HISTOIRE DE
LA TERRE
CHAPITRE QUATRIÈME.
L'époque diluvienne ou quaternaire.
Nous donnons à l'époque
quaternaire de la géologie le nom
d'époque diluvienne, parce que tous les
phénomènes dont elle a
été témoin ne sont, au point
de vue biblique, que des suites du Déluge.
La Bible le dit positivement de plusieurs d'entre
eux, et elle nous autorise à le supposer
pour les autres.
Nous distinguerons les changements
généraux qui se sont
opérés depuis le Déluge dans
l'économie de la nature terrestre, et les
révolutions locales qui ont modifié
simplement le relief de telle ou telle
contrée.
I. CHANGEMENTS OPÉRÉS
DANS L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE DE LA
NATURE.
Ces faits concernent l'atmosphère,
l'homme, le règne animal et le règne
végétal.
1° Changements survenus dans
l'atmosphère.
Ils sont tous la conséquence de
l'abaissement subit qui s'est fait dans la
température pendant le Déluge.
Le jour même de la sortie de l'arche,
apparaît pour la première fois
l'arc-en-ciel. C'est ce qui résulte de la
manière la plus positive du texte
hébreu : Dieu annonce
à Noé qu'il va
placer dans la nue un signe de son alliance
nouvelle, et bientôt après il le lui
montre au ciel
(1).
Sans admettre que l'inclinaison actuelle de l'axe
de la terre et les saisons datent du Déluge,
nous pouvons dire que la chaude atmosphère
du monde antédiluvien tempérait les
rigueurs de l'hiver au point que cette portion de
l'année n'était point alors ce
qu'elle est devenue depuis le cataclysme.
Nos grandes variations de chaud et de
froid, nos étés, nos
hivers ne datent réellement que de
cette révolution tellurique
(Gen. VIII, 22). Il en est de
même de ces vents violents, de ces
tempêtes, de ces ouragans
(2), dont le plus
ancien est celui qui, d'après Bérose,
a renversé la tour de Babel, et qui sont
entre les mains de Dieu l'arme toujours prête
avec laquelle il rappelle à l'homme
pécheur que le fruit du péché
c'est la souffrance, c'est la mort.
La malédiction prononcée contre la
terre après la chute, n'aurait ainsi
reçu qu'au Déluge son entier
accomplissement. Au
verset 21 du chapitre VIII, Dieu ne
dit point qu'il ne maudira plus désormais la
terre ; il laisse bien au contraire peser sur
elle l'antique sentence de condamnation ;
seulement il ne s'indignera plus contre elle
au point de la détruire une seconde fois. Le
verbe que nous rendons par s'indigner, se
dit des injures et des malédictions
dictées par le mépris ou la
colère, et n'a aucun rapport avec le verbe
de
III, 17 : « La
terre sera maudite. »
L'époque diluvienne doit avoir eu d'ailleurs
une température plus
basse que l'époque actuelle, par suite de
l'évaporation simultanée de l'immense
quantité d'eau dont, pendant une
année entière, s'était
imbibée toute la surface de la terre ferme.
Peut-être faut-il expliquer par le
désordre qui se serait
perpétué fort longtemps dans
l'état de l'atmosphère, ces grandes
et redoutables famines qui se
répétaient de siècle en
siècle au temps d'Abraham, d'Isaac et de
Joseph (3), et
dont la dernière n'a pas duré moins
de sept ans ? Cette dernière
serait-elle la crise par laquelle la nature serait
entrée dans son état
actuel ?
Au témoignage de la Genèse joignons
ceux des traditions païennes
(4) relatives
à ces temps postdiluviens, où
d'immenses nuages dérobaient aux hommes les
rayons du soleil, où les vents se
déchaînaient avec une violence
inouïe, où la terre semblait
frappée de stérilité,
où les maux de l'hiver et la neige
apparurent pour la première fois, où
le feu faisait pénitence pour ses
précédents ravages.
Ces temps doivent correspondre en géologie,
si le déluge de Noé est bien le
diluvium, à l'époque glaciaire, qui
serait ainsi contemporaine du peuple des Noachites
et de leur dispersion par toute la terre.
Nous rappellerons donc ici que dans les pays
tempérés, par exemple dans les
contrées qui longent les chaînes des
hautes Alpes, se voient des terrains erratiques,
qui sont plus jeunes que les terrains diluviens, et
qui s'en distinguent par trois caractères.
Ils ne diminuent point de volume à
proportion de la distance des montagnes dont ils
sont les débris. La surface de leurs blocs
est raboteuse, anguleuse, malgré le vaste
espace qu'ils ont parcouru
depuis leur point de départ. Enfin, ces
terrains sont rarement stratifiés et n'ont
pas été déposés dans
l'eau. On en a expliqué de diverses
manières l'origine. L'hypothèse la
plus probable est celle de gigantesques glaciers
dont ils seraient les moraines. Il est certain que
tous les caractères des moraines se
retrouvent dans les terrains erratiques, qui, en
plusieurs localités, se confondent
même avec celles-ci, et une série de
sept à huit cents années froides et
pluvieuses comme celles qui se sont
succédé de 1812 à 1818,
suffirait pour que le glacier diluvien du
Rhône s'étendît jusqu'au Jura,
et parvînt d'un côté aux
environs de Soleure, et de l'autre à ceux de
Gex. Or les siècles de l'époque
diluvienne ont été sans doute plus
froids et plus humides que ne l'ont
été ces sept années de notre
enfance, et ces glaciers primitifs auront, dans un
temps comparativement assez court, atteint les
extrêmes limites que marquent aujourd'hui
encore les blocs de leurs moraines.
