LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
4. Missions
nestoriennes
Quand les églises orientales, en dehors
de l'empire romain, furent stigmatisées de
«nestorianisme» et déclarées
hérétiques, les chefs politiques persans comprirent
qu'elles n'étaient plus en danger de s'allier à
Constantinople ou à Rome. Elles jouirent alors d'une
liberté plus grande que jamais auparavant. A, ceci vint
s'ajouter l'élan donné aux églises par les
exilés de l'Occident réfugiés en Perse. Il en
résulta un redoublement de zèle et d'énergie
pour annoncer l'Evangile aux païens, autour d'eux et au loin.
Mais aussi la tendance à placer les églises sous une
même direction s'affirma de plus en plus. Non seulement de
nombreuses congrégations furent fondées, mais on
créa des diocèses nouveaux et les évêques
qui y furent nommés prirent la charge des nouvelles
églises et les maintinrent en contact avec l'organisation
centrale. L'amour pour le Seigneur et la compassion pour les
païens poussèrent les messagers de l'Evangile vers les
régions les plus reculées. Ils accomplirent des voyages
extraordinaires et leur parole fut accompagnée de la puissance
salvatrice du St-Esprit. Mais, en même temps, il faut
reconnaître que le désir de centralisation conduisit
insensiblement les nouvelles églises à
s'éloigner - comme l'avait fait le centre - des enseignements
scripturaires. Il y eut là, dès le début, une
cause de faiblesse, qui devait porter ses fruits plus tard.
Tant d'âmes se tournèrent vers le
Seigneur que des diocèses furent formés à Merv,
Hérat et à Samarcande; en Chine même et ailleurs.
On a trouvé près de Madras et à Kattayam, dans
le Travancore des tablettes portant des inscriptions du
septième ou huitième siècle, dont voici l'une:
«C'est du châtiment de la Croix que Celui-ci souffrit. Il
est le vrai Christ, le seul Dieu et le Guide à jamais
pur.» Les églises abondaient en différentes
parties de l'Inde. Au huitième siècle, un certain David
fut nommé métropolitain des diocèses de la
Chine. Une liste datant du neuvième siècle mentionne
les métropolitains de l'Inde, de la Perse, de Merv, de la
Syrie, de l'Arabie, de Hérat et de Samarcande. Mention est
faite d'autres évêques qui, à cause de leur grand
éloignement du centre, sont dispensés d'assister aux
synodes quadriennaux, priés d'envoyer des rapports tous les
six ans et de ne pas négliger la collecte pour le maintien du
patriarcat.
Ces ardents missionnaires visitaient toutes les
parties du continent asiatique. Des évêchés
furent établis à Kambaluk (Pékin), Kashgar et
Ceylan. Ils pénétrèrent aussi en Cartarie et en
Arabie. Leurs églises finirent par englober la majeure partie
de la population de la Syrie, de l'Irak, de la la province de
Khorassan, de certains districts entourant la mer Caspienne et de
quelques tribus mongoles. Les Écritures furent traduites en
plusieurs langues. Un rapport du neuvième ou dixième
siècle mentionne la traduction du N. Testament en sogdianais,
langue indo-iranienne. Près de Singan-Fou (38), on a découvert une dalle
datant du règne de Te-Tsung (780-783) et portant une longue
inscription en syriaque et en chinois. En haut se trouvent une croix
et ces mots: «Monument rappelant l'introduction et la
propagation de la noble loi de Ta-Ts'in dans le Royaume du
Milieu». On y relate, entre autres, l'arrivée d'Olopun,
missionnaire venant de l'empire de Ta-Ts'in (635), apportant des
livres sacrés et des images; puis la traduction de ces livres
et l'approbation donnée par l'autorité
impériale, ainsi que la permission de prêcher
publiquement cette doctrine. L'inscription mentionne encore la
diffusion de ce nouvel enseignement. Plus fard, cependant, le
bouddhisme fit davantage de progrès, mais sous le règne
de Hiuan-Tsung (713-755), un nouveau missionnaire, Kiho, arriva et ce
fut le réveil de l'Église.
