HISTOIRE DE
LA TERRE
CHAPITRE TROISIÈME
Le Déluge.
Plus on étudie l'histoire du
Déluge telle que nous la donne la
Genèse, plus on en admire la
simplicité et la précision. C'est le
récit d'un témoin oculaire : il
ne sait des causes de ce cataclysme que ce qu'il en
a vu lui-même ; il garde le silence sur
les révolutions qui ont eu lieu, soit
près de lui sous la surface des eaux, soit
dans les régions lointaines où ses
regards ne pouvaient atteindre. Mais quel
récit et quel témoin ! à
chaque ligne on sent la foi naïvement sublime
de Noé, qui, échappant seul au
naufrage de l'humanité, apporte au calcul
des jours, des semaines et des mois, le calme d'un
voyageur moderne qui traverse l'Atlantique de
Liverpool à New-York ; et si
l'Éternel intervient dans cette ruine et
dans cette délivrance, il le fait d'une
manière si naturelle que la raison, toujours
rebelle aux miracles, se trouve comme
séduite tout d'abord.
Il y a bien dans cette histoire deux ou trois
chiffres qui semblent avoir une signification
symbolique, mais ce ne sont là que de ces
singulières coïncidences, de ces
rencontres étranges qui se présentent
sans cesse dans le cours ordinaire de la vie.
On chercherait en vain à ce récit une
intention secrète qui autoriserait à
n'y voir qu'une fiction ; l'orgueil national
des Hébreux n'est nullement
intéressé dans un
événement qui concerne toute
l'humanité, et pour imprimer avant au coeur
d'Israël
p 116
la crainte des jugements de Dieu, il était
fort inutile d'attribuer à Noé tel
âge plutôt que tel autre, et d'imaginer
les dates exactes de la crue et de la chute des
eaux.
On ne peut négliger un mot de ces pages sans
se faire tort à soi-même, comme c'est
le cas de ces physiciens, même les plus
croyants, qui, dans l'explication des causes du
Déluge, ne prennent pas garde aux
indications contenues dans le texte sacré.
On ne peut y toucher sans le gâter :
témoin Origène, qui veut que la
coudée de Noé eût six fois la
longueur de la coudée ordinaire, ou saint
Augustin, qui croit que l'arche avait neuf
étages. Mais c'est en comparant aux
traditions correspondantes des païens le
récit biblique, qu'on en voit l'intime
vérité : point de ces fables
puériles dont abonde le mythe de Satiavrata,
de Dieu se faisant poisson, remplissant la mer de
son corps démesurément agrandi, et
tirant le navire par un câble attaché
à sa corne ; point de ces mesures
gigantesques telles que Bérose en donne
à l'arche, qui aurait eu quatre mille pieds
de longueur sur six cent soixante de largeur. Il
faut être bien partial, il faut n'avoir aucun
tact de la vérité historique pour
assimiler le récit de Moïse aux
légendes des païens.
La terre sera détruite, a dit
l'Éternel à Noé. Voilà
la clef de toutes les énigmes du
Déluge, qui a été un
cataclysme géologique, une révolution
tellurique dont les effets se sont prolongés
pendant plusieurs siècles. En faire une
simple inondation locale, même une inondation
universelle, c'est aller à rencontre du
texte biblique, ainsi que des traditions
païennes
(1). De Luc avait
déjà signalé toute
l'importance de ce mot de destruction ;
mais on ne l'a pas écouté.
Cependant la vérité se fera jour une
fois ou l'autre.
En face de cette ruine de tout un monde, et de
cette effrayante et pénible transformation
de la nature terrestre, les plaisanteries de Celse
et de Voltaire sur l'arche deviennent bien
puériles. Elles atteignent d'ailleurs non
pas la Bible seulement, mais les traditions des
Babyloniens, des Syriens, des Égyptiens, des
Grecs, des Indiens, des Chinois, qui tous ont
gardé le souvenir du vaisseau du salut.
Noé, le seul juste, doit perpétuer
l'humanité primitive sur la terre nouvelle.
Mais quand un roi change de résidence, toute
sa cour le suit, et de même il ne se peut
faire que le rejeton de l'antique Adam soit
entouré dans sa nouvelle demeure
d'êtres qui lui seraient tous inconnus ;
il faut qu'il garde autour de lui ses animaux
domestiques, qui sont ses serviteurs, et avec eux
les autres quadrupèdes et oiseaux qui sont
ses vieilles connaissances.
La possibilité d'un navire qui aurait les
dimensions de l'arche a été reconnue
par les juges les plus compétents
(2). Sa longueur,
de cent soixante-deux mètres, dépasse
de peu celle de nos plus grands bateaux à
vapeur transatlantiques, et n'atteint pas celle du
Léviathan, qui est actuellement en
construction en Angleterre, et qui aura deux cent
sept mètres de longueur, et un port de
vingt-cinq mille tonneaux.
Un vaisseau construit par un memnonite hollandais,
d'après les proportions consignées
dans le texte sacré, s'est trouvé
être mauvais voilier, mais porter un tiers en
sus des bâtiments ordinaires. Ces proportions
étaient donc les plus convenables dans le
cas donné, et il est assez difficile de
concevoir comment Noé, dans un temps
où l'art de la construction des vaisseaux
n'était sans doute pas fort avancé,
aurait pu les découvrir
sans une intervention extraordinaire du Dieu qui
voulait le sauver.
L'arche, qui avait vingt-sept mètres de
largeur, était un vaisseau, dit-on, de
quatre-vingt mille tonneaux. Ce serait la charge de
quarante vaisseaux de ligne qui auraient chacun
cent trente canons et neuf cents hommes.
