Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



MÉMOIRES D'UN PROTESTANT
CONDAMNÉ AUX GALÈRES DE FRANCE
POUR CAUSE DE RELIGION.




DESCRIPTION
D'UNE
GALÈRE ARMÉE,
ET SA CONSTRUCTION
.

Comme il y a plusieurs personnes dans ce pays qui ignorent ce que c'est que galères, je crois devoir satisfaire leur curiosité en en faisant la description à la fin de ces Mémoires.
Une galère ordinaire a cent cinquante pieds (1) de long à sa quille ou carène, et quarante pieds de large, pieds de France, de douze pouces au pied (cette mesure sera ici entendue une fois pour toutes).
Elle n'a point d'entre-pont, et son pont ou tillac couvre son fond de cale qui est de six pieds de profondeur à sa basse-pente, c'est-à-dire à chaque côté du bord, et sa hauteur, qui est au milieu de la galère, de sept pieds de profondeur: car la couverte ou tillac est rond et règne d'un bout à l'autre de la galère avec un pied de pente depuis son milieu, qui est le haut dudit tillac, jusqu'au bord de la galère de chaque côté; si bien, que ce pont ou tillac est fait à peu près comme ceux de ces bateaux d'Amsterdam qu'on charge, d'eau douce et qu'on appelle woeter schuyten ; car tout comme ces woeter schuyten , lorsqu'ils sont chargés, sont tout dans l'eau, qui entre et sort sur leur tillac, à cause de la pente dudit tillac; il en est de même d'une galère qui, lorsqu'elle est armée et chargée, est toute dans l'eau, et l'eau entre et sort sur son tillac, d'autant plus que le coursier, ou chemin qui règne au milieu de la galère sur le haut du tillac et qui forme une longue caisse d'un épais bordage, arrête l'eau, qui sans cela, dans une grosse mer, entrerait dans le fond de cale par les ouvertures nécessaires qui se trouvent où sont plantés les mâts ; car pour les écoutilles pour descendre dans le fond de cale, elles sont élevées par un épais bordage à la hauteur du coursier.

On comprendra peut-être que les rameurs dans leur banc, et le reste de l'équipage ont toujours les pieds dans l'eau. Je dis que non ; car dans chaque banc il y a ce qu'on appelle une banquette, qui est une planche qui s'ôte quand on veut, élevée d'un pied, si bien que l'eau qui entre et sort sur le tillac passe sous cette banquette, et par conséquent ne mouille pas les pieds des rameurs; et pour les soldats et mariniers il règne une espèce de galerie qu'on nomme la bande, tout le long de la galère, à droite et à gauche. Cette bande ou galerie est élevée au niveau du coursier; elle est large de deux pieds tout le long au bout des bancs ; les soldats ou mariniers s'y logent et ne peuvent se coucher, mais se tiennent assis sur leur paquet de hardes fort incommodément. Les officiers ne sont pas plus à leur aise lorsque la galère est en mer; et, en un mot, personne n'a de place pour se coucher, car le fond de cale étant rempli de vivres ou agrès de la galère, personne n'y peut coucher.

Fond de cale d'une galère.
Le fond de cale est divisé en six chambres, savoir :
1.
Le gavon qui est une petite chambre au-dessous de la poupe. Elle ne contient qu'un petit lit, où le capitaine couche.
2. L'escandolat, ou chambre d'office. C'est dans cette chambre que toutes les provisions du capitaine se gardent, de même que son linge, argenterie, batterie de cuisine, etc.
3. La compagne. Cette chambre contient les vivres liquides de l'équipage, comme bière, vin, huile, vinaigre, eau douce. On y met aussi lard, viande salée, stockfisch, fromage, etc., jamais de beurre.
4. Le paillot. Cette chambre contient les vivres secs de l'équipage, savoir: biscuit, pois, fèves, riz, etc.
5. La taverne. Cette chambre est au centre de la galère. Elle contient le vin, que le comite fait vendre, à pot et à pinte, à son profit.
De cette chambre on entre dans la soute à poudre, dont le maître canonnier seul a la clef, et la direction. Cette chambre sert aussi à serrer les voiles et tentes de la galère.
6. La chambre de proue contient les câbles des ancres et autres cordages, et dans cette même chambre est la caisse du chirurgien; et lorsqu'on est en mer, on y loge les malades, qui y sont couchés fort incommodément sur des rouleaux de cordage. En hiver, et lorsque la galère est désarmée, on loge les malades à l'hôpital en ville.

Bancs à rames.
Une galère a cinquante bancs, savoir vingt-cinq de chaque côté. Ces bancs sont longs de dix pieds, et sont proprement des poutres d'un demi-pied d'épaisseur, posées à la distance de quatre pieds l'une de l'autre. C'est cette distance qui forme les bancs; et ces poutres sont sur des pivots ou appuis à la hauteur du séant des rameurs. Le bout ou tête des bancs vient aboutir depuis la bande jusqu'au coursier. Ces bancs sont garnis de bourre, ou de vieille serpillière en forme de coussinets, et un cuir de boeuf couvre ce coussinet. Ces bancs ainsi garnis de ces peaux de boeuf, qui pendent jusque sur la banquette, ne ressemblent pas mal à de grandes caisses ou à des tombeaux, où les six rameurs galériens sont enchaînés.

