LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
Cyprien(10), évêque
deCarthage, né vers l'an 200,
était bien différent d'Origène. Il emploie
librement le terme «Église catholique», en dehors de
laquelle il ne voit point de salut. En son
temps«la vieille Église
catholique» était déjà formée,
c'est-à-dire l'Église qui, avant l'époque de
Constantin, avait pris le nom de «Catholique» et excluait
tous ceux qui ne se conformaient pas à sa règle. En
parlant deNovatien et de ceux qui le
secondaient dans ses efforts pour amener les églises à
une plus grande pureté, Cyprien dénonce
l'impiété d'une ordination illégale faite en
opposition à l'Église catholique. Il écrit
encore que ceux qui approuvaient Novatien ne pouvaient être en
communion avec l'Église catholique, puisqu'ils
s'efforçaient «de couper et de lacérer le corps
homogène de cette Église», en commettant
l'impiété d'abandonner leur mère. Ils devaient
donc revenir à l'Église, car ils avaient agi
contrairement à l'unité catholique». «Il y a
- disait-il - de l'ivraie parmi le froment, mais, au lieu de nous
séparer de l'Église, nous devons travailler dans son
sein à devenir du blé, des vaisseaux d'or et d'argent
dans la grande maison.» Il recommandait la lecture de ses
pamphlets pour aider aux âmes dans le doute; puis, faisant
référence aux Novatiens, il affirmait: «Quiconque
n'appartient pas à l'Église de Christ n'est pas
chrétien... il y a une seule église comme un seul
épiscopat.»
4. Différentes
formes d'Églises
En s'accroissant, les
églises perdirent leur premier zèle et se
conformèrent toujours plus au monde et à ses
méthodes. Mais ce changement graduel souleva des
protestations. A mesure que grandissait l'organisation du groupe
catholique des églises, il se formait aussi dans son sein des
cercles avides de réformes. Quelques églises se
séparèrent même du groupe catholique. D'autres
encore, plus ou moins attachées aux doctrines et aux pratiques
du Nouveau Testament, se trouvèrent peu à peu en marge
des églises qui les avaient déjà grandement
délaissées. L'Église catholique, prenant dans la
suite la première place, constitua une abondante
littérature; tandis queles écrits
de ceux qui différaient d'elle furent supprimés. Il ne
nous en est guère parvenu que des fragments tirés des
publications dirigées contre eux. On peut donc aisément
être sous la fausse impression que, durant les trois premiers
siècles, il n'y avait que la seule Église catholique
unie et certainsgroupes
hérétiques de peu d'importance. La vérité
est plutôt qu'alors, comme aujourd'hui, il existait des
congrégations représentant certains aspects du
témoignage chrétien, attachées chacune à
quelque vérité spéciale, ainsi que plusieurs
groupes d'églises s'excluant mutuellement.
Les nombreux groupes
chrétiens qui travaillèrent à la réforme
des églises catholiques, tout en demeurant dans leur sein,
sont souvent nommésMontanistes.
L'habitude de prendre le nom d'un homme en vue pour désigner
un mouvement spirituel étendu peut induire en erreur. Elle est
parfois adoptée comme étant la plus pratique; mais il
convient de se rappeler que, si grand que soit un homme comme chef ou
exégète, un mouvement spirituel affectant des
multitudes le dépasse de beaucoup en ampleur et en
signification.
Montanus. - Ayant constaté que la
mondanité dans l'Église allait croissant et que
l'érudition des chefs se substituait à la puissance
spirituelle, beaucoup de croyants sentirent intensément le
besoin d'une expérience personnelle plus profonde de la
présence du St-Esprit. Ils attendaient un réveil
spirituel, un retour à l'enseignement et à la vie
apostoliques.
EnPhrygie(156), Montanus
(11) commença à
protester - d'autres croyants se joignant à lui - contre le
relâchement qui prévalait dans les relations de
l'Église avec le monde. Quelques-uns déclaraient qu'ils
avaient des manifestations spéciales du St-Esprit, entre
autres deux
femmes,PriscaetMaximillia.
La persécution déclenchée (177) par
l'empereurMarc-Aurèle réveilla les
aspirations spirituelles des croyants
etl'attente de la venue du Seigneur.
LesMontanistes aspiraient à
fonder des congrégations animées de la
piété des premiers jours de l'Église, vivant
dans l'attente du Retour du Maître et accordant au St-Esprit sa
place légitime dans l'Église. Il y eut sans doute des
exagérations chez certains, qui prétendaient avoir des
révélations spirituelles. Cependant les Montanistes
enseignaient et pratiquaient une réforme nécessaire.
