MÉMOIRES D'UN PROTESTANT
CONDAMNÉ AUX GALÈRES DE FRANCE
POUR CAUSE DE
RELIGION.
DESCRIPTION
D'UNE
GALÈRE ARMÉE,
ET SA CONSTRUCTION.
Comme il y a plusieurs personnes dans ce pays
qui ignorent ce que c'est que galères, je
crois devoir satisfaire leur curiosité en en
faisant la description à la fin de ces
Mémoires.
Une galère ordinaire a cent cinquante pieds
(1) de long
à sa quille ou carène, et quarante
pieds de large, pieds de France, de douze pouces au
pied (cette mesure sera ici entendue une fois pour
toutes).
Elle n'a point d'entre-pont, et son pont ou tillac
couvre son fond de cale qui est de six pieds de
profondeur à sa
basse-pente, c'est-à-dire
à chaque côté du bord, et sa
hauteur, qui est au milieu de la galère, de
sept pieds de profondeur: car la couverte ou tillac
est rond et règne d'un bout à l'autre
de la galère avec un pied de pente depuis
son milieu, qui est le haut dudit tillac, jusqu'au
bord de la galère de chaque
côté; si bien, que ce pont ou tillac
est fait à peu près comme ceux de ces
bateaux d'Amsterdam qu'on charge, d'eau douce et
qu'on appelle woeter schuyten ; car tout
comme ces woeter schuyten , lorsqu'ils sont
chargés, sont tout dans l'eau, qui entre et
sort sur leur tillac, à cause de la pente
dudit tillac; il en est de même d'une
galère qui, lorsqu'elle est armée et
chargée, est toute dans l'eau, et l'eau
entre et sort sur son tillac, d'autant plus que le
coursier, ou chemin qui règne au milieu de
la galère sur le haut du tillac et qui forme
une longue caisse d'un épais bordage,
arrête l'eau, qui sans cela, dans une grosse
mer, entrerait dans le fond de cale par les
ouvertures nécessaires qui se trouvent
où sont plantés les mâts ; car
pour les écoutilles pour descendre dans le
fond de cale, elles sont élevées par
un épais bordage à
la hauteur du coursier.
On comprendra peut-être que les rameurs dans
leur banc, et le reste de l'équipage ont
toujours les pieds dans l'eau. Je dis que non ; car
dans chaque banc il y a ce qu'on appelle une
banquette, qui est une planche qui s'ôte
quand on veut, élevée d'un pied, si
bien que l'eau qui entre et sort sur le tillac
passe sous cette banquette, et par
conséquent ne mouille pas les pieds des
rameurs; et pour les soldats et mariniers il
règne une espèce de galerie qu'on
nomme la bande, tout le long de la galère,
à droite et à gauche. Cette bande ou
galerie est élevée au niveau du
coursier; elle est large de deux pieds tout le long
au bout des bancs ; les soldats ou mariniers s'y
logent et ne peuvent se coucher, mais se tiennent
assis sur leur paquet de hardes fort
incommodément. Les officiers ne sont pas
plus à leur aise lorsque la galère
est en mer; et, en un mot, personne n'a de place
pour se coucher, car le fond de cale étant
rempli de vivres ou agrès de la
galère, personne n'y peut coucher.
Fond de cale d'une galère.
Le fond de cale est divisé en six chambres,
savoir :
1. Le gavon qui est une petite chambre
au-dessous de la poupe. Elle ne contient qu'un
petit lit, où le capitaine couche.
2. L'escandolat, ou chambre d'office. C'est
dans cette chambre que toutes les provisions du
capitaine se gardent, de même que son linge,
argenterie, batterie de cuisine, etc.
3. La compagne. Cette chambre contient les
vivres liquides de l'équipage, comme
bière, vin, huile, vinaigre, eau douce. On y
met aussi lard, viande salée, stockfisch,
fromage, etc., jamais de beurre.
4. Le paillot. Cette chambre contient les
vivres secs de l'équipage, savoir: biscuit,
pois, fèves, riz, etc.
5. La taverne. Cette chambre est au centre
de la galère. Elle contient le vin, que le
comite fait vendre, à pot et à pinte,
à son profit.
De cette chambre on entre dans la soute à
poudre, dont le maître canonnier seul a
la clef, et la direction. Cette
chambre sert aussi à serrer les voiles et
tentes de la galère.
6. La chambre de proue contient les
câbles des ancres et autres cordages, et dans
cette même chambre est la caisse du
chirurgien; et lorsqu'on est en mer, on y loge les
malades, qui y sont couchés fort
incommodément sur des rouleaux de cordage.
En hiver, et lorsque la galère est
désarmée, on loge les malades
à l'hôpital en ville.
Bancs à rames.
Une galère a cinquante bancs, savoir
vingt-cinq de chaque côté. Ces bancs
sont longs de dix pieds, et sont proprement des
poutres d'un demi-pied d'épaisseur,
posées à la distance de quatre pieds
l'une de l'autre. C'est cette distance qui forme
les bancs; et ces poutres sont sur des pivots ou
appuis à la hauteur du séant des
rameurs. Le bout ou tête des bancs vient
aboutir depuis la bande jusqu'au coursier. Ces
bancs sont garnis de bourre, ou de vieille
serpillière en forme de coussinets, et un
cuir de boeuf couvre ce
coussinet. Ces bancs ainsi garnis de ces peaux de
boeuf, qui pendent jusque sur la banquette, ne
ressemblent pas mal à de grandes caisses ou
à des tombeaux, où les six rameurs
galériens sont enchaînés.
Tout le long de la galère, à droite
et à gauche, contre la bande, règne
une grosse poutre d'un pied d'épaisseur, qui
forme le bord de la galère. Cette poutre se
nomme Vaposti. C'est sur cet aposti
que les rames sont attachées, la pelle
de la rame en dehors, et le gros bout en vient
aboutir au coursier; si bien que ces rames, qui ont
cinquante pieds de long, en ont environ treize en
dedans, depuis Vaposti jusqu'au coursier.