Tout le long de la galère, à droite et à gauche, contre la bande, règne une grosse poutre d'un pied d'épaisseur, qui forme le bord de la galère. Cette poutre se nomme Vaposti. C'est sur cet aposti que les rames sont attachées, la pelle de la rame en dehors, et le gros bout en vient aboutir au coursier; si bien que ces rames, qui ont cinquante pieds de long, en ont environ treize en dedans, depuis Vaposti jusqu'au coursier. Ces treize pieds, formant le bout le plus gros et le plus pesant, pèsent autant que les trente-sept pieds de ladite rame qui sont en dehors; de sorte que les rames ainsi posées sur Vaposti se trouvent en équilibre; sans quoi on ne pourrait ramer. A ces gros bouts des rames, qui par leur grosseur ne peuvent être empoignées, il y a des anses de bois, ou manilles, clouées de manière que chacun des six rameurs y a sa place pour empoigner la rame par ces manilles.

Du coursier.
Le coursier de la galère est fait de deux épais et forts bordages de bois de chêne, posés sur le tillac au milieu de la galère depuis la poupe jusqu'à la proue. Ces deux bordages sont à la distance l'un de l'autre de trois pieds et demi, et forment comme une caisse, qui sert à mettre les tentes et les paquets de hardes de la chiourme. Ce coursier est couvert par des planches en travers, dont chaque banc a la sienne pour les nettoyer, et pour ouvrir et fermer le coursier, lorsqu'on en a besoin. Ce coursier, ainsi couvert par ces planches, forme un chemin au milieu de la galère, où l'on a les bancs des rameurs à droite et à gauche.
On ne peut aller de l'arrière à l'avant de la galère que sur ce coursier; et on n'y peut marcher que difficilement deux de front, sans risquer de tomber dans les bancs à droite ou à gauche. J'ai déjà dit, que le coursier arrête et empêche l'eau, qui entre et sort sur le pont ou tillac de la galère, d'entrer dans le fond de cale par une grosse mer.

De la mâture d'une galère armée.
Une galère a deux mâts, un grand et un plus petit.

Le grand mât, qui est planté au milieu ou centre de la galère, a soixante pieds de long, sans mât de hune, ni hauban ou échelle de corde pour y monter; et les matelots provençaux sont si habiles à monter au haut du mât par une simple corde pendante, que les chats mêmes ne les peuvent égaler en vitesse pour y grimper. Ce mât ainsi tout nu, n'y ayant que le cordage, qu'on nomme amarre pour y attacher la vergue, ou antenne, ressemble à une quille plantée.

La vergue, qu'on nomme antenne, est une fois plus longue que le mât, et a par conséquent cent vingt pieds de longueur.

Le petit mât, qu'on nomme le trinquet, et qui est planté au-devant ou à la proue de la galère, a quarante pieds de long, de la même forme que le grand mât. Son antenne a quatre- vingts pieds de longueur.

On inventa de mon temps à Dunkerque un troisième mât, qu'on appelle l'artimon, et qui se plantait, lorsqu'on en avait besoin, au derrière de la galère, contre la guérite, ou chambre de poupe, où se tiennent les officiers majors.
Ce mât a vingt pieds de long, et son antenne en a quarante. On ne s'en sert guère que pour aider à tourner la galère; et on ne le plante qu'au besoin, surtout depuis qu'on inventa ensuite à Dunkerque un gouvernail, qu'on mettait au devant de la galère tout à fait au bout de la proue, lorsqu'il en était besoin; parce que, lorsqu'on est dans .un combat, et qu'il faut faire volte-face pour s'en retirer, on a beaucoup de peine à tourner la galère à cause de son immense longueur, ce qui donne prise à l'ennemi pour endommager et tuer beaucoup de monde pendant qu'on tourne la galère, et qu'on lui présente son flanc. Car on met souvent plus d'une demi-heure de temps à la tourner. Mais par le moyen de ce gouvernail de proue et l'invention de changer la vogue des rames pour ramer en arrière et faire ainsi de la poupe la proue, on se retire du combat sans être obligé de virer de bord; et on présente toujours la proue, où est l'artillerie, à l'ennemi, en se battant en retraite. Cette manoeuvre, et ce changement de vogue se font dans un clin-d'oeil et à un coup de sifflet.

De la vogue d'une galère.
La vogue est proprement le maniement des rames. Le maître comite, qui est le maître de la chiourme (c'est l'assemblage ou corps des gens enchaînés, qu'on nomme ainsi) et qui par sa cruauté et sa rudesse fait trembler ces pauvres malheureux, se tient toujours devant la poupe près du capitaine pour recevoir ses ordres.
Deux autres sous-comites sont sur le coursier, l'un au milieu de la galère, l'autre sur l'avant. Ces deux sous-comites la corde en main, qu'ils exercent à frapper à force de bras sur le corps nu des galériens, sont toujours attentifs aux ordres du maître comite; qui n'a pas sitôt reçu ceux du capitaine pour faire voguer, qu'il siffle une certaine note ou ton dans un sifflet d'argent, pendu à son cou par une chaîne du même métal. Ces deux sous-comites répètent ce ton par leur sifflet, et pour lors les rameurs, qui se tiennent tout prêts, la rame en main, rament tous à la fois, et d'une cadence si mesurée, que ces cent cinquante rames tombent et donnent dans la mer toutes ensemble et d'un même coup, comme si ce n'en était qu'une seule. Ils continuent ainsi sans qu'il soit besoin d'autre ordre, jusqu'à ce que par un autre coup de sifflet, qui le désigne, ils s'arrêtent et cessent de ramer.
Il faut bien qu'ils rament ainsi tous ensemble; car si l'une ou l'autre des rames monte ou descend trop tôt ou trop tard, en manquant sa cadence, pour lors les rameurs de devant cette rame qui a manqué, en tombant assis sur le banc, se cassent la tête sur cette rame, qui a pris trop tard son entrée; et par là encore ces mêmes rameurs qui ont manqué, se heurtent la tête contre la rame qui vogue derrière eux. Ils n'en sont pas quittes pour s'être fait des contusions à la tête. Le comite les rosse encore à grands coups de corde; si bien qu'il est de l'intérêt de leur peau d'observer juste à prendre bien leur temps et leur mesure.

