AU SERVICE
DU MAÎTRE
Soeur Sophie
de Pury
L'ENTRÉE DANS LA VOIE
DOULOUREUSE.
Au cours de l'été de 1899 le
comité adjoignit une auxiliaire à
Soeur Sophie en la personne de Soeur Alice Corbett,
alors à la tête de l'hôpital
civil de Mulhouse. Cependant cette station
traversait à ce moment une crise, qui
rendait impossible le départ de sa
directrice, avant que les négociations
entamées au sujet des changements
projetés eussent plus ou moins abouti, de
sorte qu'il se passa bien du temps avant que Soeur
Sophie pût être effectivement
soulagée. Toutes les Soeurs auraient
été heureuses de le faire, mais
chacune était prise dans l'engrenage de ses
devoirs immédiats et ne pouvait lui
être d'un grand secours.
Enfin Soeur Alice fut libre de se mettre
à sa disposition, et Soeur Sophie put aller
en vacances au mois de décembre, absolument
épuisée. Elle revint à
Strasbourg au mois de janvier, sans avoir
retrouvé, comme les années
précédentes, une nouvelle mesure de
forces. Ce fut dans les premiers jours de
février que la nouvelle du mal qui la minait
depuis des mois, sans que
même ses plus intimes s'en fussent
doutés, se répandit soudain parmi les
Soeurs. Les médecins qu'elle avait enfin
consultés, avaient déclaré
qu'il ne fallait pas tarder à enrayer le mal
par une opération. Notre Mère fut
admirable de calme et de confiance dans les jours
et les heures qui précédèrent
le moment fatal. C'est elle qui relevait autour
d'elle les courages abattus, et jusqu'à la
dernière minute elle continua à
s'occuper paisiblement des affaires courantes,
rangeant ses papiers pour mettre ordre à sa
maison, prenant les dispositions nécessaires
et n'oubliant point les jours de naissance :
petits cadeaux et messages affectueux, furent
préparés avec amour et
expédiés comme en temps ordinaire.
"Nous avons un Dieu qui délivre",
écrivait-elle au bas d'un petit mot
affectueux qu'elle expédiait le 8
février.
Ce fut le 9 qu'eut lieu l'opération,
et d'abord il sembla que le Seigneur allait exaucer
les prières qui montaient vers Lui pour
cette Mère bien-aimée ; la plaie
guérissait rapidement, lorsque tout fut
remis en question par un violent
érysipèle, qui retarda
considérablement sa convalescence. Enfin,
vers le printemps, elle fut assez forte pour
voyager ; avant son départ elle
écrivit aux Soeurs la circulaire
suivante :
Mes bien chères Soeurs,
Le Dieu fort est notre Dieu fort pour nous
délivrer, et la délivrance de la mort
vient de l'Éternel notre Seigneur.
Ps. 68. 20.
Non seulement je Lui rends grâce de
m'avoir conduite avec tant de miséricorde,
mais j'ai besoin de vous
remercier toutes de m'avoir portée par votre
intercession au travers de ce temps
d'épreuve.
Votre affection, votre sympathie, tous les
nombreux témoignages que vous m'en avez
donnés, m'ont beaucoup réjouie, j'ai
vivement senti pendant ces semaines
d'épreuves ce qu'est et ce que peut la vraie
communion fraternelle. - J'espérais vous
voir prochainement et rendre grâce avec vous.
Au lieu de cela, le docteur m'envoie en Suisse pour
assez longtemps, sans me permettre de vous revoir
auparavant. C'est un peu dur, et j'ai eu plus d'une
lutte avec le cher docteur ! Il faut au moins
que je vous dise que mon affection, mes
pensées, mes prières vous suivront
toutes, toutes et chaque jour pendant ce temps
d'absence, mes bien chères Soeurs, et si le
Seigneur veut bien me rendre des forces et me
permettre de travailler encore quelque temps au
milieu de vous, je l'en bénirai.
Oh ! puissions-nous comprendre ce qu'Il
avait à nous dire ! et que notre
être tout entier, l'esprit, l'âme et le
corps lui appartienne et le glorifie. Faisons-le
encore ici-bas en attendant de le faire
parfaitement dans l'éternité.
- Il faut aimer ce Dieu qui nous
délivre
- Dès qu'on l'invoque on le voit
accourir.
- C'est pour l'aimer, c'est pour Lui qu'il
faut vivre
- Et c'est en Lui surtout qu'il faut
mourir.
Votre SOEUR SOPHIE qui vous aime tendrement.
P. S. Il est bien entendu, mes chères
Soeurs, que notre chère Soeur Alice est ma
remplaçante, et que c'est
à elle que je vous prie de vous adresser
avec la même confiance que vous m'avez
toujours témoignée. Aidez-lui dans sa
grande tâche par vos prières.
En attendant que la température des
hauteurs du Jura fût assez adoucie pour lui
permettre d'aller se blottir dans ce nid des Ponts
tant aimé, elle alla faire un séjour
à Locarno avec Soeur Sophie Baquol et
ensuite à Clarens chez un de ses
frères. Un léger rhumatisme,
croyait-elle, la faisait, il est vrai, un peu
souffrir, mais on le chasserait en prenant de
l'exercice. La Fontaine, qu'elle citait volontiers,
ne disait-il pas : "Goutte bien
tracassée est, dit-on, à demi
pansée. " "C'est pour me décrocher
que je me croche", répondait-elle en
plaisantant à ceux qui lui faisaient
remarquer que plus elle se forçait, plus le
mal empirait.
Le 4 juin, peu après son
arrivée aux Ponts, elle entreprit de
rédiger un journal, sans doute à
l'intention de ses chères Soeurs, pour leur
rendre compte à son retour de l'emploi de
ses journées.
