Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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LE PÈLERINAGE DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A TRAVERS LES ÂGES




 5. Les amis de Dieu dans les Balkans

Au milieu du huitième siècle, l'empereur Constantin, fils de Léon l'Isaurien, qui sympathisait avec les frères refusant le culte des images, transféra bon nombre d'entre eux à Constantinople et en Thrace. Plus tard, vers le milieu du dixième siècle, parut un autre empereur, Jean Zimiscès - un Arménien - qui délivra la Bulgarie des Russes, puis l'ajouta plus fard à son propre empire. Lui aussi, transporta un grand nombre de ces chrétiens vers l'Ouest. Ces derniers s'établirent parmi les Bulgares qui, au neuvième siècle, avaient accepté le christianisme prêché par les missionnaires byzantins Cyrille et Méthode et appartenaient à l'Église orthodoxe grecque.

Ces immigrants de l'Asie mineure firent là des convertis et fondèrent des églises qui s'étendirent rapidement dans ces vastes régions. On les nomma Bogoumiles,(29) nom slave signifiant «Amis de Dieu» et dérivé de l'expression «Bogumili», ceux que Dieu aime, qu'Il accepte.

Les noms d'un petit nombre seulement de ces hommes ont été sauvés de l'oubli. Mentionnons Basile, qui était médecin et continua à pratiquer pour gagner sa vie, afin de donner un bon exemple et de faire honte aux paresseux qui se servaient de la religion pour excuser la mendicité; ceci ne l'empêcha pas de consacrer quarante ans de sa vie (1070-1111) à prêcher et à enseigner sans relâche.

Après ce long ministère, il reçut de la main même de l'empereur Alexis, un message disant qu'il admirait son caractère, s'intéressait vivement à son enseignement et désirait se convertir. En même temps, il invitait Basile à une entrevue privée, en son palais à Constantinople. Ce frère fut reçut à la table de l'empereur et, au cours d'une longue discussion sur la doctrine, il parla avec une entière liberté, comme s'adressant à une âme angoissée. Tout à coup, l'empereur, tirant un rideau, révéla la présence d'un secrétaire qui avait reproduit par écrit toute leur conversation - employée ensuite comme déposition - et des serviteurs qui reçurent l'ordre d'enchaîner Basile et de le jeter en prison. Il y resta des années, jusqu'en 1119. Ayant refusé de rétracter aucune de ses doctrines, il fut brûlé publiquement à l'hippodrome de Constantinople. La fille de l'empereur, la distinguée princesse Anna Comnène, décrivit ces événements avec complaisance. Les préparatifs pour le grand jour à l'hippodrome, l'apparence de Basile «un homme grand et efflanqué, avec une barbe clairsemée». Elle décrit le pétillement du feu et comment Basile détourna les yeux de la flamme et s'en approcha tout tremblant. A cette époque beaucoup d'«amis de Dieu» furent traqués et brûlés, ou emprisonnés à vie. La princesse se moque de leur humble extraction, de leur apparence bizarre et de leur habitude de baisser la tête en murmurant quelque chose. - Certes, le besoin de la prière se faisait sentir alors - Elle était horrifiée de leurs doctrines et de leur dédain des églises et des cérémonies religieuses. Le document publié par l'empereur comme résultat de sa cruelle trahison, est de petite valeur, car il n'y a aucun moyen de prouver qu'il n'a pas été falsifié par ceux qui le publièrent.

