LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
CHAPITRE VI
Les Églises à la fin
du moyen âge
(1300-1500)
Influence des frères en d'autres
milieux. - Marsiglio de Padoue. - Les corporations. - Constructeurs
de cathédrales. - Protestations des cités et des
corporations. - Walther à Cologne. - Thomas d'Aquin et Alvarus
Pelagius. Destruction de la littérature des frères. -
Maître Eckart. - Tauler. Les «Neuf Rochers». - L'Ami
de Dieu de l'Oberland. - Renouveau de persécution. - Le
document de Strasbourg sur la persistance des églises. -
Manuscrit de Tepl. - Traduction ancienne du N. Testament allemand. -
Fanatisme. - Prise de Constantinople. Invention de l'imprimerie. -
Découvertes. - Impression de la Bible. Colet, Reuchlin. -
Erasme et le N. Testament grec. - Espoir d'une réformation
paisible. - Résistance de Rome. - Staupitz découvre
Luther.
1. La Bulle de Boniface VIII
L'influence des apôtres vaudois et le
témoignage des «frères»
dépassèrent de beaucoup les limites de leur propre
milieu. Dans la première moitié du quatorzième
siècle, leur enseignement était plus répandu que
jamais auparavant.
En 1302, le pape Boniface VIII publia une bulle
déclarant que la soumission au pape romain était
nécessaire pour le salut de tout être humain,
d'où l'on devait déduire qu'il n'y a, dans le monde,
aucune autorité venant de Dieu, à part celle du pape.
L'empereur Louis de Bavière se mettant à la tête
du mouvement de protestation contre cette prétention, le pape
jeta l'interdit sur la majeure partie de l'Empire.
Dans ce conflit, Marsiglio de Padoue
(44), protégé et
estimé de l'empereur, joua un grand rôle par ses
écrits, en dépit de la déclaration papale,
déclarant n'avoir jamais lu un texte plus nettement
hérétique. Né à Padoue (1270), Marsiglio
étudia à l'université de Paris, où il se
distingua. En 1324, il publia son «Defensor Pacio», par
lequel il établit clairement, d'après
l'Écriture, les relations entre l'Église et
l'État. Il dit qu'on a pris l'habitude d'appliquer le mot
«Église» aux ministres de l'Église,
évêques, prêtres et diacres, et que ceci est
contraire à l'usage apostolique du terme, selon lequel
l'église est l'assemblée, ou la totalité de ceux
qui croient en Christ. C'est dans ce sens, continue-t-il, que Paul
écrivait aux Corinthiens: «A l'Église de Dieu qui
est à Corinthe» (I Cor. 1. 2). Ce n'est pas par erreur
que l'on a attaché une autre signification à ce mot,
mais pour des motifs dûment pesés et de grande
importance pour la prêtrise, comportant des conséquences
néfastes pour le christianisme. C'est grâce à
cette fausse interprétation du terme, étayée sur
certains passages de l'Écriture également
faussés, que l'on a édifié le système
hiérarchique. Et maintenant, ce système, contraire aux
Écritures et aux commandements de Christ, s'arroge le pouvoir
judiciaire suprême, en matière séculière
comme en matière spirituelle. Or c'est de l'Église
chrétienne que découle l'autorité suprême
conférée par elle aux évêques et aux
prêtres. Aucun maître, ou berger, n'a le droit d'obtenir
l'obéissance par la force ou le châtiment. Qui donc a
autorité pour nommer les évêques, les pasteurs et
les ministres en général? Pour les apôtres,
Christ était la source d'autorité, pour leurs
successeurs, c'étaient les apôtres et, après eux,
le droit d'élection a passé aux congrégations de
croyants. Le livre des Actes en donne un exemple dans les nominations
d'Etienne et de Philippe. Si donc, du vivant des apôtres,
c'était l'église qui faisait ce choix, à combien
plus forte raison doit-on agir de même après leur
mort.
2. Les Corporations
Les églises chrétiennes et leurs
doctrines se répandirent rapidement parmi les habitants des
grandes villes et surtout parmi les membres des divers corps de
métiers. En Italie et en France, les frères
étaient souvent appelés «Tisserands».