« Me voici aux Ponts depuis huit
jours, écrit-elle. Combien j'en bénis
Dieu. Il y a deux mois que j'ai quitté
Strasbourg, il me semble que c'est bien long, j'ai
tant voyagé depuis ce temps, et combien mon
Dieu fidèle a été bon et
miséricordieux ! Il l'avait
été déjà pendant les
deux mois précédents, février
et mars. Jamais, non jamais je ne pourrai le
bénir assez pour ce qu'Il a fait pour moi
dans les jours d'angoisse qui ont
précédé
l'opération. Oh ! j'ai mieux compris
son amour infini, et j'ai fait l'expérience
de la communion fraternelle. Quelle
bénédiction ! quel soutien pour
la foi !
Je suis partie le 3 avril pour Locarno, et
je passai là quatre heureuses semaines avec
ma Sophie ; j'en aurais joui pleinement, si sa
santé ne m'avait pas donné de
l'inquiétude. Mais quels doux et paisibles
moments nous avons passés ensemble au bord
du lac, en face de ces belles montagnes ! Puis
la visite de mes deux Hélène (sa
soeur et sa nièce, Mad. et Mlle Barrelet),
nous a beaucoup réjouies, et nous avons pu
faire quelques belles promenades et courses, entre
autres un jour au Salvatore au-dessus de
Lugano. »
Le 4 mai les deux Soeurs Sophie se
quittaient, l'une pour revenir à Strasbourg
et notre Mère pour aller se retremper
auprès des siens. Elle jouissait
profondément de se retrouver dans ce milieu
bienfaisant, son coeur se dilatait dans une
communion intime avec tous ces êtres
chéris, avec qui elle avait tant
d'affinité naturelle. Ce fut aussi une
grande joie pour elle d'y recevoir la visite de
quelques Soeurs. Le 26 mai elle descendit à
Neuchâtel et de là se rendit à
Corcelles.
J'y trouvai, dit-elle, trois Soeurs de
Colmar en vacances, c'était le jour de
naissance de Soeur Christine, et l'on nous
fêta beaucoup les deux. Le soir, la poste
m'emmenait aux Ponts par la Tourne, et ce fut une
grande jouissance pour moi de revoir cette belle
partie de mon cher pays, et tout en cheminant seule
dans ma diligence depuis les Grattes, je rendais
grâce à Dieu de toute mon âme de
tous ses bienfaits, et j'aimais
à me répéter un de mes
cantiques favoris pendant ma maladie :
- Il faut aimer le Dieu qui nous
délivre,
- Dès qu'on l'invoque, on le voit
accourir.
- C'est pour l'aimer, c'est pour Lui qu'il
faut vivre,
- Et c'est en Lui surtout qu'il faut
mourir.
Arrivée à l'auberge de la Tourne,
je vis Albert et Hélène (son
frère et sa soeur) arrivant à ma
rencontre depuis les Ponts. Quel bonheur de se
revoir, et combien nous bénissons Dieu de ce
qu'Il a fait pour nous depuis le jour où,
pleins de crainte et d'anxiété, nous
nous quittions à la gare des Ponts, le 5
février.
Oh ! que ce séjour ici soit
béni pour mon âme et soit un temps de
préparation pour ce que mon Dieu demandera
de moi pendant le reste de ma vie et pour mon
départ de ce monde ! Les années
passent, la vieillesse arrive, les forces
déclinent, il faut se dire que le dernier
jour n'est peut-être plus
éloigné.
Le mardi 29 ma matinée se passa
à ranger mes effets. J'ai les reins bien
crochés, et je crois que j'ai senti
l'humidité dans le verger de Corcelles,
où je me suis assise assez longtemps en
causant tour à tour avec les Soeurs. Depuis
ma maladie je suis très frileuse, sensible
au froid, et il faut m'habituer à prendre
des précautions que j'ignorais
tout-à-fait jusqu'ici.
Dans l'après-midi, jolie promenade
au-dessus des Ponts, on cueille des gentianes, et
quel plaisir de parcourir de nouveau les
forêts et les pâturages de la
montagne ! Au retour, emplette d'un chapeau
rond chez la modiste, celui qu'elle portait
choquant beaucoup les messieurs de sa
famille.
Le jeudi 31, elle profitait d'une course de
sa soeur aux Ruillères, séjour
d'été de Mad. Barrelet, pour faire
route avec elle et aller voir les Soeurs de Couvet.
"Le temps n'est pas très sûr,
nous mande son journal, et mon dos n'étant
pas encore sage, je renonce à faire la
grimpée de la côte. Nous prenons la
poste du Val-de-Travers à 11 heures et
demie. Hélène a emmené sa
bonne, pour n'être pas seule à travers
la montagne. À Travers je vais avec elles
jusqu'au bas de la côte, je les quitte avec
résignation et me dirige par les prés
dans un petit chemin du côté de
Couvet, où je visite les Soeurs. J'y arrive
vers 3 heures en constatant que je n'aurais pu,
sans difficultés, arriver aux
Ruillères, et tout en cheminant par le
vallon, je me répétai la jolie
strophe suivante, appropriée à mes
circonstances présentes :
- Conduis-moi par la main
- Et soutiens ma faiblesse
- Et mon pas incertain.
- Que toute ta sagesse
- Et toute ta tendresse
- Entourent ton enfant
- D'un secours tout-puissant.