La mention des images montre que l'on
s'était déjà éloigné de la
pureté primitive de l'Evangile et ce déclin pré.
para la vole aux triomphes ultérieurs de l'islamisme. En
outre, l'accroissement numérique des Nestoriens, ou
Chaldéens, correspondit à un affaiblissement de leur
caractère moral et de leur témoignage. Vers l'an 845,
l'empereur chinois Wou-Tsoung ferma plusieurs maisons religieuses,
chrétiennes et bouddhistes, et obligea leurs nombreux
occupants à retourner à la vie normale,
séculière, voulant qu'ils rejoignissent les rangs de
ceux qui payaient la taxe foncière et reprissent leurs places
dans leurs cercles de famille respectifs. Les étrangers durent
rentrer dans leur pays natal.
Lorsque la grande invasion mahométane
balaya la Perse, un grand nombre de chrétiens
chaldéens, ou nestoriens furent, ou dispersés ou
absorbés par l'Islam, spécialement en Arabie et au sud
de la Perse. Puis, lorsque l'ordre fut rétabli, sous la
dynastie des califes abbassides, à Bagdad, des
chrétiens syriens occupèrent à la cour des
positions éminentes comme docteurs et comme maîtres de
philosophie, de science et de littérature. En 762, le
Catholikos se transporta de Séleucie, qui était en
ruines, à Bagdad, la nouvelle capitale des
conquérants.
Genghis Khan et ses immenses conquêtes,
amenant, en 1258, la prise de Bagdad par les Mongols, ne semblent pas
avoir grandement troublé l'Église syrienne. Les chefs
mongols païens étaient tolérants. Ils se servirent
des Nestoriens pour des négociations politiques avec les
puissances occidentales, dans le but de s'unir à elles pour
détruire l'Islam. Un actif agent de ces négociations
fut Yabh-Alaba III, nestorien chinois d'humble extraction, qui
était devenu le Catholikos de l'Église syrienne
(1281-1317).
Du septième au treizième
siècle, l'Église syrienne fut aussi importante en
Orient que les Églises romaine et grecque en Occident. Elle
couvrait de vastes territoires et renfermait des populations
considérables. Les Églises de Perse et de Syrie
s'étaient ramifiées au loin et possédaient, en
Inde et en Chine, de nombreuses et florissantes missions. La
majorité des peuples du Turkestan et leurs chefs avaient
accepté le christianisme et, dans les principaux centres
asiatiques, on voyait l'église chrétienne voisinant
avec le temple païen et la mosquée
mahométane.
Deux cimetières ont été
découverts dans les environs du lac salé chaud
d'Yssik-Koul, situé dans les hautes montagnes du Turkestan
russe (39). Des centaines de pierres tombales
prouvent par leurs croix et leurs inscriptions qu'il s'agit de tombes
nestoriennes. Elles datent de la période du milieu du
treizième au milieu du quatorzième siècle. Les
noms de la plupart des chrétiens enterrés là
indiquent qu'ils étaient de race tartare, alors comme
aujourd'hui, dominante dans le pays. Les inscriptions sont en
syriaque et en turc. Parmi les nombreux noms indigènes se
trouvent aussi ceux de quelques chrétiens étrangers;
une Chinoise, un Mongol, un Indien, un Ouigour - prouvant ainsi que
les croyants des diverses contrées de l'Asie centrale
entretenaient des relations. Quelques inscriptions mentionnent, soit
l'érudition et les dons des défunts, soit leur service
dévoué envers les églises. Souvent le nom est
suivi du terme «croyant»; on y trouve aussi des expressions
d'affection et d'espérance. Voici quelques-unes de ces
inscriptions: «Ceci est le tombeau de Pasak. Le but de la vie
est Jésus, notre Rédempteur.» - «Ci-gît
la charmante jeune Julia.» - «Ci-gît le prêtre
et général Zouma, bienheureux vieillard, émir
fameux, fils du général Giwargis. Puisse le Seigneur
unir son esprit aux esprits des pères et des saints dans
l'éternité.» - «Ci-gît un humble
croyant, Pag-Mangkou, visiteur ecclésiastique de district.- -
«Ci-gît Shliha, maître et commentateur
célèbre, qui était la lumière de tous les
monastères; fils de Pierre, l'auguste commentateur de la
sagesse. Sa voix retentissait comme le son de la trompette.. Puisse
notre Seigneur joindre son âme pure à celle des justes
et des pères. Puisse-t-il participer à toutes les joies
célestes.» - «Ci-gît le prêtre Take,
très zélé pour l'église.»