N'étant que de simples artisans, comment considérer
comme docteurs des tisserands et des cordonniers? Les corporations
(guildes) étaient très puissantes et étendaient
leurs ramifications du Portugal à la Bohême et de
l'Angle, terre à la Sicile. Chacune de ces corporations avait
sa propre organisation et maintenait d'étroites relations avec
les autres. Elles avaient un caractère religieux autant que
technique. La lecture de la Bible et la prière prenaient une
place importante dans leur activité. L'une des plus puissantes
était celle des maçons, qui comprenait tous les
ouvriers ayant affaire au bâtiment. Cette corporation a
laissé des marques durables de sa puissance et de son
importance dans des édifices pleins de grâce, de
beauté et de force - cathédrales, églises,
hôtels de ville et hôtels particuliers - construits dans
les douzième, treizième et quatorzième
siècles et admirés encore dans toute l'Europe. Dans les
cabanes des constructeurs, groupées autour de la
cathédrale en construction, le maître avait coutume de
lire les Écritures, même durant des périodes
où, ailleurs, la simple possession d'une Bible était
punissable de mort. Beaucoup de gens qui n'avaient rien à
faire avec la construction - des dames, des marchands et d'autres -
devenaient membres de la corporation en offrant une contribution
nominale, un pot de miel ou une bouteille de vin. Ces membres
étaient souvent plus nombreux que les ouvriers mêmes car
la corporation leur procurait en même temps un refuge contre la
persécution et l'occasion d'entendre la Parole de Dieu. La
valeur artistique et la beauté de beaucoup de ces
édifices furent largement inspirées par l'ardente
spiritualité qui se cachait sous le patient travail de
l'artisan.
Les cités de l'Empire et les
corporations appuyèrent l'empereur Louis dans sa lutte avec le
pape et souffrirent grandement de l'interdit. En 1332, un groupe de
cités adressèrent une lettre à
l'archevêque de Trèves, déclarant que de tous les
princes de ce monde, l'empereur Louis était celui qui vivait
le plus fidèlement selon l'enseignement du Christ et que, par
sa foi comme par sa modeste résignation, il était en
exemple à tous. «Jusqu'à la mort - disaient-ils -
nous lui resterons fermement et fidèlement attachés,
dans la foi et dans une sincère obéissance, comme
à celui qui est notre véritable empereur et seigneur.
Aucune souffrance, aucun changement, aucune circonstance ne nous
sépareront jamais de lui.» La lettre continue en
illustrant les justes relations de l'Église et de
l'État par le soleil et la lune, exprime le plus profond
regret que ces relations aient été troublées par
l'ambition et la recherche des honneurs, et repousse la
prétention du pape d'être la seule source
d'autorité. Elle conclut en demandant avec instance, comme de
«pauvres chrétiens», que l'on cesse de nuire
à la foi.
3. Frères et amis de
Dieu
Durant des siècles, Strasbourg et
Cologne furent, pour les frères, des centres importants. Les
congrégations y étaient nombreuses et exerçaient
leur influence au loin. D'après une chronique, un certain
Walther vint, en 1322, de Cologne à Mayence. C'était un
«conducteur des Frères et un dangereux
hérésiarque qui, durant de longues années,
était resté caché et avait entraîné
de nombreuses âmes dans ses pernicieuses erreurs. Il fut saisi
près de Cologne, jugé et condamné à
être brûlé. C'était un homme rempli du
diable, plus capable que tout autre, constant dans son erreur, habile
dans ses réponses, corrompu dans sa foi. Ni promesses, ni
menaces, ni les plus horribles tortures ne purent l'amener à
trahir ses nombreux compagnons de crime. Ce Lollard, nommé
Walther, était originaire des Pays-Bas. Comme il connaissait
peu le latin, et ne pouvait s'exprimer en langue romane, il
écrivit beaucoup en allemand sur sa fausse foi et distribua
secrètement ses écrits à ceux qu'il avait
séduits et égarés. Il ne voulut ni se repentir,
ni rétracter ses erreurs et défendit fermement, voire
obstinément, ses doctrines. Il fut donc jeté au feu et
ne laissa derrière lui que des cendres.»
Les écrits de Thomas d'Aquin
réussirent à établir la doctrine: «puisque
tout pouvoir dans le ciel et sur la terre» avait
été donné à Christ, son
représentant, le pape, possédait la même
autorité. Un franciscain espagnol, Alvarus Pelagius, soutint
la même thèse par des écrits qui lui acquirent
une grande considération. «Le pape - écrivait-il -
apparaît, non comme un homme, mais comme un Dieu, pour ceux qui
ont la vision spirituelle. Son autorité est illimitée.