Ces treize pieds, formant le bout le plus gros et
le plus pesant, pèsent autant que les
trente-sept pieds de ladite rame qui sont en
dehors; de sorte que les rames ainsi posées
sur Vaposti se trouvent en équilibre;
sans quoi on ne pourrait ramer. A ces gros bouts
des rames, qui par leur grosseur ne peuvent
être empoignées, il y a des anses
de bois, ou manilles, clouées de
manière que chacun des six rameurs y a sa
place pour empoigner la rame par ces
manilles.
Du coursier.
Le coursier de la galère est fait de deux
épais et forts bordages de bois de
chêne, posés sur le tillac au milieu
de la galère depuis la poupe jusqu'à
la proue. Ces deux bordages sont à la
distance l'un de l'autre de trois pieds et demi, et
forment comme une caisse, qui sert à mettre
les tentes et les paquets de hardes de la chiourme.
Ce coursier est couvert par des planches en
travers, dont chaque banc a la sienne pour les
nettoyer, et pour ouvrir et fermer le coursier,
lorsqu'on en a besoin. Ce coursier, ainsi couvert
par ces planches, forme un chemin au milieu de la
galère, où l'on a les bancs des
rameurs à droite et à gauche.
On ne peut aller de l'arrière à
l'avant de la galère que sur ce coursier; et
on n'y peut marcher que difficilement deux de
front, sans risquer de tomber dans les bancs
à droite ou à gauche. J'ai
déjà dit, que le coursier
arrête et empêche l'eau, qui entre et
sort sur le pont ou tillac de la galère,
d'entrer dans le fond de cale par une grosse
mer.
De la mâture d'une galère
armée.
Une galère a deux mâts, un grand et un
plus petit.
Le grand mât, qui est planté au
milieu ou centre de la galère, a soixante
pieds de long, sans mât de hune, ni hauban ou
échelle de corde pour y monter; et les
matelots provençaux sont si habiles à
monter au haut du mât par une simple corde
pendante, que les chats mêmes ne les peuvent
égaler en vitesse pour y grimper. Ce
mât ainsi tout nu, n'y ayant que le cordage,
qu'on nomme amarre pour y attacher la
vergue, ou antenne, ressemble à une quille
plantée.
La vergue, qu'on nomme antenne, est
une fois plus longue que le mât, et a par
conséquent cent vingt pieds de longueur.
Le petit mât, qu'on nomme le
trinquet, et qui est planté au-devant
ou à la proue de la galère, a
quarante pieds de long, de la même forme que
le grand mât. Son antenne a quatre- vingts
pieds de longueur.
On inventa de mon temps à Dunkerque
un troisième mât,
qu'on appelle l'artimon, et qui se plantait,
lorsqu'on en avait besoin, au derrière de la
galère, contre la guérite, ou
chambre de poupe, où se tiennent les
officiers majors.
Ce mât a vingt pieds de long, et son antenne
en a quarante. On ne s'en sert guère que
pour aider à tourner la galère; et on
ne le plante qu'au besoin, surtout depuis qu'on
inventa ensuite à Dunkerque un gouvernail,
qu'on mettait au devant de la galère tout
à fait au bout de la proue, lorsqu'il en
était besoin; parce que, lorsqu'on est dans
.un combat, et qu'il faut faire volte-face pour
s'en retirer, on a beaucoup de peine à
tourner la galère à cause de son
immense longueur, ce qui donne prise à
l'ennemi pour endommager et tuer beaucoup de monde
pendant qu'on tourne la galère, et qu'on lui
présente son flanc. Car on met souvent plus
d'une demi-heure de temps à la tourner. Mais
par le moyen de ce gouvernail de proue et
l'invention de changer la vogue des rames pour
ramer en arrière et faire ainsi de la poupe
la proue, on se retire du combat sans être
obligé de virer de bord; et on
présente toujours la
proue, où est l'artillerie, à
l'ennemi, en se battant en retraite. Cette
manoeuvre, et ce changement de vogue se font dans
un clin-d'oeil et à un coup de sifflet.
De la vogue d'une galère.
La vogue est proprement le maniement des
rames. Le maître comite, qui est le
maître de la chiourme (c'est l'assemblage ou
corps des gens enchaînés, qu'on nomme
ainsi) et qui par sa cruauté et sa rudesse
fait trembler ces pauvres malheureux, se tient
toujours devant la poupe près du capitaine
pour recevoir ses ordres.
Deux autres sous-comites sont sur le coursier, l'un
au milieu de la galère, l'autre sur l'avant.
Ces deux sous-comites la corde en main, qu'ils
exercent à frapper à force de bras
sur le corps nu des galériens, sont toujours
attentifs aux ordres du maître comite; qui
n'a pas sitôt reçu ceux du capitaine
pour faire voguer, qu'il siffle une certaine note
ou ton dans un sifflet d'argent, pendu à son
cou par une chaîne du même
métal. Ces deux sous-comites
répètent ce ton par leur sifflet, et
pour lors les rameurs, qui se
tiennent tout prêts, la rame en main, rament
tous à la fois, et d'une cadence si
mesurée, que ces cent cinquante rames
tombent et donnent dans la mer toutes ensemble et
d'un même coup, comme si ce n'en était
qu'une seule. Ils continuent ainsi sans qu'il soit
besoin d'autre ordre, jusqu'à ce que par un
autre coup de sifflet, qui le désigne, ils
s'arrêtent et cessent de ramer.