Suffiraient-ils pour transporter à travers
l'Océan, avec la nourriture d'une
année entière, tous les animaux
terrestres et atmosphériques qui vivent
aujourd'hui dans nos divers continents ? Nous
l'ignorons.
Mais ce que nous devons bien considérer,
c'est qu'il ne s'agit dans le texte sacré
que des êtres qui habitaient la patrie de
Noé. La Genèse, depuis le second
chapitre, est un livre historique où nous
sont conservés, avec une parfaite
vérité, les souvenirs des patriarches
qui racontaient à leur
postérité les
événements dont ils avaient
été les témoins. Ils ne
connaissaient de la terre que la région
qu'avaient peuplée les enfants du premier
homme, et les animaux que l'arche doit sauver sont
la faune spéciale créée pour
Adam dans le Paradis. Il est bien vrai qu'avant le
diluvium la température était plus
douce et plus uniforme, que par conséquent
les demeures des animaux devaient être plus
étendues qu'elles ne le sont aujourd'hui, et
qu'ainsi la patrie de Noé pouvait
réunir des espèces qui vivent
maintenant reléguées loin les unes
des autres, dans des continents
différents.
Toutefois la géologie des terrains
tertiaires nous fait connaître l'existence de
faunes locales, dont aucun représentant, vu
la distance, n'a pu se réfugier dans
l'arche, et nous savons en outre par cette
même science que plusieurs genres de
mammifères ont péri
complètement dans le diluvium, tels que les
palseothères et les anoplothères, qui
n'avaient donc point été recueillis
dans le grand navire de Noé.
Au reste, le texte même donne à
entendre que tous les animaux
n'y avaient point trouvé
un asile : dans l'énumération de
ceux qui y étaient entrés, figurent
le bétail, les petits animaux qui rampent et
se glissent sur la terre, et tout ce qui a des
ailes, mais non ces animaux de la terre qui
comprennent les bêtes féroces, et l'on
pourrait donc soutenir que Noé, qui n'avait
pris avec lui pour la nourriture des animaux que
des végétaux, n'avait vu entrer dans
sa maison flottante ni lions, tigres,
panthères, ni loups, hyènes et ours.
Du moins nous paraît-il certain que rien dans
le récit inspiré ne nous oblige
à admettre que les animaux terrestres et
atmosphériques de la patrie de Noé
soient tous entrés dans l'arche sans aucune
exception, et sur ce point spécial, la
Genèse n'est point en désaccord avec
la paléontologie du diluvium.
La Genèse autorise bien moins encore
à dire que toutes nos espèces
actuelles soient sorties de l'arche. Elle
déclare formellement le contraire dans un
passage
(IX, 10), que les Septante n'ont pas
osé traduire, et dont la Vulgate n'a point
rendu toute la force :
« J'établis mon alliance avec tout
animal vivant qui est avec vous, ..... de tous
ceux qui sont sortis de l'arche, à tous les
animaux de la terre. »
Il y a manifestement ici deux classes d'animaux
très distinctes. On a voulu conclure de
là que tous les animaux n'avaient pas
péri dans le Déluge, et que le
Déluge n'avait pas été
universel. Mais nous verrons tout à l'heure
que cette interprétation est
inadmissible.
Le passage cité fait allusion, non point
à d'anciennes espèces d'animaux qui
auraient échappé à la mort
hors de l'arche, mais à de nouvelles
espèces que Dieu appellerait à
l'existence après le Déluge, pour
peupler les continents où la faune de
l'arche ne pourrait parvenir
(3).
Si toutes les faunes actuelles n'ont point eu
l'arche pour berceau, si elle n'a pas non plus
servi de retraite à la faune entière
de l'époque pliocène, si elle devait
simplement servir à conserver avec notre
race les animaux dont les destinées
étaient plus ou moins étroitement
unies aux nôtres, nul ne peut plus
prétendre qu'elle ait été trop
petite pour son but, toutes les objections
sérieuses tombent d'elles-mêmes, et la
vraisemblance qui renaît se change,
même sans la foi, en certitude, par le
témoignage concordant de tous ces peuples
qui ont la tradition d'un Noé sauvé
dans un vaisseau d'une forme extraordinaire
(4).
L'arche, si vaste et si difficile à
construire, devient inadmissible si le
Déluge n'a pas été universel,
et si, pour échappera ses flots, il
eût suffi à Noé
d'émigrer dans une contrée plus ou
moins éloignée. Le voyage lui aurait
en tout cas pris moins de temps et
coûté moins de peine que la
construction de son château flottant. Mais ce
n'est pas là notre unique preuve en faveur
de l'universalité du Déluge.
Elle n'avait été mise en doute par
personne dans l'Église jusqu'au
dix-septième siècle, où Isaac
Vossius l'a attaquée avec des raisons
tirées surtout des sciences physiques.
Appelée à se prononcer sur cette
opinion nouvelle, Rome ne l'avait condamnée
qu'avec beaucoup de ménagements. Dès
lors elle s'est propagée de plus en plus, et
elle prévaut généralement
aujourd'hui. Cependant nous la croyons
erronée.
1° Noé déclare de la
manière la plus formelle et par trois fois,
que toute chair a péri dans le Déluge
(Gen : VII, 21-23), et il ajoute
que les eaux recouvrirent les plus hautes
montagnes.
Sans doute il raconte ce dont il a
été témoin, et ignore ce qui
se passait au sud de l'Afrique ou dans le
Nouveau-Monde. Mais il n'aurait pas affirmé
avec une telle insistance la mort de tous les
hommes et de tous les animaux si, en sa
qualité de prophète, il n'avait pas
reçu intérieurement de Dieu
l'assurance qu'il en était bien
réellement ainsi.