Une pluie de grésil commence à
tomber fort, puis, pendant ma visite à
l'hôpital, une terrible averse se met de la
partie, et je pense à ma pauvre
Hélène dégringolant le
Liéchau par ce temps ! À 6
heures nous nous retrouvons dans le
régional, Soeur Louise Jacquel
m'accompagnant jusqu'à Travers. Là
nous avons une demi-heure d'attente jusqu'au
départ de la poste. Hélène,
ayant les pieds humides et froids, part en
avant avec sa compagne, et je
roule dans ma voiture en compagnie d'un bon vieux
de la Chaux-du-Milieu, auquel je demande des
nouvelles de son pasteur. Il pose sa main sur mes
genoux en disant d'un air joyeux :
« Ah ! vous en êtes une qui
prend encore intérêt aux pasteurs,
ça me fait plaisir ! »
Mes compagnes ont si bien marché que
la poste les rejoint seulement au haut de la
montée de Rosière. Le vieux ne
comprend pas que quand on a payé sa place on
se tue à marcher si fort."
Le journal continue à nous
détailler l'emploi de ses
journées : promenades, visites à
des amis, lectures en commun, et nous initie
à l'activité bénie de son
frère.
"Samedi soir, écrit-elle, nous avons
à 8 heures et demie la petite réunion
de prières avec quelques paroissiens
d'Albert. On se réunit chaque semaine dans
la salle des catéchumènes ;
j'aime ce moment. Albert lit quelques versets de la
Parole de Dieu, nous chantons de beaux cantiques et
plusieurs amis prient. Ce sont des prières
pleines de ferveur et d'onction, on se
prépare pour le dimanche, on prie pour la
paroisse, pour l'avancement du règne de
Dieu, enfin pour tous ceux qui souffrent.
Le dimanche de Pentecôte a
été un beau jour de toutes
manières. Bon culte d'Albert à 9
heures avec chants du choeur.
« Lié par l'Esprit »,
tel était le texte choisi par notre cher
frère. Après-midi nous avons fait les
trois ensemble une belle promenade dans les bois et
les pâturages au-dessus de la petite
vallée des Sagnettes, et nous
sommes revenus par la petite
Joux, dont nous avons admiré toujours de
nouveau les magnifiques ombrages.
Nous prenons le thé à 6 heures
le dimanche, afin de n'être pas
pressés pour le culte du soir. Chacun est
allé se recueillir chez soi ; puis
à 8 heures nous avions un culte au Temple
avec Sainte-Cène. C'était mon neveu
Samuel qui prêchait sur la vision des
ossements desséchés
d'Ezéchiel, ce fut très bon. Le
choeur chanta deux fois, et la communion fut
distribuée par mon cher
Albert. »
La cure hospitalière des Ponts voit
débarquer journellement de nouveaux
hôtes. Soeur Sophie se met à la
disposition de tous les arrivants, elle s'est
chargée du soin de renouveler à
mesure l'indispensable parure de fleurs qui
égaye les chambres, et souvent elle se
fatigue à cette besogne, mais elle est
toujours prête à aller courir dehors
et croit faire ainsi une guerre acharnée
à ses rhumatismes. La guerre des Achantis
vient jeter une ombre inquiétante sur cette
vie idyllique. Mad. Perregaux, la nièce
chérie de Soeur Sophie, est
stationnée avec les siens à
Abétifi, non loin de Coumassie, et
voilà bien du temps qu'on est sans
nouvelles. Mais tous, même la mère de
la chère absente, sont calmes et confiants
en Dieu. On attend la visite de Mlle Julie de Pury,
qui revient de Strasbourg, et Soeur Sophie veut
aller à sa rencontre à Sonceboz, pour
aider à sa soeur, dont la vue s'est bien
affaiblie ces derniers temps, à changer de
train.
« Hélène et moi,
écrit-elle, nous nous décidons
à aller à pied au Locle, y prendre le
train pour la Chaux-de-Fonds. De
là, à 4 h. 12, je partirai à
la rencontre de Julie, tandis
qu'Hélène fera visite à ses
parents au Locle. Le temps couvert, mais calme de
la matinée se dérange, et quand
après dîner nous voulons partir, il
pleut. Faut-il commander un char ? faut-il
attendre encore ? Le ciel s'éclaircit,
nous partons à pied, ayant deux heures
devant nous et croyant arriver au bout d'une heure
et demie. Nous prenons par les sentiers pour
abréger. Mais le temps se brouille de
nouveau, nous faisons une course assez
pénible, tantôt la pluie, tantôt
le brouillard. Le vent, l'herbe mouillée
nous gênent la marche, et nous voyons
au-dessus du Locle, où nous nous dirigeons,
des masses noires de nuages chargés d'orage.
Nous prions mentalement, chacune de son
côté, demandant au Seigneur de nous
épargner, de nous garder et surtout de nous
faire arriver à temps.
L'idée que je pourrais ne pas arriver
au rendez-vous à Sonceboz me met hors de
moi, j'ai tellement promis que j'y serais. Dieu
nous épargne de trop fortes averses, nous
coupons la route partout où c'est possible,
Nous voici au Locle, on nous indique deux fois
à faux le chemin pour la gare, nous arrivons
haletantes, à l'instant même le train
se met en branle et part.
Nous tombons sur un banc parfaitement
découragées, j'avais grande envie de
pleurer, nous étions anéanties par
l'échauffement et la fatigue de la course,
mon dos criait miséricorde, et je croyais ne
plus pouvoir me mettre debout. Nous composons une
dépêche au chef de gare à
Sonceboz, le priant de prendre soin d'une dame
voyant peu, venant de Bâle,
et de la diriger sur la Chaux-de-Fonds. Que faire
ensuite ? - attendre le train de 6 heures, il
en était 4, Hélène ne pourrait
faire ses visites à la Chaux-de-Fonds. Nous
demandons une voiture, on ne l'aura que dans une
demi-heure. En attendant nous prenons une tasse de
chocolat bouillant pour prévenir un
refroidissement. Puis, enveloppées dans une
bonne couverture, nous partons en calèche.
