Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



AU SERVICE DU MAÎTRE

Soeur Sophie de Pury





UNE MÈRE EN ISRAËL.

« La Soeur supérieure, écrit M. le pasteur Boegner dans son mémoire à l'occasion du jubilé de cinquante ans de la Maison des Diaconesses, la Soeur supérieure est l'âme de la Maison. » C'est d'elle que, non seulement les Soeurs qui sont avec elle les soutiens de l'édifice, mais aussi celles qui occupent des postes moins en vue, sont en droit d'attendre toujours de nouveau des impulsions stimulantes et généreuses de vie et d'amour, d'un amour sanctifié qui est en même temps une discipline ; elle doit être, par la grâce de Dieu, le centre vital de la communauté des Soeurs.

Cette grâce, notre Maison l'a possédée dans une large mesure sous la direction de Soeur Henriette Keck et ensuite sous celle de sa soeur cadette, Soeur Louisa Keck. Elles ont été l'une et l'autre de vraies servantes du Christ, et leur vie tout entière a été empreinte de piété et d'humilité chrétienne.
Nous rendons grâces à Dieu encore aujourd'hui de nous avoir donné en ces deux Soeurs un modèle à suivre et un exemple de ce que la grâce de Jésus-Christ est puissante à accomplir dans la faiblesse humaine pour la gloire de Dieu. »

Soeur Sophie fut la digne remplaçante des Soeurs Keck. Elle resta à ce poste élevé ce qu'elle avait été auparavant : une humble servante de Jésus, qui, malgré la vénération générale dont elle était l'objet, se glorifiait uniquement de la grâce de son Sauveur, et elle y devint de plus en plus un exemple lumineux de la foi agissante par la charité.

« Tous ceux qui ont eu l'avantage de connaître votre chère Soeur directrice, écrivait, le lendemain de sa mort une chrétienne qui avait été soignée dans la Maison, sont avec vous dans le deuil. Qu'on aimait à la rencontrer au passage ! Sa douce et noble figure était empreinte de sérénité et de recueillement comme d'un reflet de la présence de Dieu. Qu'il fait bon contempler une pareille vie et une pareille mort ! Nous y puisons la conviction que nous ne pouvons remporter la victoire et être vraiment heureux que dans une intime communion avec notre Sauveur. »

Les paroles sont impuissantes à rendre ce qu'elle fut dès lors pour toutes nos Soeurs. Chacune trouvait auprès d'elle un coeur de mère qui, avec une intuition vraiment maternelle, entrait dans ses difficultés, en éclairait les ténèbres, et avec une douce persuasion, savait la faire consentir au joyeux sacrifice de sa volonté. Pendant qu'elle donnait audience à une Soeur, son âme était prosternée pour elle aux pieds du trône de grâce, et demandait au Seigneur la parole qu'Il avait à lui dire. Son moi ne jouait aucun rôle, il n'avait point voix au chapitre. « Je n'ai jamais rencontré le moi de Soeur Sophie », disait une Soeur, et chacune témoignait à sa façon que ce moi s'était absorbé complètement dans celui de son Sauveur. Aussi les âmes auxquelles elle s'adressait entendaient-elles distinctement la voix du Maître et acceptaient de la part du Seigneur ses exhortations et ses encouragements.

Sa tâche était souvent accablante. De toutes les stations, de tous les hôpitaux, de chaque établissement où travaillait l'une ou l'autre Soeur, s'il y surgissait une complication quelconque, morale ou matérielle, c'était toujours à elle qu'on avait recours. Les lettres, les dépêches pleuvaient parfois. « J'ai là, disait-elle un jour à sa soeur, j'ai là sur ma table six lettres, qui toutes contiennent un sujet de préoccupation ou de souci ! » Comment faire face à tout ? comment débrouiller les situations compliquées ? comment fournir les forces supplémentaires là où elles faisaient défaut, lorsque partout on demandait de l'aide ? Certes les pasteurs attachés à l'oeuvre et les dames du comité lui prêtaient un appui précieux, mais que de questions qui devaient être tranchées d'emblée ! et alors, dans son angoisse, dans ses combats, elle n'avait pour lutter que deux seules armes, mais ces armes étaient toutes-puissantes, c'était l'amour et la prière.

