LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
4. Persécutions
et dispersion
Le mouvement iconoclaste
(27) avait donné un peu de
répit aux frères persécutés de l'Asie
mineure. Mais en 842, après le triomphe des adorateurs
d'images, sous Théodora, il fut
décidé d'exterminer les
«hérétiques» qui avaient si constamment et
énergiquement proclamé l'inutilité des images et
des reliques, tout en maintenant l'adoration en esprit et le
sacerdoce de tous les croyants.
Ils étaient
préparés à l'épreuve qui allait fondre
sur eux par les travaux dévoués d'hommes capables,
entre autres Sembat, né à la fin
du huitième siècle. Il était de noble famille
arménienne et fit si grande impression par son
ministère que, longtemps après sa mort, les catholiques
le mentionnaient comme fondateur des Pauliciens.
Serge
(en arménien Sarkis) était un autre chef. «Durant
trente-quatre ans - (800-834) écrit-il - j'ai voyagé de
l'est à l'ouest et du nord au sud, prêchant l'Evangile
de Christ, jusqu'à en avoir les genoux fatigués».
Il était fortement convaincu de sa vocation de ministre et
savait user de son autorité pour rétablir la paix entre
frères, pour unir et instruire les saints. Il faisait appel
à ceux qui le connaissaient, leur demandait en toute bonne
conscience, si jamais il avait dépouillé l'un d'entre
eux, ou abusé de son pouvoir. Bien qu'il travaillât
comme charpentier, il visita presque toute la partie montagneuse du
centre de l'Asie mineure. Il fut converti après avoir
été persuadé de lire les Écritures. Une
croyante lui demanda pourquoi il ne lisait pas les Saints
Évangiles. Il répondit que les prêtres seuls
pouvaient le faire et non les laïques. Elle répliqua que
Dieu ne regarde pas à l'apparence, mais qu'Il désire
que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la
connaissance de la vérité; tandis que les prêtres
cherchaient à priver le peuple du droit de lire la Parole de
Dieu. Il lut et il crut, puis témoigna longuement et avec
puissance de sa foi en Christ. Ses épîtres furent
largement répandues et très appréciées.
Son ministère ne prit fin qu'avec sa vie, ses
persécuteurs l'ayant coupé en deux avec une
hache.
Serge fut l'un des plus
distingués de toute une série d'hommes qui, par leur
saint caractère et leur service d'amour, gravèrent
leurs noms dans la mémoire d'un peuple héroïque.
Constantin, Siméon, Genès, Joseph,
Zacharie, Baanès,
Sembat, Serge. Ces noms-là
survécurent à la ruine causée par les
persécutions qui suivirent. Ces frères étaient
si pénétrés de l'esprit des Actes et des
Épîtres, si désireux de ne rien changer aux
traditions du N. Testament et surtout de maintenir dans leurs patries
respectives le souvenir des apôtres qui y avaient
travaillé et fondé des églises, qu'ils tiraient
généralement des Écritures leurs noms et ceux de
leurs églises. Constantin s'appela Silvain; Siméon,
Cite; Genès, Timothée;
Joseph, Epaphrodite. Bien différents
étaient les surnoms que leur donnaient leurs adversaires;
Zacharie fut appelé «le berger mercenaire», et
Baanès, «l'impur». Les «vrais
chrétiens», comme ils se désignaient pour se
distinguer des «Romains», donnèrent aussi des noms
spéciaux aux églises où se concentraient leurs
travaux. Ainsi Kibossa, où
travaillèrent Constantin et Siméon, devint leur
Macédoine. Le
village de Mananalis, centre des labeurs de
Genès, fut leur Achaïe; d'autres églises
s'appelèrent Philippes,
Laodicée, Colosses, etc.