Il faut bien qu'ils rament ainsi tous ensemble; car
si l'une ou l'autre des rames monte ou descend trop
tôt ou trop tard, en manquant sa cadence,
pour lors les rameurs de devant cette rame qui a
manqué, en tombant assis sur le banc, se
cassent la tête sur cette rame, qui a pris
trop tard son entrée; et par là
encore ces mêmes rameurs qui ont
manqué, se heurtent la tête contre la
rame qui vogue derrière eux. Ils n'en sont
pas quittes pour s'être fait des contusions
à la tête. Le comite les rosse encore
à grands coups de corde; si bien qu'il est
de l'intérêt de leur peau d'observer
juste à prendre bien leur temps et leur
mesure.
Le proverbe a bien raison de dire, lorsqu'on se
trouve dans quelque rude peine ou travail:
Je travaille comme un
forçat à la rame. Car c'est en effet
le plus rude exercice qu'on puisse s'imaginer.
Qu'on se représente, si on peut, six hommes
enchaînés, et nus comme la main, assis
sur leur banc, tenant la rame à la main, un
pied sur la pedagne, qui est une grosse barre de
bois, attachée à la banquette; et de
l'autre pied, montant sur le banc de devant eux, et
s'allongeant le corps, les bras roides, pour
pousser et avancer leur rame jusque sous le corps
de ceux de devant, qui sont occupés à
faire le même mouvement; et ayant
avancé ainsi leur rame, ils relèvent
pour la frapper dans la mer; et du même temps
se jettent, ou plutôt se précipitent
en arrière, pour tomber assis sur leur banc,
qui, à cause de cette rude chute, est garni,
comme j'ai dit, d'une espèce de
coussinet.
Enfin il faut l'avoir vu pour le croire, que ces
misérables rameurs puissent résister
à un travail si rude; et quiconque n'a
jamais vu voguer une galère, ne se pourrait
jamais imaginer, en le voyant pour la
première fois, que ces malheureux pussent y
tenir une demi-heure; ce qui montre bien, qu'on
peut, par la force et la
cruauté, faire faire, pour ainsi dire,
l'impossible. Et il est très-vrai qu'une
galère ne peut naviguer que par cette voie,
et qu'il faut nécessairement une chiourme
d'esclaves sur qui les comites puissent exercer la
plus dure autorité, pour les faire voguer,
comme on fait, non seulement une heure ou deux,
mais même dix à douze heures de suite.
Je me suis trouvé avoir ramé à
toute force pendant vingt-quatre heures, sans nous
reposer un moment. Dans ces occasions, les comites
et autres mariniers nous mettaient à la
bouche un morceau de biscuit, trempé dans du
vin, sans que nous levassions les mains de la rame,
pour nous empêcher de tomber en
défaillance. Pour lors on n'entend que
hurlements de ces malheureux, ruisselant de sang
par les coups de cordes meurtrières, qu'on
leur donne. On n'entend que claquer les cordes sur
le dos de ces misérables. On n'entend que
les injures et les blasphèmes les plus
affreux des comites, qui sont animés et
écument de rage, lorsque leur galère
ne tient pas son rang, et ne marche pas si bien
qu'une autre. On n'entend encore
que le capitaine et les officiers majors crier aux
comites, déjà las et harassés
d'avoir violemment frappé, de redoubler
leurs coups. Et lorsque quelqu'un de ces malheureux
forçats crève sur la rame, comme il
arrive souvent, on frappe sur lui tant qu'on lui
voit la moindre vie; et lorsqu'il ne respire plus,
on le jette à la mer comme une charogne,
sans témoigner la moindre pitié.
J'ai dit plus haut, qu'il est très vrai,
qu'on ne peut faire naviguer les galères que
par le moyen de ces cruautés envers des
esclaves, qu'on estime moins que les bêtes.
Une chiourme d'hommes libres des plus robustes, et
des mieux dressés au travail de la rame, ne
pourraient y tenir. J'en ai vu
l'expérience.
En l'année mil sept cent trois, on fit faire
à Dunkerque quatre demi-galères ,
pour les envoyer à Anvers naviguer sur la
rivière de l'Escaut. Ces demi-galères
étaient parfaitement proportionnées,
et de même fabrique que les grandes. Les
rames avaient vingt- cinq pieds de long, et trois
hommes par banc pour les ramer. On n'y voulait
mettre que des mariniers de rame, gens fort
expérimentés dans
cet exercice, mais tous libres ; car on ne voulait
pas risquer d'y mettre des gens de chaîne,
qui auraient eu la facilité de se sauver
à cause de la proximité des
frontières de l'ennemi; et par la crainte
aussi de quelque révolte dans les occasions
des fréquents combats, qu'on se proposait
avec ces demi-galères.
On les arma donc à Dunkerque pour aller de
là à Ostende par mer, et de
là, par le canal de Bruges, jusqu'à
Gand, où passe l'Escaut. Quand il fut
question de mettre en mer, ce ne fut qu'avec
beaucoup de peine qu'on put mener ces quatre
demi-galères avec ces rameurs libres
jusqu'à la rade de Dunkerque, d'où il
fallut rentrer dans le port, ne pouvant naviguer
plus loin. Le commandant fut d'obligation
d'écrire au ministre l'impossibilité
qu'il y avait de naviguer sans chiourme esclave;
sur quoi le ministre donna ordre de mettre un
vogue-avant esclave dans chaque banc, qui ramerait
avec deux hommes libres; ce qui fut fait, et pour
lors on conduisit ces bâtiments à
Ostende par mer, quoique avec grande peine par la
raison que le comite n'osait pas exercer ses
cruautés sur les gens
libres; ce qui confirme ce que
je viens de dire, qu'on ne pourrait jamais naviguer
les galères sans chiourme d'esclaves, sur
lesquels les comites puissent exercer
impunément leur impitoyable cruauté.