Cet amour était une puissance qui lui soumettait tous les coeurs et lui permettait de leur être d'un secours efficace, de ramener les brebis égarées, de relever les courages abattus, de consoler les âmes affligées. Une jeune fille entrait dans l'oeuvre sans se rendre compte du sérieux de la tâche entreprise et y apportait un esprit de légèreté et de mondanité ; Soeur Sophie la faisait venir auprès d'elle, lui montrait la sainteté du Dieu qu'elle faisait profession de vouloir servir et la gravité de son engagement. Une autre, au contraire, effrayée, succombant sous une charge au-dessus de ses forces, aurait voulu rejeter ce fardeau et abandonner le travail commencé, la Soeur expérimentée, qui avait souffert elle-même, savait l'encourager, lui montrer l'honneur, le privilège accordé par le Seigneur à ceux qu'Il appelle à son service et lui parlait de la force donnée par le Maître à ses fidèles ouvriers. Rencontrait-elle sur son chemin quelque Soeur âgée, malade, pleurant son activité perdue, elle s'asseyait auprès de la pauvre solitaire, lui disait quelques paroles d'affection, lui glissait dans la main une fleur, une carte enrichie d'un beau verset, et ne la laissait qu'après avoir déposé dans son coeur une semence de paix.
Lorsqu'elle traversait les jardins de son pas léger, on la voyait jeter à droite et à gauche des regards rapides, pour adresser à celles qu'elle rencontrait un signe de tête encourageant, un sourire aimable ; et partout où elle avait passé, se répandait un parfum bienfaisant. « Il me suffit, disait une fois une Soeur de Mulhouse, de savoir que Soeur Sophie est à Mulhouse, pour que toute la ville m'apparaisse sous un jour plus sympathique. »

Chaque misère humaine, chaque souffrance physique ou mentale était assurée de sa vive et sincère compassion. Son amie la trouva un jour en larmes parce qu'elle avait dû, pour une raison majeure, refuser à un jeune ouvrier l'admission de son enfant malade. Là où l'argent pouvait être de quelque secours, elle ouvrait sa bourse largement, si largement qu'en moins de rien elle était à sec. Lors de la construction de la nouvelle Maison-Mère, elle y trouva, un samedi soir, en y faisant une tournée d'inspection, un pauvre ouvrier qui se démenait comme un forcené, parce qu'on lui avait dérobé sa paye de la semaine. Il demeurait hors de ville et ne rentrait que pour apporter aux siens l'argent de la semaine et pour passer avec eux le dimanche. L'idée de revenir les mains vides le rendait comme fou de désespoir. Il soupçonnait ses camarades qui avaient disparu de la scène, et parlait de se suicider. Soeur Sophie était toute bouleversée à la vue de cette explosion de douleur, elle vida sa bourse et, avec le concours plus modeste de quelques Soeurs, on parvint à réunir la somme disparue. Le pauvre homme croyait rêver, en recevant pour la seconde fois sa paye enveloppée dans quelques petits traités, que les Soeurs avaient ajoutés dans l'espoir que l'émotion par laquelle il venait de passer aurait préparé le terrain à la bonne semence.

Quand elle faisait part aux siens de l'état précaire de ses finances et qu'on lui répondait par de sages admonestations, elle promettait de s'amender et protestait, non sans un grain de malice, de ses vertueuses intentions de réformes budgétaires, quitte à recommencer à la prochaine occasion. Dans ces moments de pénurie elle trouvait parfois, pour se tirer d'affaire, des expédients très amusants. Un jour elle envoyait à son amie, à l'occasion de sa fête, quelques pâquerettes qu'elle avait fixées sur une carte avec un petit ruban. C'était tout ce qu'elle avait à lui offrir, et elle y avait mis cette inscription : « Quand on est si pauvre qu'on n'a rien à donner, on va dans les prairies cueillir des pâquerettes. » Une autre fois, n'ayant pas réussi à terminer un petit cadeau qu'elle lui destinait, elle l'envoya incomplet avec la dédicace que voici :
« Celui qui est si paresseux qu'il n'a pas pu finir à temps son ouvrage, en prend la moitié et l'offre en attendant le reste avec passablement de honte et beaucoup de baisers. »

Mais quand elle avait de quoi, Soeur Sophie était heureuse de faire luire sur ses chères Soeurs le soleil de sa générosité. Au Nouvel-An chacune recevait une petite provision de chocolat Suchard, et elle organisait une tombola où tous les numéros étaient gagnants. Elle avait une façon si gracieuse de présider ces réunions. Pour être comprise de toutes, elle s'évertuait à parler l'allemand, qu'elle possédait assez pour pouvoir exprimer sa pensée, avec des tours de phrase exotiques, auxquels son accent français donnait encore un charme de plus. Elle ne laissait passer aucun jour de naissance sans écrire au moins une carte aux Soeurs du dehors et sans préparer aux unes et aux autres quelque bonne et utile surprise. Que de longues veilles elle a passées à écrire, ce qui ne l'empêchait pas d'être la première au culte du matin.