Très diverses sont les opinions de gens du dehors sur ces congrégations chrétiennes de l'Asie mineure et de la Bulgarie, car, si quelques-uns parlaient avec horreur de leur conduite et de leur doctrine, d'autres en jugeaient différemment. Les premiers sont animés d'un esprit de parti, ce ne sont pas des historiens. Ils accusent les «hérétiques» de commettre des péchés abominables et contre nature, répètent ce qui se disait couramment sur eux, et citent beaucoup Mani et les objections faites à sa doctrine. L'écrivain Euthyme (mort après 1118), écrit : « Ils exhortent ceux qui les écoutent à observer les commandements de l'évangile à être humbles, miséricordieux et bons envers les frères. Ils séduisent ainsi les hommes en leur enseignant des choses bonnes et utiles, mais les empoisonnent graduellement et les entraînent à la perdition». Cosmas, un prêtre bulgare, écrivant à la fin du dixième siècle, décrit les Bogoumiles comme étant «pires et plus horribles que des démons». Il nie leur foi à l'Ancien Testament, ou aux Évangiles, dit qu'ils n'honorent ni la Mère de Dieu, ni la croix, qu'ils méprisent les cérémonies religieuses et tous les dignitaires de l'Église, qu'ils qualifient les prêtres orthodoxes de pharisiens aveugles, disent que la Ste-Cène n'est pas administrée selon le commandement divin, et que le pain n'est pas le corps de Dieu, mais du pain ordinaire.
Cosmas explique leur ascétisme par leur croyance que Satan a créé tout le monde matériel. «Vous verrez - dit-il - des hérétiques doux comme des agneaux... blêmis par un jeûne hypocrite, parlant peu et ne riant pas bruyamment. Et, encore, «en observant leur conduite humble, les hommes pensent qu'ils ont la vraie foi, et viennent à eux pour les consulter au sujet de leur âme. Mais eux, semblables au loup prêt à dévorer l'agneau, courbent la tête en soupirant et répondent avec grande humilité. Ils parlent comme s'ils savaient ce qui est ordonné dans le ciel». Le Père de l'Église, Grégoire de Narek, dit des Thonraks qu'ils n'étaient pas accusés d'immoralité, mais de libre pensée et de rébellion contre l'autorité. «En prenant une position négative vis-à-vis de l'Église, cette secte a adopté une ligne d'action positive. Elle a commencé à examiner le fondement même, les Stes-Ecritures, y cherchant un enseignement pur et une saine direction pour la vie morale». Un écrivain érudit du dixième siècle, Muschag, fut vivement impressionné par la doctrine des Thonraks et estime qu'il est indigne et contraire au christianisme de condamner ces gens. Il découvrit chez eux le vrai christianisme apostolique. Entendant parler d'un cas où Ils souffraient la persécution, il déclara que le sort de ces persécutés était enviable.

Aucune évidence ne vient appuyer l'accusation que ces chrétiens - qu'on les appelle Pauliciens, Thonraks, Bulgares, Bogoumiles, ou autrement - aient été coupables d'immoralité. On ne peut se fier aux rapports de leurs ennemis sur leurs doctrines. Même leurs adversaires reconnaissent en général que, par leur niveau moral et par leur industrie, ils étaient supérieurs à leur entourage. Et ce fut précisément ce qui attira à eux beaucoup d'hommes auxquels l'Église d'État n'avait pas donné satisfaction.

La persécution byzantine chassa beaucoup de croyants vers l'ouest, en Serbie, et la rigueur de l'Église orthodoxe dans ce pays les poussa plus loin, jusqu'en Bosnie. Ils restèrent cependant actifs à lest de la péninsule et en Asie mineure. En 1140 on découvrit, dans les écrits de Constantin Chrysomale, la soi-disante erreur bogoumile et elle fut condamnée lors d'un synode tenu à Constantinople. L'enseignement réprouvé était: que le baptême de l'Église n'est pas efficace, que rien de ce qui est fait par des inconvertis, même baptisés, n'a de valeur, pas plus que la grâce de Dieu communiquée par l'imposition des mains, mais a de la valeur seulement ce qui est reçu par la foi. En 1143, un synode à Constantinople déposa deux évêques de la Cappadoce, accusés comme Bogoumiles. Au siècle suivant, le patriarche Ghemadius se plaignit de l'accroissement de ces gens à Constantinople même, où, paraît-il, ils pénétraient dans les maisons privées et faisaient des disciples. Leurs églises continuèrent en Bulgarie.