Car il est à remarquer, que lorsqu'il manque
un comite sur une galère, et que le
capitaine en cherche un, il ne s'informe, par
rapport à ceux qui se présentent pour
l'être, d'aucune autre capacité que de
celle d'être brutal et impitoyable. S'il se
trouve avoir ces qualités au suprême
degré, c'est alors le meilleur comite de
France. Ils ne sont dans le fond estimés que
par ces seuls endroits.
M. de Langeron, notre capitaine, ne les nommait
guère que par le nom de bourreaux, et
lorsqu'il voulait donner quelques ordres qui les
regardaient: «Holà, disait-il, qu'on
m'appelle le premier bourreau,» parlant du
premier comite, et ainsi du second, et du
troisième; et lorsqu'il trouvait à
propos de faire repaître la chiourme,
c'était sa coutume de dire au comite:
«Holà, bourreau, fais donner l'avoine
aux chiens. » C'était pour faire
distribuer les fèves à la chiourme.
Je ne sais, s'il tirait cette comparaison de ce que
les chiens ne peuvent manger
l'avoine, de même que les forçats ne
peuvent qu'avec grand faim mâcher ces
fèves, qui sont très mal cuites, et
dures comme des cailloux, sans autre apprêt
que le nom d'un peu d'huile, et quelque peu de sel,
dans une grande chaudière, qui contient
cinquante petits seaux de cet exécrable
bouillon. Pour moi, qui ai essayé cent fois
d'en manger, je n'en ai jamais pu avaler; et dans
ma plus grande faim j'aimais mieux tremper mon pain
dans l'eau pure avec un peu de vinaigre, que de le
manger avec ce bouillon, qui fait boucher le nez
par sa mauvaise odeur. C'est pourtant tout
l'aliment qu'on donne aux forçats; du pain,
de l'eau et ces fèves indigestes, dont
chacun reçoit quatre onces, lorsqu'elles
sont bien partagées et que le distributeur
n'en vole pas; mais c'est ce qui arrive rarement.
J'ai eu souvent la curiosité de compter la
portion de chacun de ceux de mon banc; lorsqu'il
s'y trouvait trente fèves pour chacun,
c'était beaucoup. Ce sont de ces petites
fèves noires, qu'on donne aux pigeons, et
qu'on nomme en hollandais, fèves de
cheval ou paerde
boonen.
En parlant de ce rude travail de la rame, il faut
pourtant dire que ces occasions de forcer ainsi la
chiourme n'arrivent pas fréquemment; car si
cela était, tous crèveraient
bientôt. On épargne la chiourme
lorsqu'on prévoit qu'on aura besoin de ses
forces, tout comme un charretier épargne ses
chevaux pour le besoin. Par exemple, lorsqu'on se
trouve en mer avec un vent favorable, alors on fait
voile et la chiourme se repose; car la manoeuvre
des voiles n'est que pour les matelots et gens
libres. De même, lorsqu'une galère
fait route d'un port à l'autre et que la
distance est de vingt-quatre heures ou plus, pour
lors on fait ce qu'on appelle quartier,
c'est-à-dire que la moitié de la
galère rame une heure et demie, et l'autre
moitié se repose pendant ce temps-là,
et ainsi alternativement. Je m'assure qu'on entend
bien que cette moitié qui rame est la
moitié des deux côtés de la
galère, douze rames de chaque
côté, depuis l'arrière jusqu'au
milieu ou centre de la galère; ce qui fait vingt-quatre rames
pour le quartier de poupe, et treize rames de
chaque côté depuis le centre
jusqu'à la proue, ce qui fait vingt-six
rames pour le quartier de proue, et d'un seul coup
de sifflet ces deux quartiers se relèvent
dans un instant.
On ne commande aucune manoeuvre soit de voile ou de
rame à la voix, et tout s'y fait au son du
sifflet, que l'équipage et la chiourme
entendent parfaitement. C'est un langage que ce
sifflet, qui s'apprend par le long et
fréquent usage. Ce sont les comites qui
commandent tout par le sifflet, après en
avoir reçu l'ordre du capitaine. Toutes les
manoeuvres et tout le travail qu'il faut faire se
nomment par les différents tons du sifflet.
Les personnes mêmes
caractérisées par leurs offices s'y
nomment, et ceux qui entendent ces sifflets et qui
n'y comprennent rien, pensent entendre des
rossignols ramager. Il me souvient que notre comite
élevait une fois une alouette dans une cage
: cet animal avait si bien appris à ramager
les différents tons du sifflet des comites,
qu'il nous faisait souvent faire diverses
manoeuvres qui n'étaient point
commandées; si bien que le capitaine ordonna
au comite de se défaire de cet oiseau, ce qu'il fit; car il ne nous
laissait pas en repos.
Il n'est pas étonnant de voir les comites
des galères si cruels et si impitoyables
contre la chiourme; c'est leur métier,
à quoi ils sont élevés de
jeunesse, et ils ne sauraient, comme je l'ai dit,
faire naviguer leur galère autrement. Mais
de voir les capitaines et officiers majors, qui
sont tous gens de famille et bien
élevés, s'acharner à cette
cruauté et commander continuellement aux
comites de frapper sans miséricorde ; c'est
ce qui me passe et qui paraîtra inouï
à mes lecteurs.