2° Les peuples qui auraient
échappé au Déluge seraient ou
des descendants d'Adam, ou ceux d'une autre souche.
Dans le premier cas, ils auraient été
ou épargnés malgré leur
corruption, ce que la justice de Dieu ne permet pas
de supposer, ou sauvés à cause de
leur grande piété, ce qui rend
inutile et absurde l'arche destinée à
préserver le seul juste.
Dans le second cas, il y a plusieurs Adam ;
mais avec l'unique Adam, source de tout
péché, disparaît l'unique
source de tout pardon, Jésus-Christ.
3° Les peuples que n'aurait pas atteints le
Déluge, auraient sur les autres plus de
seize siècles d'avance, soit de
civilisation, soit de barbarie, et il devrait
être aisé de les distinguer à
leurs langues, à leur conformation physique,
à leurs croyances. Or tous les peuples
civilisés ont eu leur Noé et leur
arche ; parmi les sauvages plusieurs ont
pareillement des traditions diluviennes, et ceux
qui n'en ont pas n'ont aucune tradition quelconque.
Ces derniers pourraient seuls passer pour n'avoir
pas été détruits par le
cataclysme ; mais ce serait abuser de leur
mutisme que de l'interpréter dans un sens
opposé au témoignage universel, et
d'ailleurs ils se rattachent par trop de liens
à leurs voisins pour qu'on puisse ainsi leur
faire des destinées extraordinaires.
4° Tous les hommes, dira-t-on, auraient
péri, que des continents qu'ils n'auraient
pas encore occupés auront été
épargnés avec leurs faunes. Mais le
Déluge n'est une
destruction de la terre, qu'à la
condition que toute chair ait péri,
comme le dit et répète le texte
sacré.
Le texte sacré est plus explicite sur ce
point-là que sur les causes physiques du
Déluge. Pour bien comprendre le peu qu'il
nous en dit, nous devons nous mettre à la
place de Noé lui-même.
C'était le dix-septième jour du
second mois. L'année, chez les
Hébreux et les Chaldéens, chez les
Égyptiens, chez les Perses,
commençait en automne, et le second mois,
qui est novembre, est en Orient l'époque des
grandes pluies. Aussi se nomme-t-il en
hébreu Boul, pluie.
Nous admettons donc avec les rabbins et les
commentateurs chrétiens, que le calendrier
de Noé était celui de l'antique
Orient, et que le Déluge a commencé
un mois et dix-sept jours après
l'équinoxe d'automne. Nous avons vu cette
date être confirmée d'une
manière vraiment surprenante par la
tradition de l'Égypte
(5). Notons
toutefois que Bérose fait commencer le
Déluge en juin, le quinzième jour de
Daesius.
D'ailleurs l'année de Noé
n'était pas identique à celle des
Hébreux. En effet, on lit dans le texte que
les eaux s'accrurent pendant cent cinquante jours,
et que l'arche s'arrêta sur l'Ararat le
dix-septième jour du septième
mois ; or, de la date du commencement du
Déluge à cette dernière, il
n'y aurait, d'après le calendrier juif, que
cent quarante-sept jours, tandis qu'il y en a
précisément cent cinquante si l'on
donne trente jours à chaque mois.
L'année antédiluvienne aurait ainsi
été de 12X30=360 jours, soit
qu'à cette époque la terre fît
sa révolution annuelle en ce nombre exact de
jours, soit qu'on rétablît par quelque
intercalation l'harmonie entre la
marche des deux et le calendrier
de l'homme. Après le Déluge,
l'année de 360 jours se retrouve chez
plusieurs des nations primitives.
En ce dix-septième jour du second mois,
Noé vit toutes les sources du grand
abîme être rompues, et les ouvertures
des cieux ouvertes.
L'eau jaillit du sol, l'eau tombe du haut des
airs. Voilà les deux seules causes du
Déluge que l'homme ait vues ; ce qui
sans doute n'en exclut pas nécessairement
d'autres qui se seraient dérobées
à ses yeux.
La première, par le mot de grand
abîme, nous reporte au chaos, dont les
puissances dévastatrices saisissent pour la
dernière fois la terre que le
péché leur a livrée de
nouveau. Les eaux de cet abîme, ce sont
celles sur laquelle la terre a été
fondée et étendue
(Psaumes XXIV, 2 ;
CXXXVI, 6). Elles ont comme
un fleuve emporté les méchants,
submergé leur séjour
(Job XXII, 16). Mahomet et les
commentateurs du Coran, recueillant d'anciennes
traditions, disent que les premières eaux du
Déluge sortirent du four d'une certaine
vieille nommée Zala Cufa, que c'était
celui dont Ève s'était servie pour
cuire son pain, et qu'il avait sa bouche dans sa
partie supérieure. Ils disent aussi que la
terre parut entièrement percée comme
un crible, et que les sources en sortaient à
gros bouillons, s'élevant en mille jets et
retombant sur la terre en forme de pluie avec les
nuages du ciel
(6).
Ces traditions ne font que dépeindre
poétiquement ce que Moïse nous dit de
la rupture des sources de l'abîme ; mais
voici un fait tout nouveau, qui concorde
parfaitement avec les découvertes modernes
sur la chaleur interne de la terre, et qui donne
peut-être la clef du
Déluge : Les eaux en étaient
chaudes, disent les rabbins.
Que la chaleur ait joué un rôle
très important dans le diluvium, c'est ce
que la géologie ne niera point. Car les
dépôts diluviens contiennent en
plusieurs contrées de l'or en poudre, qui se
trouve le plus souvent dans des débris de
granit, et pour décomposer le granit ainsi
que pour réduire l'or à son
état de poudre très fine, il faut
l'action d'eaux brûlantes, il faut des forces
volcaniques.