Il a le droit de déclarer ce qui est bien à ses yeux et
de priver tel homme de ses droits, s'il le juge bon. Douter de ce
pouvoir universel, c'est s'exclure du salut. Les grands ennemis de
l'Église sont les hérétiques, qui refusent de
porter le joug de la vraie obéissance. Ils sont
extrêmement nombreux en Italie, en Allemagne et en Provence,
où on les appelle Béghards et Béghines.
Quelques-uns les nomment «Frères», ou «les
Pauvres en cette vie», ou encore «Apôtres». Les
Apôtres et Béghards n'ont point de domicile fixe,
n'emportent rien lorsqu'ils voyagent, ne mendient jamais et ne
travaillent pas. C'est là ce qu'il y a de pire, car autrefois,
ils étaient maçons, serruriers, etc.» Un autre
écrivain (1317) dit que l'hérésie s'est si bien
répandue parmi prêtres et moines, que l'Alsace en est
remplie.
On fit des efforts spéciaux pour
détruire la littérature hérétique. En
1374, on publia à Strasbourg un édit condamnant toute
oeuvre de ce genre, ainsi que leurs auteurs, et ordonnant à
ceux qui pourraient posséder de ces écrits de les
livrer dans un délai de quatorze jours pour qu'ils soient
brûlés. Plus tard (1369), l'empereur Charles IV
recommanda aux inquisiteurs d'examiner les livres des laïques et
du clergé, les premiers n'étant pas autorisés
à employer des commentaires allemands des Écritures, de
peur qu'ils ne tombent dans les hérésies des
Béghards et des Béghines. On détruisit donc
beaucoup d'écrits de ce genre.
En 1307, le vicaire-général de
l'ordre des dominicains en Saxe fut le célèbre
maître Eckart qui, à l'université de Paris, avait
acquis la réputation d'être l'homme le plus
érudit de son temps. Sa prédication et son enseignement
lumineux lui valurent la perte de ses titres. Après une
période de retraite, il apparut de nouveau à
Strasbourg, où sa puissance de prédicateur groupa
bientôt de nombreux disciples autour de lui. Ses écrits
furent si largement répandus parmi les Béghards de
Strasbourg qu'il s'attira les soupçons du clergé. Il se
rendit alors à Cologne où, après avoir
prêché quelques années, il fut appelé
à comparaître devant l'archevêque, sous
l'inculpation d'hérésie. Son cas fut sou. mis au pape
et les écrits d'Eckart furent condamnés et interdits.
Malgré cela, on continua à apprécier son
enseignement, à cause de la sainteté de sa vie et de
son noble caractère. Suso trouva la paix par son moyen et,
à Cologne, Eckart rencontra et influença Tauler, alors
un jeune homme.
Dans le conflit entre l'empereur Louis de
Bavière et le pape, Dr Johannes Tauler, dominicain bien connu,
défendit hardiment le souverain. Tauler n'était pas
seulement estimé et aimé à Strasbourg, où
ses sermons attiraient la foule, mais sa réputation de
professeur et prédicateur s'étendit à d'autres
pays. Lorsqu'en 1338, presque tout le clergé quitta
Strasbourg, à cause de l'excommunication papale, Tauler y
resta, sentant que la grandeur même des besoins de la
cité lui fournissait une occasion unique d'y consacrer son
ministère. Il visita aussi d'autres lieux, qui souffraient de
la même manière que Strasbourg, et passa quelque temps
à Bâle et à Cologne. Dix ans plus tard, la peste
dévasta Strasbourg et il resta de nouveau à son poste.
Aidé de deux amis, un religieux augustin et un chartreux, il
servit le peuple souffrant et terrifié. Ces trois hommes
publièrent des lettres pour justifier leur service envers ceux
qui étaient sous le coup de l'interdit. Ils y
déclaraient que, du moment que Christ était mort pour
tous, le pape ne pouvait fermer la voie du salut à aucun
croyant pour la raison qu'il refuse l'autorité papale et reste
loyal envers son Roi légitime. Les trois amis furent
expulsés de la ville et se retirèrent dans le couvent
voisin, dont le chartreux était le prieur. De là, ils
continuèrent à répandre leurs écrits.