La pluie cesse, nous trottons bien tout en
méditant sur nos vicissitudes et nous
demandant pourquoi nos prières n'avaient pas
été exaucées. Julie me dit
plus tard avec sagesse : "La prière ne
suffisait pas, il fallait partir à temps. "
La voiture me dépose devant la gare de la
Chaux-de-Fonds et emmène
Hélène plus loin chez sa
parente ; nous nous donnons rendez-vous
à la gare du Grenier.
Je vais droit au buffet, et je conte
à la dame mes ennuis, disant que j'ai les
pieds mouillés. Aussitôt elle me fait
donner une bouillotte très chaude, sur
laquelle mes pieds se trouvent fort bien, et, en
reconnaissance de ce grand service, je demande du
café très chaud, qu'on me sert dans
un verre. Mes méditations et un livre me
font vite passer le temps, je prends nos places
pour les Ponts, et quelques minutes avant
l'arrivée du train de Sonceboz, j'arpente le
trottoir. Le train arrive, je vois le chapeau de
Julie, je m'élance, lui prends son rouleau
en disant : « Ne me dis rien, ne me
dis rien !" à-peu-près avec la
vivacité avec laquelle je criais au train du
Locle : » Arrêtez,
arrêtez, arrêtez !" Julie fut
toute gracieuse et souriante, je l'emmenai dans le
train des Ponts, et là
nous nous racontâmes nos aventures. Tout va
bien qui finit bien ! Le chef de gare de
Sonceboz avait été des plus aimable
et empressé, et Julie m'avoua qu'en ne me
voyant pas au rendez-vous, elle avait
été plus chagrinée que
surprise.
Les pages suivantes parlent de rhumatismes,
et cependant dès que le ciel
s'éclaircit on est en courses. On attend la
visite des Soeurs de Neuchâtel, qui se sont
annoncées pour jeudi, 14 juin.
« Le temps ayant été
gâté mercredi, nous mande le journal,
nous sommes bien en peine que nos chères
Soeurs ne nous arrivent par le froid et la pluie,
ce qui nous empêcherait de les mener
promener. Nous en faisons un sujet de
prières, sachant que notre Dieu s'occupe
avec sollicitude de nos petites comme de nos
grandes affaires. Les nouvelles sur les Achantis
continuent à être inquiétantes,
nous remettons continuellement les missionnaires et
en particulier nos bien-aimés enfants
à la garde toute-puissante du Seigneur.
Hier matin, jeudi, le temps était
assez beau, mais très frais. Nous faisons
nos préparatifs de réception et nos
neuf Soeurs arrivent par le train de 11 h. 30,
très joyeuses et bien en train. Le soleil
devient vainqueur, et nous en rendons grâce
de tout notre coeur. Après un joli
dîner assaisonné de fleurs, de chants
et d'une bonne prière d'Albert en l'honneur
de l'une des Soeurs dont c'est le jour de
naissance, nous prenons longuement le café
noir. Vers 3 heures nous nous mettons en route pour
nous rendre à la petite Joux en passant par
le nouveau et pittoresque sentier de la
Pouettacombe et les Sagnettes. On cueille
des fleurs à foison, et
les Alpes se voient assez bien de la petite Joux.
Nous chantons de beaux cantiques assises sous les
ombrages près de la ferme et
entourées d'un grand troupeau de bêtes
à cornes. À 5 heures nous nous
attablons, au nombre de 14, près de la
maison, et nous faisons honneur à un
goûter de café à la
crème et de beignets commandé la
veille, repas très gai commencé par
quelques mots de prière de notre cher
Samuel, (M. Barrelet, son neveu). À 6 heures
nous partons, et le retour est aussi gai que la
visite à la Joux. À 7 heures un grand
break emmène nos Soeurs à Chambrelien
par la Tourne, rejoindre le train de la
Chaux-de-Fonds sur Neuchâtel, et nous rendons
grâce de tout notre coeur que cette
journée ait bien réussi et que notre
Père céleste nous ait envoyé
le beau temps."
"Nous venons d'entendre un très bon
sermon de M. Pétremand, écrit-elle
à la date du 17 juin, sur :
« Les choses vieilles sont
passées, voici toutes choses sont faites
nouvelles. » Oh ! s'il en
était réellement ainsi pour
moi ! mon Dieu donne-le-moi, sors-moi de ma
vie propre et fais-moi vivre en Toi, pour Toi et
pour les autres.
Les nouvelles sur nos missionnaires à
Coumassie sont toujours très
inquiétantes, ils sont dans la main de
Dieu."
Jeudi, 21 juin. J'ai passé lundi soir
une heure très heureuse dans la solitude de
la forêt, du côté de la Bande
Martel ; je me suis
répété de beaux cantiques, qui
m'ont fait beaucoup de bien, entre autres :
« Oh ! croyez que Dieu vous donne
tout ce qu'Il promet », et :
« Je veux t'aimer, toi
mon Dieu, toi mon Père. » Ce vieux
cantique de mon enfance est un de mes plus
précieux, et je remercie encore notre
bien-aimée mère de nous en avoir fait
tant apprendre par coeur, c'est un trésor.
"
Vendredi, 22 juin. "Nous avons eu hier une
jolie soirée qu'Albert tenait à
donner au jeune missionnaire du Cameroun, M. F.
Chapuis et à sa fiancée, Mlle Alice
Huguenin, une de nos amies des Ponts. Dans
l'après-midi nous allons, Julie et moi,
cueillir des fleurs et des fougères pour la
table. Nous sommes 15, et le repas et toute la
soirée sont très animés, on
porte des santés, et l'on finit par chanter
tous ensemble de beaux cantiques sur le
privilège d'être au service de
Dieu.