Le proverbe a bien raison de dire, lorsqu'on se trouve dans quelque rude peine ou travail: Je travaille comme un forçat à la rame. Car c'est en effet le plus rude exercice qu'on puisse s'imaginer. Qu'on se représente, si on peut, six hommes enchaînés, et nus comme la main, assis sur leur banc, tenant la rame à la main, un pied sur la pedagne, qui est une grosse barre de bois, attachée à la banquette; et de l'autre pied, montant sur le banc de devant eux, et s'allongeant le corps, les bras roides, pour pousser et avancer leur rame jusque sous le corps de ceux de devant, qui sont occupés à faire le même mouvement; et ayant avancé ainsi leur rame, ils relèvent pour la frapper dans la mer; et du même temps se jettent, ou plutôt se précipitent en arrière, pour tomber assis sur leur banc, qui, à cause de cette rude chute, est garni, comme j'ai dit, d'une espèce de coussinet.
Enfin il faut l'avoir vu pour le croire, que ces misérables rameurs puissent résister à un travail si rude; et quiconque n'a jamais vu voguer une galère, ne se pourrait jamais imaginer, en le voyant pour la première fois, que ces malheureux pussent y tenir une demi-heure; ce qui montre bien, qu'on peut, par la force et la cruauté, faire faire, pour ainsi dire, l'impossible. Et il est très-vrai qu'une galère ne peut naviguer que par cette voie, et qu'il faut nécessairement une chiourme d'esclaves sur qui les comites puissent exercer la plus dure autorité, pour les faire voguer, comme on fait, non seulement une heure ou deux, mais même dix à douze heures de suite. Je me suis trouvé avoir ramé à toute force pendant vingt-quatre heures, sans nous reposer un moment. Dans ces occasions, les comites et autres mariniers nous mettaient à la bouche un morceau de biscuit, trempé dans du vin, sans que nous levassions les mains de la rame, pour nous empêcher de tomber en défaillance. Pour lors on n'entend que hurlements de ces malheureux, ruisselant de sang par les coups de cordes meurtrières, qu'on leur donne. On n'entend que claquer les cordes sur le dos de ces misérables. On n'entend que les injures et les blasphèmes les plus affreux des comites, qui sont animés et écument de rage, lorsque leur galère ne tient pas son rang, et ne marche pas si bien qu'une autre. On n'entend encore que le capitaine et les officiers majors crier aux comites, déjà las et harassés d'avoir violemment frappé, de redoubler leurs coups. Et lorsque quelqu'un de ces malheureux forçats crève sur la rame, comme il arrive souvent, on frappe sur lui tant qu'on lui voit la moindre vie; et lorsqu'il ne respire plus, on le jette à la mer comme une charogne, sans témoigner la moindre pitié.

J'ai dit plus haut, qu'il est très vrai, qu'on ne peut faire naviguer les galères que par le moyen de ces cruautés envers des esclaves, qu'on estime moins que les bêtes. Une chiourme d'hommes libres des plus robustes, et des mieux dressés au travail de la rame, ne pourraient y tenir. J'en ai vu l'expérience.
En l'année mil sept cent trois, on fit faire à Dunkerque quatre demi-galères , pour les envoyer à Anvers naviguer sur la rivière de l'Escaut. Ces demi-galères étaient parfaitement proportionnées, et de même fabrique que les grandes. Les rames avaient vingt- cinq pieds de long, et trois hommes par banc pour les ramer. On n'y voulait mettre que des mariniers de rame, gens fort expérimentés dans cet exercice, mais tous libres ; car on ne voulait pas risquer d'y mettre des gens de chaîne, qui auraient eu la facilité de se sauver à cause de la proximité des frontières de l'ennemi; et par la crainte aussi de quelque révolte dans les occasions des fréquents combats, qu'on se proposait avec ces demi-galères.