Ces frères
marquèrent de leur activité une période de deux
cents ans, du milieu du septième au milieu du neuvième
siècle. Ce fut durant cette époque, et peut-être
par l'un d'eux, que fut écrit un livre
«La clé de la
vérité», qui peint d'eux un portrait vivant. Vers
la fin de cette époque les persécutions sous
l'impératrice Théodora et les guerres qui suivirent
dispersèrent les églises et un grand nombre de croyants
passèrent dans les Balkans. Ces églises connurent des
temps de troubles intérieurs aussi bien que d'attaques
extérieures. Au temps de Genès, il y eut des luttes si
violentes qu'il fut convoqué à Constantinople pour
s'expliquer. L'empereur favorable, Léon
l'Isaurien, et le patriarche Germanos ne trouvèrent rien
à reprocher à sa doctrine, et Genès revint de
Constantinople avec des lettres ordonnant la protection des
«Pauliciens». Cependant le gouvernement n'appuya pas
toujours les églises. La suppression
violente des images n'avait pas réussi à bannir des
coeurs le culte défendu, et les autorités se laissaient
aisément influencer par des motifs d'avantage politique.
Ainsi, désireux de plaire à l'Église grecque,
Léon l'Arménien, empereur
iconoclaste, permit une attaque contre les «Pauliciens»,
affaiblissant ainsi et s'aliénant ceux qui étaient son
vrai soutien.
En vertu des ordres de
Théodora, et durant de longues années, les massacres
recommencèrent systématiquement. On décapita,
brûla et noya les croyants, sans que leur constance en
fût ébranlée. On rapporte que, de 842 à
867, cent mille personnes auraient été mises à
mort par le zèle de Théodora et de ses inquisiteurs.
Cette époque a été décrite par
Grégoire l'Éclaireur, qui, deux cents ans plus tard,
dirigea la persécution contre des croyants du même
district. Il écrit: «Déjà avant nous,
beaucoup de généraux et de magistrats avaient
impitoyablement livré ces gens à l'épée,
n'épargnant ni vieillards, ni enfants, et cela avec raison. En
outre, nos patriarches les avaient marqués au fer rouge,
incrustant sur leur front l'image du renard... A d'autres, on avait
arraché les yeux en leur disant: «Puisque vous êtes
aveugles aux choses spirituelles, vous ne verrez pas non plus les
choses matérielles!»
Le livre
arménien intitulé «La Clé de la
Vérité» (28) mentionné ci-dessus comme
ayant été écrit entre les septième et
neuvième siècles, décrit les croyances et les
pratiques religieuses de ceux que l'on nommait alors Pauliciens, de
Thonrak. Les nombreuses églises dispersées offraient
sans doute certaines différences. Toutefois ce rapport
authentique, écrit par l'un de ces croyants, s'applique
à la plupart d'entre elles. Cet auteur anonyme écrit
avec puissance et éloquence, ainsi qu'avec une grande
profondeur de sentiment. Il explique qu'il veut donner aux enfants
nouveau-nés de l'Église universelle et apostolique de
notre Seigneur Jésus-Christ, le lait saint qui nourrira leur
foi. Notre Seigneur, écrit-il, demande d'abord la repentance
et la foi, ensuite vient le baptême.
Nous devons donc Lui obéir et ne pas céder aux
arguments trompeurs de ceux qui baptisent les inconvertis, les
inconscients et les impénitents. A la naissance d'un enfant,
les anciens de l'Église doivent exhorter les parents à
l'élever dans la piété et dans la foi. A ceci il
faut ajouter la prière, la lecture de l'Écriture et le
choix d'un nom pour le nouveau-né. Nul ne devrait être
baptisé sans en avoir exprimé le sincère
désir.
Le
baptême aura lieu dans une
rivière, tout au moins en plein air. Le candidat au
baptême s'agenouillera au milieu de l'eau et confessera sa foi
avec ferveur et avec larmes, devant la congrégation
assemblée. Celui qui baptise sera d'un caractère
irrépréhensible. La prière et la lecture de
l'Écriture accompagneront cet acte. La nomination d'un ancien
se fera aussi avec grand soin, de crainte qu'un homme indigne ne soit
choisi. On s'assurera de sa sagesse, de son amour, - chose principale
- puis de sa prudence, de sa douceur, de son humilité, de sa
justice, de son courage, de sa sobriété, de son
éloquence. On lui imposera les mains avec prière et on
lira quelque portion appropriée des Écritures, puis on
lui demandera: «Peux-tu boire la coupe que je dois boire, ou
être baptisé du baptême dont je dois être
baptisé ? » La réponse exigée mettra en
évidence les dangers et les responsabilités qui
s'attachent à sa charge et que nul n'oserait assumer s'il
n'est possédé d'un grand amour et prêt à
tout souffrir en suivant Christ et en prenant soin de Son troupeau.