Encore au 17 ème siècle, on trouvait des congrégations de pauliciens (pavlicani (30) à Philippopolis et en d'autres parties de Bulgarie, même au nord du Danube. Ils étaient décrits par l'Église orthodoxe comme «hérétiques convaincus» qui condamnaient l'Église en l'accusant d'idolâtrie. Puis des missionnaires franciscains vinrent de la Bosnie et travaillèrent avec zèle parmi eux, en dépit de la colère du clergé orthodoxe. Profitant de la persécution dirigée contre les pauliciens, les franciscains persuadèrent ces croyants de se mettre sous la protection de l'Église romaine, et ils les gagnèrent à Rome. Mais, pendant longtemps, ils continuèrent de pratiquer leurs anciennes formes de culte, spécialement une réunion où ils prenaient un repas en commun. Peu à peu, cependant, ils se conformèrent pleinement aux pratiques de Rome, reçurent des images dans leurs églises et sont maintenant appelés catholiques bulgares, pour les distinguer des Bulgares en général, qui sont ou orthodoxes, ou «Pomaks», c'est-à-dire descendants d'ancêtres convertis de force à l'islamisme.

Ce fut pourtant en Bosnie que les Bogoumiles prirent le plus grand essor. Ils y étaient déjà très nombreux au douzième siècle et se répandirent à Spalato et en Dalmatie, où ils entrèrent en conflit avec l'Église catholique romaine. En Bosnie, le titre de Ban était donné aux chefs du pays. Le plus éminent d'entre eux fut Koulin Ban. En 1180, le pape s'adressa à ce chef comme à un fidèle adhérent de l'Église. Mais, en 1199, il est reconnu que lui, sa femme, sa famille et dix mille Bosniaques s'étaient attachés à l'hérésie bogoumile ou des «Patarins», autrement dit, aux églises des Croyants en Bosnie. La même décision fut prise par Minoslave, prince d'Herzégovine, et par l'évêque catholique romain de Bosnie. Le pays cessa d'être catholique et connut une ère de prospérité passée en proverbe. Il n'y avait pas de prêtre, ou plutôt le sacerdoce de tous les croyants étaient admis. Les églises étaient dirigées par des anciens, élus par le sort. Il y en avait plusieurs dans chaque église, un surveillant (appelé grand-père), et des frères officiants appelés conducteurs ou anciens. On pouvait tenir des réunions dans toutes les maisons et les salles de réunions étaient très simples. Il n'y avait ni cloches, ni autel, mais une table couverte parfois d'un tapis blanc et un exemplaire des Évangiles. Les frères mettaient de côté une partie de leurs gains pour assister les croyants malades et les pauvres, ainsi que pour aider ceux qui allaient au loin prêcher l'Evangile aux inconvertis.

Aidé du roi de Hongrie, le pape Innocent III exerça une forte pression sur Koulin Ban. En 1203, il y eut à Bjelopolje - la «Plaine Blanche» - où Koulin avait sa cour, une rencontre entre les messagers du pape et le Ban, accompagné des magnats de la Bosnie. Les chefs bosniaques firent leur soumission à l'Église de Rome, promirent de ne jamais retomber dans l'hérésie, d'élever un autel et une croix dans tous leurs lieux de culte. Ils s'engageaient en outre, à faire lire la messe par leurs prêtres, à pratiquer la confession, et à administrer le saint sacrement deux fois par an. Ils promettaient aussi d'observer les jours de jeûne et les fêtes solennelles et de ne plus permettre aux laïques d'exercer des fonctions spirituelles. Le clergé seul pourrait officier et se distinguerait des laïques en portant des capes et en se faisant appeler frères. Ceux-ci ne pourraient plus nommer un prieur sans obtenir la confirmation du pape. Les hérétiques ne devaient plus être tolérés en Bosnie. Seule la crainte de la guerre amena le Ban et ses chefs à conclure cet accord; mais le peuple refusa absolument de l'accepter et de s'y conformer en quoi que ce fût.