On les arma donc à Dunkerque pour aller de là à Ostende par mer, et de là, par le canal de Bruges, jusqu'à Gand, où passe l'Escaut. Quand il fut question de mettre en mer, ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'on put mener ces quatre demi-galères avec ces rameurs libres jusqu'à la rade de Dunkerque, d'où il fallut rentrer dans le port, ne pouvant naviguer plus loin. Le commandant fut d'obligation d'écrire au ministre l'impossibilité qu'il y avait de naviguer sans chiourme esclave; sur quoi le ministre donna ordre de mettre un vogue-avant esclave dans chaque banc, qui ramerait avec deux hommes libres; ce qui fut fait, et pour lors on conduisit ces bâtiments à Ostende par mer, quoique avec grande peine par la raison que le comite n'osait pas exercer ses cruautés sur les gens libres; ce qui confirme ce que je viens de dire, qu'on ne pourrait jamais naviguer les galères sans chiourme d'esclaves, sur lesquels les comites puissent exercer impunément leur impitoyable cruauté. Car il est à remarquer, que lorsqu'il manque un comite sur une galère, et que le capitaine en cherche un, il ne s'informe, par rapport à ceux qui se présentent pour l'être, d'aucune autre capacité que de celle d'être brutal et impitoyable. S'il se trouve avoir ces qualités au suprême degré, c'est alors le meilleur comite de France. Ils ne sont dans le fond estimés que par ces seuls endroits.
M. de Langeron, notre capitaine, ne les nommait guère que par le nom de bourreaux, et lorsqu'il voulait donner quelques ordres qui les regardaient: «Holà, disait-il, qu'on m'appelle le premier bourreau,» parlant du premier comite, et ainsi du second, et du troisième; et lorsqu'il trouvait à propos de faire repaître la chiourme, c'était sa coutume de dire au comite: «Holà, bourreau, fais donner l'avoine aux chiens. » C'était pour faire distribuer les fèves à la chiourme. Je ne sais, s'il tirait cette comparaison de ce que les chiens ne peuvent manger l'avoine, de même que les forçats ne peuvent qu'avec grand faim mâcher ces fèves, qui sont très mal cuites, et dures comme des cailloux, sans autre apprêt que le nom d'un peu d'huile, et quelque peu de sel, dans une grande chaudière, qui contient cinquante petits seaux de cet exécrable bouillon. Pour moi, qui ai essayé cent fois d'en manger, je n'en ai jamais pu avaler; et dans ma plus grande faim j'aimais mieux tremper mon pain dans l'eau pure avec un peu de vinaigre, que de le manger avec ce bouillon, qui fait boucher le nez par sa mauvaise odeur. C'est pourtant tout l'aliment qu'on donne aux forçats; du pain, de l'eau et ces fèves indigestes, dont chacun reçoit quatre onces, lorsqu'elles sont bien partagées et que le distributeur n'en vole pas; mais c'est ce qui arrive rarement. J'ai eu souvent la curiosité de compter la portion de chacun de ceux de mon banc; lorsqu'il s'y trouvait trente fèves pour chacun, c'était beaucoup. Ce sont de ces petites fèves noires, qu'on donne aux pigeons, et qu'on nomme en hollandais, fèves de cheval ou paerde boonen.

En parlant de ce rude travail de la rame, il faut pourtant dire que ces occasions de forcer ainsi la chiourme n'arrivent pas fréquemment; car si cela était, tous crèveraient bientôt. On épargne la chiourme lorsqu'on prévoit qu'on aura besoin de ses forces, tout comme un charretier épargne ses chevaux pour le besoin. Par exemple, lorsqu'on se trouve en mer avec un vent favorable, alors on fait voile et la chiourme se repose; car la manoeuvre des voiles n'est que pour les matelots et gens libres. De même, lorsqu'une galère fait route d'un port à l'autre et que la distance est de vingt-quatre heures ou plus, pour lors on fait ce qu'on appelle quartier, c'est-à-dire que la moitié de la galère rame une heure et demie, et l'autre moitié se repose pendant ce temps-là, et ainsi alternativement. Je m'assure qu'on entend bien que cette moitié qui rame est la moitié des deux côtés de la galère, douze rames de chaque côté, depuis l'arrière jusqu'au milieu ou centre de la galère; ce qui fait vingt-quatre rames pour le quartier de poupe, et treize rames de chaque côté depuis le centre jusqu'à la proue, ce qui fait vingt-six rames pour le quartier de proue, et d'un seul coup de sifflet ces deux quartiers se relèvent dans un instant.

On ne commande aucune manoeuvre soit de voile ou de rame à la voix, et tout s'y fait au son du sifflet, que l'équipage et la chiourme entendent parfaitement. C'est un langage que ce sifflet, qui s'apprend par le long et fréquent usage. Ce sont les comites qui commandent tout par le sifflet, après en avoir reçu l'ordre du capitaine. Toutes les manoeuvres et tout le travail qu'il faut faire se nomment par les différents tons du sifflet. Les personnes mêmes caractérisées par leurs offices s'y nomment, et ceux qui entendent ces sifflets et qui n'y comprennent rien, pensent entendre des rossignols ramager. Il me souvient que notre comite élevait une fois une alouette dans une cage : cet animal avait si bien appris à ramager les différents tons du sifflet des comites, qu'il nous faisait souvent faire diverses manoeuvres qui n'étaient point commandées; si bien que le capitaine ordonna au comite de se défaire de cet oiseau, ce qu'il fit; car il ne nous laissait pas en repos.

Il n'est pas étonnant de voir les comites des galères si cruels et si impitoyables contre la chiourme; c'est leur métier, à quoi ils sont élevés de jeunesse, et ils ne sauraient, comme je l'ai dit, faire naviguer leur galère autrement. Mais de voir les capitaines et officiers majors, qui sont tous gens de famille et bien élevés, s'acharner à cette cruauté et commander continuellement aux comites de frapper sans miséricorde ; c'est ce qui me passe et qui paraîtra inouï à mes lecteurs.