M. Charpentier explique la froide
température de l'époque glaciaire par
la formation, dans les chaînes de montagnes
contemporaines du Déluge, d'immenses
crevasses qui pénétraient dans les
entrailles de la terre jusqu'au point où la
chaleur intense peut manifester en plein son
action. Dans ces gouffres se précipitaient
les eaux des pluies et des rivières, qui en
remontaient transformées en vapeur, et qui,
bientôt refroidies, se convertissaient en
brouillards et nuages qui interceptaient les rayons
du soleil. Le climat de ces contrées
montagneuses en devenait froid et humide, et il
devait nécessairement réagir sur
celui des régions voisines et sur la
température moyenne de la terre. Mais ces
crevasses se comblèrent peu à
peu ; les eaux de la surface cessèrent
d'être en communication avec la chaleur du
noyau terrestre, l'air devint plus sec, les pluies
et les neiges plus rares, et les
rayons du soleil plus actifs. Toutefois la
température ne reprit pas le degré
d'élévation qu'elle avait avant le
Déluge
(5).
Dans la zone torride, la température ne
s'est pas abaissée à l'époque
diluvienne au point que des glaciers se soient
formés sur les montagnes qui n'en ont pas
aujourd'hui. Ainsi, l'on ne trouve point de
terrains erratiques dans les plaines que dominent
les Andes équinoxiales ; mais ils
apparaissent au pied de la Cordillère de la
Bolivie, où se voient aujourd'hui, quand on
va vers le sud, les premiers vrais glaciers.
Cependant les pays chauds devaient, à
l'époque glaciaire, avoir un climat moins
ardent et plus humide que ne l'est leur climat
actuel. Nous entrons sans doute ici dans un domaine
qui n'est pas le nôtre ; mais nos
lecteurs ne refuseront pas de nous y suivre
quelques instants : nous ne voulons que citer
quelques faits qui semblent être dans un
plein accord avec tout ce que nous venons de dire
du climat de l'époque diluvienne.
Dans les limites de la zone tempérée,
la chaîne Arabique de la haute Égypte,
aujourd'hui entièrement aride et
stérile, a vu, depuis le Déluge, ses
profondes vallées et ses gorges
sillonnées par de grands cours d'eau qui
formaient de nombreuses cascades ; les pierres
qu'ils entraînaient sont encore sur place.
Ces vallées sont toutes semblables aux
chors actuels de l'Afrique tropicale, que
parcourent dans la saison des pluies de violents
torrents et qui sont à sec pendant une
partie de l'année
(6). Cependant ce
que nous disons de la haute Égypte est
également vrai de la Nubie, du Sahara et de
l'Arabie. Dans cette dernière
contrée, toute la côte de la mer
Rouge est bordée d'un
immense banc de coraux, qui a été
soulevé au-dessus de l'eau. Les polypes dont
il est l'oeuvre, aussi bien que les coquilles qui y
sont attachées, sont identiques avec les
espèces qui vivent aujourd'hui dans ces
parages. Cette digue uniforme est interrompue au
devant des vallées de l'Arabie, où se
voient des ports qui, très
évasés vers la côte, se
resserrent en forme de poire du côté
de la pleine mer. Ils proviennent sans doute de
rivières qui repoussaient autrefois de leurs
embouchures les coraux. Mais aujourd'hui les
vallées sont à sec
(7) et l'on ne
peut, ce nous semble, placer l'existence de ces
grands cours d'eau et la formation de ces ports que
dans l'époque humide qui a suivi
immédiatement le Déluge, et pendant
laquelle la limite des pluies tropicales aurait
passé par le 19° lat. nord (au lieu du
31°, par où elle passe aujourd'hui)
(8).
Alors donc, cette Arabie et toute cette Afrique
septentrionale, qui sont d'une désolante
aridité, auraient été
parées d'une riche végétation,
qui a disparu avec l'avènement du climat
actuel, mais dont certaines circonstances locales
nous ont conservé de remarquables
débris. Dans la basse Égypte,
à deux journées des lacs Natron, est
une forêt de dattiers
pétrifiés, dont plusieurs troncs, de
six à huit pieds de hauteur, sont encore
debout. À deux lieues et demie à
l'est du Caire est une autre forêt
pétrifiée, qui occupe un espace de
plus d'une lieue carrée ; les arbres
qui y dominent sont le sycomore et le palmier, qui
croissent maintenant en Égypte ; mais
on y voit aussi des bambous gigantesques tels qu'il
n'en vient plus qu'au sud de
l'Abyssinie, chez les Gallas du Naréa ou
Limnou, et l'on prétend y reconnaître
en outre des sapins et des chênes
(9). Ainsi
s'explique comment l'ancienne mythologie
égyptienne parle de plusieurs plantes ou
animaux qui n'existent plus de nos jours qu'au sud
de Schendi ou Méroë, et que
l'aridité subséquente du sol aura
refoulés vers les régions que
continuaient d'arroser les pluies tropicales.
Cette surabondance d'humidité, de
l'équateur aux deux pôles, a dû
nécessairement affaiblir l'action de
l'électricité, qui demande pour se
développer en plein chaleur et
sécheresse, et jeter ainsi dans toute
l'économie de la nature terrestre une
perturbation dont on ne peut calculer les
conséquences, mais dont les mythes de
Typhée, de Thrym et de l'Architecte des Ases
nous ont conservé de vivants souvenirs.
Alors la foudre avait été
dérobée au Dieu suprême, et ses
feux s'égaraient sans force dans les airs
(10).
La terre était d'ailleurs alors dans une
époque de transition ; les crimes des
hommes, en amenant sa destruction, l'avaient
lancée hors de sa carrière normale,
et elle tendait à y rentrer. Ses tentatives
étaient probablement de violentes crises par
lesquelles l'électricité, qui
était comme repoussée dans le sein de
la planète
(11),
faisant subitement explosion,
cherchait à reconquérir sa place
légitime, et la surface terrestre n'aura
pris sa forme actuelle que par une longue
série de catastrophes locales dont nous
ferons bientôt l'histoire.
Nous devons donc nous représenter
l'époque des pluies et des glaciers comme un
temps de grande agitation et de luttes
désordonnées, tant dans
l'atmosphère que dans l'écorce
même de notre globe, et ne pas juger la
nature d'alors d'après celle
d'aujourd'hui.