Les frères bosniaques étaient en rapport avec les croyants de l'Italie, du Midi de la France, de la Bohême, du Rhin et d'autres régions encore. Leurs relations atteignaient les Flandres et l'Angleterre. Lors d'une croisade du pape contre les Albigeois, au cours de laquelle la Provence fut dévastée, des fugitifs français se réfugièrent en Bosnie. Les anciens bosniaques et provençaux se consultèrent sur des questions de doctrine. Le bruit courait alors que les mouvements spirituels de l'Italie, de la France et de la Bohême étaient tous en relation avec un « pape hérétique » de la Bosnie. Ces rapports n'avaient aucun fondement, car la personne en question n'existait pas. Cela montre seulement que la Bosnie exerçait une forte influence religieuse. Remiero Sacconi, un inquisiteur italien vivant au temps de Koulin - qui connaissait bien les «hérétiques» pour avoir été autrefois un des leurs - les appelle l'Église des Cathares, ou des vies pures, nom existant depuis les jours de l'empereur Constantin, et dit qu'ils étaient répandus de la mer Noire à l'Atlantique.

La paix achetée par Koulin Ban, en cédant à Rome, ne fut pas de longue durée, car il ne put obliger le peuple à observer les termes de l'accord conclu. A sa mort (1216). le pape élut un Ban catholique romain et envoya une mission pour convertir les Bosniaques. Malgré tout, les églises du pays ne firent qu'augmenter et s'étendirent jusqu'en Croatie, en Dalmatie, en Istrie, en Carniole et en Slavonie. Six ans plus tard, le pape, désespérant de convertir les Bosniaques autrement que par la force, et encouragé par le succès de sa croisade en Provence, ordonna au roi de Hongrie d'envahir la Bosnie. Les Bosniaques déposèrent leur Ban catholique romain et élurent un Bogoumile, Ninoslave. La guerre dura des années avec des hauts et des bas. Ninoslave céda à la force des circonstances et devint catholique romain. Mais aucun changement chez les chefs n'entama la foi et le témoignage de la masse du peuple. Le pays était dévasté, mais, dès que les armées conquérantes se retiraient, les églises affirmaient de nouveau leur existence et la prospérité renaissait grâce aux habitudes industrieuses du peuple. On éleva dans tout le pays des forteresses «pour la protection de l'Église et de la religion catholiques romaines». Le pape donna le pays à la Hongrie qui le posséda longtemps. Alors, comme la nation restait attachée à sa foi, le pontife proclama une croisade «de tout le monde chrétien» contre ces croyants; l'Inquisition fut établie et des frères dominicains et franciscains rivalisèrent de zèle pour torturer les membres de ces églises fidèles.

Entre-temps, la pression constante de l'Islam devenait une menace croissante pour l'Europe, et la Hongrie était la plus exposée à ses coups. Toutefois ce fait ne révéla pas aux pays catholiques la folie de détruire la barrière s'élevant entre eux et leur plus dangereux ennemi. En 1325, le pape écrivit au Ban de Bosnie: «Sachant que tu es un fidèle fils de l'Église, nous te sommons d'exterminer les hérétiques dans tes États, et de donner aide et secours à Fabian, notre inquisiteur, car une multitude d'hérétiques, venus de régions très diverses, se sont réunis dans la principauté de Bosnie, espérant y semer leurs erreurs obscènes et y vivre en sécurité. Ces hommes, remplis de l'astuce du Vieil Ennemi et armés du venin de leur fausseté, cor, rompent les esprits des catholiques par une apparence de simplicité et prétendent au nom de chrétiens. Leur langage rampe comme le crabe et ils s'insinuent avec humilité, pour mieux détruire en secret. Ce sont des loups « en vêtements de brebis». Ils cachent leur furie bestiale pour pouvoir mieux tromper les simples brebis du Christ!»