Tauler vécut ensuite à Cologne, où il
prêcha dans l'église de Ste-Gertrude. Il put toutefois
retourner à Strasbourg, où il mourut (1361) à
l'âge de soixante-dix ans, d'une pénible maladie. Il fut
soigné par sa propre soeur dans le couvent où elle
vivait comme nonne.
De son vivant, Tauler fut accusé
d'être un «sectaire». Il s'en défendit et se
rangea parmi les «Amis de Dieu». Il disait:
«Aujourd'hui, le Prince de ce monde a semé des mauvaises
herbes parmi les roses, et les roses sont parfois
étouffées et déchirées par les ronces.
Enfants, il faut établir une distinction, une sorte de
séparation, que ce soit dans les cloîtres ou au dehors.
Les «Amis de Dieu» ne constituent pas une secte parce
qu'ils professent ne pas ressembler aux amis du monde.»
Lorsqu'on qualifiait sa doctrine de
«bégharde», il répondait en avertissant
«les gens froids et endormis» qui se flattaient d'avoir
accompli «tout ce que commandait la sainte Église, que
même après avoir fait tout cela, ils n'obtiendraient
jamais la paix du coeur à moins que la Parole
incréée, éternelle du Père céleste
ne vienne les renouveler intérieurement et faire d'eux de
nouvelles créatures. Au lieu de cela, ils se bercent dans une
fausse sécurité en disant : Nous appartenons à
un saint ordre, nous sommes dans une sainte communion; nous prions et
lisons. Ces aveugles - continuait-il - pensent que les souffrances de
notre Seigneur Jésus-Christ et son précieux sang
peuvent être traités légèrement et rester
sans fruits. Non, mes enfants, non; cela ne peut être... et, si
quelqu'un vient les avertir qu'ils vivent dans un danger terrible et
mourront dans la crainte, ils se moquent de lui, disant: C'est ainsi
que parlent les béghards. Voici ce qu'ils disent à ceux
qui ne peuvent souffrir de voir la misère de leur prochain et
leur montrent la vraie route.»
Tauler dit encore: «Les pharisiens, ce
sont les prêtres qui se croient supérieurs aux autres et
considèrent leurs propres voies comme étant
nécessairement parfaites. Ce sont eux qui détruisent
les «Amis de Dieu». En 1576, le Général des
jésuites ordonna de ne pas lire les livres de Tauler et, en
1590, le pape Sixte V plaça ses sermons dans l'Index des
livres défendus. Les livres de Tauler, regardés comme
spécialement hérétiques, furent détruits
et les autres falsifiés. D'autre part, on a attribué
à Eckart et à Tauler des ouvrages qu'ils n'ont pas
écrits. A cause de la persécution qui régnait,
on céla souvent les noms des auteurs. Ce que nous
possédons de l'enseignement de Tauler nous
révèle son intime sympathie avec les frères et
les églises chrétiennes.
Le livre intitulé «Histoire de la
conversion de Tauler», généralement attaché
à ses sermons, n'a pas été écrit, comme
on le pensait, par lui, ou même sur lui. Cependant il
mérite bien la large circulation qui lui a été
accordée. Il raconte la conversion d'un prêtre,
éminent prédicateur, par le moyen d'un pieux
laïque. Cet ouvrage a quelque parenté avec un autre
livre, sans nom d'auteur, intitulé «Les Neuf
Rochers», qui eut aussi une grande influence. Pendant longtemps,
on supposa qu'il avait été écrit par Suso. Mais
la publication en fut tirée d'une copie faite par le riche
citoyen Strasbourgeois, Rulman Merswin, l'un des amis intimes de
Tauler. Suso omet un passage qui aurait offensé les
susceptibilités catholiques romaines, mais qui était
caractéristique de l'enseignement des frères: «Je
te dis que tu as raison quand tu pries Dieu d'avoir pitié du
pauvre christianisme; car sache que, depuis des siècles, le
christianisme n'a jamais été aussi pauvre ou impie
qu'il l'est aujourd'hui. Mais je te déclare que tu te trompes
en disant que les méchants juifs et païens sont tous
perdus. je t'assure qu'en ces jours, il y a des païens et des
juifs que Dieu préfère grandement à ceux qui se
disent chrétiens et vivent en contradiction avec les
ordonnances du christianisme... Partout dans le monde, il peut se
trouver un Juif ou un païen craignant Dieu en toute
simplicité et honnêteté, ne connaissant pas
d'autre foi que celle dans laquelle il est né, mais qui serait
prêt à abandonner ses croyances, s'il connaissait autre
chose plus agréable à Dieu, et qui obéirait au
Seigneur et Lui offrirait son corps et ses biens. Ne penses-tu pas
qu'un tel Juif ou un tel païen doive être plus aimé
de Dieu que le chrétien faux et pervers qui a reçu le
baptême, mais agit contrairement à la volonté de
Dieu, et cela en pleine connaissance de cause?» Suso change
aussi un passage où la persécution contre les juifs est
mise sur le compte de la convoitise des chrétiens, mots qu'il
remplace par convoitise des juifs, faisant ainsi un changement
agréable à ses lecteurs.