L'ancien répondra alors. «J'accepte les flagellations,
les emprisonnements, les tortures, les reproches, les croix, les
coups, les tribulations et autres tentations du monde, comme les
acceptèrent avec amour notre Seigneur et Intercesseur et la
sainte Église universelle et apostolique. Moi donc aussi,
indigne serviteur de Jésus-Christ, j'accepte d'endurer toutes
ces choses par amour et dans une entière soumission,
jusqu'à l'heure de ma mort». Après la lecture de
plusieurs passages des Écritures, il était alors
solennellement recommandé au Seigneur par les anciens qui
disaient: «Nous te supplions et t'implorons humblement et
instamment... Accorde ta grâce sainte à cet homme qui te
demande la grâce de ta sainte autorité... Rends-le pur
d'une pureté resplendissante, préservé de toute
mauvaise pensée... Ouvre son entendement à la
compréhension des Écritures».
A propos
des images et des reliques, l'auteur dit ceci: « ... Concernant
la médiation de notre Seigneur Jésus-Christ, et non
celle des saints décédés, transformés en
reliques, ou représentés par des pierres, des croix et
des images, il y a lieu de constater que beaucoup ont renié
cette précieuse médiation et intercession du
bien-aimé Fils de Dieu. Ils se sont attachés à
des choses mortes, à des images, des pierres, des croix, des
eaux, des arbres, des fontaines, et à toute chose vaine. Ils
les reconnaissent et les adorent. Ils leur offrent de l'encens et des
cierges et leur présentent des victimes, ce qui est contraire
à la divinité». La lutte qu'eurent à
soutenir contre leurs persécuteurs de Constantinople les
églises des montagnes du Taurus et des pays environnants,
amena ces chrétiens à insister davantage sur certaines
portions de l'Écriture que sur d'autres. La grande
Église établie avait incorporé le paganisme
à son système par l'introduction graduelle de
l'adoration de la Vierge Marie et du monde
dans son sein par le rite du baptême des petits enfants. C'est
pourquoi les églises primitives insistèrent fortement
sur l'humanité parfaite du Seigneur à sa naissance.
Elles démontrèrent que, bien que Marie fût la
mère du Seigneur, elle ne pouvait être correctement
appelée la mère de Dieu. Elles soulignèrent
aussi l'importance du baptême de Jésus, lorsque le
Saint-Esprit descendit sur Lui et que retentit des cieux la voix
déclarant. «Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui
j'ai mis toute mon affection». Dans les nombreuses controverses
sur la double nature de Christ, divine et humaine, - qui en
dépit de toutes les explications demeure toujours un
mystère - ces chrétiens employèrent des
expressions qui furent interprétées par leurs
adversaires comme marquant leur incrédulité quant
à la divinité de Christ avant son baptême. Ils
semblent avoir plutôt pensé que ses attributs divins
n'avaient pas été en activité jusqu'au jour de
son baptême. Ils enseignaient qu'en ce jour-là, à
l'âge de trente ans, notre Seigneur Jésus-Christ
reçut l'autorité, le sacerdoce et le royaume. C'est
alors qu'il fut choisi et élevé à la
dignité de Seigneur, alors également qu'Il devint le
Sauveur des pécheurs, fut rempli de la déité, et
sacré Roi sur toute créature dans les cieux, sur la
terre et sous la terre, comme Il le dit Lui-même dans Matthieu
28. 18: «Tout pouvoir m'a été donné dans le
ciel et sur la terre».
Ces églises,
obéissant en une large mesure aux principes du N. Testament, -
sans doute à des degrés divers selon les lieux -
appelées par leurs adversaires «Pauliciens» ou
«Manichéens», souffrirent, des siècles
durant, patiemment et sans user de représailles, les terribles
injustices de leurs ennemis. Il y eut une détente pendant les
règnes des empereurs byzantins iconoclastes. Mais les
persécutions atroces ordonnées par l'impératrice
Théodora, en poussèrent quelques-uns au
désespoir, tellement qu'ils prirent les armes contre leurs
oppresseurs.
Pour obéir à
cette femme cruelle, les bourreaux de l'Empire avaient empalé
un homme, dont le fils, Carbéas,
occupait un rang élevé dans le service impérial.