Il n'y a cependant rien de si vrai. Pour en donner
un exemple, lorsque nous prîmes devant la
Tamise cette frégate anglaise, nommée
le Rossignol, dont j'ai fait mention plus
haut; comme la nuit approchait, et qu'on craignait
de n'arriver pas assez tôt à ladite
frégate, on fit extraordinairement forcer de
rame. Notre lieutenant ordonnant au comite de
redoubler les coups de corde sur la chiourme, et le
comite lui disant, que, quoiqu'il fit de son mieux,
il ne voyait pas le moyen que nous
prissions cette frégate
à cause de la nuit qui s'avançait; le
lieutenant lui répondit, que s'il ne voyait
pas cette frégate en notre pouvoir, il se
pendrait plutôt lui-même à
l'antenne de la galère. «Redouble tes
coups, bourreau, dit-il, pour animer et intimider
ces chiens-là, parlant de la chiourme. Fais
comme j'ai souvent vu faire aux galères de
Malte. Coupe le bras d'un de ces chiens pour te
servir de bâton, et pour en battre les
autres; » et ce barbare lieutenant voulait
forcer le comite à mettre cette
cruauté en exécution. Mais le comite
plus humain que lui n'en voulut rien faire; et une
demi-heure après, lorsque nous fûmes
à bord de la frégate, la
première décharge qu'elle nous tira,
tua ce cruel lieutenant sur le coursier. Il arriva
même, comme si son cadavre ne méritait
pas sépulture, que, quoiqu'on prît
toutes les précautions possibles pour porter
son corps à terre, et que nous ne fussions
pas trois jours en mer après sa mort, ce
cadavre s'empuantit si fort, qu'il fut impossible
de le souffrir plus longtemps; et il fallut le
jeter à la mer à la vue de
Dunkerque.
Une autre fois, notre galère fut à
Boulogne près de Calais, où
était pour lors la résidence de ce
même duc d'Aumont, que nous vîmes
ensuite ambassadeur à la cour d'Angleterre.
M. de Langeron, notre capitaine, le régala
sur la galère, et comme la mer était
assez calme, et qu'il voulait donner du plaisir
à ce seigneur, il lui proposa d'aller faire
un tour en mer; ce qui fut accepté. Nous
voguâmes doucement jusques auprès de
Douvres; et comme le duc, en considérant le
rude exercice et l'état misérable de
la chiourme, eut dit entre autres, qu'il ne
comprenait pas, comment ces malheureux pouvaient
dormir, étant si serrés, et n'y ayant
aucune commodité pour se coucher dans leurs
bancs: «Je sais bien, repartit le capitaine,
le secret de les faire dormir profondément;
et ce soir je vous en convaincrai par une bonne
prise d'opium, que je vais leur préparer.
«Là- dessus il appela le comite, et lui
donna ses ordres pour virer de bord, et pour
retournera Boulogne. Le vent et la marée
étaient contraires, et nous étions
à dix lieues de ce port. Ayant viré
de bord, le capitaine ordonna un
avant tout, et force de rame, et
passe-vogue. Ce passe-vogue est la peine la plus
terrible, qu'on puisse imaginer; car il faut
doubler le temps ou la cadence de la vogue; ce qui
lasse plus dans une heure, que dans quatre d'une
vogue ordinaire; sans compter, qu'il est comme
impossible, dans un tel passe-vogue, de ne pas
manquer souvent le coup de rame, et pour lors les
coups de corde tombent comme la grêle.
Enfin nous arrivâmes à Boulogne; mais
si fatigués et harassés de coups, que
nous ne pouvions remuer ni bras ni jambes. Le
capitaine ordonna au comite de faire coucher la
chiourme; ce qui se fait par un coup de sifflet.
Pendant ce temps, le duc d'Aumont et les officiers
se mirent à table; et après minuit,
qu'ils s'en levèrent, le capitaine dit au
duc, qu'il lui voulait faire voir l'effet de son
opium, et le conduisit sur le coursier, où
ils virent cette pauvre chiourme, dont la plupart
dormaient; d'autres, qui des maux qu'ils
souffraient, ne pouvaient fermer l'oeil, mais qui
faisaient semblant de dormir; car le capitaine
l'avait ordonné ainsi, ne voulant pas que
son opium fût sans l'effet qu'il
avait promis au duc. Mais quel
horrible spectacle il lui présentait
à voir! six malheureux dans chaque banc
accroupis et amoncelés, les uns sur les
autres, tout nus; car personne n'avait eu la force
de vêtir sa chemise; la plupart
ensanglantés des coups de corde, qu'ils
avaient reçus, et tout leur corps
écumant de sueur. «Vous voyez,
Monsieur, dit le capitaine au duc, si je n'ai pas
le secret de faire bien dormir ces gens- là.
Je vais vous faire voir, que je sais les
éveiller, comme je sais les endormir. »
Sur cela il donna ses ordres aux comites, qui
sifflèrent le réveil. C'était
alors la plus grande pitié du monde. Presque
personne ne se pouvait lever, tant leurs jambes et
tout leur corps étaient roides; et ce ne fut
qu'à grands coups de corde qu'on les fit
tous lever, leur faisant faire mille postures
ridicules et très douloureuses. Qu'on juge
par ces échantillons, si les capitaines et
les officiers majors ne sont pas aussi cruels que
les comites mêmes.
Des voiles d'une galère.