2° Changements survenus chez l'homme.
C'est au milieu de cette immense crise de la nature
que s'est opérée l'effrayante
dégénération de l'homme
physique, et que se sont formés les types
des races et des nations.
Ici la géologie se tait, et la Genèse
parle un langage si clair qu'il serait inutile de
recourir au témoignage des traditions
païennes
(12).
Depuis le Déluge, les forces de l'homme
diminuent et s'en vont : pour les soutenir, il
ajoute par l'ordre de Dieu aux
végétaux et au lait, qui faisaient sa
seule nourriture, la chair des animaux.
Bientôt il découvre le vin, qui le
ranime et qui le soutient dans ses fatigues. Mais
tout est inutile, sa vie s'abrège d'une
génération à l'autre avec une
lamentable rapidité
(Gen. IX, 3.
20-29 ;
XI, 10-32).
Noé, l'homme d'un autre monde, vit encore
neuf siècles et demi, comme ses aïeux.
Mais Sem, subissant déjà les
délétères influences de la
nature nouvelle, voit la durée de ses jours
abrégée de plus de trois
siècles et réduite à six cents
ans. Cette oeuvre de ruine et de mort se
poursuit chez Arphaesad, qui est
né depuis le Déluge ; il n'a
point respiré comme son père l'air
vivifiant de l'ancienne terre : il meurt
à quatre cent trente-huit ans ; c'est
la moitié de la vie des
Antédiluviens.
La décroissance semble s'arrêter
là : Scélah vit quatre cent
trente-sept ans comme son père, et
Héber quatre cent soixante-quatre.
Mais bientôt la vie s'abrège
subitement de moitié, et elle reste de
nouveau pendant trois générations
à ce degré : Péleg,
Réhu, Sérug meurent âgés
de deux cent trente et deux cent trente-neuf
ans.
Ce n'est point encore là le terme de cette
longue chute, toutefois elle se ralentit
beaucoup : de Nacor à Jacob, pendant
cinq générations, la
longévité varie entre cent
quatre-vingts et cent quarante-huit ans :
Taré atteint même à deux cent
cinq ans. Ce niveau s'abaisse lentement jusqu'au
temps de Moïse
(Psaume XV) où il descend
à quatre-vingts ans.
À supposer que la vie des
Antédiluviens soit 100, la
décroissance a eu lieu d'après cette
singulière proportion : 100. 63. 46.
24. 19. 8.
Ou plutôt, en laissant de côté
Sem, qui est dans une position tout exceptionnelle,
et en modifiant quelque peu les autres chiffres qui
reposent sur des données assez
flexibles : 100. 50. 25. 18. 9.
De 100 à 18 ne se sont écoulés
que deux siècles ; six siècles
au contraire séparent les deux derniers
termes. Ne reconnaît-on pas là
l'immense action de la nature sur l'homme, la
rapidité avec laquelle la terre,
après le Déluge, a déchu de
son antérieur état de perfection
relative, et la lenteur qu'elle a mise ensuite
à prendre son équilibre actuel ?
La chronologie de l'humanité ne
nous donne-t-elle pas ici celle
des révolutions géologiques de
l'époque glaciaire et quaternaire ?
Si l'histoire de la décroissance graduelle
de la longévité est pleine
d'instructions et de tristesse, les changements que
subit l'âge viril ne sont pas moins
remarquables.
Avant le Déluge, on se mariait à
soixante ans, et l'on avait devant soi une
carrière à parcourir quatorze fois
plus longue que celle qu'on venait de franchir. Le
corps arrivait donc rapidement à sa pleine
croissance, et se maintenait dans toute sa force
pendant plusieurs siècles, attestant ainsi
sa primitive destination à
l'immortalité.
Le Déluge arrive ; la vie est
réduite d'abord de moitié ; mais
la croissance s'abrège d'autant, et rien
n'est encore changé dans les proportions
réciproques de ces deux portions de la
carrière humaine. Cet état de choses
toutefois dure peu de temps ; de Péleg
à Moïse, de Moïse jusqu'à
nous, l'âge où l'homme se marie est
celui de trente ans, comme il l'était pour
le fils de Sem, tandis que la
longévité descend aux chiffres de
deux cent quarante, de cent trente, de
quatre-vingts.
Notre vie actuelle est ainsi une série de
quinze fois trente années, dont on a
effacé les douze derniers nombres et
laissé subsister les trois premiers
seulement ! Tant le péché a
usé et l'âme et le corps, tant la
nature terrestre tout entière a
été détériorée
par le Déluge !
Si tous les chiffres que nous venons de passer en
revue (13) sont
controuvés, il faut certainement renoncer
à toute critique
historique.
La longévité doit être en un
certain rapport avec la taille. La Bible,
avons-nous vu, donne le nom de Géants ou
Réphaïm aux ombres des
Antédiluviens, et les Néphilim se
signalaient par leur stature colossale.
Depuis le Déluge, nous trouvons au temps
d'Abraham, à l'est du Jourdain, trois
peuples de géants, les Réphaïm
dans le Basçan, les Zamzummim plus au sud et
les Emim vers l'Arnon. Ces deux derniers, à
l'époque de Moïse, avaient
été détruits depuis longtemps
par les Moabites et par les Ammonites, et Hog, roi
de Basçan, dont le lit d'airain était
de plus de quinze pieds, était seul
demeuré de reste des
Réphaïm.
Mais à l'ouest du Jourdain vivaient les
Enakim dont l'aïeul Arba avait fondé
Hébron, et dont la taille remplit d'effroi
les espions hébreux envoyés du
désert dans le pays de Canaan. Cependant ces
Enakim ne forment point une nation, ils ne sont
qu'une tribu, ou même une simple famille
pareille à celle des Rapha, qui habitait
Gath, et à laquelle appartenait Goliath, qui
avait dix pieds sept pouces
(Gen. XIV,
5 ; XV, 20.