Il n'y a cependant rien de si vrai. Pour en donner un exemple, lorsque nous prîmes devant la Tamise cette frégate anglaise, nommée le Rossignol, dont j'ai fait mention plus haut; comme la nuit approchait, et qu'on craignait de n'arriver pas assez tôt à ladite frégate, on fit extraordinairement forcer de rame. Notre lieutenant ordonnant au comite de redoubler les coups de corde sur la chiourme, et le comite lui disant, que, quoiqu'il fit de son mieux, il ne voyait pas le moyen que nous prissions cette frégate à cause de la nuit qui s'avançait; le lieutenant lui répondit, que s'il ne voyait pas cette frégate en notre pouvoir, il se pendrait plutôt lui-même à l'antenne de la galère. «Redouble tes coups, bourreau, dit-il, pour animer et intimider ces chiens-là, parlant de la chiourme. Fais comme j'ai souvent vu faire aux galères de Malte. Coupe le bras d'un de ces chiens pour te servir de bâton, et pour en battre les autres; » et ce barbare lieutenant voulait forcer le comite à mettre cette cruauté en exécution. Mais le comite plus humain que lui n'en voulut rien faire; et une demi-heure après, lorsque nous fûmes à bord de la frégate, la première décharge qu'elle nous tira, tua ce cruel lieutenant sur le coursier. Il arriva même, comme si son cadavre ne méritait pas sépulture, que, quoiqu'on prît toutes les précautions possibles pour porter son corps à terre, et que nous ne fussions pas trois jours en mer après sa mort, ce cadavre s'empuantit si fort, qu'il fut impossible de le souffrir plus longtemps; et il fallut le jeter à la mer à la vue de Dunkerque.

Une autre fois, notre galère fut à Boulogne près de Calais, où était pour lors la résidence de ce même duc d'Aumont, que nous vîmes ensuite ambassadeur à la cour d'Angleterre. M. de Langeron, notre capitaine, le régala sur la galère, et comme la mer était assez calme, et qu'il voulait donner du plaisir à ce seigneur, il lui proposa d'aller faire un tour en mer; ce qui fut accepté. Nous voguâmes doucement jusques auprès de Douvres; et comme le duc, en considérant le rude exercice et l'état misérable de la chiourme, eut dit entre autres, qu'il ne comprenait pas, comment ces malheureux pouvaient dormir, étant si serrés, et n'y ayant aucune commodité pour se coucher dans leurs bancs: «Je sais bien, repartit le capitaine, le secret de les faire dormir profondément; et ce soir je vous en convaincrai par une bonne prise d'opium, que je vais leur préparer. «Là- dessus il appela le comite, et lui donna ses ordres pour virer de bord, et pour retournera Boulogne. Le vent et la marée étaient contraires, et nous étions à dix lieues de ce port. Ayant viré de bord, le capitaine ordonna un avant tout, et force de rame, et passe-vogue. Ce passe-vogue est la peine la plus terrible, qu'on puisse imaginer; car il faut doubler le temps ou la cadence de la vogue; ce qui lasse plus dans une heure, que dans quatre d'une vogue ordinaire; sans compter, qu'il est comme impossible, dans un tel passe-vogue, de ne pas manquer souvent le coup de rame, et pour lors les coups de corde tombent comme la grêle.

Enfin nous arrivâmes à Boulogne; mais si fatigués et harassés de coups, que nous ne pouvions remuer ni bras ni jambes. Le capitaine ordonna au comite de faire coucher la chiourme; ce qui se fait par un coup de sifflet. Pendant ce temps, le duc d'Aumont et les officiers se mirent à table; et après minuit, qu'ils s'en levèrent, le capitaine dit au duc, qu'il lui voulait faire voir l'effet de son opium, et le conduisit sur le coursier, où ils virent cette pauvre chiourme, dont la plupart dormaient; d'autres, qui des maux qu'ils souffraient, ne pouvaient fermer l'oeil, mais qui faisaient semblant de dormir; car le capitaine l'avait ordonné ainsi, ne voulant pas que son opium fût sans l'effet qu'il avait promis au duc. Mais quel horrible spectacle il lui présentait à voir! six malheureux dans chaque banc accroupis et amoncelés, les uns sur les autres, tout nus; car personne n'avait eu la force de vêtir sa chemise; la plupart ensanglantés des coups de corde, qu'ils avaient reçus, et tout leur corps écumant de sueur. «Vous voyez, Monsieur, dit le capitaine au duc, si je n'ai pas le secret de faire bien dormir ces gens- là. Je vais vous faire voir, que je sais les éveiller, comme je sais les endormir. » Sur cela il donna ses ordres aux comites, qui sifflèrent le réveil. C'était alors la plus grande pitié du monde. Presque personne ne se pouvait lever, tant leurs jambes et tout leur corps étaient roides; et ce ne fut qu'à grands coups de corde qu'on les fit tous lever, leur faisant faire mille postures ridicules et très douloureuses. Qu'on juge par ces échantillons, si les capitaines et les officiers majors ne sont pas aussi cruels que les comites mêmes.