Toujours pas de nouvelles de nos enfants
d'Afrique ! C'est bien long, et ma
chère Hélène est bien
préoccupée ; cette incertitude
sur leur sort est dure à accepter, nous les
recommandons sans cesse au Seigneur, notre
Maître, notre Père tout-puissant et
tout bon."
Le village se prépare à
recevoir toutes les Unions chrétiennes du
pays, on décore le Temple, on construit une
cantine, et on distribue des billets de logement.
Dimanche, 24 juin.
- "Viens, o Jésus, régner sur
cette terre,
- Viens te montrer puissant et glorieux
- Nous t'attendons, reviens du haut des
cieux
- Sécher nos pleurs, finir notre
misère."
Hélène a reçu ce matin deux
lettres d'Afrique, la dernière datée
du 20 mai. Chez eux c'est tranquille, mais la
position des missionnaires de
Coumassie est terrible.
Enfermés dans un fort, cernés par les
Achantis, ils manquent de tout, vivres, eau,
vêtements ; leur station a
été pillée et
incendiée. Dieu règne ! il faut
le croire !
«Excellent sermon ce matin de mon neveu
Samuel sur les épreuves du chrétien.
Il s'agit de souffrir avec Christ ici-bas pour
régner avec Lui dans le ciel. Nous attendons
M. Barde de Genève, qui tiendra une
conférence dans le Temple ce soir. Tout le
village est en fête, on souhaite vivement le
beau temps pour demain. Plusieurs centaines
d'unionistes arriveront dès le matin, le
programme de toute la journée est
fait ; la réunion de
l'après-midi se fera dans le bois de
l'église, si le temps est beau. Notre Temple
ne pourrait guère contenir tout le monde, et
le Temple national est encore en
réparation.»
Samedi, 30 juin. "Le lundi matin on se
rendait au Temple très bien
décoré. Il y avait environ 500 jeunes
gens des Unions chrétiennes du pays, mon
frère parla très bien avec beaucoup
d'âme, d'élan, de conviction sur le
texte : « L'Éternel, en la
présence duquel je me tiens, est
vivant. » Ce fut excellent. Puis M. le
pasteur Cart de l'Église nationale parla
à son tour sur : « Combats le
bon combat de la foi. » Ce fut
également bon. Les chants de ces nombreuses
voix de jeunes gens furent très beaux.
Le reste de la semaine à
été très paisible. J'ai fait
mercredi une bien jolie course solitaire
jusqu'à l'arête, chez notre amie
sourde. J'étais bien aise de voir à
quoi en sont mes reins et mes jambes, et j'allais
d'un pas très modéré à
travers bois et pâturages,
le temps était charmant, et je jouis bien de
cette longue promenade. Arrivée à la
lisière du bois, à l'entrée du
pâturage de la ferme Robert où je me
rendais, je m'assis un moment sur un vieux tronc
d'arbre ; une paix parfaite régnait
autour de moi, et j'admirais les oeuvres du
Créateur aussi belles dans la petite herbe
à Robert (géranium sauvage) croissant
à mes pieds sur la mousse entre les racines
des sapins que dans les grands arbres de la
forêt se dressant fièrement vers le
ciel bleu. Je passai une heure environ
auprès de notre vieille amie qui fut
très heureuse de me voir. Elle me raconta
mille histoires du passé avec sa verve
habituelle, et grâce à son cornet
acoustique, elle comprit ce que j'avais à
lui dire. Je revins fatiguée, mais non pas
outre mesure.
Hier vendredi, Albert ayant un malade
à voir de l'autre côté de la
vallée, je l'accompagnai, croyant faire une
course très pacifique. Je comptais bien
décrocher mon dos par cette bonne promenade
et mettre enfin à la raison mes vieux os.
Mais notre paisible tour se changea en une course
farouche à travers monts et vaux,
broussailles et taillis. Le pire c'étaient
les murs et barrières à franchir.
Cette gymnastique faisait crier miséricorde
à mes pauvres jambes qui, maintes fois, se
trouvèrent dans une situation des plus
critiques. Albert devait tour à tour
dégager mes membres et je ne comprends pas
n'avoir pas laissé des lambeaux de ma
personne ou de mes vêtements aux piquants des
barrières ; nous avons fait un tour
immense composé de lacets sans fin. Je
rentrai à peu près
demi-morte et demi-boiteuse, traînant l'aile
et tirant le pied, mais très satisfaite
quand même ; de tout le soir je ne pus
me remuer sans un grand effort, et je me donnai le
luxe de dormir jusqu'à 8 heures du
matin ; aujourd'hui il n'y paraît plus
guère. Je n'ai point fait d'extra, j'ai
mené une vie très rangée. Le
matin j'ai emballé pour le séjour aux
Ruillères et à Monlézi,
après-dîner j'ai achevé la
lecture d'un livre à Julie, j'ai fait des
commissions au village et visité ma
nièce et ses petits enfants. Nous avons eu
notre réunion de prières du samedi
soir, que j'aime extrêmement. Albert avait
pris pour sujet spécial : tous nos
frères et soeurs dans la souffrance, surtout
les serviteurs de Dieu, les missionnaires en pays
lointains. Nous avons chanté :
"Maître, entends-tu la
tempête !"
Aux Ruillères, où le journal
se continue d'une façon très
intermittente, on fut d'abord confiné entre
ses quatre murs par des pluies journalières.
