goebel.
«Geschichte des Pietismus und der Mystik in der Reformierten Kirche usw.», Heinr. Heppe.

94 «Geschichte des Pietismus in der Reformierten Kirche», Albrecht Ritschl.«Die Vorbereitung des Pietismus in der Reformierten Kirche der Niederlande bis zur Labadistischen Krisis, 1670» von Wilhelm Goeters, Leipzig. J. C. Hinrichssche Buchhandlung, Utrecht. A. Oosthock, 1911

 

- haut de page -