Ce serait donc la chaleur qui aurait fait jaillir
d'immenses cavités souterraines ou du
grand abîme, une quantité d'eau
suffisante pour inonder, de concert avec la pluie,
la terre entière jusqu'au sommet des plus
hautes montagnes. L'Himalaya a des sommets de
24,600 pieds. Il faudrait, pour élever le
niveau de nos océans à cette hauteur,
qu'ils s'accrussent de dix millions de milles
(allemands) cubiques d'eau. Or le volume de la
terre est de 2650 millions de milles cubiques. Il
suffirait donc, pour expliquer le Déluge,
que la capacité de l'abîme souterrain
fût la deux cent soixante-cinquième
partie du volume total de notre planète.
D'ailleurs l'eau que Noé vit sortir des
entrailles de la terre pouvait y avoir
existé combinée avec le fer. La terre
a la densité du fer ; les aurores
boréales et australes s'expliquent par le
magnétisme qui s'échappe par les deux
pôles de cet immense aimant qui forme le
noyau de notre globe ; le minerai de fer se
trouve dans tous les terrains : il y a du fer
dans la lave, dans le basalte, que la terre a vomis
de son sein ; les corps organiques contiennent
presque tous du fer. Or ce métal se combine
avec l'eau et produit ainsi diverses espèces
de mines de fer qui contiennent une telle
quantité d'eau qu'elle forme le
septième de leur poids. Elle s'en
dégage à une chaleur
proportionnellement peu élevée, et
l'on a calculé qu'une
masse de ces substances, qui ne formerait pas
même une centième partie du volume de
la terre, pourrait fournir les dix millions de
milles cubiques d'eau nécessaires pour
recouvrir la terre à la hauteur de
l'Himalaya
(7).
Mais l'Himalaya existait-il lors du
Déluge ? Avait-il son immense hauteur
actuelle ? Plusieurs géologues ne
placent-ils pas au temps du diluvium le
soulèvement de nos plus grandes
chaînes de montagnes ?
L'Arménie, au temps de Noé, n'avait
point encore peut-être son relief
définitif ; l'Ararat n'était
point un mont de 16000 pieds, et tous les calculs
que l'on fait sur la masse des eaux diluviennes
reposeraient ainsi sur une base beaucoup trop
large.
La seconde cause du Déluge que nous fait
connaître Moïse ou Noé, c'est une
pluie torrentielle de quarante jours, qui ne
ressemblait à aucune autre : on
eût dit que toutes les écluses de la
voûte céleste s'ouvraient à la
fois.
Cette pluie était une précipitation
de toutes les eaux contenues à cette
époque dans l'air, et une transformation de
l'atmosphère. Rassemblons les faits qui
peuvent jeter quelque jour sur cette crise.
Nous savons par la géologie que, pendant la
période tertiaire, qui comprend notre monde
antédiluvien, la température moyenne
de l'air était plus élevée
qu'elle ne l'est aujourd'hui. La vapeur qui,
d'après la Genèse, arrosait seule la
terre au temps d'Adam, s'explique par nos climats
tropicaux, où les rosées sont fort
abondantes et où le ciel est serein pendant
la majeure partie de l'année. La
Genèse concorde donc avec la géologie
sur la plus grande chaleur atmosphérique des
temps antédiluviens.
Nous avons ensuite vu que la sécheresse de
Méhujaël avait fini par une pluie
extraordinaire : les plus petites gouttes,
s'il faut en croire le Zend
Avesta (8),
étaient grosses comme le
poing de l'homme, les plus grandes comme la
tête d'un taureau. Or, en supposant que les
gouttes de pluie étaient avant le
Déluge un peu plus grosses qu'elles ne le
sont maintenant, on expliquerait comment le premier
arc-en-ciel n'a apparu qu'après le
Déluge, qu'après la transformation de
l'atmosphère. Mais ce ne serait pas se
hasarder beaucoup que d'admettre que
l'atmosphère de cette terre tertiaire et
antédiluvienne qui subsistait parmi
l'eau, contenait plus d'humidité et
était plus volumineuse que celle de notre
terre actuelle, et qu'ainsi elle aurait, en se
réduisant de beaucoup, fourni au
Déluge une quantité d'eau fort
supérieure à celle qui est contenue
maintenant dans l'air.
La cause atmosphérique et supérieure
du Déluge a commencé d'agir au
même jour et pour ainsi dire à la
même heure que la cause inférieure et
souterraine.
L'eau tomba des cieux et elle jaillit du sol en
même temps. Cette simultanéité,
à laquelle on n'a pas pris garde, nous
semble fort remarquable.
Ce n'était point le concours fortuit de deux
causes étrangères l'une à
l'autre. Il y avait donc d'intimes relations entre
l'éruption des eaux souterraines et la chute
des eaux atmosphériques. Or, que dit
Arago ? « De nos jours, lorsque
l'atmosphère est orageuse, il y a en
même temps de grandes perturbations dans les
entrailles de la terre, à la surface ou au
sein des eaux. Certaines sources se troublent quand
le ciel se couvre, bouillonnent, font entendre des
bruits semblables à ceux du tonnerre quand
un orage approche, ou jaillissent
inopinément du sol, soit pendant soit
après la crise atmosphérique, et l'on
a vu pareillement la mer pendant des orages
être dans un bouillonnement extraordinaire,
qui aurait pu faire croire, par les
colonnes d'eau qui
s'élançaient dans les airs, à
l'existence de plusieurs volcans sous-marins
(9). »
Ce qui se passe dans nos temps sur une très
petite échelle, s'est opéré,
lors du Déluge, sur toute la face de la
terre à la fois. Ce fut dans le sol, dans
les mers, dans l'air, une crise universelle,
immense, unique, effroyable. Voilà comment
s'est annoncé le Déluge, non pas
celui des modernes qui l'ont expliqué par
des causes toutes locales ou tout accidentelles,
mais celui de la Genèse, qui a ses sources
dans les dernières profondeurs de
l'économie terrestre !