Vers le soir, enveloppés
d'imperméables, on faisait un tour sur la
montagne, mais ce néanmoins les jours
s'écoulaient rapidement avec des lectures
à haute voix au coin du feu dans le salon
confortable de la grande maison. Lorsque le beau
temps revint, Soeur Sophie remarque qu'elle
n'était pas en état de faire de
grandes courses. Mais elle s'en console sans peine
et trouve qu'il fait beau partout. Avant de partir
pour Monlézi, elle reçut la visite de
deux Soeurs de Strasbourg et, après une
belle journée passée avec elles sur
la montagne, elle voulut les accompagner à
Neuchâtel et en profiter
pour consulter le docteur Matthey au sujet de ses
rhumatismes persistants. La descente de la montagne
par une chaleur torride sur des sentiers pierreux
fut exténuante ; elle en fait à
peine mention. On s'arrêta un moment à
Couvet, puis, arrivée à
Neuchâtel, ayant vu partir les Soeurs, elle
se rendit chez le docteur qui, après un
sérieux examen, la déclara moins bien
qu'il ne l'avait vue précédemment,
mais se garda de lui dire que ses prétendus
rhumatismes étaient un commencement de
sciatique et se contenta de lui prescrire un
tonique. Elle visita encore les deux hôpitaux
et partit le soir pour Monlézi par le train
du Val-de-Travers et la poste de la Brévine.
Arrivée enfin au terme de ses
pérégrinations, elle fut bien
étonnée, de trouver tout le monde sur
pied pour la recevoir. C'est qu'on craignait, non
sans raison, qu'elle n'eût trop
présumé de ses forces. En effet, elle
était presque défaillante.
"Les habitants des deux maisons,
(1) dit-elle,
vinrent à ma rencontre par groupes,
même mon cher Édouard que je trouve
étonnamment remis. Dieu soit mille fois
loué ! Près de Jolimont il y eut
une halte. Puis, donnant le bras d'un
côté à Édouard, de
l'autre à Elisabeth, Gathi tenant ma robe
par derrière à l'abri de la
rosée, nous avancions lentement à
travers ces chers prés et bois bien connus
et tant aimés, et tant bien que mal on
arriva sans autre aventure fâcheuse.
"
Hélas ! le mal fit de rapides
progrès ! elle se vit bientôt
dans l'impossibilité de continuer ses
chères promenades. Les deux premiers jours
à Monlézi elle visita encore les
bancs champêtres peu éloignés
de la maison et s'assit sous les grands sapins du
pâturage - et ce fut tout. Passé le
troisième jour, elle se coucha sur sa chaise
longue à l'ombre des frênes de
l'avenue ; ses frères, ses neveux
étaient heureux de la transporter d'un arbre
à l'autre ; on lui faisait une lecture
tandis qu'elle contemplait les sombres forêts
de la montagne d'en face, les fermes, les
prés ensoleillés. À l'heure de
la traite, les plus jeunes s'empressaient de lui
chercher une bonne tasse de lait chaud.
Enfin, un jour le courage lui manqua pour
descendre l'escalier, et elle resta dans sa
chambrette. Entourée de ses
bien-aimés, elle respirait l'air vivifiant
des hauteurs, mais ses souffrances allaient en
augmentant, plus aiguës, plus
fréquentes, Elle voulut retourner à
Neuchâtel pour se faire soigner par les
Soeurs, mais la famille protesta ; et pendant
que la question se débattait, le docteur
vint d'une façon très inattendue la
trancher lui-même en déclarant que,
tant que duraient les chaleurs, l'air des hauteurs
était ce qui lui convenait le mieux.
"C'est alors qu'il m'apprit, dit-elle, que
j'avais une sciatique, et que la cause pouvait
provenir d'une glande pressant sur le nerf
sciatique. Cette glande, de quelle nature
est-elle ?"
Il ordonna des calmants et un repos
absolu ; ce repos, je fus bien forcé de
le prendre. Le mal augmenta, si bien que me voici
clouée au lit ; n'osant faire
un mouvement. Cette fois j'ai un
sabot, un « Hemmschuh » (frein)
qui me tient ferme ! il paraît que j'en
ai besoin. J'ai lu dans Esaïe, l'autre jour,
un passage fait pour moi : « A force
de marcher tu t'es fatiguée, et tu ne dis
pas : j'y renonce. » Mais que de
douceurs, de bénédictions, de
grâces pendant cette épreuve ! je
suis soignée par ma nièce Gathi avec
un soin, un dévouement, une grâce sans
bornes, en sorte qu'elle me facilite l'acceptation
de bien des choses pénibles. Et depuis mon
vieux frère Édouard, le doyen de la
famille, jusqu'à ma petite Ginette, tous
m'entourent de soins, d'attentions, cela adoucit
singulièrement la maladie."
Le 5 août. "Mon cher Albert nous a
quittés hier à notre grand regret, au
mien surtout, cela se comprend. Il venait deux ou
trois fois par jour pour me faire de si bonnes
visites, il faisait un petit culte chaque matin,
priait encore avec moi le soir ou quand je
souffrais beaucoup. Je ne puis assez bénir
Dieu de m'avoir donné une si chère
famille."
Le 7 août. "Les chères Soeurs
viennent souvent me visiter. Elles arrivent par
détachements de deux ou trois, dînent
à l'hôpital de Couvet et montent
ensuite ici. Elles viennent à tour passer un
moment auprès de mon lit, et je revis ainsi
dans ma vie de diaconesse.
Je suis très reconnaissante envers
mon Dieu, qui m'a donné une journée
très paisible. J'ai à peine senti ma
jambe. Peut-être le plus fort du mal est-il
passé ! On le demande beaucoup, nous
voulons ajouter toujours : Ta volonté
soit faite ! c'est la meilleure. Oh ! que
le Seigneur est bon !
- C'est ta grâce, ô
Jésus, c'est ton fidèle amour,
- Qui fait mon vrai repos et ma force et ma
vie.