Des voiles d'une galère.
Chaque mât d'une galère ne porte qu'une voile; mais on a diverses voiles, plus grandes ou plus petites, pour s'en servir suivant le vent. Il n'y a point de différence à la façon des voiles, soit de celles du grand mât ou du trinquet. Lorsqu'on veut faire voile, on amène l'antenne tout en bas sur les bancs; et les forçats attachent la voile à l'antenne, et si le vent n'est pas trop fort, on hisse l'antenne jusqu'au haut du mât; et à mesure que l'antenne se lève, la voile se tend. Et comme cette vergue ou antenne est une fois plus longue que le mât, le gros bout de ladite antenne vient aboutir en bas presqu'au pied du mât; si bien que le petit bout ou pointe de l'antenne est au haut du mât, et de quarante pieds plus élevée que le bout dudit mât: ce qui fait que cette voile, dont la pointe est attachée au petit bout de l'antenne, quand elle est tendue, a la forme d'une aile de pigeon; car toutes les voiles des galères sont des voiles qu'on nomme latines, qui sont faites en triangle, ou à trois pointes. Lorsque le vent est trop fort, il y aurait du danger à hisser l'antenne, quand la voile y est attachée; car le vent donnant dans la voile avant que l'antenne fût à sa place au haut du mât, et rangée pour prendre le vent convenable, la voile pourrait faire renverser la galère. C'est à quoi l'on prend bien garde, et pour éviter ce danger, après qu'on a attaché la voile à l'antenne, on la roule, et ainsi roulée on l'attache à l'antenne avec une certaine herbe sèche qu'on appelle jonc marin, qui est assez forte pour tenir la voile attachée à l'antenne; et après avoir guindé ladite antenne, et l'avoir arrangée comme on la veut pour prendre le vent qu'il lui faut, on tire l'écoute de la voile en bas avec force; ce qui fait que tous ces joncs marins se cassant, la voile se trouve tendue dans un clin d'oeil. On fait de même pour tendre la voile du trinquet. Les matelots ne montent jamais sur la vergue pour attacher et détacher la voile; et à chaque fois qu'il faut la mettre ou l'ôter, on doit amener la vergue. Lorsqu'on va au combat, on prend bien garde d'attacher, par divers cordages, et même par des chaînes de fer les antennes. Car si par malheur un boulet de canon coupait l'amarre, qui est une corde de la grosseur de six pouces, qui attache l'antenne par son milieu, l'antenne tomberait sur la galère. Et comme cette antenne est d'une pesanteur et d'une grosseur considérables, sa chute coulerait la galère à.fond, ou du moins écraserait quantité de personnes.

De l'artillerie d'une galère armée.
Une galère porte cinq pièces de canon de bronze, toutes sur l'avant ou proue de la galère. Le principal de ces cinq canons est celui qu'on appelle le coursier. Ce nom tire son origine de la situation de ce canon; car il est enfermé, comme dans une caisse, dans le coursier, qui règne depuis le milieu ou centre de la galère jusqu'à la proue. Ce canon tire trente-six livres de balle. Il est posé sur des anguillères de fortes planches de bois de chêne, clouées en dedans contre le bordage du coursier. Ces anguillères sont en pente ou talus; leurs hauteurs sont sur le devant et aboutissent en baissant, jusqu'au pied du grand mât. Lorsqu'on veut tirer ce canon, on le charge dans sa caisse, qui est donc le coursier, et par le moyen de deux palans, l'un à droite, l'autre à gauche, on hale ce canon en avant; et comme il est sur ces anguillères bien graissées, il coule sans beaucoup de peine jusqu'à son embrasure, qui est à la proue; et par le moyen des coins, qu'on frappe sous sa culasse, on le pointe comme on veut. Lorsque ce canon tire, il recule de lui-même par la force de sa repousse, jusqu'au bas de l'anguille, et se trouve par là replacé dans sa caisse, sans qu'on ait aucune peine pour l'y remettre. Là on le recharge encore, faisant la même manoeuvre pour le haler jusqu'à son embrasure; et cela à chaque fois qu'on le veut tirer. Ce canon est fait en coulevrine, et porte extraordinairement loin, et il peut faire beaucoup de mal à l'ennemi; parce que la galère étant basse, s'il rencontre le navire sur lequel on le tire, c'est presque toujours à fleur d'eau; ce qui le peut facilement couler à fond, surtout si la mer est calme; car pour lors la galère ne faisant que peu ou point de mouvement, le canon porte plus juste à l'horizon où on l'a pointé. Aux côtés de ce canon dit le coursier, il y en a quatre autres, deux de chaque côté. Les deux canons du côté droit sont l'un de vingt-quatre livres de balle, et l'autre de dix- huit livres.
Les deux du côté gauche sont de même calibre. Ces quatre canons sont placés sous le gaillard, ou château de devant, qu'on nomme la rambade. C'est une élévation ou pont, au bout de la galère, exhaussé de six pieds, et qui règne sur toute la largeur du devant de la galère. Ce pont est long de dix pieds, et sa largeur, qui est celle de la galère, d'environ quarante pieds. C'est sur ce pont ou rambade, comme on l'appelle, que les matelots et mariniers se tiennent pour faire la manoeuvre de la voile du petit mât ou trinquet; et lorsqu'une galère va à l'abordage, c'est sur cette rambade qu'est le poste d'honneur; car c'est de là qu'on saute sur le vaisseau ennemi; et c'est toujours le premier officier major, qui y commande les grenadiers et autres qui sont destinés pour l'abordage.

Je reviens à mes quatre canons. Ils sont placés sur de bons affûts, cloués au tillac de la galère; et ceux-là ne reculent pas,lorsqu'ils tirent, comme fait le coursier. Cette artillerie est toujours très-bien servie par d'habiles canonniers.

De la nourriture de l'équipage et chiourme d'une galère armée.
Lorsqu'une galère est armée, les officiers, soldats et mariniers, qui composent l'équipage, au nombre de deux cents, dont je ferai la description ci-après, sont nourris depuis le jour de l'armement jusqu'à celui du désarmement; et leur ration est suivant leur caractère.

Les officiers principaux au nombre de six ont chacun par jour 22 onces de biscuit, poids de marc, et, par semaine:
2 livres de lard
2 livres de boeuf salé
2 livres de morue
2 livres de fromage
1/2 livre d'huile d'olive
1 livre de riz
2 livres de pois
7 pots de vin mesure de Paris


Les officiers mariniers au nombre de vingt-sept, ont 22 onces de pain ou biscuit par jour, et, par semaine:
1 livre de lard
1 livre de boeuf salé
1 livre de morue
1 livre de fromage
4 onces d'huile d'olive
1/4 de livre de riz
1 livre de pois
7 demi-setiers de vin

Les soldats au nombre de cent,
25 mariniers de rame,
26 matelots de rambade,
5 pertuisaniers,
3 mousses; en tout cent-soixante-deux hommes, reçoivent égale ration, savoir 22 onces de biscuit chacun, par jour, et, par semaine:
1 livre de lard
1 livre de viande salée
1 livre de morue
1/2 livre de fromage
1/4 de livre d'huile
1/2 livre de riz
1 livre de pois
7 demi setiers de vin

La chiourme, au nombre de trois cents, a 26 onces de biscuit, et 4 onces de fèves par jour.