La Bosnie connut une période de réveil politique durant le règne de Tvrtko, le premier Ban qui prit le titre de roi. Koulin et lui sont les deux plus éminents chefs bosniaques. Tvrtko toléra les Bogoumiles, dont beaucoup servirent dans son armée, et il donna une grande extension au royaume. Vers la fin de son règne, la bataille de Kossovo (1389) plaça la Serbie sous la domination turque, et le péril mahométan devint plus que jamais une réalité pour l'Europe. Même alors, la persécution ne connut pas d'arrêt et le pape encouragea à nouveau le roi de Hongrie, en lui promettant assistance contre les Turcs et les «manichéens et ariens bosniaques». Le roi Sigismond de Hongrie réussit à détruire l'armée bosniaque sous les ordres des successeurs de Tvrtko. Puis il fit décapiter et jeter du haut des rochers de Doboj, dans la Bosna, 126 magnats bosniaques qu'il avait capturés (1408).

Alors, poussés par le désespoir, les Bosniaques recherchèrent la protection des Turcs. Hrvoja, leur principal magnat, avertit le roi de Hongrie en ces termes: «Jusqu'ici je n'ai cherché aucune protection. Mon seul refuge a été le roi. Mais, si les choses continuent ainsi je m'adresserai là où je trouverai de l'appui, que ce soit pour mon salut ou pour ma ruine. Les Bosniaques désirent s'allier aux Turcs et ils ont déjà fait des démarches à cet effet». Peu après, les Turcs et les Bogoumiles bosniaques, unis pour la première fois, infligèrent une lourde défaite à la Hongrie, à la bataille d'Usora, à quelques lieues de Doboj (1415).

La lutte entre l'Islam et la chrétienté continua, avec des alternatives diverses, sur son front de bataille étendu. Chaque fois que le parti du pape l'emportait, la persécution recommençait en Bosnie, si bien qu'en 1450 environ 40.000 Bogoumiles et leurs chefs passèrent la frontière de l'Herzégovine, où le prince Stefan Vuktchitch les protégea. La prise de Constantinople, en 1453, par Mahomet II, amena un prompt assujettissement de la Grèce, de l'Albanie et de la Serbie, sans mettre fin aux négociations et aux intrigues pour la conversion des Bogoumiles bosniaques. Parfois les chefs furent gagnés à, Rome, mais jamais le peuple. C'est pourquoi, comme le dénouement approchait, nous voyons des rois bosniaques demander l'aide du pape contre les Turcs, aide qui ne fut jamais accordée qu'à condition de persécuter les Bogoumiles. Enfin, lorsqu'en 1464 les Turcs, qui avaient été repoussés pour un temps, envahirent de nouveau la Bosnie, le peuple refusa de servir son propre roi, préférant les Turcs à l'Inquisition. Ne rencontrant aucune résistance, l'envahisseur fut bientôt maître du pays. Dans l'espace d'une semaine, le sultan s'empara de septante villes et forteresses dans un pays naturellement aisé à défendre. La Bosnie passa définitivement aux mains des musulmans, et pendant quatre siècles, elle a croupi sous une domination destructrice de tout effort vers la vie et le progrès.

Les «Amis de Dieu» de Bosnie n'ont laissé après eux qu'une maigre littérature. Il est donc malaisé de découvrir leurs doctrines et leurs pratiques religieuses, qui ont sans doute varié, suivant les lieux et les époques. Il est toutefois évident -qu'ils protestèrent vigoureusement contre le mal dominant dans la chrétienté et employèrent toute leur énergie à rester attachés aux enseignements et à l'exemple des églises primitives, tels qu'on les trouve dans les Écritures. Leurs relations avec les plus anciennes églises de l'Arménie et de l'Asie mineure, avec les Albigeois de France, les Vaudois et d'autres d'Italie, les Hussites de la Bohême, montrent qu'ils partageaient avec ces croyants la même foi et la même vie. Leur lutte héroïque, quatre siècles durant, dans l'adversité la plus accablante, quoique non enregistrée dans l'histoire, doit avoir fourni des exemples de foi, de courage et d'amour jusqu'à la mort, rarement égalés dans l'histoire des peuples. Ils formaient le trait d'union qui reliait les églises primitives des montagnes du Taurus, en Asie mineure, à leurs frères dans la foi des Alpes italiennes et françaises. Leur pays et leur nation furent perdus pour le christianisme du fait de la persécution acharnée qu'on leur a infligée.