Le texte sacré n'est-il pas, dans sa
simplicité, bien autrement profond que ne le
sont les philosophes, les naturalistes, les
théologiens passés et présents
qui ont tenté de l'expliquer ?
Les deux causes du Déluge qui sont
indiquées dans la Genèse suffisent
certainement pour rendre compte du
cataclysme ; mais elles ne sont
elles-mêmes que des symptômes de la
crise que subissait la terre entière, et qui
a pu se manifester par d'autres
effets.
Ainsi l'on a voulu conclure de la première
mention des saisons qui se lit dans les paroles de
l'Éternel après la sortie de l'arche
(Gen. VIII, 22: Comp. à
I, 14), à leur non existence
avant le cataclysme, et au déplacement de
l'axe de rotation de la terre, ou du moins à
son changement de direction.
D'Adam à Noé, l'axe aurait
été perpendiculaire à
l'écliptique, d'où la fable d'une
zone torride inhabitable ; la terre aurait
fait en trois cent soixante jours sa
révolution annuelle, d'où le
calendrier de Noé et de plusieurs peuples
anciens dont l'année avait
précisément cette durée.
Ce sont là de bien fragiles bases pour une
hypothèse dont les astronomes contestent la
possibilité. Pour la défendre avec
quelque apparence de raison, il faudrait s'appuyer
sur les traditions des païens. Les
Égyptiens parlaient de changements survenus
dans la marche des astres et dans les points du
lever et du coucher du soleil.
D'après l'Edda, le soleil se levait vers le
sud avant que les Ases, fils de Bôr, eussent
embelli la terre. En Chine, c'est Kong-Kong qui,
dans sa colère contre les saints
patriarches, brise d'un coup de corne les colonnes
du ciel, le fait tomber au nord-ouest, en
même temps que la terre reçoit une
brèche au sud-est, et cause le
Déluge, après lequel Niuva
redresse les quatre points cardinaux,
répare la brèche du ciel au
nord-ouest et donne à la terre des forces
nouvelles.
Ajoutons le printemps éternel de l'âge
d'or chez les Grecs, les demeures septentrionales
des pieux Hyperboréens, qui sont en quelque
manière les Sethites. Qu'y a-t-il de vrai
dans ces traditions ?
C'est à la géologie à nous
l'apprendre, et nous n'anticiperons pas sur ses
enseignements. Toutefois nous savons
déjà qu'elle ne prouvera pas, par les
grands pachydermes des pays chauds qui se trouvent
enveloppés de glaces en
Sibérie, un changement dans l'inclinaison de
l'axe terrestre, puisque ces animaux sont couverts
de poils épais et que dans leurs dents se
voient encore des débris de
végétaux du Nord. L'Islande, qui,
d'après ses plantes fossiles, a eu la
température du Mississipi, a sans doute
passé subitement de son climat ancien
à son climat actuel par une crise
accompagnée de grandes éruptions
volcaniques. Mais ce changement
atmosphérique est compris dans des limites
assez restreintes pour s'expliquer autrement que
par une révolution astronomique.
Quant aux végétaux des tropiques qui
ont couvert le Groenland, ils appartiennent
à une période beaucoup plus ancienne
que celle des terrains diluviens.
L'axe de la terre aurait conservé son
ancienne direction, que ce ne serait pas une raison
de nier que la crise de notre planète ait
été accompagnée de signes
extraordinaires dans les cieux. Ainsi, la fameuse
comète de Newton ou de 1680, dont la
révolution est de 575 ans, passait
près de la terre pendant le
Déluge ; et, au dire des Grecs,
Vénus aurait alors changé de couleur,
de grandeur, de figure et de course
(10).
De Luc avait expliqué le Déluge par
une totale destruction du continent qu'avait
habité l'humanité primitive, et
qu'aurait englouti l'Océan. Prise dans un
sens absolu, cette hypothèse est
inconciliable avec la Genèse ; car
Moïse, en décrivant le Paradis, suppose
que la terre d'Adam diffère peu de celle des
Noachides, et dans son récit du
Déluge il nous dépeint les lents
progrès des eaux diluviennes, qui
jaillissent des abîmes ou tombent des cieux,
et non les scènes subites et effroyables
d'un monde qui s'abîme dans les entrailles de
la terre et sous les flots de la mer. D'ailleurs,
parmi les traditions diluviennes
des peuples païens, les
moins altérées et les plus
complètes supposent toutes l'identité
de la terre ancienne et de la terre nouvelle.
Mais si la contrée d'Adam et de Noé
est bien certainement celle qu'arrosent de nos
jours l'Euphrate et le Tigre, ce n'est pas à
dire que d'autres terres, habitées
déjà ou bien encore désertes,
n'aient disparu sous les eaux lors du
Déluge. La géologie abonde en
catastrophes de ce genre, et l'on peut se demander
si ce n'est point du Déluge que date la
forme actuelle de la Polynésie. En effet,
les archipels qui peuplent l'océan Pacifique
sont de deux natures fort distinctes ; les uns
sont des dômes sporadiques de basalte, les
autres de simples bancs de coraux. Or, les polypes
ont construit leurs immenses édifices sur
les sommets de montagnes sous-marines et de
cratères qui ne sont qu'à une
profondeur fort peu considérable au-dessous
du niveau de l'Océan. Il y avait donc,
a-t-on dit, dans ces parages, une vaste terre qui
s'est abaissée sous les flots de toute la
hauteur de ses plus grandes montagnes.