Ses lettres avaient souvent un tour vif et enjoué, soit qu'elle écrivît longuement aux siens ou qu'elle dût se contenter d'envoyer un tout petit message. Témoin celui qu'elle adressa un jour à son amie avec des fleurs cueillies sur une tombe aimée « Notre Eugénie, disait-elle, t'envoie ces fleurs de son petit jardin et te fait dire qu'elle en voit de bien plus belles encore dans le jardin de Dieu. »

Elle avait parfois, sous le coup d'une surprise ou d'une émotion, de si jolis mots, qu'on se plaisait à se rappeler ! Un jour une dame du comité, qui l'avait fait venir à Bade pour conférer avec elle de choses importantes, voulut offrir à son hôte, pendant cette entrevue, le plaisir d'une promenade en voiture. Le ciel s'étant couvert de nuages menaçants, Soeur Sophie proposa de demander ensemble à Dieu un peu de soleil. Lorsqu'on lui fit observer que les paysans soupiraient après la pluie, elle répondit gaiement : « Eh bien ! le Seigneur est tout-puissant, Il peut donner de la pluie aux uns et du soleil aux autres ! » Et voici qu'en effet, pendant que ces dames jouissaient, sur la hauteur d'Yburg, d'un soleil radieux, une pluie abondante arrosa la plaine au-dessous d'elles. « Que le Seigneur est aimable ! » s'écria Soeur Sophie avec reconnaissance.

Ces heures passées dans la nature étaient pour elle comme un avant-goût du ciel et la restauraient de corps et d'âme. Lorsqu'elle avait réussi à découvrir un joli endroit sous bois, près d'un ruisseau murmurant ou bien sur une hauteur d'où l'oeil plongeait dans le lointain, elle tirait de sa poche son cher recueil de cantiques et chantait à son Père céleste une strophe après l'autre, d'un coeur débordant d'amour et de reconnaissance, et elle aimait être à deux en ces occasions, pour en jouir doublement.

Elle avait de touchantes prévenances surtout pour les humbles, pour les parias de la société. Elle éprouva une vraie douleur un jour qu'elle découvrit qu'une denrée de qualité douteuse avait été employée pour des malades pauvres. Une autre fois, une Soeur ayant pris un voleur d'argenterie en flagrant délit, on fit prévenir la police. Soeur Sophie, ayant trouvé le délinquant debout, tout penaud dans un coin de la cuisine, lui avança une chaise en lui disant avec sa courtoisie habituelle : Veuillez vous asseoir, monsieur, en attendant la police. " Ce qu'il fit, au grand amusement de la Soeur de service.

Lorsque la nouvelle maison fut terminée, Soeur Sophie invita tout le monde, architectes et ouvriers, à une fête de Noël. Le fournisseur de l'installation électrique sollicita comme une faveur de pouvoir illuminer le sapin à la lumière électrique. Chaque invité reçut un petit cadeau, et les rudes ouvriers écoutèrent avec recueillement et quelques-uns non sans émotion les bonnes paroles qui leur furent adressées.

Quand Soeur Sophie, aux premières lueurs de l'aube, jetait un regard dans la rue, elle éprouvait une profonde sympathie pour la compagnie volante des balayeuses de rue, et peu à peu elle fit la connaissance personnelle de celles qui desservaient le quartier. Son coeur aimant trouva moyen d'ensoleiller le sentier poudreux de ces humbles femmes. Elle les invitait chaque année à un arbre de Noël, les restaurait de corps et d'âme et les comblait de dons utiles. Les cadeaux les plus appréciés par elle étaient ceux dont on pouvait disposer de nouveau en faveur d'un tiers ; mais ses amies eurent bientôt découvert que c'étaient ceux qui pouvaient convenir à ses chères balayeuses, qui trouvaient le plus chaleureux accueil. Elle-même travaillait assidûment tout le long de l'année pour compléter son petit stock, et lorsqu'une visite se prolongeait, on la voyait prendre dans un tiroir un immense tricot, dont la destination était facile à deviner.