Les missionnaires nestoriens et ceux de l'Islam
rivalisèrent pour obtenir la faveur des khans mongols. Dans
cette lutte l'Islam l'emporta et le christianisme syrien
commença à décliner. Au début du
quinzième siècle, Timour, ou TamerIan, avait
déjà établi son empire, avec Samarcande pour
centre. Bien qu'étant mahométan, il saccagea Bagdad et
se signala par des dévastations sans pareilles, au point que
de grandes régions asiatiques ne s'en relevèrent
jamais. Le christianisme diminua alors rapidement en Asie
occidentale.
5. Les causes du déclin des
églises nestoriennes
Lorsqu'au cours de leurs pénibles
voyages les missionnaires jésuites et franciscains
(40) du seizième siècle et
des siècles suivants réalisèrent que le pays
perdu du Cathay n'était autre que la Chine récemment
découverte, ils y trouvèrent de nombreux
chrétiens syriens. Jean de Monte-Corvino, missionnaire
franciscain qui mourut en Chine en 1328, écrivait: «Je
partis de Tauris, ville persane, en l'an du Seigneur 1291 et me
rendis dans l'Inde... J'y passai treize mois et baptisai, en divers
lieux de cette région, environ cent personnes... je poursuivis
mon voyage pour arriver dans le Cathay, royaume de l'empereur des
Tartares, appelé le Grand Khan. je lui présentai une
lettre de notre seigneur, le pape, et l'invitai à adopter la
foi catholique de notre Seigneur Jésus-Christ, mais il avait
vieilli dans l'idolâtrie. Cependant il témoigne beaucoup
de bonté aux chrétiens et voici deux ans que j'habite
chez lui. Les Nestoriens, qui se donnent le nom de chrétiens,
mais se sont tristement écartés de la religion
chrétienne, sont devenus si puissants dans cette région
qu'ils ne permettent pas à un chrétien de rite
différent d'élever la plus petite chapelle ou de
proclamer une autre doctrine que la leur.»
Écrivant vers 1330, l'archevêque
de Soltanie mentionne Jean de Monte-Corvino: «C'était un
homme à la conduite droite, agréable à Dieu et
aux hommes... Il aurait converti tout le pays à la foi
chrétienne catholique s'il n'en avait été
empêché par les Nestoriens, faux chrétiens et
réels mécréants;... ils ont beaucoup de peine
à les amener à l'obéissance à notre
mère, la sainte Église de Rome; sans cette
obéissance, leur dit-il, vous ne pouvez être
sauvés. Pour cette raison, ces schismatiques nestoriens
l'avaient en grande haine.» Il y avait, dit-on, plus de 30.000
Nestoriens dans le Cathay; ils étaient riches et
possédaient de belles églises, pieusement ornées
de croix et d'images en l'honneur de Dieu et des saints. «Il est
probable que s'ils avaient voulu s'entendre avec les Frères
mineurs et avec d'autres chrétiens, habitant ce pays, ils
auraient converti à la vraie foi toute la population, y
compris l'empereur.» Jean de Monte-Corvino, décrivant sa
méthode de travail, se plaint de ce que ses frères ne
lui écrivent pas et est très inquiet au sujet des
nouvelles qui lui parviennent d'Europe. Il parle d'un docteur
itinérant, «qui a prononcé dans ce pays
d'incroyables blasphèmes contre la cour de Rome et contre
notre ordre, ainsi que sur l'état de choses en Occident et,
à cet égard, j'aimerais grandement connaître la
vérité ... » Il demande instamment l'envoi d'aides
capables et dit qu'il a déjà traduit le N. Testament et
les Psaumes dans la langue du, pays. Il ajoute. «Je les ai fait
copier dans la plus belle calligraphie possible. Ainsi en
écrivant, en lisant et en prêchant, je rends un
témoignage public à la loi de Christ.»
Quand Robert Morrison étudiait le
chinois à Londres, avant de partir au service de la
«London Missionary Society» pour accomplir son grand
travail de traduction de la Bible en Chinois, on lui montra un
manuscrit chinois qu'il étudia. Ce document, trouvé au
Musée britannique, contenait -une harmonie des
Évangiles, le livre des Actes et les Épîtres de
Paul, ainsi qu'un dictionnaire latin-chinois, attribués
à un missionnaire catholique romain inconnu du seizième
siècle. Dans les annales chinoises, après une
description de la fin de la dynastie mongole et du début de la
dynastie Ming (1368), on lit ce commentaire: « ... Un natif du
grand océan occidental vint dans la capitale. Il dit que le
Seigneur des cieux, Ye-sou, était né en ju-té-a,
identique à l'ancien pays de Ta-Ts'in (Rome); que les livres
historiques démontrent que ce pays existe depuis la
création du inonde, soit depuis 6.000 ans, et qu'il est,
à n'en pas douter, la terre sacrée de l'histoire et
l'origine de toutes les choses dans le monde. Il dit encore que ce
pays doit être considéré comme celui où le
Seigneur des cieux créa la race humaine. Ces
déclarations semblent quelque peu exagérées et
on ne saurait s'y fier...»