Deut. II, 11.
20 ;
III, 11.
2 Sam. XXI). On pourrait admettre
que la période de
Moïse a vu disparaître les peuples de
géants ; mais c'est
précisément aussi celle où la
longévité descendit à son
dernier degré ; la durée de la
vie et la taille auront donc pris en même
temps leur mesure actuelle, et nous sommes en droit
de supposer, du Déluge à Moïse,
une diminution graduelle de la stature humaine
correspondant à tous égards à
celle de la vie.
À ce double changement qui s'est
opéré dans la nature humaine pendant
l'époque post-diluvienne, s'en ajoute un
troisième, plus important encore et bien
autrement mystérieux : la
transformation de l'humanité, jusqu'alors
homogène, en un certain nombre de races et
de nations ayant chacune leur type propre et
indélébile.
L'influence de la nature, à elle seule, ne
rend pas compte de l'individualité
nationale, mais elle en est certainement une des
principales causes. Le caractère d'un pays
se réfléchit trop exactement dans
celui de ses premiers habitants pour qu'il soit
possible de mettre la chose en doute.
Ainsi la terre, divisée en régions
physiques qui auraient chacune leur climat, leur
faune, leur flore, ne pourrait être
habité par une race, par un peuple
unique ; tout aussi peu nos mille peuples si
différents les uns des autres auraient-ils
pu se former sur une terre monotone.
Or voyez comme au point de vue biblique concordent
et s'expliquent l'histoire de la terre et celle de
l'homme !
Avant le Déluge, des continents au relief
peu saillant ; un climat assez uniforme ;
peut-être entre deux zones inhabitables par
l'extrême chaleur et par le froid glacial,
une zone tempérée où
règne un printemps perpétuel, et sur
cette terre uniforme une humanité uniforme
qui ne se divise point encore en peuples et en
races.
Aujourd'hui, une terre habitée pour ainsi
dire d'un pôle à l'autre ; des
continents ayant chacun leur
individualité bien
prononcée ; dans ces continents un
certain nombre de régions, vastes palais
tous construits sur un plan différent, et
dans ces régions, des nations qui ont toutes
leur cachet particulier et qui se ressemblent si
peu qu'on nie leur commune origine.
Entre le monde antédiluvien et le monde
actuel, qu'avons-nous ? Une période de
huit à neuf siècles pendant laquelle
la terre a pris sa figure présente, l'homme
sa taille et sa longévité
définitives, et l'humanité ses races
et ses peuples. Ils se sont formés dans un
temps d'agitation et de crise, ils restent ce que
ce temps les a faits, parce que la terre est
entrée dans une période de
repos ; elle subirait une transformation
nouvelle qu'ils se modifieraient pareillement. Il
n'est donc pas rationnel de conclure de la nature
actuelle qui ne produit plus de types nationaux,
à la nature post-diluvienne, et nous ne
connaissons pas de savant qui ait jamais
proposé, pour expliquer l'origine des races,
une hypothèse aussi plausible, aussi vaste,
aussi philosophique que celle que la Genèse
nous propose dans son admirable
naïveté.
3° Changements survenus dans le
règne animal et dans le règne
végétal.
Si les descendants de Noé ont subi durant
les deux ou trois siècles qui ont suivi le
Déluge, dans leur longévité,
dans leur stature et dans leur figure, des
changements aussi considérables que ceux que
nous venons d'indiquer, il ne se peut que les
espèces d'animaux qui avaient
été sauvées dans l'arche avec
eux, et qui furent soumises aux mêmes
influences telluriques, n'aient pas
été modifiées d'une
manière analogue, et en particulier que leur
taille n'ait pas diminué. Or la
géologie nous dit précisément
qu'entre les mammifères actuels et ceux dont
les os se trouvent dans les
terrains diluviens, les différences sont
essentiellement de grandeur. Ces
différences, il est vrai, suffisent aux yeux
des naturalistes pour prouver que la seconde faune
n'est point issue de la première par voie de
génération. Ce n'est point à
nous à discuter cette grave question. Nous
rappellerons seulement que, même dans nos
temps modernes, des animaux transportés d'un
continent dans un autre se sont notablement
modifiés ; ainsi le chat d'Europe est
devenu au Paraguay, dans le court espace de trois
siècles, d'un quart plus petit. Si les
géologues trouvaient les os d'un homme
antédiluvien de dix à douze pieds de
hauteur, ils feraient certainement de lui une
espèce nouvelle sous le nom d'homo
primoevus, et cependant, d'après
l'histoire, il serait un de nos ancêtres
(14).
Aux races humaines correspondent chez les animaux
les variétés. L'analogie nous porte
à admettre que la même époque
qui a vu d'une famille unique naître les
Blancs, les Nègres et les Mongols, aura
pareillement chez les animaux sortis de l'arche
différencié le type de telle ou telle
espèce. Au reste, ce ne sera que lorsque la
géologie aura achevé l'étude
des terrains diluviens qu'on pourra songer à
déterminer les rapports de la faune
antédiluvienne avec la
faune actuelle.
Nous voyons cependant déjà que nul
genre nouveau, si ce n'est peut-être ceux des
ophidiens, n'apparaît depuis le diluvium, et
que plusieurs genres anciens ont péri dans
cette catastrophe, le palaeothère,
l'anoplothère, le mammouth, et les deux
édentés, le mégathère
et le mégalonyx.
Quant aux faunes de l'Afrique, de la
Nouvelle-Hollande, de l'Asie orientale, du monde
Boréal et de l'Amérique, nous
admettons, d'après un passage de la
Genèse que nous avons discuté plus
haut (15), que
Dieu les a faites de toutes pièces
après le Déluge.