Depuis qu'elle était devenue Soeur supérieure, elle tenait à ne partir que la dernière pour ses vacances, et c'est ainsi qu'elle se trouva à plus d'une reprise n'être libre qu'en automne ou même au commencement de l'hiver. Il n'était plus question dès lors d'aller à sa chère montagne, à son bien-aimé Monlézi, mais Dieu y avait pourvu autrement ! Un de ses frères, avec lequel elle avait plus d'une analogie de caractère et qui la comprenait tout particulièrement, était pasteur dans une des vallées les plus élevées du Jura, et c'est là que, loin de l'agitation de la ville, elle avait encore la joie de retrouver, dans le paisible presbytère des Ponts, la vie de famille, le repos et les courses de montagne qui la délassaient si bien ! À quelque saison qu'elle arrivât, elle partait pour de longues promenades dans la forêt, et les habitants du village disent l'avoir toujours vue revenir les mains pleines, si ce n'est de fleurs, au moins de rameaux de sapin.

Une fois qu'elle venait chez son frère à l'improviste, la dépêche annonçant son arrivée causa un certain émoi. Mal adressé par une petite station intermédiaire, le télégramme contenait ces seuls mots : Philémon 22, Sophie. " On se creusait la tête pour savoir à quel Philémon faire parvenir cet avis, lorsqu'un rayon de lumière se fit, et le pasteur, ouvrant sa Bible à l'épître de Paul à Philémon, y lut ceci : » Je te prie de me préparer un logement. » Le soir même Soeur Sophie arrivait radieuse.

Mais il vint un temps où l'air natal fut impuissant à rendre à notre Mère bien-aimée les forces qu'elle consumait sans compter au service du Maître. Déjà en 1893 elle n'avait pu qu'à grand'peine se remettre d'une pleuro-pneumonie, qui l'avait amenée aux portes du tombeau. C'est alors qu'après sa guérison elle avait dit à ses Soeurs une parole bien sérieuse : « Je me suis aperçue, dit-elle, qu'il faut chercher le Seigneur pendant qu'on est bien portant, car il est impossible de le trouver pendant qu'on est gravement malade. » Les responsabilités devinrent de plus en plus écrasantes, et peu à peu le besoin se fit sentir de lui adjoindre une aide. Dans cet état de lassitude physique, qui lui était devenu habituel, le passage de sa chère vieille Maison de Santé à la nouvelle Maison-Mère qui s'opéra le 7 mars 1898 fut pour elle une vraie épreuve. « J'éprouve le besoin, écrivait-elle à cette date, de dire à toutes nos Soeurs qu'il ne nous a pas été facile de nous séparer de la chère maison, qui a été pendant tant d'années à la fois notre Maison-Mère et notre Maison de Santé. Mais nous voulons marcher par la foi et glorifier Dieu par notre confiance. Puissions-nous vivre pour plaire à Celui qui est tout en tous. »

Il ne lui resta hélas ! que deux ans à vivre dans cette nouvelle demeure, qui est à présent le centre de notre oeuvre. Ici, dans le calme bienfaisant d'une maison dont toute l'organisation tend à tenir les jeunes Soeurs à l'écart de ce qui pourrait entraver leur développement spirituel et pratique, son influence éducatrice pouvait plus librement se déployer. Aidée des pasteurs et des Soeurs des différents services, elle a pu encore mettre en vigueur des principes d'éducation dont l'excellence était dès longtemps reconnue, mais qui étaient incompatibles avec l'ancien ordre de choses, et en même temps elle avait la joie de préparer à ses compagnes de labeurs vieillies à la tâche un home paisible où, entourées de soins affectueux, elles pouvaient se reposer de leurs longs travaux en attendant l'appel du Maître. Cependant ses forces déclinaient, et le fardeau qu'elle avait si allégrement porté pendant des années lui pesait lourdement ; le sommeil réparateur ne venait plus régulièrement la refaire pour la tâche du lendemain. Elle mettait à la disposition du Maître cette faiblesse même, comme elle lui avait donné toutes ses forces et s'attendait à Lui en toutes choses. Elle avait devant elle sur son bureau une simple petite carte avec cette parole douce à son coeur : « Le Seigneur a plus besoin de notre faiblesse que de notre force. »

Mais laissons ici encore une fois parler notre Mère elle-même. Voici quelques lettres circulaires, vraies épîtres pastorales adressées aux Soeurs disséminées au près au loin, et qui avaient pour but de maintenir des rapports de communion spirituelle entre elles et la Maison-Mère et de leur faire parvenir des renseignements et des avis répondant aux besoins du moment.