Cette catastrophe, à en juger par les
travaux des polypes, ne peut remonter à une
période géologique où le
niveau de la mer aurait été
différent de ce qu'il est aujourd'hui.
D'autre part, l'absence de tout mammifère
sauvage sur les îles du Grand-Océan
prouve que le continent en question était
déjà submergé lorsque les
animaux de l'époque actuelle se
dispersèrent sur la face de la terre. Il
faut donc, semble-t-il, admettre que la submersion
de cette antique terre sans nom a eu lieu lors du
Déluge.
La tradition reste muette sur cette immense
catastrophe ; car les terres qui ont
été submergées étaient
probablement désertes ou du moins leurs
habitants ont tous péri dans les flots. Les
deux races qui peuplent aujourd'hui la
Polynésie sont les Nègres et les
Malais. Les Nègres sont
des Éthiopiens ou Cuschites, les Malais des
Japhétites, et leurs traditions diluviennes
sont des variantes de l'histoire de Noé
(11).
Ni la tradition, ni les sciences physiques
n'indiquent qu'il y ait eu dans l'océan
Indien, entre l'Arabie, le Décan, Madagascar
et le Zanguebar, un continent qu'aurait
détruit le Déluge. Mais
l'océan Atlantique offre à l'ouest
des Canaries et des Açores un immense banc
de fucus qui repose, à une profondeur peu
considérable, sur un plateau
sous-marin ; ce plateau, dit-on, se prolonge
à d'inégales hauteurs, au loin vers
l'Amérique ; les courants
océaniques décrivent autour de ce
haut-fond, en trois ans, un immense circuit, et
l'on se demande si ce n'est point là quelque
ancien monde qui se serait affaissé sous les
eaux lors du Déluge.
C'est dans ce même Océan et en quelque
sorte dans ces mêmes parages, qu'était
située l'Atlantide de Platon. Le philosophe
athénien ne nous aurait-il point
conservé dans son Timée et son
Critias, l'histoire de cette terre
océanique ? et ne connaissait-il pas la
Mer des Herbes, où la marche de nos
vaisseaux est entravée par d'épaisses
forêts d'algues, quand il ajoute que, depuis
la destruction de cette Atlantide, qui était
plus grande que la Libye et l'Asie, l'Océan
oppose aux navigateurs un limon
impraticable ?
Mais ici comme partout la première apparence
est trompeuse. Au temps de Platon, ou du moins
à celui d'Hérodote et d'Hannon, les
Carthaginois eux-mêmes ne connaissaient pas
encore les Canaries, et jamais vaisseau ne
s'était donc avancé au delà de
ces îles jusqu'au grand banc de fucus. Aussi
Platon parle-t-il d'une mer boueuse et non de
prairies d'algues ; il ne décrit pas,
il invente : seulement sa fiction s'est
trouvée plus tard être
presque une
vérité. L'Atlantide elle-même,
c'est la terre antédiluvienne
transportée au delà des limites du
monde connu, et les faits historiques auxquels il
est fait allusion dans le mythe de Platon, se sont
passés non point à l'ouest des
Colonnes d'Hercule, mais vers l'orient et dans la
vraie patrie des Caïnites et des Sethites
(12). Ainsi
l'existence d'un ancien continent entre l'Afrique
et l'Amérique, ne s'appuie absolument que
sur des considérations empruntées aux
sciences physiques.
Enfin, on pourrait supposer que la Crête, les
îles de la mer Égée, Rhodes,
Chypre, et peut-être la Sicile, sont les
débris d'une grande terre qui aurait disparu
dans les flots du Déluge. Cette supposition
semble fort invraisemblable quand on
considère tant la grande profondeur de la
mer actuelle dans ces parages, que
l'éloignement réciproque de ces
îles dont on parvient difficilement à
faire une terre unique, et leur voisinage de l'Asie
Mineure, de la Grèce et de l'Italie dont
elles semblent, la plupart, n'être que des
fragments détachés. Mais c'est ici la
tradition qui nous contraint à ne pas
repousser sans examen une pensée que la
géologie n'accepterait qu'avec
répugnance.
Les Grecs donnaient le nom
(sémitique ?) de Lectonie ou Lyctonie
(13) à
un vaste pays que Neptune aurait (lors du
Déluge) précipité dans les
flots, et dont les débris seraient Chypre et
l'Eubée, avec les îles
intermédiaires. La légende ou le
mythe laisse de côté la Crête,
ce qui est fort extraordinaire, et semble dire que
l'Asie Mineure était bordée, au sud
du Taurus, par une large zone de
basses terres qui s'étendait de Chypre
jusqu'à Rhodes, et de Rhodes au nord-ouest
jusqu'aux côtes de la Béotie et de la
Locride. Le nord de la mer Égée
aurait ainsi formé un bassin isolé
qui n'aurait point communiqué avec la mer de
Crête. Quoi qu'il en soit de cette Lectonie,
elle a laissé si peu de traces de son
existence dans la mémoire des hommes, qu'on
peut affirmer qu'elle n'existait déjà
plus lors de l'arrivée des Noachides dans
l'Asie Mineure, et qu'elle avait péri dans
le grand cataclysme diluvien
(14).
La destruction de la Lectonie serait un exemple des
changements que le Déluge a pu produire dans
la forme des continents. L'affaissement du
continent Atlantique et du continent
Polynésien serait plutôt une des
causes de ce cataclysme. Passons à son
histoire, telle que nous la donne Moïse
d'après les récits qu'en avait faits
Noé.