Nous nous y croyons d'autant plus autorisé
que, dans le langage biblique, il n'y a
création que lorsqu'il y a apparition de
types nouveaux, ce qui n'est point ici le
cas ; que le repos de Dieu au septième
jour a été troublé par la
chute d'Adam, dont le Déluge a
été l'une des conséquences, et
qui a, pour ainsi dire, forcé le
Créateur à se remettre à
l'oeuvre ; enfin, que les premiers chapitres
de la Genèse, dans leur excessive concision,
gardent un complet silence sur tout ce qui n'a pas
directement trait à l'histoire de l'homme,
laissant ainsi entre leurs paragraphes des vides
où vient s'intercaler l'histoire de la
nature.
Quant aux végétaux, la Bible nous
laisse dans une complète incertitude sur
l'origine de nos flores actuelles. Noé aura
semé sur la terre nouvelle les
céréales de l'ancien monde. Mais la
vigne était probablement une création
toute récente, et peut-être en
était-il de même de l'olivier
(16). Au reste,
la question est la même pour les plantes que
pour les animaux, et bien des
générations passeront avant que la
géologie ait soulevé tous les voiles
qui recouvrent le berceau diluvien de notre terre.
II. RÉVOLUTIONS LOCALES.
La longévité humaine
n'était point encore descendue à sa
brièveté actuelle, et l'époque
diluvienne était à peine à la
moitié de sa durée, quand eut lieu la
vocation d'Abraham, qui est le point où la
Genèse abandonne l'histoire de
l'humanité pour ne plus raconter que celle
du peuple élu (17).
Aussi, à dater du chapitre
douzième, ne trouvons-nous plus dans ses
pages qu'un fort petit nombre de traces des crises
par lesquelles passait alors la
terre.
La révolution locale la plus
considérable que mentionne la Genèse
est la ruine de Sodome au temps d'Abraham. Le
Jourdain coulait dans son étrange
vallée, qui est, vers Jéricho,
à douze ou treize cents pieds au-dessous du
niveau de la Méditerranée, et ses
eaux devaient nécessairement se verser dans
un lac, qui ne peut être que cette partie
septentrionale de la mer Morte dont la profondeur
est de plus de mille pieds. Au sud du lac
était une plaine d'une excessive
fertilité, un jardin de l'Éternel,
où s'élevaient Sodome et
Gomorrhe.
L'extrême corruption de ces villes attira sur
elles la vengeance de Dieu. Le sol, qui
était bitumineux, s'embrasa aux
feux de la foudre ; toute la
contrée ne fut plus qu'une immense
fournaise, et depuis lors les villes de la
plaine, dont M. de Saulcy a tout récemment
découvert les restes, ont été
un lieu de désolation embarrassé
de ronces, une carrière de sel
(Gen. XIII, 10. 10. Sophonie, II,
9).
C'est sans doute dans cette catastrophe que le
lac primitif a pris sa dimension actuelle vers le
sud, où l'eau est très peu profonde.
Nous pensons que la ruine de Sodome est en
connexion avec d'autres révolutions
volcaniques qui ont eu lieu, d'après la
mythologie, dans la vallée de l'Oronte
(18). Cette
vallée forme, avec celle du Jourdain et le
Bekaa, une immense faille qui s'étend du
Taurus à la mer Rouge.
Après la ruine de Sodome viennent les deux
famines aux temps d'Isaac et de Joseph, dont nous
avons parlé plus haut. La dernière
est mentionnée dans les annales de la Chine,
soit qu'elle ait été
générale dans l'Ancien Monde, soit
que les Chinois en aient emporté avec eux la
mémoire quand ils sont partis des
régions occidentales de l'Asie et sont venus
s'établir sur les rives du Hoangho
(19).
Au delà des temps de Joseph s'offrent
à nous les dix plaies
d'Égypte, qui ont de miraculeux leur
intensité, leur rapide succession et surtout
leur apparition à l'ordre de Moïse,
mais qui d'ailleurs sont toutes des fléaux
bien connus des habitants de l'Égypte.
La mer Rouge livra un passage aux Hébreux
fugitifs, et se referma sur leurs ennemis. Le moyen
dont Dieu se servit pour opérer ce miracle,
fut un vent impétueux d'orient, qui
sépara les eaux sur une longueur de
plusieurs lieues, et les fit s'amonceler et
(en quelque sorte) se congeler à
droite et à gauche comme deux murailles.
Si le texte s'était tu sur la cause
apparente de cet événement, nous
l'aurions expliqué par un soulèvement
momentané du fond de la mer, que semblaient
indiquer les roues des chariots qui
tombent et se brisent sur un sol
convulsivement agité
(Exode XIV, 21. 22. 25.
20 ;
XV, 8).
Pendant les quarante ans qu'Israël
séjourne dans le désert, ont lieu
divers événements extraordinaires que
nous devons envisager ici sous leur
côté naturel, et où nous voyons
l'indice d'une crise locale de la nature dans les
limites de l'Arabie Pétrée. Cette
contrée où, de nos jours, le
lamarisque seul produit de la manne dans les
années pluvieuses et en fort petite
quantité, se couvrit chaque matin de cette
substance en une telle abondance que tout un peuple
put s'en nourrir
(Exode XVI, 13-36).
Le Sinaï n'offre aucune trace de lave, aucun
cratère, et cependant au jour où
l'Éternel y descendit pour proclamer les dix
commandements devant le peuple réuni, on
aurait pris pour un volcan cette montagne à
ses ébranlements, à sa fumée
et à ses foudres
(Exode XIX, 16-19). Le sol qui
s'entr'ouvre sous Coré et ses complices
(Nomb. XVI), les ruisseaux qui
jaillissent des rochers que
Moïse a frappés de sa verge
(Exode XVII, 1-7.
Nomb. XX, 1-13), ces pestes qui
éclatent subitement au milieu du peuple et
suspendent tout aussi spontanément leurs
ravages
(Nomb. XI. 25), même cette
nuée qui, de jour, protégeait le
peuple contre les ardeurs du soleil, et qui
s'illuminait pendant la nuit
(Exode XIII, 21. 22, et ailleurs.
Psaume CV, 39.