Strasbourg, le 26 janvier 1890,

Mes bien-aimées Soeurs,

Depuis un mois la maladie et la mort frappent à beaucoup de portes, et je ne saurais vous dire combien souvent je voudrais me trouver au milieu de vous toutes, mes chères Soeurs, et vous crier : « Écoutons la voix du Seigneur ! ses jugements se promènent par toute la terre ; disons comme un des prophètes de l'ancienne alliance : « Silence devant le Seigneur l'Éternel ! » Qu'Il parle à nos consciences ; laissons-nous juger par Celui qui sonde les reins et les coeurs. Dégageons-nous des liens du péché ! il est temps de se donner à Celui qui est mort pour nous ; il est grandement temps de sortir de nous-mêmes, de nos susceptibilités, de notre amour-propre, de notre orgueil, de nos mauvaises pensées, de nos manques de charité, de pardon, de support. Il est temps de devenir humble et de se préparer, de tout notre coeur et de toute notre âme à la rencontre de notre Dieu.

Mes Soeurs si le Seigneur venait aujourd'hui nous appeler, serions-nous prêtes ? tout serait-il en règle avec Lui et avec notre prochain ? - Oh ! ne nous distrayons pas, ne passons pas légèrement là-dessous : c'est le moment de se jeter aux pieds du Sauveur, de faire notre paix avec Lui et avec nos compagnes de route et de service ; c'est le moment de laisser Jésus prendre la place en nous ! Faisons-le toutes, je vous en supplie, afin qu'Il nous bénisse !

Je vous quitte pour aujourd'hui, mes bien chères Soeurs, en vous recommandant toutes à la grâce et à la protection de notre Dieu fidèle : Veillons, prions, attendons Son retour !

Votre bien affectionnée
Soeur Sophie.

Strasbourg, 4-6 avril 1890.

Semaine sainte.

Sur la croix, quel amour ! ô divines pensées !
La justice et la paix se sont entrebaisées !
La justice outragée et qui devait punir,
Et cette paix du ciel, la soif du repentir.
 
Oui toujours je t'offense et toujours Tu pardonnes.
Ni le mal que je fais, ni les biens que Tu donnes
Ne se pourraient compter, et Tu changes, Seigneur,
Ma suprême misère en suprême bonheur.

Mes bien-aimées Soeurs, que nous dit-elle, cette croix de Golgotha ? que nous dit ce beau jour de Pâques ? que Dieu nous a aimés jusqu'à donner son Fils en oblation pour nous ; que Christ nous a aimés jusqu'à devenir malédiction pour nous ..... le croyons-nous, mes chères Soeurs ? et d'où vient que nous ne brûlons pas d'amour pour ce Dieu-Sauveur ? d'où vient cette insouciance, cette mollesse, cette indifférence dans le service du Seigneur ? Ah ! c'est que nous n'avons pas encore compris, ou plutôt pas encore senti de quel abîme Christ nous a tirées ! nos péchés, nous ne les détestons pas assez.

Quand enfin nous comprendrons que sans ce Sauveur adorable nous serions perdues à toujours, alors nous aimerons ce Libérateur - alors aucun sacrifice ne nous coûtera pour Celui qui nous a aimées et qu'aime notre âme - alors nous saurons nous donner à Lui et à son service sans calculs, sans regrets, sans retenir quelque chose pour nous-mêmes :

« Il faut aimer ce Dieu qui nous délivre. Dès qu'on L'invoque on Le voit accourir, C'est pour Jésus, c'est pour Lui qu'il faut vivre, Et c'est en Lui surtout qu'il faut mourir. »

Strasbourg, 4 mai 1890.

Mes bien chères Soeurs,

Le Seigneur a exaucé nos prières en nous donnant deux hommes de Dieu. Comprenons notre responsabilité : à qui il a été beaucoup donné, il sera beaucoup redemandé ; et maintenant il s'agit qu'il y ait une vie nouvelle parmi nous, un véritable don de soi-même à Dieu, une consécration complète à son service ; ne clochons plus des deux côtés :
"Rein ab und Christo an !"

..... Dans notre chronique d'avril il y a beaucoup de sujets d'actions de grâce et de prières d'intercession ; ne perdons pas courage, mes chères Soeurs, il me semble que le Seigneur nous prouve par la manière dont Il nous conduit actuellement, qu'Il s'occupe de nous avec un tendre soin, mais aussi avec un soin jaloux, Il veut tout notre coeur !

Votre bien affectionnée
S. SOPHIE.

Strasbourg-Koenigshofen, mai-juin 1890.

Mes très chères Soeurs,

La vie court si vite, les événements se succèdent si rapidement que les journées n'y suffisent plus. Au milieu de la chasse habituelle je me demande si nous serons trouvées prêtes quand le Seigneur nous dira : À ton tour de quitter cette terre et ses agitations, tu n'y reviendras plus ; à ton tour de rendre compte de ton administration, car tu t'en vas mourir, et pour toi le temps de grâce est écoulé.

