LE SOIR DE
LA VIE
OU
PENSÉES
POUR LES VIEILLARDS
SYMPATHIE ET ÉGOÏSME.
Qu'il est naturel d'être
égoïste, de chercher constamment ce qui
peut ajouter à notre bien-être, et de
prendre le bonheur des autres en
considération secondaire, si même nous
nous en préoccupons le moins du monde. C'est
être semblable à Jésus que
d'aimer son prochain comme soi-même, que de
porter les fardeaux les uns des autres, et
d'être touché de sympathie pour ceux
qui nous entourent !
Quel est le caractère le plus aimable ?
Quel est votre caractère à
vous ? Êtes-vous le centre de vos
désirs, êtes-vous le but unique que
vous vous soyez proposé, êtes-vous
l'idole que vous avez placée dans votre
coeur, ou avez-vous appris, à l'exemple de
votre Sauveur, à vous réjouir avec
ceux qui sont dans la joie, à pleurer avec
ceux qui pleurent ? Avez-vous revêtu
cette charité qui est le lien de la
perfection ?
Chaque période de la vie a ses tendances et
ses tentations particulières, mais
l'égoïsme est dans tous les temps et
dans toutes les circonstances le
péché qui prend le plus facilement le
dessus sur nous.
Dans la première jeunesse on croit
volontiers que les gens et les choses qui nous
entourent doivent s'employer d'une façon
quelconque pour notre plus grand avantage, et avec
cette idée, nous les forçons à
entrer dans les plans que nous formons pour notre
bonheur.
Dans la vieillesse, lorsque les infirmités
nous obligent à renoncer aux occupations et
aux plaisirs de la vie, nous courons un autre
danger, c'est de croire que, puisque nous
éprouvons à présent si peu de
jouissances de ce qui autrefois nous en fournissait
beaucoup, il importe peu que d'autres y trouvent ou
n'y trouvent pas de satisfaction. Il arrive trop
souvent dans la vieillesse qu'on
rétrécit le canal de la bienveillance
et de la sympathie ; nous recevons moins et il
nous semble que nous n'avons pas beaucoup à
donner.
Nos pensées, dès qu'elles reprennent
leur cours naturel, se concentrent sur
nous-mêmes ; tout ce qui nous concerne
personnellement prend des proportions si grandes,
que nous ne voyons rien au-delà ; nous
fixons nos regards avec une telle
pertinacité sur notre propre bien, que nous
perdons facilement de vue le bien des autres.
Désirez-vous vous mettre en garde contre ces
sentiments
égoïstes ? Voulez-vous vous
rappeler à quel point l'égoïsme
est opposé au christianisme ?
Voulez-vous réfléchir au mal que vous
pouvez faire à la religion en vous accordant
une trop grande somme d'indulgence dans les petits
événements de votre vie de chaque
jour ?
Un jeune homme, fortement sollicité par un
ami chrétien de se consacrer au service de
Dieu, fit cette réponse :
« Tout ce que vous me dites est inutile,
j'ai trop vu de gens religieux pour désirer
leur ressembler. Ils prétendent valoir
beaucoup mieux que les autres et au fond ils sont
les mêmes. Voyez mon oncle S., un vieillard
qui a déjà un pied dans la
tombe ; il passe pour chrétien, et
cependant il est égoïste et envieux au
possible ; chez lui, son bien-être, ses
aises, ses désirs, doivent passer avant
tout ; il faut que chacun lui
cède ; il est perpétuellement
blessé, parce qu'il prétend qu'on n'a
pas assez d'égards pour lui et qu'on ne lui
rend pas le respect qui lui est dû. À
quoi sert sa religion ; c'est seulement pour
la montrer et pas autre chose. »
II n'est pas difficile de répondre à
de pareilles objections, mais il est difficile
d'effacer les idées fausses et les
préjugés qu'avait conçus ce
jeune homme. L'égoïsme de son vieux
parent et de plusieurs autres encore, l'avait
tellement aigri contre la religion, qu'il ne voulut
jamais en entendre parler ; et quoique
très aimable et moral dans toute sa
conduite, il est encore
éloigné de Dieu et de son peuple.
Je conviens que les fautes et les
inconséquences de ceux qui font profession
de christianisme, ne lui fournissent aucune excuse
valable dans son refus d'aimer et de servir son
Dieu-Sauveur ; mais ne doivent-elles pas
causer un chagrin profond et une honte amère
chez ceux qui auront ainsi jeté des pierres
d'achoppement dans le chemin d'un pécheur
qui sans cela serait revenu à son
Dieu ?
Ne devons-nous pas veiller et prier avec instance,
afin que nous ne courions pas le danger, par notre
faute, d'entacher du moindre blâme le saint
nom que nous portons ? Ce n'est pas tant par
une violation flagrante de la sanctification que
nous exerçons une influence funeste sur les
indécis, sur les inconvertis, que par notre
négligence à accomplir toutes ces
choses qui sont aimables et de bonne
réputation.