Liste des cinq cents hommes, qui forment l'équipage et la chiourme d'une galère, leur fonction et leurs gages.
1 Capitaine a douze mille livres par an; et quand la galère est armée, il a cinq cents livres par mois pour sa table, à laquelle mangent cinq officiers majors et l'aumônier.
1 Lieutenant a quatre mille livres par an.
1 Sous-lieutenant a deux mille livres par an,
1 Enseigne a douze cents livres par an.
1 Garde de l'étendard, qui est payé par M. l'amiral des galères, a sept cents livres par an : cela fait cinq officiers majors.

Officiers principaux.
1 Aumônier a soixante livres par mois.
1 Premier pilote a cinquante livres par mois.
1 Écrivain du Roi, ou commissaire, a cinquante
livres par mois.
1 Maître chirurgien a cinquante livres par mois.
1 Comite en chef a trente livres par mois.
1 Maître canonnier a trente livres par mois.

Officiers mariniers ou subalternes,
4 Timoniers, qui sont ceux qui sont au gouvernail , ont chacun vingt livres par mois.
1 Sous-pilote a vingt-cinq livres par mois.
2 Sous-comites ont chacun vingt livres par mois.
1 Argousin a vingt livres par mois.
1 Sous-argousin a quinze livres par mois.
1 Barillat, qui est celui qui a soin des futailles, a vingt-cinq livres par mois.
1 Remola, qui est celui qui a soin des rames, a vingt livres par mois.
1 Maître calfat a vingt livres par mois.
4 Caps de garde, qui sont ceux qui commandent aux matelots et dans les chaloupes, ont chacun quinze livres par mois.
1 Capitaine des mariniers, qui est celui qui commande les mariniers de rame et qui rame comme un autre dans le besoin, a douze livres par mois.
1 Majordome, qui est celui qui a soin de faire arranger les vivres, a douze livres par mois.
1 Capitaine d'armes, qui est le premier sergent de la compagnie, a dix-huit livres par mois.
4 Sergents, chacun quinze livres par mois.
4 Caporaux ont neuf livres par mois.
38 Officiers majors, principaux et subalternes.
100 Soldats, chacun sept livres et demie par mois.
25 Mariniers de rames, qui rament avec les forçats et remplacent ceux de la chiourme qui sont morts ou malades, ont chacun sept livres par mois.
26 Matelots de rambade, qui sont pour la manoeuvre des voiles, ont chacun neuf livres par mois.
8 Pertuisaniers, qui sont ceux qui sont commis à la garde de la chiourme et qui conduisent les galériens le sabre au côté lorsqu'ils sont en ville, ont chacun sept livres par mois.
3 Mousses ou jeunes garçons, qu'on instruit au sifflet pour en faire des comites et qu'on élève dans la cruauté et à être sans pitié : ils ont cinq livres chacun par mois.
200 Forçats.
50 Turcs.
500 Hommes, qui composent l'équipage et la chiourme d'une galère armée.

N. B. Les matelots de rambade ne sont entretenus de gages et de vivres, que lorsque la galère est armée; lorsqu'on la désarme, on les congédie: pour tout le reste des officiers et de l'équipage, leur paie court toujours hiver et été. Il n'y a que leur nourriture qu'ils n'ont pas, lorsque la galère est désarmée. A Dunkerque on leur fournissait leur logement dans les casernes, mais à Marseille chacun se logeait à ses dépens.

Des commodités qu'ont les officiers pour se coucher, lorsque la galère est à l'ancre dans une rade ou dans un port.
Les officiers, non plus que le reste de l'équipage, ne se couchent jamais pour dormir, lorsque la galère navigue, soit à la rame ou à la voile ; n'y ayant aucune place vide ni exempte de manoeuvre, pour que quelqu'un s'y puisse reposer. Le fond de cale même est plein de vivres, voiles, cordages, et autres apparaux de la galère, et il n'y a que les mousses de chaque chambre, qui y demeurent jour et nuit. Les soldats sont assis sur leur paquet de bardes à la bande ou galerie, que j'ai décrite à l'article de la construction. Les matelots, mariniers, et les bas-officiers s'asseyent comme ils peuvent sur la rambade, et autres lieux assez incommodes. Les officiers majors s'asseyent sur des chaises ou fauteuils dans la guérite, ou chambre de poupe. Mais lorsque la galère est à l'ancre ou dans un port, on tend la tente, qui est faite d'une forte toile de coton et fil, à bandes bleues et blanches. Cette tente règne d'un bout à l'autre de la galère. On la lève par de grosses barres de bois, qu'on appelle chèvres, mises de distance en distance, et qui sont de longueur différente pour faire faire le dos d'âne à cette tente, qui se trouve élevée à son bout du côté de la poupe, d'environ huit pieds; au centre ou milieu de la galère, de vingt pieds, et à son bout à la proue, d'environ six pieds.
Le bas aboutit à l'aposti, au bord de la galère, de chaque côté. Cette tente bien tendue, et attachée audit aposti, couvre toute la galère; et par sa forme et tenture est telle, qu'aucune pluie, pour si forte qu'elle soit, ne la peut traverser. Ayant donc ainsi élevé cette lente, tout le monde se repose; et pendant le jour chacun s'occupe; soit à prendre son repas, ou à coudre et tricoter des bas de coton, que tous les galériens savent faire.
Les matelots et mariniers se divertissent, et dansent au son du tambourin ; en quoi les Provençaux excellent. Un homme a ce tambourin pendu à son cou, fait comme la caisse d'un tambour de guerre, mais plus long. D'une main il frappe avec une baguette sur ce tambourin pour battre la mesure ou cadence. Il a une petite flûte dans l'autre main, dont il joue; et c'est un vrai plaisir de voir danser et sauter ces mariniers provençaux au son de cet instrument.