En apprenant ceci, Carbéas, brûlant d'indignation,
refusa fidélité à Byzance. Cinq raille hommes se
joignirent à lui et ils s'établirent à
Téphrice, près de
Trébizonde. Ils fortifièrent
cette ville et, s'alliant au Calife sarrasin, en firent le centre de
leurs attaques sur les régions grecques de l'Asie mineure.
Grâce à l'aide des mahométans, ils battirent
l'empereur Michel, fils de Théodora, s'emparèrent des
cités jusqu'à Éphèse
et détruisirent les images qu'ils y trouvèrent.
A Carbéas succéda
Chrysocheïr, dont les incursions
atteignirent la côte ouest de l'Asie mineure et
menacèrent même Constantinople.
Ancyre, Éphèse,
Nicée et Nicomédie furent prises
d'assaut. À Éphèse, on installa des chevaux dans
la cathédrale et l'on montra le plus grand mépris pour
tableaux et reliques, le bâtiment étant regardé
comme un temple d'idoles. L'empereur, Basile 1er, implora la paix,
mais Chrysocheïr refusa toute autre condition que l'abandon de
l'Asie par les Grecs. Basile, contraint de se battre, surprit son
ennemi. Chrysocheïr fui tué et son armée
défaite. L'armée byzantine s'empara de Téphrice
et en dispersa les habitants qui se réfugièrent ensuite
dans les montagnes.
Ces Pauliciens
révoltés se demandaient sans doute comment agir. Ayant
affaire d'une part aux adorateurs d'images qui les
persécutaient violemment et, d'autre part, aux
mahométans, libres de toute trace
d'idolâtrie, qui leur offraient aide et liberté, il leur
était difficile de juger lequel des deux systèmes se
rapprochait, ou plutôt s'éloignait davantage de la
révélation divine donnée en Christ. Les
mahométans cependant ne pouvaient faire aucun progrès,
du fait qu'ils rejetaient entièrement les Écritures et
se laissaient asservir par l'autorité d'un livre d'origine
humaine, le Coran. Ils ne pouvaient aller au delà de la
connaissance à laquelle était parvenu le fondateur de
la religion. Bien que s'étant écartées de la
vérité, les Églises grecque et romaine avaient
pourtant conservé les Écritures. Ainsi il y avait
là une base solide sur laquelle pouvait s'édifier un
réveil par la puissance du Saint-Esprit.
Si l'on cherche à
connaître l'histoire de ces églises par des extraits
tirés des écrits de leurs ennemis, on observe que le
style insultant de ces ouvrages est d'une violence qui touche
à la folie. On ne saurait donc fonder sur cette lecture des
accusations dignes de foi. D'autre part, toute admission de quelque
bien incontestable est fortement amoindrie par l'attribution de
motifs impurs; elle est faite de mauvaise grâce. On ne peut
accepter l'accusation réitérée de
manichéisme, étant donné que les accusés
ne cessèrent de la repousser. En outre, ils
enseignèrent constamment des doctrines scripturaires
contraires au manichéisme et souffrirent beaucoup pour les
maintenir. Leur soi-disant profession de manichéisme ne
s'accorde guère avec le fait reconnu qu'ils
possédaient, au moins en grande partie, les Écritures
dans toute leur pureté et qu'ils les étudiaient.
La doctrine de Mani ne pouvait être suivie
que par ceux qui rejetaient les Écritures, ou les
falsifiaient. Les récits se rapportant à leur conduite
inique sont en flagrante contradiction avec leur réputation
d'être très pieux, menant une vie morale
supérieure à celle des gens de leur entourage. On ne
saurait non plus raisonnablement conclure que leur bonne conduite
n'était que de l'hypocrisie. Le caractère des rapports
volumineux de leurs ennemis, contrastant avec les quelques rares
écrits qui nous sont parvenus 'de ces chrétiens,
amènent le lecteur impartial à rejeter sans
hésitation la légende du manichéisme et d'une
conduite immorale. On en vient à reconnaître dans ces
églises persécutées des rachetés du
Seigneur qui maintinrent avec une foi et un courage indomptables le
témoignage de Jésus-Christ.
En dispersant ces braves et
pieux montagnards et en les forçant à s'allier aux
:mahométans le gouvernement byzantin détruisit son
propre rempart naturel contre la menace de la puissance islamique et
prépara ainsi la chute de Constantinople.
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