Mes bien-aimées Soeurs, profitons avec sérieux des occasions que Dieu nous donne de nous recueillir près de Lui ; autant que cela nous est possible, cherchons des moments de tête-à-tête avec Lui. Il me semble impossible qu'ici et là, dans le cours de nos Journées si remplies, nous ne trouvions pas cependant un quart d'heure de solitude et de prière pour retrouver Jésus. Si nous le voulons bien, nous le pouvons ; mais hélas, je le sais par expérience, il semble toujours qu'il y a quelque chose de plus pressant à faire. J'ai peur, mes Soeurs, que si nous nous lançons ainsi chaque jour, du matin au soir, dans les affaires et les complications de cette vie sans nous donner le temps de chercher Dieu, j'ai peur que nous n'arrivions toutes haletantes à la porte du ciel, sans provision d'huile dans notre lampe. « Éternel ! dès le matin je me tournerai vers Toi, dès le matin Tu entendras ma voix ! »

C'est pour avoir ces quelques moments de solitude et de silence que je me suis réfugiée dans notre retraite du Schlössel, et c'est du haut de la tour que je vous écris.

Mes chères Soeurs, aidons toutes de nos prières ceux qui ont la lourde charge de nous diriger, car il y a des difficultés nombreuses et souvent insurmontables dans les changements à faire.

..... Pour finir, que je vous dise encore que le Schlössel fait nos plaisirs, et les Soeurs fatiguées, ayant besoin de silence et de repos, en profitent avec joie. L'on y trouve à toute heure. comme dit le bon La Fontaine : « Bon souper, bon gîte et le reste. »

Notre paisible cimetière, à quelque cent pas de la maison, est en ordre, et sa grande croix de grès rose s'élève dans le fond devant un massif de verdure ; sur son piédestal une plaque en bronze porte la devise de notre maison : Christ est ma vie, et la mort m'est un gain. Sur les tombes seront gravées les devises des Soeurs sur une pierre également en grès rose.

Je vous quitte, mes chères Soeurs, en vous embrassant toutes bien affectueusement.

Votre S. SOPHIE.

Strasbourg, 7 octobre 1890.
(jour de naissance de notre bien chère mère.)

Mes bien chères Soeurs,

Ma circulaire aujourd'hui ne sera pas longue, non pas qu'il n'y ait pas matière à raconter, mais je désire que vous ayez ces lignes le plus tôt possible afin que vous sachiez quelles Soeurs seront consacrées et que vous leur aidiez de vos prières pendant leur temps si sérieux de préparation. Elles viendront ici pour le 16 octobre, et le lendemain notre pasteur commencera son instruction jusqu'au 31 octobre. Priez aussi pour lui, ainsi que pour votre Soeur Sophie qui aura le privilège et la tâche de s'occuper aussi de vos chères Soeurs.

Je vous quitte, mes bien-aimées Soeurs, en vous recommandant à la grâce du Seigneur. « Veillons, demeurons fermes dans la foi ; agissons courageusement, fortifions-nous ! »
1 Corinth. 16, 13.

Votre S. SOPHIE.

Strasbourg-Keenigshofen, 26 février 1891.

Mes bien chères Soeurs,

Voilà longtemps que je ne me suis entretenue avec vous en général ; ce n'est pas l'envie qui m'a manqué, car de semaine en semaine j'espérais le faire, sans en trouver le loisir. Maintenant cela m'est possible, ayant reçu la gracieuse permission de passer quelques jours au Schlössel pour y faire une petite retraite et avoir le temps de m'entretenir avec nos chères Soeurs des stations. Je devrais et voudrais vous faire partager tout d'abord le résultat de mes méditations solitaires, mais je vous avoue que je n'en ai guère pu faire encore, et de crainte de ne pas arriver à vous écrire en renvoyant jusqu'au dernier jour, je veux m'y mettre dès ce moment,

Plusieurs de vous savent que nous avons eu la joie de posséder pendant quelques semaines, M. Dieterlen, pasteur à Valentigney. Il a bien voulu nous tenir plusieurs cultes du soir, qui ont fait du bien à nos âmes. Si j'avais eu la sagesse de prendre des notes, vous en auriez eu votre bonne part ; ma pauvre mémoire est en défaut, mais l'impression est restée, et je veux vous dire une ou deux pensées qui ont pénétré mon coeur.