Ils acceptaient de façon générale l'organisation
qui s'était développée dans les églises
catholiques et s'efforçaient de rester dans leur sein. Mais
tandis que les évêques catholiques désiraient
faire le plus grand nombre possible d'adhérents, les
Montanistes insistaient sur des évidences bien nettes de
christianisme dans les vies de ceux qui voulaient s'unir à
eux. Le système catholique obligeait les évêques
à exercer sur les églises une domination toujours plus
stricte, tandis que les Montanistes s'y opposaient et maintenaient
que la direction des églises était la
prérogative du St-Esprit, auquel devait être
laissée pleine liberté d'opération.
En Orient, ces divergences
amenèrent assez vite la formation d'églises
séparées. Mais en Occident, les Montanistes
subsistèrent longtemps comme sociétés faisant
partie des églises catholiques. Ce ne fut qu'après de
longues années qu'ils en furent exclus, ou s'en
séparèrent volontairement.
ACarthage,Perpétue
etFélicité, dont la mémoire
a été préservée par l'émouvant
récit de leur martyre, étaient encore - bien que
Montanistes - membres de l'Église catholique quand elles
moururent (207). Mais au début du troisième
siècle, Tertullien, conducteur vénéré des
églises africaines et auteur
éminent,s'attacha aux Montanistes et se
sépara de l'Église catholique. Il écrivit
«La présence de trois croyants,
même laïques, constitue déjà une
église.»
Marcion. - Un mouvement très
différent, qui s'étendit rapidement et devint un
sérieux rival du système catholique, fut celui
desMarcionites(12),
dontTertullien écrivait en les
combattant: «La tradition hérétique de Marcion a
envahi toute la terre.»Marcion naquit, en l'an 85, à
Sinope, sur la mer Noire, et fut élevé dans les
églises dela province du Pont où
avait évangélisé l'apôtre Pierre (1 Pierre
1. 1) et d'où Aquilas était originaire (Actes 18. 2).
Son enseignement se développa graduellement et il avait
déjà soixante ans lorsque ses écrits furent
publiés et longuement discutés à Rome.
L'âme de Marcion fut
troublée en face des grands problèmes du mal dans le
monde, de la différence entre la révélation de
Dieu dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament, du contraste entre
la colère divine, ou le jugement d'une part, l'amour et la
miséricorde d'autre part, de l'opposition apparente de la Loi
à l'Evangile. N'arrivant pas à concilier ces divers
problèmes sur la base des Écritures, comme le faisaient
généralement les églises, il adopta
unethéorie dualiste assez
répandue à cette
époque.Il affirmait: que le monde
n'avait pas été créé par le Dieu
Très-Haut, mais par un être inférieur, le dieu
des juifs; que le Dieu Rédempteur est
révélé en Christ, qui, bien que n'ayant eu aucun
rapport antérieur avec le monde, descendit ici-bas par amour,
pour le sauver et délivrer l'homme de sa misère. Il
vint en étranger et incognito, et fut en conséquence
assailli par le (soi-disant) créateur et souverain de
l'univers, ainsi que par les juifs et tous les serviteurs du dieu de
ce monde. Marcion enseignait que le devoir de tout vrai
chrétien est de s'opposer
aujudaïsme et à la forme courante
du christianisme, qu'il considérait comme un rejeton du
judaïsme. Il n'était pas d'accord avec
lessectes gnostiques, car il ne prêchait
pas le salut par les
«mystères»,
c'est-à-dire par l'acquisition de la connaissance, mais par la
foi en Christ. Au début, il chercha à réformer
les églises chrétiennes, mais, plus tard, ces
dernières et les Marcionites s'exclurent mutuellement.
Comme ses conceptions ne
pouvaient être maintenues par l'Écriture, Marcion en
devint un critique rigoureux. Il appliqua ses théories
à la Bible, rejetant du texte tout ce qui était en
flagrante contradiction avec ses vues. Il n'en conserva que ce qui
semblait lui donner raison et l'interpréta selon sa
manière de voir plutôt que selon le sens
général des Écritures, ajoutant même au
texte ce qui lui semblait désirable. Ainsi, après avoir
d'abord accepté l'Ancien Testament, il finit par le rejeter
absolument, comme étant une révélation du dieu
des juifs et non point du Dieu Rédempteur, comme
annonçant un Messie juif et non pas le Christ. Il pensait que
les disciples confondaient Christ avec le Messie juif. Dans son
estimation, l'Evangile véritable n'avait été
révélé qu'à Paul. Aussi rejetait-il le
Nouveau Testament à l'exclusion de certaines
épîtres pauliniennes et de l'évangile de Luc.
Finalement il alla jusqu'à éditer une libre
interprétation de cet évangile, d'où
était banni tout ce qui contrariait ses théories. Il
enseignait que le reste du N. Testament était l'oeuvre
dejudaïsants décidés
à détruire le véritable Évangile, et qui
avaient introduit dans ce but des passages que lui déclarait
faux.A ce N. Testament expurgé Marcion
ajouta son propre ouvrage:
«Antithèses», qui
remplaça le livre des Actes.