La pluie cessa au bout de quarante jours, et ce
n'est que plus tard que les eaux s'accrurent au
point de soulever l'arche, et qu'elles se
renforcèrent prodigieusement et
recouvrirent toutes les montagnes. Le
mouvement ascensionnel dura cent cinquante jours,
d'après le dernier verset du chapitre
septième, où l'on a traduit par se
maintinrent (OBTINUERUNT TERRAM) le même
verbe qui, aux versets dix-huitième,
dix-neuvième et vingtième, est rendu
par s'accrurent.
Nous ne nous lasserons pas de signaler ces
infidélités de nos versions, qui
partent toutes d'un manque de foi et qui
altèrent le livre au profil de certaines
idées préconçues. Mais notons
encore l'exactitude avec
laquelle l'hébreu a été rendu
par les Septante et par la version anglaise.
Quelle cause a, du quarantième au cent
cinquantième jour, élevé les
eaux à l'immense hauteur qu'elles
atteignirent ? L'éruption des eaux
souterraines seule ; car la
précipitation des eaux atmosphériques
avait cessé, et ce qu'il tombait encore de
pluie (15) ne
pouvait plus contribuer à l'exhaussement de
l'océan terrestre.
L'éruption des eaux de l'abîme a donc
eu lieu pendant cinq mois, et depuis le
quarantième jour avec beaucoup plus
d'intensité qu'avant. Ce n'est point
là une inondation brusque et subite comme le
serait une vague immense qui aurait passé
sur l'Asie occidentale ; elle aurait tout
détruit et emporté, et l'arche
n'aurait pu échapper à une ruine
complète.
Nous ignorons où l'arche a été
construite, mais tout nous porte à croire
qu'elle l'a été vers l'Euphrate. Elle
s'est arrêtée à une distance
peu considérable, sur les montagnes de
l'Arménie. Les courants diluviens
étaient donc peu rapides, et leur direction
aurait été du sud au nord.
Au cent cinquantième jour la crise
diluvienne entre subitement dans une phase
nouvelle : un vent s'élève,
les sources de l'abîme se ferment, ainsi que
les ouvertures des cieux, et la pluie cesse
entièrement ; les eaux, allant
et venant, se retirent de dessus la terre, et
l'arche s'arrête sur les monts Ararat.
Que signifie ce vent ? Est-ce simplement
celui qui succède d'ordinaire aux pluies
abondantes et prolongées ? Mais
comment, pendant les cinq mois où la terre
fut submergée et détruite, un calme
plat a-t-il régné dans
l'atmosphère ? Comment fait-il tout
à coup place à un vent violent au
jour où les eaux
commencent à
baisser ? N'y a-t-il pas là l'indice
d'une révolution qui se fait dans
l'atmosphère ? Et ce mouvement de va
et vient dans la masse des eaux n'est-il pas
fort remarquable ? Ce n'est pas celui des
vents, ni des courants, ni même des
marées. Plus loin nous lisons que
« les eaux étaient allant et
décroissant. »
N'est-ce pas la description d'un océan
bouleversé par des convulsions sous-marines
et s'écoulant dans la terre par d'immenses
failles ? On voit en plusieurs pays les
souvenirs du Déluge se rattacher à
chaque gouffre qui se perd dans les profondeurs de
la terre (16).
Ce serait à ce moment du
Déluge que nous rapporterions les
éruptions basaltiques qui datent de ce
cataclysme, et le soulèvement de nos plus
hautes Alpes, des Andes, de l'Himalaya. La chaleur
interne du globe qui allait s'accroissant toujours
plus, et qui faisait monter à la surface
toutes les eaux souterraines, aura produit enfin
une immense explosion qui aura fait surgir des
chaînes entières de montagnes, produit
dans l'écorce du globe d'énormes
failles, et permis ainsi aux eaux diluviennes de
rentrer dans l'abîme. Peut-être
l'explosion aura-t-elle eu lieu lorsque les eaux
diluviennes, qui se précipitaient dans les
cratères béants des nombreux volcans
de l'époque pliocène, auront
fermé successivement toutes ces soupapes de
sûreté.
Les eaux avaient cru en cinq mois ; elles
décroissent en quatre. Soixante-treize jours
s'écoulent avant que les premières
cimes apparaissent aux regards de
Noé, dont l'arche est déjà
immobile sur le plus haut sommet. Comme il est peu
probable que ce dernier sommet fût beaucoup
plus élevé que les autres, la
retraite des eaux aura été d'abord
fort lente. Mais quarante-sept (ou suivant une
autre interprétation cinquante-quatre) jours
plus tard, elles
s'étaient abaissées de plusieurs
mille pieds depuis la cime des montagnes jusqu'au
fond de leurs vallées.
Il fallut encore cent (ou quatre-vingt-treize)
jours pour que les hautes terres de
l'Arménie fussent entièrement
sèches, et que Noé pût
sortir de l'arche.
Nous aimerions à appeler sur ces dates de la
retraite des eaux, ainsi que sur les autres
détails du récit biblique du
Déluge, la sérieuse attention de
quelque naturaliste. Il y retrouverait certainement
de précieux indices sur la vraie nature de
ce cataclysme.
Il nous reste à comparer le déluge de
Noé et le diluvium, qui sont l'un et l'autre
la dernière révolution
générale de la terre
(15).