A l'exception d'une nombreuse et
intéressante communauté de chrétiens syriens,
sur la côte de Malabar, au sud de l'Inde, et de quelques
croyants disséminés autour d'Ouroumiah, leur foyer
primitif, ces églises persanes et syriennes ont disparu de
l'Asie où elles occupaient autrefois une si grande
place.
6. Résumé
Jusqu'à la fin du troisième
siècle, elles conservèrent, en une large mesure, la
simplicité scripturaire dans leur organisation...
Séparés, jusqu'à un certain point, des
discussions théologiques de l'Occident, les messagers
apostoliques envoyés par ces églises
concentrèrent leur énergie sur des voyages incessants
et réussirent à annoncer l'Evangile et à fonder
des églises dans les parties les plus reculées de
l'Asie. Au quatrième siècle, quand les églises
du monde romain cessèrent d'être
persécutées, celles de la Perse et de l'Orient
entrèrent dans une période d'ardente souffrance, telle
qu'elles n'en avaient encore jamais connue. Mais elles
endurèrent et triomphèrent par leur foi et par leur
patience. Elles furent moins affaiblies par les pertes
résultant de la persécution que par le plan de
fédération de Papa ben Aggai qui, lors du Synode de
Séleucie, ouvrit la voie à l'introduction du
système ecclésiastique romain, au début du
cinquième siècle. Toutefois, le système fut
nécessairement modifié du fait que, en Perse et
ailleurs en Asie, les chefs politiques restèrent païens;
et ceux qui, au temps de Constantin, avaient vu dans l'union de
l'Église à l'État une des principales causes de
la corruption des Églises occidentales, purent espérer
mieux pour l'Orient, où cette union ne pouvait avoir
lieu.
Cependant, l'organisation romaine prit le
dessus - avec ses paroisses, son clergé, ses
évêques et ses métropolitains - et, abandonnant
le simple ordre scripturaire des églises et de leurs anciens,
les croyants syriens éparpillèrent leurs forces dans
les disputes, les intrigues et les divisions qui surgirent
continuellement au milieu d'eux à cause de l'ambition de
certains hommes qui briguaient la position influente
d'évêque ou de catholikos. Les réveils
mêmes, qui eurent lieu de temps en temps, ne purent
arrêter la marche descendante des églises. Ces
réveils étaient surtout l'oeuvre d'hommes autoritaires
cherchant à fortifier la domination épiscopale, et non
des mouvements de l'Esprit ramenant les âmes, par la Parole
vers l'obéissance aux commandements du Seigneur.
En séparant l'église orientale de
l'église occidentale, la division nestorienne aurait pu
être un moyen de vivifier le témoignage, si elle avait
placé devant les âmes le modèle des
Écritures. Or, tout en stimulant pour un temps le zèle
missionnaire, elle ne secoua ni la domination du clergé, ni la
foi en l'efficacité des sacrements pour le salut de
l'âme. Le bien, dont auraient pu bénéficier les
églises séparées de l'État, fut fortement
diminué du fait qu'elles eurent des catholikos ou patriarches
qui pouvaient réclamer l'appui du bras séculier pour
faire accepter leurs décrets, se faisant ainsi souvent les
instruments d'oppression de l'État. Ces églises
apprirent à considérer fatalement comme leur centre,
non plus le Christ, mais Séleucie ou Bagdad. Elles y
envoyèrent leurs rapports plutôt que de consulter
directement «Celui qui marche au milieu des sept chandeliers
d'or». Elles reçurent de là leurs
évêques pour les diriger au lieu de compter sur le
St-Esprit pour la distribution des dons spirituels nécessaires
à l'édification des saints et à la propagation
de l'Evangile. Par le même canal, les Images furent
Introduites, contribuant à affaiblir le témoignage de
l'Evangile parmi les païens, adorateurs d'idoles, et à
détruire sa puissance de résistance en face de la
marée envahissante de l'Islam qui submergea
définitivement de vastes territoires, où l'on avait
grandement espéré voir régner la connaissance de
Christ.
|