La nuit venue, et après qu'on a soupé, à chaque banc destiné pour les officiers, les galériens y dressent une table, de la longueur de six pieds, et de trois de large. Cette table se met sur deux traverses ou gros bâtons, les uns de bois, d'autres de fer. Ces traverses sont soutenues par quatre pivots, deux fichés dans un banc, et deux dans le banc prochain. Cette table, ainsi posée sur ces deux traverses, se trouve élevée au-dessus des bancs d'environ trois pieds. Les officiers ont de bons matelas de laine et de crin, qu'on serre le jour dans le fond de cale. On dresse ces matelas sur ces tables, chacun à sa place ; on y met un coussin ou traversin, qui est appuyé par une têtière de bois, ensuite les draps et couvertures du lit; puis on l'entoure d'un pavillon de toile de coton très forte, la pointe duquel s'attache au haut de la tente à une corde et poulie destinée à cet usage. Ce pavillon ainsi élevé, sa pointe en haut, et son bas, qui est fort ample, entoure le lit à l'égal du meilleur lit d'ange ; et tous ces lits, avec leurs pavillons à bandes bleues et blanches, et ainsi dressés de chaque côté du coursier, qui forme comme la rue ou le chemin, sont une assez belle perspective d'un bout à l'autre de la galère, qui est toujours bien illuminée par divers falots, qui pendent à la tente depuis la poupe jusqu'à la proue.
Tout ce dressement de lits se fait en un instant; après quoi l'on ordonne la couchée à la chiourme par un coup de sifflet.
Les officiers et équipages se couchent quand ils veulent; mais dès qu'on a ordonné à la chiourme de se coucher, pas un ne peut se tenir debout, ni parler, ni remuer le moins du monde; et si quelqu'un de ladite chiourme est obligé d'aller à l'aposti, au bord de la galère, pour y faire les nécessités naturelles, il est obligé de crier à la bande ; et il n'y peut aller que l'argousin ou pertuisanier, préposé à la garde de la chiourme, ne lui en ait donné la permission par un cri de: Va; si bien que toute la nuit un silence profond règne sur la galère, comme s'il n'y avait personne.
Les mariniers dressent un pavillon de chaque côté de la rambade, ou château de devant, qui se trouve au dehors de la grande tente, et ils couchent tous sous ces pavillons à l'abri de la pluie et de la fraîcheur de la nuit. Les soldats s'accroupissent le mieux qu'ils peuvent sur la bande; et les galériens dans leur banc, assis sur la pédagne, et la tête appuyée contre le banc. Voilà de quelle manière chacun se place pour dormir, lorsque la galère est armée. Mais en hiver, que la galère est désarmée, et que les officiers et équipages sont logés à terre, à la réserve des comites, argousins et pertuisaniers, qui ne bougent ni nuit ni jour de la galère, pour lors les galériens, ayant plus de place, s'accommodent de quelque bout de planches, ou autrement, et se couchent plus commodément, quoique sur la dure, se couvrant de leurs capotes.

De la distinction ou différence d'une galère ordinaire d'avec celles qu'on nomme la Grande Réale et la Patronne.
La galère, dite la Grande Réale, n'est point différente en construction d'une galère ordinaire, sinon qu'elle est plus grande, et a cent quatre-vingt pieds de long et quarante-huit de large. Elle a soixante bancs à rame, et sept rameurs esclaves à chaque rame.
Les officiers principaux et bas-officiers sont du même nombre que ceux d'une galère ordinaire ; mais il y a plus d'officiers majors. C'est celle que monte le général des galères, lorsqu'il va en mer; ce qui arrive rarement. Mais cette galère a toujours pour capitaine un chef d'escadre, et porte le pavillon carré au grand mât. Les autres chefs d'escadre ne le portent qu'au mât de trinquet.

Officiers majors de la Grande Réale.
1 Capitaine en chef.
1 Capitaine en second.
1 Lieutenant.
1 Sous-lieutenant.
1 Enseigne.
4 Gardes de l'étendard. Lorsque l'amiral y est, tous les gardes de l'étendard y sont, à cause que le grand étendard y est au vent.
1 Major général.
1 Commissaire général.
1 ou 2 Officiers volontaires.
Total: 12

120 Soldats.
35 Matelots de rambade.
35 Mariniers de rame.
360 Forçats condamnés.
60 Turcs esclaves.
6 Officiers principaux.
27 Officiers subalternes.
10 Pertuisaniers.
5 Mousses ou jeunes garçons.
670 en tout.

Quand le général y est, cela fait sept cents hommes, à cause des gardes de l'étendard, qui y sont tous.


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1. Note de regard: pour la conversion en système métrique se référer à:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Unités_de_mesure_anciennes_(France)

 

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