Le coeur chaleureux et généreux de la
jeunesse reculera avec répugnance et
même avec dégoût d'une religion
que, grâce à nous, il a appris
à allier à l'égoïsme et
à l'étroitesse d'esprit. Nos
prières, notre zèle, nos
aumônes, notre profession de foi auront peu
de poids auprès de lui, si, jour
après jour, il les associe dans son esprit
aux tentatives peu aimables et peu
sanctifiées que nous ferions pour assurer
notre bien-être personnel de
préférence à celui des
autres ; pour lui ce n'est que l'airain qui
résonne, la cymbale qui
retentit. Et s'il pense ainsi, ne sera-ce pas avec
justice ? Relisez le treizième chapitre
de la
première épître aux
Corinthiens, et surtout cette parole :
la charité ne cherche point son propre
profit.
Que les infirmités de la vieillesse ne
soient donc pas un prétexte pour amoindrir
votre sympathie pour les autres. Les grâces
qui sont l'apanage du chrétien,
doivent-elles décliner avec ses
forces ? Les ombres qui s'échappent du
tombeau, doivent-elles obscurcir la lumière
de cet amour qui a pris naissance dans le
ciel ?
Plus il s'approche de la pure et sainte communion
qu'il goûtera avec ceux qui habitent le ciel,
plus son esprit doit être conforme au
leur ; et leur nature, leur essence,
sont-elles l'égoïsme ? Sont-ils
absorbés par leurs propres
intérêts, leurs occupations, leurs
joies ? Sont-ils indifférents à
leurs compagnons bienheureux ? Non, ils
sympathisent joyeusement et complètement
l'un avec l'autre ; le moi est inconnu
là-haut ; et si nous espérons
par les mérites de Christ avoir accès
aux demeures qu'ils habitent, efforçons-nous
d'être animés des mêmes
sentiments. Comme eux sur la terre, suivons les
traces de Jésus. Ah ! plutôt
regardons tout de suite à Jésus,
notre parfait modèle, notre brillant
exemple ; demandons d'être imbu,
pénétré du même esprit
que lui. Mais s'il en est ainsi, nous ne pourrons
pas vivre jour après jour comme vivent
quelques-uns de ceux qui portent
le nom de chrétiens,
froids et insouciants du bonheur des autres, et en
même temps pleins de la plus vive sollicitude
pour le nôtre. Mais vous n'avez pas ainsi
appris Christ, si toutefois vous l'avez
écouté, et si vous avez
été enseigné par lui, selon
que la vérité est en Jésus
(Eph. IV, 20, 21).
Sa doctrine que nous avons reçue dans nos
coeurs, et son exemple que nous avons choisi pour
diriger notre conduite, nous enjoignent de renoncer
à nous-mêmes, pour faire du bien aux
autres, et de prendre l'intérêt le
plus vrai à tout ce qui touche à leur
bonheur.
À mesure que les années avancent,
efforçons-nous de ne pas jeter en
arrière un regard de regret ; ne soyons
ni mécontents, ni déraisonnables, ni
fâcheux, par la raison que nous sommes vieux
ou que nous vieillissons. Ce n'est pas là ce
que nous avons appris, et avec l'aide de Dieu ce
n'est pas là ce que nous pratiquerons. En
avançant en âge nous devrions
être meilleurs, plus attentifs pour les
autres, plus semblables à Christ, au lieu de
l'être moins ; si nous demeurons en Lui
et que sa parole demeure en nous, il n'y a aucun
doute que nous croîtrons dans sa grâce.
Le ruisseau de l'affection chrétienne sera
plus profond et plus abondant, au lieu de
diminuer ; la flamme de l'amour pur et
dévoué, au lieu de s'éteindre,
sera plus brillante que jamais.
Oh ! quelle est douce et bienfaisante la vue
d'un chrétien
âgé, pénétré
jusqu'au fond de l'esprit d'amour et de renoncement
de son maître. Qu'il est
rafraîchissant, dans ce monde aride, de se
reposer un instant sous un vénérable
palmier qui étend ses branches autour de
lui, comme si le seul but de son existence
eût été de bénir les
passants. Comme il est encourageant, au milieu de
la foule mécontente et égoïste
qui nous entoure, de rencontrer ceux qui en
dépit de leurs larmes peuvent encore sourire
aux heureux et aux bien partagés de ce
monde.
Une fidèle servante du Seigneur avait
survécu à tous ses proches
parents ; le dernier objet de sa tendre
affection, de sa sollicitude, venait d'être
déposé dans la tombe ; elle
avait eu de grands chagrins dans sa vie, et aucun
rayon de soleil ne paraissait devoir en
réjouir les dernières heures.
Un jour, aveugle et solitaire, assise auprès
du feu de son petit salon, une amie vint la voir et
la trouva, occupée à quoi ? Se
plaignant de sa triste position, et de ce qu'elle
était abandonnée,
négligée ?... Non, elle se
réjouissait du bonheur des autres.
Une famille qu'elle avait connue et aimée
autrefois, devait ce même jour revoir un de
ses membres longtemps absent ; et pendant ses
longues et tristes heures de solitude, elle pensait
au bonheur de cette réunion, elle s'en
entretenait à demi-voix et priait pour ses
amis. - « Si j'avais été
à sa place, ajoutait la personne qui la
visitait, je me serais
lamentée de ce que d'autres avaient la
consolation d'être entourés de bons
parents, d'amis aimables, tandis que j'étais
seule au monde, n'attendant personne qui vînt
consoler et réjouir mon existence
solitaire. »
Ce sentiment est naturel à notre coeur
irrégénéré, celui de la
pauvre femme dont nous avons parlé, est
celui d'une âme chrétienne.
Lecteur, lequel est le vôtre ?
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