- Trouvé-je ton regard, ah !
mon âme est ravie.
- Bien au-delà du temps jusque dans
ton séjour.
- Aussi sans nul ennui, me tenant
près de toi,
- Par ta fidèle main je me laisse
conduire
- Et tout en cheminant je ne puis que te
dire :
- Oh ! que ton joug est doux qu'il est
cher à ma foi ! "
Ce fut alors que l'excellent docteur, qui venait
la voir de temps en temps de Neuchâtel,
demanda qu'elle fût transportée dans
un lieu plus accessible, où elle fût
plus à portée des secours
réclamés par son état. Elle
choisit les Ponts. Et comme elle se réjouit
d'apprendre que sa chère amie, Soeur Sophie
Baquol, allait venir la rejoindre pour l'y
accompagner et l'entourer ! Les jours qui
précédèrent le départ
de Monlézi furent très
pénibles, et la malade se demandait avec
angoisse comment elle pourrait supporter ce long et
difficile transport, elle qui souffrait si
cruellement au moindre attouchement.
"Dans ces moments-là, dit notre
Mère bien-aimée, j'ai un ton
lamentable, une voix mourante, que je me reproche
ensuite. Mais aujourd'hui, ajoute-t-elle, cela va
tellement mieux, et la nuit a été si
bonne ! c'est une immense grâce !
On a beaucoup prié pour moi, le Seigneur
entend.
- Il faut aimer ce Dieu qui nous
délivre,
- Dès qu'on l'invoque on le voit
accourir !
Et puis c'est une telle consolation de savoir
que l'épreuve n'est pas envoyée pour
rien, elle doit produire un doux fruit de justice,
elle doit sanctifier mon âme comme l'or sort
purifié du creuset. Pourquoi avons-nous si
peur de souffrir ?"
Toutes les mesures étaient prises
pour opérer le transport aux Ponts, le
docteur voulait l'accompagner, quoiqu'elle s'en
défendit, disant que ce n'était pas
nécessaire. Elle craignait toujours de
donner trop de mal à son prochain.
"Les chères Soeurs de tous
côtés m'offrent leurs services,
dit-elle, mais ce ne sera pas nécessaire.
Tout le monde est si bon. De Strasbourg on m'offre
de l'aide, une Soeur pour veiller, un matelas
à eau. Mes pauvres chères Soeurs
diaconesses ; mes enfants ! Leurs lettres
me touchent, elles voudraient me soigner, m'avoir
au milieu d'elles - mais je leur ai donné
tant de tracas déjà, tant d'ouvrage,
de soucis, et comme elles m'ont soignée
... ! je n'aimerais pas rentrer à
Strasbourg pour y être encore
malade !"
Dimanche, 12 août. "L'Éternel
nous a secourus jusqu'ici. " Qu'Il est bon !
Il ne m'éprouve pas au-delà de mes
forces. "S'il est des jours amers, il en est de si
doux", comme dit le poète. Quand les mauvais
moments cessent et que tout s'apaise, je suis comme
au ciel. Et puis quel repos, quelle consolation de
savoir pour sûr que c'est pour le bien de mon
âme, que cela me prépare pour
l'Éternité."
Lundi, 13 août. "Ma Sophie est
arrivée ce matin, Dieu soit
béni ! Elle est très,
très fatiguée. Dieu veuille que les
soins qu'elle me donnera ne l'épuisent
pas ! quelle joie de se revoir !"
Puis plus loin : "Je regrette de les
quitter tous demain. Qu'ils sont tous excellents et
charmants ! Ma Gathi a souci, elle aura du
vide, elle m'a soignée comme une fille sa
mère. Seigneur,
bénis-la !"
Puis elle continue aux Ponts à la
date du 15 août :
"Il y a six semaines je partais d'ici assez
fringante et comptant sur le séjour de la
montagne pour me débarrasser de mes
rhumatismes. J'y suis rentrée hier soir
étendue sur un brancard dans une voiture
d'ambulance ! mais quel miracle du
Seigneur ! après avoir encore beaucoup
souffert toute la matinée hier et
pensé avec angoisse au départ, au
transport, quand le cher docteur m'emporta sur ses
bras et me déposa sur le petit lit de la
voiture, je n'eus plus mal, et les 3 heures de
voyage se passèrent si bien que ce fut une
vraie jouissance et un bon repos. Je les quittai
tous le coeur serré. Malgré mon mal
pendant tout mon séjour et peut-être
un peu par mon mal j'avais été si
heureuse auprès d'eux, nous nous
étions très rapprochés.
Oh ! que le Seigneur les bénisse
tous !"
Puis elle détaille encore une fois
toutes les aimables attentions qu'on a eues
à son égard, tous les bons soins dont
elle a été l'objet, les bonnes
visites de son frère Édouard,
où l'on devisait des temps passés,
celles des enfants qui tâchaient de la
distraire en lui faisant des lectures, de la
musique, qui mettaient un joyeux empressement
à lui faire ses commissions, à lui
chercher le chaud lait à la loge, à
lui chanter des cantiques ou de drôles de
chansons. Et puis les domestiques, qu'ils ont tous
été bons ! Et ses chers
hôtes qui l'avaient hébergée,
elle ne peut assez dire tout le bien qu'elle en a
reçu, tout le mal qu'elle leur a
donné. Et les visites de Jolimont, quelle
douce distraction !
Là-bas aussi on aurait voulu la
posséder, la soigner ! La voiture qui
l'emmenait dut s'y arrêter, et tous vinrent
lui faire leurs adieux.