Dispersés dans le pays, dans les seules limites de l'ancien royaume de Bosnie, on trouve encore beaucoup de monuments, souvent de grandes dimensions, qui sont les pierres tombales des Bogoumiles (31). Ces monuments sont parfois solitaires, ou en groupes de plusieurs centaines. On en estime le nombre à environ 150.000. Le peuple les appelle «Mramor», soit marbre, ou «Stetshak», debout, ou «Bilek», signe ou borne, ou encore «Gomile», tombe ancienne, monticule. Les quelques inscriptions qu'on y trouve ne sont accompagnées ni de croix, ni d'aucun autre symbole rappelant le christianisme ou l'islamisme. Si l'on en découvre ici ou là, on se rend compte qu'ils ont été ajoutés plus tard. La plupart de ces pierres ne portent aucune épitaphe, rarement les noms des personnes enterrées. Quelques-unes sont ornées de sculptures compliquées, représentant la vie du peuple: des guerriers, des chasseurs, des animaux et d'autres ornements. C'est dans le voisinage de Sarajevo qu'on en trouve le plus. Un groupe considérable se rencontre au-dessus de la forteresse, sur la route de Rogatitza. L'une des plus grandes tombe est élevée à part, sur la colline de Paslovatz, près des ruines de Kotorsko. C'est un sarcophage géant, de pierre calcaire blanche, taillé d'un seul bloc, y compris l'immense dalle sur laquelle il repose. De loin, on croirait voir un vrai bâtiment.

Après avoir résisté si longtemps aux églises grecque et latine, beaucoup de Bosniaques se soumirent aux Turcs - leurs libérateurs aussi bien que leurs conquérants - et devinrent mahométans. Quelques-uns parvinrent à des positions éminentes au service des Turcs. Les noms de famille de la présente population mahométane de Bosnie portent l'empreinte de leur origine, tout en témoignant des progrès constants de l'assujettissement à l'Islam. Voyageant en Bosnie, on peut remarquer sur la devanture de plus d'une boutique le nom bosniaque ou «slave méridional» uni au nom purement arabe ou turc, généralement placé devant. Il y a en Bosnie deux mots d'un usage constant: Turc et Moslem. Le premier désigne un musulman vraiment turc ou anatolien d'origine; le second, une personne de race slave qui a adopté la religion islamique.



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29 Quelques-uns dérivent le mot Bogoumile du nom d'un homme éminent sous le règne du Czar bulgare, Pierre (927-968). On les appelle parfois Bulgares. Bogomili est le pluriel d'un mot slave, d'où la forme usuelle de l'Occident, Bogoumiles. Des mots semblables sont constamment en usage dans les pays slaves. En Yougoslavie, par ex., les Bogomolici sont ceux qui prient Dieu (de «Bogu», à Dieu, et moliti», prier). Il n'est guère douteux que les Bogomili aient été appelés ainsi parce qu'ils frappaient leurs contemporains comme étant des gens qui vivaient dans la paix et la communion avec Dieu.
«An official. tour through Bosnia and Herzegovina», J. de Asboth. Member of Hungarian Parliament.
«Through Bosnia and Herzegovina on foot, etc.», A. J. Evans. - «Essaya on the Latin Orient», William Miller. - «Encyclopaedia of Religion and Ethics», Hastings. Article, Bogomils.

30 Das Fürstenthum Bulgarien» Dr. Constantin Jirecek, Wien, 1891. F. Tempsky.

31 «An officiai Tour through Bosnia and Herzegovina», J. de Asboth, Member of Hungarian Parliament.

 

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