Esaïe IV, 5, etc.) : tous
ces faits sont peut-être dans une relation
plus intime avec l'histoire de la terre qu'on ne le
suppose d'ordinaire.
C'est bien sans doute la présence
d'Israël qui les provoque, et la puissance de
Dieu ou de son serviteur qui les crée au
moment voulu ; mais la nature terrestre a
été disposée dès
l'origine en vue de l'homme, et le miracle ne cesse
pas d'être miracle pour avoir
été prévu et
préparé dès la création
du monde.
À ces faits s'ajoutent le passage à
pied sec du Jourdain et la chute instantanée
des murailles de Jéricho
(Josué III et IV,
VI) ; et ici le texte se tait
sur les causes secondes, qui ont été
sans doute un tremblement de terre, et un
abaissement momentané de la vallée du
Jourdain au-dessus de Jéricho.
Le miracle de Josué suspendant le cours du
soleil et de la lune clôt, à notre
avis, l'époque diluvienne ou quaternaire, et
concerne non la seule Judée mais la terre
entière. C'est chose étrange qu'un
texte si souvent discuté soit d'ordinaire si
mal compris. On dit et répète que le
soleil est resté stationnaire pendant tout
un jour au même lieu, et l'hébreu
déclare au contraire de la manière la
plus expresse que cet astre « ne s'est
point hâté de se coucher environ
un jour entier ; » ce qui signifie
manifestement qu'il a simplement ralenti sa marche.
La rotation de la terre n'a donc point
été brusquement suspendue, elle n'a
pas même été interrompue un
seul instant ; seulement
une cause inconnue en a pendant quelques heures
réprimé la vitesse. Cette cause,
c'est la volonté suprême de Dieu qui
se révèle à Josué, et
lui fait prononcer, dans un moment de sainte
inspiration, des paroles dont il ne comprend pas la
portée en astronomie.
Mais à Bethhoron, comme sur les rives de la
mer Rouge, le miracle n'exclut point l'action
simultanée de causes physiques.
L'Éternel, dit l'histoire
sacrée, jeta des cieux de grosses pierres
sur les Cananéens en fuite, depuis Bethhoron
à Hazaca. Ces grosses pierres sont des
aërolithes, et ces deux villes sont distantes
sur la carte et à vol d'oiseau de six
lieues. Or quelle ne doit pas avoir
été la grandeur de
l'astéroïde dont les débris ont
produit une pareille pluie de pierres ? et
peut-on affirmer que l'approche et la chute de ce
corps céleste n'ait pas pu ralentir le
mouvement de rotation de la terre ?
L'instant où le miracle a commencé
nous est inconnu. Qu'on nous permette de supposer
que Josué, qui était monté
en hâte toute la nuit de Guilgal, et qui
a dû arriver vers le matin devant Gabaon, a
parlé à l'Éternel du
haut de la montagne de Beth-horon au moment
où le soleil se levait sur Gabaon et
où la lune s'abaissait sur Ajalon. Si cette
hypothèse est fondée, le jour a
dû être pour l'Asie, l'aurore pour la
Grèce, la nuit pour l'Amérique et le
crépuscule pour la Polynésie, d'une
longueur extraordinaire. Or voici certains mythes
qui s'accordent singulièrement bien avec
notre explication du texte hébreu.
À Tahiti, qui est à 180° de
latitude de la Judée, un ancien prêtre
nommé Mani, qui construisait un temple,
voyant que le soleil allait se coucher, le
saisit par ses rayons, qu'il attacha avec une corde
au temple même, et acheva ainsi son ouvrage,
l'astre demeurant pendant tout ce temps-là
immobile sur l'horizon
(20).
En Grèce, Minerve, pour favoriser le premier
entretien d'Ulysse et de Pénélope,
prolonge la durée de la nuit en retenant
l'aurore qui allait atteler ses coursiers
(21).
Notons que cette nuit extraordinaire figure non
dans l'histoire des dieux cosmogoniques, ni dans
celle des dieux antédiluviens, mais dans
l'histoire des héros dont l'époque
correspond en quelque manière à celle
de Josué.
Nous retrouvons cette même nuit dans le mythe
de la naissance d'Hercule. Ajoutons que Bacchus
avait fait arrêter le soleil et la lune, et
que d'après un mythe lydien ou phrygien, le
soleil recula d'horreur à la vue du festin
d'Atrée et de Thyeste.
En Amérique, les Apalachites et les
habitants de la Floride racontaient que le soleil
avait été un jour entier sans
paraître ; que le grand lac
Théomi ayant débordé,
recouvrit toutes les montagnes, à
l'exception de l'Olaïmi que le soleil
épargna à cause de son temple qui y
était placé ; que les hommes s'y
réfugièrent, et qu'au bout de
vingt-quatre heures l'astre ayant reparu aussi
brillant que jamais, les choses revinrent à
leur état accoutumé
(22).
Les Iroquois et les Chépéwians ont un
mythe relatif aux temps postdiluviens, où
l'on voit que, le soleil ayant été
pris dans un filet, la terre fut plongée
dans une profonde obscurité
(23).
D'après les annales des Chinois, au temps
d'Yao, le soleil fut dix jours sans se
coucher, et la chaleur devint si grande qu'on
craignit un embrasement universel. Cet embrasement
est celui de la grande sécheresse
post-diluvienne (24).
Mais la suspension du cours du
soleil est certainement un souvenir du miracle de
Josué, qui a dû produire en Chine un
jour d'une longueur extraordinaire.
Chez les Kalmouks bouddhistes, on raconte que des
mauvais génies avaient arrêté
le soleil et la lune, et qu'un dieu vint
délivrer de leurs mains ces deux astres
(25).