"Le voyage par la Brévine, dit le
journal, fut très agréable avec mes
deux chers compagnons (ma Sophie et le bon
docteur), très mal installés
malheureusement sur de petits escabeaux dans la
ruelle étroite longeant mon lit. Je revis
les sapins du bois de l'Hâle, les troupeaux
de vaches et leurs clochettes, la belle route de la
Chaux-du-Milieu aux Ponts, les immenses sapins de
la grande Joux, puis ma chère vallée
des Ponts. Tout le monde m'attendait sur le perron.
Grâce au bon docteur et malgré sa main
blessée qui nous donne de
l'inquiétude, je fus très vite et
très bien installée. À peine
au lit, le vieux mal se fit sentir."
Heureusement que cela ne dura pas. Les
souffrances se calmèrent dans la
soirée, et elle eut une série de
nuits et de jours relativement bons.
"Quelle bénédiction et quel
repos ! écrit-elle, je veux me confier
pour chaque moment à venir et être
sûre que mon Dieu me donnera ce qui m'est
bon.
Nous faisons un heureux ménage
à nous quatre (son frère, ses deux
soeurs et son amie). Ils m'entourent de leurs soins
et de leurs prières, et ensemble nous
rendons grâce. On a tourné mon lit de
manière que je vois la vallée et la
montagne, j'en jouis beaucoup. Avec la lunette
d'approche je peux faire de belles promenades dans
ces lieux si aimés et bien connus."
Le 8 septembre Soeur Sophie Baquol dut la
quitter, et les siens se chargèrent des
soins à lui donner. Les
douleurs revinrent plus terribles, plus
éprouvantes que jamais, le journal
s'arrête, elle n'a plus la force de tenir la
plume. Elle le reprend le 4 octobre, au
crayon.
"Que de temps écoulé,
écrit-elle, que dirai-je, oh ! que
dirai-je ? Que de douleurs, mais que de
grâces ! Comme on devient petit quand la
main du Seigneur s'appesantit sur nous !
oh ! mais je voudrais pouvoir raconter ses
faveurs, publier sa miséricorde, ses si
tendres compassions. Il m'a toujours
écoutée, je l'ai trouvé
fidèle, et Il le sera jusqu'à ce
qu'Il m'ait transportée au ciel, c'est Lui
qui le fera. Il a pris tous mes
péchés sur Lui, Il les a
expiés et Il m'entoure jour et nuit de ses
tendres compassions. Pourquoi ai-je toujours peur
de la minute prochaine ? quelle
incrédulité ! Il restera le
même, Il accomplira tout, je suis à
Lui."
Les visites des Soeurs, qui toutes auraient
voulu voir encore une fois leur Mère
chérie, durent cesser, mais chaque jour
apportait des messages d'affection, des
dépêches avec des promesses divines si
réconfortantes, des fleurs, des fruits
exquis. Tant d'âmes qui avaient joui de son
affection, à qui elle avait
été comme un phare lumineux dans les
ténèbres, éprouvaient le
besoin de lui faire sentir combien elle
était aimée, combien leurs
pensées et leurs prières
l'entouraient à tout moment. Elle
était heureuse de disposer de certains de
ces trésors en faveur d'autres malades, elle
aurait voulu répondre individuellement
à tous ces témoignages d'attachement,
mais il fallait y renoncer, elle n'en avait plus la
force. Le jeune médecin des Ponts qui la
visitait journellement, mettait toute sa
science, tout son coeur à
apporter quelque soulagement à celle qu'il
apprenait chaque jour davantage à
aimer ; car, comme le dit plus tard un des
amis de Soeur Sophie, pasteur
vénéré à
Neuchâtel : "Il suffisait de la
connaître un peu pour l'aimer beaucoup."
Le 11 octobre elle reprit encore une fois
son journal, ce fut la dernière. "Que de
choses, dit-elle, tour à tour
détresses et délivrance !" et
plus loin : "Dieu soit loué, la
journée se passe bien, à condition
pourtant de ne faire aucun mouvement. Dieu nous
aide pas à pas. Comme tu voudras,
Seigneur."
Soeur Sabine vint peu après
l'entourer de ses soins, et le 25 octobre Soeur
Sophie eut la joie de voir revenir à son
chevet son amie Soeur Sophie Baquol.
"Hélas, que vous dire ?
écrivait celle-ci peu après son
arrivée aux Ponts. J'ai trouvé notre
bien-aimée si faible, si dépendante,
si pâle, si amaigrie encore que j'en ai
été bien saisie - et c'était
un très bon jour après de très
mauvais.
La nuit, grâce à Dieu, a
été très bonne. On m'a dit que
depuis dimanche elle ne cessait de demander
à Dieu que je vienne encore à temps.
Le Seigneur soulage notre bien-aimée et lui
fait tant de bien, elle est si paisible, et
aujourd'hui elle peut de nouveau bouger le bras
gauche, qui était comme paralysé
depuis lundi soir - cela lui fait si plaisir ;
mais elle ne peut plus se servir de ses
chères mains - la faiblesse est trop grande.
Je ne sais pas si elle pourra signer les cartes que
je dois écrire en son nom aux Soeurs, je le
voudrais tant. Soeur Sabine la soigne
admirablement, je suis manoeuvre et tâche de
faire de mon mieux."
Jour après jour Soeur Sophie B. nous
tint fidèlement au courant de l'état
de notre Mère bien-aimée, et de jour
en jour il devient plus évident à ses
enfants qu'il ne leur restait plus qu'à
demander que le Seigneur voulût la
délivrer bientôt. Grâce à
cette amie dévouée, ce lit de
douleur, où la servante du Seigneur se
préparait à aller au-devant de son
Maître en acceptant de sa main sans murmurer
les plus poignantes souffrances, devint un foyer de
bénédictions qui rayonnaient au loin.
|