Chaque mât d'une galère ne porte
qu'une voile; mais on a diverses voiles, plus
grandes ou plus petites, pour
s'en servir suivant le vent. Il n'y a point de
différence à la façon des
voiles, soit de celles du grand mât ou du
trinquet. Lorsqu'on veut faire voile, on
amène l'antenne tout en bas sur les bancs;
et les forçats attachent la voile à
l'antenne, et si le vent n'est pas trop fort, on
hisse l'antenne jusqu'au haut du mât; et
à mesure que l'antenne se lève, la
voile se tend. Et comme cette vergue ou antenne est
une fois plus longue que le mât, le gros bout
de ladite antenne vient aboutir en bas presqu'au
pied du mât; si bien que le petit bout ou
pointe de l'antenne est au haut du mât, et de
quarante pieds plus élevée que le
bout dudit mât: ce qui fait que cette voile,
dont la pointe est attachée au petit bout de
l'antenne, quand elle est tendue, a la forme d'une
aile de pigeon; car toutes les voiles des
galères sont des voiles qu'on nomme
latines, qui sont faites en triangle, ou
à trois pointes. Lorsque le vent est trop
fort, il y aurait du danger à hisser
l'antenne, quand la voile y est attachée;
car le vent donnant dans la voile avant que
l'antenne fût à sa place au haut du
mât, et rangée pour prendre le
vent convenable, la voile
pourrait faire renverser la galère. C'est
à quoi l'on prend bien garde, et pour
éviter ce danger, après qu'on a
attaché la voile à l'antenne, on la
roule, et ainsi roulée on l'attache à
l'antenne avec une certaine herbe sèche
qu'on appelle jonc marin, qui est assez
forte pour tenir la voile attachée à
l'antenne; et après avoir guindé
ladite antenne, et l'avoir arrangée comme on
la veut pour prendre le vent qu'il lui faut, on
tire l'écoute de la voile en bas avec force;
ce qui fait que tous ces joncs marins se cassant,
la voile se trouve tendue dans un clin d'oeil. On
fait de même pour tendre la voile du
trinquet. Les matelots ne montent jamais sur la
vergue pour attacher et détacher la voile;
et à chaque fois qu'il faut la mettre ou
l'ôter, on doit amener la vergue. Lorsqu'on
va au combat, on prend bien garde d'attacher, par
divers cordages, et même par des
chaînes de fer les antennes. Car si par
malheur un boulet de canon coupait l'amarre, qui
est une corde de la grosseur de six pouces, qui
attache l'antenne par son milieu, l'antenne
tomberait sur la galère. Et comme cette
antenne est d'une pesanteur et
d'une grosseur considérables, sa chute
coulerait la galère à.fond, ou du
moins écraserait quantité de
personnes.
De l'artillerie d'une galère
armée.
Une galère porte cinq pièces de canon
de bronze, toutes sur l'avant ou proue de la
galère. Le principal de ces cinq canons est
celui qu'on appelle le coursier. Ce nom tire
son origine de la situation de ce canon; car il est
enfermé, comme dans une caisse, dans le
coursier, qui règne depuis le milieu ou
centre de la galère jusqu'à la proue.
Ce canon tire trente-six livres de balle. Il est
posé sur des anguillères de fortes
planches de bois de chêne, clouées en
dedans contre le bordage du coursier. Ces
anguillères sont en pente ou talus; leurs
hauteurs sont sur le devant et aboutissent en
baissant, jusqu'au pied du grand mât.
Lorsqu'on veut tirer ce canon, on le charge dans sa
caisse, qui est donc le coursier, et par le moyen
de deux palans, l'un à droite, l'autre
à gauche, on hale ce canon en avant; et
comme il est sur ces anguillères bien
graissées, il coule sans beaucoup
de peine jusqu'à son
embrasure, qui est à la proue; et par le
moyen des coins, qu'on frappe sous sa culasse, on
le pointe comme on veut. Lorsque ce canon tire, il
recule de lui-même par la force de sa
repousse, jusqu'au bas de l'anguille, et se trouve
par là replacé dans sa caisse, sans
qu'on ait aucune peine pour l'y remettre. Là
on le recharge encore, faisant la même
manoeuvre pour le haler jusqu'à son
embrasure; et cela à chaque fois qu'on le
veut tirer. Ce canon est fait en coulevrine, et
porte extraordinairement loin, et il peut faire
beaucoup de mal à l'ennemi; parce que la
galère étant basse, s'il rencontre le
navire sur lequel on le tire, c'est presque
toujours à fleur d'eau; ce qui le peut
facilement couler à fond, surtout si la mer
est calme; car pour lors la galère ne
faisant que peu ou point de mouvement, le canon
porte plus juste à l'horizon où on
l'a pointé. Aux côtés de ce
canon dit le coursier, il y en a quatre
autres, deux de chaque côté. Les deux
canons du côté droit sont l'un de
vingt-quatre livres de balle, et l'autre de dix-
huit livres.
Les deux du côté gauche sont
de même calibre. Ces
quatre canons sont placés sous le gaillard,
ou château de devant, qu'on nomme la
rambade. C'est une élévation
ou pont, au bout de la galère,
exhaussé de six pieds, et qui règne
sur toute la largeur du devant de la galère.
Ce pont est long de dix pieds, et sa largeur, qui
est celle de la galère, d'environ quarante
pieds. C'est sur ce pont ou rambade, comme on
l'appelle, que les matelots et mariniers se
tiennent pour faire la manoeuvre de la voile du
petit mât ou trinquet; et lorsqu'une
galère va à l'abordage, c'est sur
cette rambade qu'est le poste d'honneur; car c'est
de là qu'on saute sur le vaisseau ennemi; et
c'est toujours le premier officier major, qui y
commande les grenadiers et autres qui sont
destinés pour l'abordage.
Je reviens à mes quatre canons. Ils sont
placés sur de bons affûts,
cloués au tillac de la galère; et
ceux-là ne reculent pas,lorsqu'ils tirent,
comme fait le coursier. Cette artillerie est
toujours très-bien servie par d'habiles
canonniers.
De la nourriture de l'équipage et
chiourme d'une galère armée.
Lorsqu'une galère est armée, les
officiers, soldats et mariniers, qui composent
l'équipage, au nombre de deux cents, dont je
ferai la description ci-après, sont nourris
depuis le jour de l'armement jusqu'à celui
du désarmement; et leur ration est suivant
leur caractère.