Le Déluge ayant recouvert tous les
continents et les plus hautes montagnes, les
dépôts diluviens doivent se trouver
partout et à toutes les hauteurs. Or ils
existent sur les plateaux des Andes, à douze
mille pieds d'altitude absolue, et Webb rapporte
que dans l'Himalaya, des ossements de chevaux et de
cerfs, dont le gisement est à seize mille
pieds, descendent avec les avalanches dans le fond
des vallées, où l'on s'imagine qu'ils
tombent des cieux. Seize mille pieds est
précisément la hauteur de l'Ararat,
et à supposer que les dimensions actuelles
des montagnes soient les mêmes qu'au
Déluge, nous aurions par l'Inde la preuve
directe que les plus hautes montagnes de
l'Arménie ont été recouvertes
par les eaux, comme le raconte Moïse. Les pics
de l'Himalaya ne l'auraient pas été,
qu'encore nul animal n'aurait pu y
trouver pendant une année
un asile contre les pluies du ciel, le froid et la
faim.
Comme le Déluge a duré fort peu de
temps, le terrain diluvien forme une couche
unique.
Cette couche varie considérablement
d'épaisseur, selon l'abondance de rochers,
de sables, de terres que fournissait la
contrée, ou selon la durée du
séjour des eaux, qui se seront
retirées très promptement des
plateaux, et qui auront séjourné plus
longtemps dans les bas pays. La couche diminue de
volume avec l'éloignement des hautes
terres : ce qui ne peut s'expliquer que par
des courants d'eau.
Les blocs et surtout les cailloux du terrain
diluvien ont la surface lisse, et sont d'ordinaire
arrondis pour avoir été
ballottés dans des flots très
puissants et très agités.
Ce terrain est stratifié, mais les bancs en
sont fort irréguliers et peu distincts, car
ils ont été déposés
dans une mer en tourmente qui était
emportée par un mouvement de va et
vient.
Ces bancs contiennent des coquilles d'eau douce
mêlées à des coquilles
marines ; car les eaux de l'Océan se
sont répandues par le Déluge dans le
bassin des lacs et des fleuves.
Le Déluge étant la dernière
grande catastrophe de la terre, le diluvium ne doit
pas avoir été disloqué plus
tard, si ce n'est par des révolutions toutes
locales et fort restreintes ; et en effet, il
est partout étendu en couches horizontales
autour des Alpes principales, qui sont de toutes
les chaînes de montagnes celle qui a
été le plus récemment
soulevée. Mais il a été
sillonné par les courants modernes, qui y
ont creusé leur lit et qui y déposent
journellement des débris nouveaux.
Nos vallées d'érosion, dont la vaste
largeur et la grande profondeur
sont hors de proportion avec les eaux qui coulent
aujourd'hui dans leur fond, doivent leur formation
à des courants d'une force
extraordinaire...... tels qu'ont dû
être précisément ceux du
Déluge.
Si le dépôt du diluvium a suivi de
fort près l'émersion des Alpes
principales, nous aurions dans l'apparition de ces
montagnes à l'époque du diluvium, la
confirmation de ce que nous disions d'après
Moïse des changements qu'a dû subir le
relief de l'Asie occidentale lors du
Déluge.
Dans les célèbres grottes à
ossements, dont plusieurs sont à six cents
pieds au-dessus des vallées, le terrain
diluvien est recouvert de stalagmites qui
s'accroissent d'année en année.
L'inondation tout extraordinaire qui a rempli d'os
et de limon ces cavernes, n'a donc
été suivie d'aucun autre, et le
diluvium ou le Déluge est bien la plus
récente des révolutions
géologiques.
Le diluvium a été accompagné
d'un abaissement subit de la température,
qui a saisi dans la glace les pachydermes de la
Sibérie, et le Déluge l'a
pareillement été de quelque grande
crise atmosphérique.
Il est vrai que le diluvium ne contient point
d'ossements humains dans notre Europe. Mais en
est-il de même dans les contrées de
l'Arménie, de l'Iran, de l'Euphrate et du
Liban ? C'est ce qu'on ne saurait encore
affirmer. D'ailleurs les hommes se seront tous
réfugiés sur les montagnes, où
leurs ossements seront en majeure partie
restés exposés à l'air qui les
aura consumés.
Quant aux causes physiques du Déluge, les
géologues, au besoin, nous dispenseraient de
les chercher. « Puisque l'observation,
dit M. Beudant, nous montre clairement, en Europe,
une série de mouvements successifs du sol
qui ont modifié toute cette partie du monde,
et plusieurs même tout un
hémisphère, il n'y a rien d'absurde
à admettre que ce qui a eu lieu à
tant de reprises
différentes, depuis les
époques les plus anciennes de formation
jusqu'aux plus modernes, soit arrivé une
fois quelque part depuis l'apparition du genre
humain sur la terre. Par conséquent, il n'y
a rien non plus de contraire à la raison
dans la croyance à une grande irruption des
eaux sur la terre, à une inondation
générale, à un déluge
enfin, qu'on trouve non seulement écrit dans
la Bible, mais encore profondément empreint
dans les traditions de tous les peuples, et, ce qui
est remarquable, à une date presque
uniforme.
Ainsi, tout en reconnaissant dans le récit
de Moïse des circonstances extraordinaires qui
indiquent l'intervention surnaturelle de la
volonté divine pour châtier le genre
humain, nous voyons, d'un côté, la
possibilité matérielle de cet affreux
événement, et nous trouvons, de
l'autre, le secret même des moyens qui purent
être mis en jeu, c'est-à-dire les
soulèvements, les affaissements, les
oscillations que les eaux purent en
éprouver, qui deviennent dès lors les
instruments de la justice céleste....
Peut-être trouverait-on la cause de cette
grande catastrophe dans l'apparition des Andes et
de la chaîne volcanique de l'Asie centrale
(16). »
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