En Inde, les Lingaïtes, secte chiwaïte
qui date du onzième siècle
après Jésus-Christ, ont un livre
sacré en vieux canara, le Basawa-Purana,
où se lit l'histoire suivante :
« Leur Sauveur, Basawa, était le
premier ministre du roi Bizzala, qui le somma
à l'improviste de rendre ses comptes le jour
même, le menaçant de lui faire
arracher les yeux à lui et à tous les
ministres et secrétaires. Basawa, qui voit
le soir arriver avant que son travail soit
achevé, commande au soleil de suspendre sa
marche, et l'astre reste immobile onze jours
entiers, quatre heures avant son coucher
(26). Les eaux
s'évaporent, les rivières cessent de
couler, la terre se fend, les plantes
périssent. Enfin Bizzala déchire le
livre de comptes, le soleil reprend sa marche
accoutumée et le lingaïsme triomphe au
milieu de ses détracteurs. Plus tard, dans
une autre circonstance, Basawa, que ses ennemis
veulent perdre à tout prix, suspend pendant
sept jours la course de la lune
et achève enfin ses
comptes
(27). »
Ici le soleil reste sur l'horizon onze jours ;
en Chine, c'était dix. Les annales antiques
de la Chine garantissent l'antiquité de la
légende des Lingaïtes. Leur secte est
sans doute assez récente, et l'on pourrait
supposer qu'ils ont emprunté le double
miracle de leur Messie aux Mahométans, qui
ont apporté en Inde la connaissance des
principaux faits de l'Ancien et du Nouveau
Testament. Mais il est plus vraisemblable que cette
légende de Bisawa est quelque antique
tradition indigène que les Lingaïtes
auront fait entrer dans la vie du fondateur de leur
secte. Je sais d'ailleurs que dans l'ancienne
littérature sanscrite il est question d'un
jour d'une longueur extraordinaire, pendant lequel
une jeune fille cueillait des fleurs sur la
montagne ; mais je ne puis indiquer l'endroit
où j'avais lu autrefois ce mythe.
Ainsi, d'après les Indiens, les Chinois et
les Mongols, d'après les Malais de la
Polynésie, d'après plusieurs peuples
de l'Amérique-Nord, d'après les Grecs
et les Romains, le miracle de Josué aurait
été non un fait local et propre
à la seule Judée, mais un
ralentissement et une quasi-suspension de la
rotation de la terre
(28).
Josué est à l'extrême limite de
l'époque post-diluvienne. Nous fermons donc
ici l'Ancien Testament, pour examiner quelles
révolutions physiques se passaient pendant
cette même période
dans les contrées habitées par les
Gentils. Question d'une très grande
importance, et pour l'histoire de la terre qui doit
à ces crises locales la forme actuelle de
ses continents, et pour l'histoire des nations qui
se sont formées au milieu de toutes ces
catastrophes ; mais question fort difficile et
à laquelle nous ne pouvons répondre
qu'en interrogeant à la fois la
géologie, les traditions et la
géographie des animaux.
La géologie ne suffirait pas à elle
seule ; car l'époque quaternaire est
précisément « la moins
connue et celle qui a donné lieu au plus
grand nombre d'hypothèses
(29). »
Mais on a découvert, entre le diluvium et
les temps historiques, assez de côtes
soulevées (30)
ou submergées, de
montagnes nouvelles, de lacs qui ont disparu,
d'isthmes brisés, pour qu'il nous soit
permis de réunir dans un même tableau,
aux révolutions que l'on constate
directement par l'observation, celles dont nous
parlent d'antiques traditions.
Ces traditions
(31), qui sont
la principale base de notre travail, ont sans doute
une valeur très diverse et fort contestable.
Car plusieurs sont ou de simples hypothèses
imaginées pour rendre compte d'un
phénomène extraordinaire, ou des
fictions qui transforment la découverte
d'une contrée nouvelle en une récente
création, ou le résultat de la
profonde ignorance où étaient les
Anciens de la vraie forme des
continents et des mers, ou des souvenirs du
Déluge universel appliqués soit
à une simple vallée, soit à
des terres imaginaires.
Cependant il ne se peut que tant de mythes qui
parlent d'inondations, d'isthmes brisés, de
régions submergées, d'îles
nouvelles, d'éruptions volcaniques, soient
tous de pures fables.
L'esprit humain peut bien amplifier,
dénaturer des faits réels, mais non
se livrer à des imaginations qui ne flattent
point son orgueil et qui n'ont aucune valeur
poétique, philosophique ni morale.
D'ailleurs le silence absolu que la tradition garde
sur certaines localités, comme sur les
détroits qui séparent Rhodes de la
Carie, Corcyre de l'Épire, la Sardaigne de
la Corse, rend d'autant plus remarquable le langage
plus ou moins précis qu'elle tient au sujet
du Bosphore, de l'Euxin, du détroit de
Messine. Parfois même le peuple
déclare positivement que telle île
voisine des côtes a de tout temps
été une île, et que telle
autre, au contraire, a été
détachée de la terre ferme :
telles sont Wight et Anglesea.
La zoologie, enfin, nous fournit un ordre de faits
qui nous paraissent plus dignes de confiance non
seulement que les traditions, mais même que
les résultats actuels des études
géologiques. Nous voulons dire : la
présence ou l'absence de certains animaux
dans les îles. Toutefois les conclusions
à en tirer varient complètement selon
les cas. Quatre cas sont possibles ; les
voici :
1° L'île ne possède aucun des
mammifères terrestres qui peuplent le
continent le plus voisin, et l'on peut
évidemment en conclure qu'elle n'a pas tenu
à la terre ferme depuis le commencement de
l'époque géologique actuelle. C'est
le cas de toutes les îles qui sont comme
perdues dans l'Océan, c'est aussi celui des
Antilles.