À propos du vase de parfum que Marie a répandu sur la tête du Sauveur, il nous a fait remarquer qu'elle a brisé sa fiole et qu'ainsi elle n'a pas conservé une seule goutte pour elle-même, pour sa propre sépulture. Elle a tout donné, et cela doit nous servir d'exemple. N'est-ce pas avec confusion de face que nous comparons sa conduite à la nôtre ! comme nous donnons difficilement tout, et que de prétextes nous savons inventer pour nous persuader qu'il y a telle ou telle chose que nous pouvons garder, qu'il n'est pas nécessaire de donner pour le service du Seigneur ! nous marchandons, et pourquoi ? parce que nous n'aimons pas comme Marie. Son Sauveur possédait tout son coeur ; Il était ce qu'elle avait de plus précieux ; rien ne lui coûtait, rien n'était de trop pour ce bien-aimé Maître.

M. D. nous a parlé un soir de l'homme de douleur qui s'est chargé véritablement de nos langueurs. Après nous avoir dépeint son amour immense, M. D. nous a dit que celui qui a accepté ce Sauveur et qui s'est donné à Lui, doit vivre de cette même vie de charité pour ses frères. « Celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. » Il faut savoir porter non seulement les misères et les souffrances de nos frères, mais aussi leurs péchés. Il faut aimer assez pour devenir solidaire des fautes des autres ; il faut les apporter à Jésus comme si c'étaient nos propres péchés ; il faut aimer assez ceux qui nous entourent pour avoir soif de leur pardon, le demander instamment, comme s'il s'agissait de nos propres péchés ..... O mes Soeurs, le faisons-nous ? n'y a-t-il pas de quoi nous humilier jusque dans la poussière ? notre coeur, notre méchant coeur, s'afflige-t-il des péchés des autres ? notre premier mouvement n'est-il pas un sentiment de satisfaction en nous comparant à ceux qui tombent en faute ? savons-nous souffrir des péchés d'autrui et supplier le Seigneur de pardonner ? « Christ a été fait malédiction pour nous ! »

Je vous embrasse toutes de tout coeur, mes chères Soeurs. Dieu vous bénisse !

Votre SOEUR SOPHIE.

Strasbourg, le 5 octobre 1891.

Mes bien chères Soeurs,

Depuis que nous avons notre aimable Tabéa qui vole si régulièrement à vous chaque mois, une lacune est comblée, et vous êtes beaucoup plus au courant de ce qui se passe à la Maison-Mère. Toutefois tout ne peut pas être livré à l'impression, et aujourd'hui j'ai besoin de vous faire de nouveau une petite visite, en disant à chacune de mes chères Soeurs au près et au loin et du plus profond de mon coeur : « Que la grâce de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ soit avec ton esprit ! »

Je viens surtout pour recommander à vos prières celles de nos Soeurs qui vont se préparer à leur consécration. Nous les attendons samedi le 17, et M. le pasteur commencera son instruction le lundi matin 19.

Prenons l'engagement de prier sérieusement pour chacune d'elles, non seulement dans nos cultes en commun, mais aussi dans nos prières particulières ; nous sommes solidaires les unes des autres, ne l'oublions pas, et si c'est avec sincérité et amour que nous les recommandons au Seigneur, nous pouvons être certaines d'être exaucées ; mais prions avec foi, car celui qui doute ne doit pas s'attendre à recevoir quelque chose du Seigneur, dit Saint-Jacques. Prions aussi pour notre pasteur, afin que l'onction d'En-haut le guide dans ce qu'il dira, et priez également pour votre S. Sophie, qui a le privilège en même temps que le devoir sérieux de s'occuper aussi de nos chères Soeurs pendant ce temps important.

Je voudrais bien vous prier aussi, mes Soeurs, de vous abstenir de critiques et de jugements sur celles qui sont appelées à la consécration. Vous vous rappelez que nous avons demandé instamment de n'avoir plus à voter pour décider cette question délicate ; il a donc fallu que le comité s'en charge et il ne le fera pas sans réflexion et sans prières, ayant ses raisons pour accepter ou ajourner telle ou telle Soeur. À nous, encore une fois, d'aider à nos Soeurs devant le Seigneur.

Mes chères Soeurs, je vous le demande, priez-vous pour les futures Soeurs ? sentez-vous l'importance, la nécessité de le faire ? ne sont-elles pas la pépinière de l'oeuvre ? Ici aussi je vous rappelle que nous sommes solidaires les unes des autres. Vous qui n'habitez pas la Maison-Mère, qui, par conséquent, ne pouvez nous aider à élever les jeunes Soeurs, aidez-nous par vos prières, ce sera un puissant secours pour nous et un gain pour vos stations où elles seront appelées à travailler plus tard ; je vous le mets sur le coeur, n'est-ce pas, vous le ferez !