Les officiers principaux au nombre de six ont
chacun par jour 22 onces de biscuit, poids de marc,
et, par semaine:
2 livres de lard
2 livres de boeuf salé
2 livres de morue
2 livres de fromage
1/2 livre d'huile d'olive
1 livre de riz
2 livres de pois
7 pots de vin mesure de Paris
Les officiers mariniers au nombre de vingt-sept,
ont 22 onces de pain ou biscuit par jour, et, par
semaine:
1 livre de lard
1 livre de boeuf salé
1 livre de morue
1 livre de fromage
4 onces d'huile d'olive
1/4 de livre de riz
1 livre de pois
7 demi-setiers de vin
Les soldats au nombre de cent,
25 mariniers de rame,
26 matelots de rambade,
5 pertuisaniers,
3 mousses; en tout cent-soixante-deux hommes,
reçoivent égale ration, savoir 22
onces de biscuit chacun, par jour, et, par
semaine:
1 livre de lard
1 livre de viande salée
1 livre de morue
1/2 livre de fromage
1/4 de livre d'huile
1/2 livre de riz
1 livre de pois
7 demi setiers de vin
La chiourme, au nombre de trois cents, a 26 onces
de biscuit, et 4 onces de fèves par
jour.
Liste des cinq cents hommes, qui forment
l'équipage et la chiourme d'une
galère, leur fonction et leurs
gages.
1 Capitaine a douze mille livres par an; et quand
la galère est armée, il a cinq cents
livres par mois pour sa table, à laquelle
mangent cinq officiers majors et
l'aumônier.
1 Lieutenant a quatre mille livres par an.
1 Sous-lieutenant a deux mille livres par an,
1 Enseigne a douze cents livres par an.
1 Garde de l'étendard, qui est
payé par M. l'amiral des galères, a
sept cents livres par an : cela fait cinq officiers
majors.
Officiers principaux.
1 Aumônier a soixante livres par mois.
1 Premier pilote a cinquante livres par mois.
1 Écrivain du Roi, ou commissaire, a
cinquante
livres par mois.
1 Maître chirurgien a cinquante livres par
mois.
1 Comite en chef a trente livres par mois.
1 Maître canonnier a trente livres par
mois.
Officiers mariniers ou subalternes,
4 Timoniers, qui sont ceux qui sont au gouvernail ,
ont chacun vingt livres par mois.
1 Sous-pilote a vingt-cinq livres par mois.
2 Sous-comites ont chacun vingt livres par
mois.
1 Argousin a vingt livres par mois.
1 Sous-argousin a quinze livres par mois.
1 Barillat, qui est celui qui a soin des futailles,
a vingt-cinq livres par mois.
1 Remola, qui est celui qui a soin des rames, a
vingt livres par mois.
1 Maître calfat a vingt livres par mois.
4 Caps de garde, qui sont ceux qui commandent aux
matelots et dans les chaloupes, ont chacun quinze
livres par mois.
1 Capitaine des mariniers, qui est celui qui
commande les mariniers de rame et qui rame comme un
autre dans le besoin, a douze livres par mois.
1 Majordome, qui est celui qui a soin de faire
arranger les vivres, a douze livres par
mois.
1 Capitaine d'armes, qui est le premier sergent de
la compagnie, a dix-huit livres par mois.
4 Sergents, chacun quinze livres par mois.
4 Caporaux ont neuf livres par mois.
38 Officiers majors, principaux et subalternes.
100 Soldats, chacun sept livres et demie par
mois.
25 Mariniers de rames, qui rament avec les
forçats et remplacent ceux de la chiourme
qui sont morts ou malades, ont chacun sept livres
par mois.
26 Matelots de rambade, qui sont pour la manoeuvre
des voiles, ont chacun neuf livres par mois.
8 Pertuisaniers, qui sont ceux qui sont commis
à la garde de la chiourme et qui conduisent
les galériens le sabre au côté
lorsqu'ils sont en ville, ont chacun sept livres
par mois.
3 Mousses ou jeunes garçons, qu'on instruit
au sifflet pour en faire des comites et qu'on
élève dans la cruauté et
à être sans pitié : ils ont
cinq livres chacun par mois.
200 Forçats.
50 Turcs.
500 Hommes, qui composent l'équipage et la
chiourme d'une galère armée.
N. B. Les matelots de rambade ne sont entretenus de
gages et de vivres, que lorsque la galère
est armée; lorsqu'on la désarme, on
les congédie: pour tout le reste des
officiers et de l'équipage, leur paie court
toujours hiver et été. Il n'y a que
leur nourriture qu'ils n'ont pas, lorsque la
galère est désarmée. A
Dunkerque on leur fournissait leur logement dans
les casernes, mais à Marseille chacun se
logeait à ses dépens.
Des commodités qu'ont les officiers pour
se coucher, lorsque la galère est à
l'ancre dans une rade ou dans un port.
Les officiers, non plus que le reste de
l'équipage, ne se couchent jamais pour
dormir, lorsque la galère navigue, soit
à la rame ou à la voile ; n'y ayant
aucune place vide ni exempte de manoeuvre, pour que
quelqu'un s'y puisse reposer. Le fond de cale
même est plein de vivres, voiles, cordages,
et autres apparaux de la galère, et il n'y a
que les mousses de chaque
chambre, qui y demeurent jour et nuit. Les soldats
sont assis sur leur paquet de bardes à la
bande ou galerie, que j'ai décrite à
l'article de la construction. Les matelots,
mariniers, et les bas-officiers s'asseyent comme
ils peuvent sur la rambade, et autres lieux assez
incommodes. Les officiers majors s'asseyent sur des
chaises ou fauteuils dans la guérite, ou
chambre de poupe. Mais lorsque la galère est
à l'ancre ou dans un port, on tend la tente,
qui est faite d'une forte toile de coton et fil,
à bandes bleues et blanches. Cette tente
règne d'un bout à l'autre de la
galère. On la lève par de grosses
barres de bois, qu'on appelle chèvres, mises
de distance en distance, et qui sont de longueur
différente pour faire faire le dos
d'âne à cette tente, qui se trouve
élevée à son bout du
côté de la poupe, d'environ huit
pieds; au centre ou milieu de la galère, de
vingt pieds, et à son bout à la
proue, d'environ six pieds.