Enthousiaste de son
Évangile, il le considérait comme la plus grande des
merveilles, une puissante révélation, insurpassable en
pensée et en paroles. Quand ses doctrines furent
déclarées hérétiques, il commença
à former des églises séparées qui se
multiplièrent rapidement. On y observait le baptême et
la Sainte-Cène. La forme du culte était beaucoup plus
simple que celle de l'Église catholique et le
développement du cléricalisme et de la mondanité
fut réprimé. En accord avec leurs vues sur le monde
matériel,les Marcionites
étaient de stricts ascètes. Ils interdisaient le
mariage et ne baptisaient que ceux qui avaient fait voeu de
chasteté. Pour eux, Jésus aurait eu un corps
immatériel - celui d'un fantôme - mais capable
d'éprouver des sensations, tout comme le nôtre.
Toutes les erreurs peuvent
être basées sur quelque portion de l'Écriture.
Seule la vérité repose sur toute la
révélation biblique. Les erreurs de Marcion
étaient le résultat inévitable d'avoir
accepté de la Bible ce qui lui plaisait et rejeté le
reste.
Les Cathares. - Tout écart du modèle
initial tracé pour les églises dans le Nouveau
Testament rencontra dès le début une vive
résistance et amena, en quelques cas, la formation dans les
églises décadentes de groupes de croyants se gardant du
mal et espérant être le moyen de la restauration de
l'ensemble. Quelques-uns de ces groupes furent exclus et se
réunirent en congrégations séparées.
D'autres, ne pouvant se conformer aux opinions régnantes,
quittèrent leurs églises pour former de nouveaux corps
de croyants. Souvent ces derniers allaient grossir les rangs de ceux
qui, dès le début, avaient maintenu les pratiques
apostoliques. Dans les siècles qui suivirent, il est
fréquemment fait allusion aux églises qui avaient
adhéré à la doctrine apostolique et qui
revendiquaient une succession ininterrompue de témoins depuis
les premiers jours de l'Église. Avant comme après
l'époque de Constantin, les membres de ces
congrégations furent souvent
nommésCathares(Pars). Mais ils ne
semblent pas s'être jamais donné ce nom
eux-mêmes.
On les nomma
encoreNovatiens, bien que Novatien ne
fût pas le fondateur du mouvement, mais l'un de ses chefs, sa
vie durant. Ce dernier se montrait très sévère
sur un point qui agita beaucoup les églises durant les
périodes de persécutions, à savoir si l'on
devait admettre comme membres les personnes qui, depuis le
baptême, étaient retournées aux sacrifices
idolâtres. Un évêque,
nomméFabien, qui avait consacré
Novatien et souffrit le martyre àRome, eut
comme successeur un certain Cornélias qui consentait à
recevoir les apostats. Une minorité, en désaccord avec
lui, choisit Novatien comme évêque et il accepta cette
élection.Mais ses amis et lui furent
excommuniés (251) par un synode réuni à
Rome.Plus tard,Novatien subit aussi le
martyre. Mais ses adeptes, qu'ils se nommassent Cathares, Novatiens
ou autrement, continuèrent à se répandre
largement. Ils ne reconnaissaient plus les églises catholiques
et estimaient ses sacrements comme dépourvus de valeur.
LesDonatistes(13) de l'Afrique du
Nord furent influencés par l'enseignement de Novatien. Ils
divergèrent de l'Église catholique sur des points de
discipline, en insistant sur le caractère de ceux qui
administraient les sacrements, tandis que les catholiques
considéraient les sacrements mêmes comme plus
importants. Les Donatistes se nommaient ainsi d'après deux
hommes éminents parmi eux qui s'appelaient tous
deuxDonatus. Au début, ces
chrétiens se distinguèrent des catholiques en
général par la supériorité de leur
caractère et de leur conduite. Dans certaines parties de
l'Afrique du Nord, ils furent numériquement en tête des
différentes branches de l'Église.
LesManichéens.- Tandis que les églises chrétiennes se
développaient sous diverses formes, parut une
nouvellereligion gnostique, le
Manichéisme, qui prit un rapide essor et devint un formidable
adversaire du christianisme. Mani, son fondateur, naquit en Babylonie
(216). Son système dualiste était dérivé
de sources persanes, chrétiennes et bouddhistes. Mani aspirait
à continuer et parachever l'oeuvre commencée par
Noé, Abraham, Zoroastre,Bouddha et
Jésus. Il voyagea au loin, jusqu'en Chine et aux Indes, pour y
propager ses doctrines, et exerça une grande influence sur
quelques chefs persans, mais fut finalement crucifié. On
continua cependant à révérer ses écrits,
et ses disciples, nombreux à Babylone et
àSamarcande, se répandirent
aussi dans l'Occident, en dépit de violentes
persécutions.
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