Je suppose que dans les stations, comme à la Maison-Mère, les vacances tirent à leur fin, cela a été, comme toujours, un temps difficile, mais le Seigneur a aidé fidèlement. À cette occasion, je dois appuyer sur ce que M. le pasteur a déjà indiqué dans la circulaire de juillet : notre comité demande que nos chères Soeurs se souviennent que ce temps de vacances doit être un temps de repos et de recueillement, de préparation pour reprendre sa tâche : nous avons à raccommoder nos filets. Ne cherchons pas trop d'amusements et ne pensons pas que nous devons aller de tous côtés visiter nos parents et amis au près et au loin ; cela n'est pas possible. On court le risque de rentrer des vacances fatiguée et distraite, ayant bien de la peine à se remettre au sérieux des occupations de la vie de diaconesse.

Tout en vous recommandant de ne pas tant courir, il faut que je vous dise que j'ai fait la voyageuse ces derniers temps - mais ce n'était pas comme vacances, mais comme partie de ma tâche que je suis allée à Paris, puis à Kaiserswerth. J'ai accompagné à Versailles une dame malade, et j'en ai profité pour faire la connaissance des deux maisons de diaconesses de Paris. J'ai logé à la rue de Reuilly, et j'ai vu ainsi de près cette institution qui célébrera comme nous, l'an prochain, son jubilé. J'ai eu le plus grand plaisir à visiter leur belle maison de santé à quelques pas de la Maison-Mère ; le disciplinaire, la retenue m'ont frappée par la propreté, l'ordre, la saine atmosphère qu'on y respire. Il n'y a pas de luxe, mais rien n'y manque. Le dimanche soir les jeunes filles de la retenue ont chanté avec beaucoup d'entrain plusieurs cantiques dans le jardin. Le lendemain je les vis réunies, à quinze ou vingt, autour d'un immense lavoir au centre de la buanderie où l'on a l'eau froide et chaude à souhait ; elles lavaient tout le linge des établissements avec beaucoup de zèle, et je vous assure que cela me faisait envie de me joindre à elles.

La visite à Kaiserswerth pour les conférences trisannuelles, et l'oeuvre de Bielefeld nous laissent de bien bons et bien beaux souvenirs. Comme Tabea se charge de vous en parler, je n'en dirai rien. Je vous embrasse toutes de tout mon coeur et je demeure

Votre bien affectionnée

SOEUR SOPHIE.

Strasbourg, le 9 mai 1895.

Aux Soeurs directrices des stations du dehors.

Mes bien chères Soeurs,

Permettez-moi de vous faire part d'une de mes expériences : nous craignons trop de faire des reproches à nos Soeurs, nous aimons mieux nous taire, ou bien nous en parlons à d'autres.
C'est un grand tort ; nous nous taisons vis-à-vis de celle à laquelle il faudrait parler, tantôt parce que nous nous sentons mal disposées pour le faire, tantôt parce que notre conscience nous fait à nous-mêmes les mêmes reproches, tantôt parce que nous n'aimons pas assez celle à laquelle il faut parler, enfin parce que nous avons peur que l'autre ne se fâche, ne nous fasse une scène, et par lâcheté nous nous taisons.

Il faut demander au Seigneur le courage de dire ouvertement, franchement ce qui est mal, et pour pouvoir le faire de la bonne manière, commençons par nous humilier devant Dieu, demandons-Lui de nous apprendre à nous connaître, à nous juger avant de juger les autres, ensuite prions pour celle à qui nous devons parler, demandons à Dieu de la préparer à nous entendre, enfin implorons l'Esprit de sagesse, de vérité, de charité, et ainsi armées, parlons courageusement, sans crainte de nommer les choses par leur nom. Quand on a trop peur de faire mal aux autres, on adoucit tellement ce qu'il faut dire que cela manque son but, on ne nous comprend pas et cela ne fait pas d'impression. Les Soeurs directrices ont le sérieux devoir d'aider à la Soeur Supérieure dans la tâche difficile de l'éducation des Soeurs.

Que de fois l'une ou l'autre Soeur quitte une station sans que la Soeur directrice ait eu le courage de lui dire ce qui va mal, ce qu'on a à lui reprocher, et quand c'est à la Maison-Mère qu'elle doit entendre la vérité, que d'amertume cela lui met dans le coeur !

Croyez-le, mes chères Soeurs, les rapports entre Soeurs seraient bien plus faciles et plus heureux, si l'esprit de vérité, de franchise et de charité régnait entre toutes, c'est à nous à donner l'exemple.

Votre bien affectionnée S. SOPHIE qui vous aime de tout son coeur.


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