Le bas aboutit à l'aposti, au bord de la
galère, de chaque côté. Cette
tente bien tendue, et attachée audit aposti,
couvre toute la galère; et par sa forme et
tenture est telle,
qu'aucune
pluie, pour si forte qu'elle soit, ne la peut
traverser. Ayant donc ainsi élevé
cette lente, tout le monde se repose; et pendant le
jour chacun s'occupe; soit à prendre son
repas, ou à coudre et tricoter des bas de
coton, que tous les galériens savent
faire.
Les matelots et mariniers se divertissent, et
dansent au son du tambourin ; en quoi les
Provençaux excellent. Un homme a ce
tambourin pendu à son cou, fait comme la
caisse d'un tambour de guerre, mais plus long.
D'une main il frappe avec une baguette sur ce
tambourin pour battre la mesure ou cadence. Il a
une petite flûte dans l'autre main, dont il
joue; et c'est un vrai plaisir de voir danser et
sauter ces mariniers provençaux au son de
cet instrument.
La nuit venue, et après qu'on a
soupé, à chaque banc destiné
pour les officiers, les galériens y dressent
une table, de la longueur de six pieds, et de trois
de large. Cette table se met sur deux traverses ou
gros bâtons, les uns de bois, d'autres de
fer. Ces traverses sont soutenues par quatre
pivots, deux fichés dans un banc, et deux
dans le banc prochain. Cette table, ainsi
posée sur ces deux
traverses, se trouve
élevée au-dessus des bancs d'environ
trois pieds. Les officiers ont de bons matelas de
laine et de crin, qu'on serre le jour dans le fond
de cale. On dresse ces matelas sur ces tables,
chacun à sa place ; on y met un coussin ou
traversin, qui est appuyé par une
têtière de bois, ensuite les draps et
couvertures du lit; puis on l'entoure d'un pavillon
de toile de coton très forte, la pointe
duquel s'attache au haut de la tente à une
corde et poulie destinée à cet usage.
Ce pavillon ainsi élevé, sa pointe en
haut, et son bas, qui est fort ample, entoure le
lit à l'égal du meilleur lit d'ange ;
et tous ces lits, avec leurs pavillons à
bandes bleues et blanches, et ainsi dressés
de chaque côté du coursier, qui forme
comme la rue ou le chemin, sont une assez belle
perspective d'un bout à l'autre de la
galère, qui est toujours bien
illuminée par divers falots, qui pendent
à la tente depuis la poupe jusqu'à la
proue.
Tout ce dressement de lits se fait en un instant;
après quoi l'on ordonne la couchée
à la chiourme par un coup de sifflet.
Les officiers et équipages se couchent quand
ils veulent; mais dès qu'on a ordonné
à la chiourme de se
coucher, pas un ne peut se tenir debout, ni parler,
ni remuer le moins du monde; et si quelqu'un de
ladite chiourme est obligé d'aller à
l'aposti, au bord de la galère, pour y faire
les nécessités naturelles, il est
obligé de crier à la bande ; et il
n'y peut aller que l'argousin ou pertuisanier,
préposé à la garde de la
chiourme, ne lui en ait donné la permission
par un cri de: Va; si bien que toute la nuit un
silence profond règne sur la galère,
comme s'il n'y avait personne.
Les mariniers dressent un pavillon de chaque
côté de la rambade, ou château
de devant, qui se trouve au dehors de la grande
tente, et ils couchent tous sous ces pavillons
à l'abri de la pluie et de la
fraîcheur de la nuit. Les soldats
s'accroupissent le mieux qu'ils peuvent sur la
bande; et les galériens dans leur banc,
assis sur la pédagne, et la tête
appuyée contre le banc. Voilà de
quelle manière chacun se place pour dormir,
lorsque la galère est armée. Mais en
hiver, que la galère est
désarmée, et que les officiers et
équipages sont logés à terre,
à la réserve des comites, argousins
et pertuisaniers, qui ne bougent ni nuit ni
jour de la galère, pour
lors les galériens, ayant plus de place,
s'accommodent de quelque bout de planches, ou
autrement, et se couchent plus commodément,
quoique sur la dure, se couvrant de leurs
capotes.
De la distinction ou différence d'une
galère ordinaire d'avec celles qu'on nomme
la Grande Réale et la Patronne.
La galère, dite la Grande
Réale, n'est point différente en
construction d'une galère ordinaire, sinon
qu'elle est plus grande, et a cent quatre-vingt
pieds de long et quarante-huit de large. Elle a
soixante bancs à rame, et sept rameurs
esclaves à chaque rame.
Les officiers principaux et bas-officiers sont du
même nombre que ceux d'une galère
ordinaire ; mais il y a plus d'officiers majors.
C'est celle que monte le général des
galères, lorsqu'il va en mer; ce qui arrive
rarement. Mais cette galère a toujours pour
capitaine un chef d'escadre, et porte le pavillon
carré au grand mât. Les autres chefs
d'escadre ne le portent qu'au mât de
trinquet.
Officiers majors de la Grande
Réale.
1 Capitaine en chef.
1 Capitaine en second.
1 Lieutenant.
1 Sous-lieutenant.
1 Enseigne.
4 Gardes de l'étendard. Lorsque l'amiral y
est, tous les gardes de l'étendard y sont,
à cause que le grand étendard y est
au vent.
1 Major général.
1 Commissaire général.
1 ou 2 Officiers volontaires.
Total: 12
120 Soldats.
35 Matelots de rambade.
35 Mariniers de rame.
360 Forçats condamnés.
60 Turcs esclaves.
6 Officiers principaux.
27 Officiers subalternes.
10 Pertuisaniers.
5 Mousses ou jeunes garçons.
670 en tout.
Quand le général y est, cela fait
sept cents hommes, à cause des gardes de
l'étendard, qui y sont tous.
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