Parmi les nombreux hommes pieux en relations
avec Tauler, l'un des plus intéressants, au nom inconnu,
était désigné comme l'Ami de Dieu de l'Oberland
(45). Il est mentionné pour la
première fois en 1340, alors qu'il était
déjà un de ces «apôtres» qui se
cachaient à cause de la persécution, mais
exerçait quand même une influence et une autorité
remarquables. Il parlait italien et allemand. Il visita les
frères d'Italie et de Hongrie et, vers 1350, se rendît
à Strasbourg, où il renouvela sa visite deux ans plus
tard. Il y rencontra Rulman Merswin et lui donna à copier le
livre des Neuf Rochers. En 1356, après un tremblement de terre
à Bâle, il écrivit une Lettre à la
Chrétienté, recommandant l'obéissance à
Christ comme le remède à tous les maux. Il
s'établit ensuite avec quelques compagnons dans un lieu
reculé à la montagne, d'où il correspondait avec
les frères de partout. L'Ami de Dieu de l'Oberland avait joui
d'une position aisée. En abandonnant le monde, il
renonça à tout ce qu'il possédait. Il ne
distribua pas tout son argent en une fois, mais l'employa pendant
quelque temps comme un prêt de Dieu et le dépensa
graduellement pour des buts pieux. Il resta
célibataire.
Écrivant à une Maison de Dieu
fondée près de Stras~ bourg par Rulman Merswin, il
décrit la petite colonie à la montagne comme celle de
«frères chrétiens simples, bons et modestes».
Il dit qu'ils étaient tous persuadés que Dieu allait
faire quelque chose de nouveau et qu'ils avaient l'intention de
demeurer ensemble jusqu'à la révélation du plan
divin, moment où ils auraient à se séparer,
allant jusqu'aux extrémités du monde chrétien.
Il demande les prières des frères, car,
écrit-il, «les Amis de Dieu sont quelque peu en
détresse.» Mentionnant qu'il est mort au monde, il
s'explique: «Nous ne voulons pas dire qu'un homme doive sortir
du monde et devenir moine. Nous pensons qu'il doit y rester, mais
sans consumer son coeur et ses affections en relation avec des amis
et des honneurs terrestres. Il reconnaîtra que, quand il
était dans le monde, il recherchait ses propres
intérêts et son propre honneur plutôt que ceux de
Dieu. Maintenant il abandonnera cet honneur mondain et
désirera honorer Dieu par toutes ses actions, car Dieu
lui-même le lui a souvent conseillé. Alors, je suis
certain que la sagesse divine l'éclairera et que, par cette
sagesse, il saura mieux, en une heure, comment donner de bons
conseils qu'autrefois en une année.»
Merswin l'ayant consulté sur l'emploi de
son argent, l'Ami de Dieu lui répondit: «Ne vaudrait-il
pas mieux aider les pauvres que de construire un couvent?» En
1380, treize Amis de Dieu se rencontrèrent secrètement
dans les montagnes. L'un de ces frères venait de Milan, un
autre de Gênes. Ce dernier, un commerçant, avait
renoncé à toute sa fortune pour l'amour de Christ. Il y
avait encore deux frères de la Hongrie. Après avoir
longuement prié ensemble, ils prirent la Ste-Cène. Puis
ils se consultèrent sur la meilleure route à suivre en
face du renouveau de persécution des croyants. Ils
envoyèrent ensuite certaines recommandations aux Amis secrets,
dispersés en divers pays, entre autres, à Merswin de
Strasbourg. Finalement, ils se séparèrent et prirent
des routes différentes. Autant qu'on peut le savoir, ils
scellèrent leur témoignage par la mort des
martyrs.
|