2° L'île, en second lieu, est
peuplée de quadrupèdes, qui sont les
mêmes que ceux du continent. Dans les
régions polaires, ils
seront arrivés dans l'île par les
glaces : ainsi au Groenland, dans l'Islande,
au Spitzberg. Dans la zone tempérée
et dans la zone torride, il faut admettre ou que
l'île a toujours été île,
et que la nature y a produit, dans des conditions
identiques d'existence, des espèces
identiques à celles du continent voisin, ou
que l'île a fait partie jadis de la terre
ferme, dont les animaux y auront passé
antérieurement à la rupture de
l'isthme. De ces deux hypothèses, la
première a contre elle l'exemple des
Antilles qui, malgré leurs grandes
dimensions et leurs admirables richesses
végétales, n'avaient à peu
près aucun quadrupède, et lorsque la
géologie reconnaît l'existence
ancienne d'un isthme aujourd'hui détruit, et
qu'en outre les peuples se souviennent de la
révolution qui l'a brisé, nous
pouvons admettre sans crainte d'erreur que
l'île actuelle était autrefois une
presqu'île. C'est le cas de la Sicile.
3° Mais si l'île a, comme Madagascar, ou
comme la Nouvelle-Hollande, une faune
entièrement différente de celle du
continent, toutes les probabilités sont
défavorables à l'hypothèse
d'une ancienne continuité des terres. Cette
supposition devient inadmissible si les traditions
se taisent et si la géologie proteste.
4° Enfin, l'île possède à
la fois des mammifères du continent et une
faune originale. Les raisons pour et contre
l'existence d'un ancien isthme se balancent dans ce
cas fort compliqué, qui est celui de
l'archipel Indien, et c'est à la
géologie et à l'histoire de
décider, si possible, la question.
Mais tous les mammifères terrestres qui se
trouvent sur une île ne peuvent pas
indifféremment servir de preuve en faveur
d'anciens isthmes rompus, et encore ici nous devons
faire plus d'une distinction.
En premier lieu, il est certains animaux qui
accompagnent l'homme dans ses
migrations, et qui sont arrivés avec lui
jusque dans les îles les plus
éloignées. Tels sont entre autres,
dans la Polynésie, le cochon, le chien et le
rat, que les premiers navigateurs européens
ont trouvés sur toutes les îles
habitées, et que jamais on n'a
rencontrés sur celles où l'homme
n'avait pas encore mis le pied.
Parfois aussi le caprice et des motifs inconnus ont
engagé des voyageurs à transporter
dans des îles des quadrupèdes
étrangers ; c'est ainsi, à ce
qu'on assure, que les singes et les cerfs de
l'île de France et de l'île Bourbon
proviennent d'individus que des Hollandais y
avaient débarqués. Les chacals, qu'on
a retrouvés récemment dans deux ou
trois îles et sur une presqu'île de la
Dalmatie, y ont été apportés,
raconte une tradition peu certaine, par des
vaisseaux venus de l'Afrique ou du Levant.
Aux Antilles, la Martinique et Sainte-Lucie sont
infestées de serpents venimeux que les
Caraïbes, dans leurs guerres contre la race
indigène, y jetèrent jadis dans le
but de nuire à leurs ennemis.
Mais il est plusieurs mammifères terrestres,
tels que les cerfs, les sangliers, qui, sans le
secours de l'homme, peuvent traverser à la
nage de plus ou moins larges détroits. Dans
l'archipel Indien, on voit les babiroussas passer
fréquemment d'une île à
l'autre. Ce qu'un animal ne ferait pas dans les
circonstances ordinaires, il le fera dans un
imminent danger et par l'effet d'une grande
frayeur : on a vu, assure-t-on, en Corse, une
foule de sangliers, effrayés par un grand
incendie de leurs forêts, se
précipiter dans les flots de la mer et
arriver les uns sur la côte de Toscane, les
autres à Antibes.
Enfin, nous devons réserver une place aux
événements accidentels,
imprévus, improbables. C'est ainsi qu'un
jour a abordé, sur l'une des petites
Antilles, à St-Vincent,
un immense boa constrictor, qui enlaçait de
ses replis le tronc d'un arbre qui avait cru sans
doute sur les rives de l'Orénoque, et qui,
des bouches du fleuve, avait été
entraîné au loin par les courants de
la mer. On a vu arriver des tortues de la zone
torride à l'embouchure de la Loire et
jusqu'aux Orcades. Nous expliquerons par des
accidents analogues la présence de
l'hippopotame d'Afrique sur les côtes de
Madagascar, qui est séparée du
continent par un immense détroit, et quelque
glace flottante aura transporté de la
Terre-de-Feu, ou de la Patagonie, le loup-renard
sur les îles Malouines, dont il est l'unique
mammifère indigène, et où le
manque de nourriture l'a rendu plus petit, plus
maigre et plus faible qu'il ne l'est sur le
continent
(32).
Plusieurs causes se réunissent ainsi pour
faire arriver dans des îles des
quadrupèdes qu'on est, au premier abord,
fort surpris d'y trouver, et dont la
présence ne prouve ni leur aborigénat
ni l'existence d'isthmes rompus. Mais il se peut
aussi que tels animaux qui n'existent plus
aujourd'hui dans une île, y fussent autrefois
fort nombreux, et leur absence actuelle ne prouve
ainsi rien contre une continuité
antérieure des terres.
Ici nous distinguerons les petites îles et
les grandes. Telle, de peu d'étendue, a fait
autrefois, peut-être, partie du continent,
mais les habitants ont bientôt détruit
tous les quadrupèdes qui pouvaient leur
porter quelque dommage. Dans les grandes terres au
contraire, comme dans les îles Britanniques,
les bêtes sauvages se seront maintenues dans
les forêts jusqu'à une époque
assez rapprochée de la nôtre pour que
l'histoire en ait conservé le
souvenir.
Nous allons donc, reliant en un même faisceau
les faits de la géographie des animaux, ceux
de la géologie et les traditions, tenter de
reconstruire la figure de la terre ferme
après le Déluge, et noter les
révolutions locales qu'elle a subies
jusqu'aux temps historiques.
Nous commencerons par l'Afrique.
Elle tenait à l'Europe par l'isthme
de Gibraltar. C'est ce qui résulte des
faits suivants, et d'abord, de
l'élargissement progressif du détroit
actuel. Ce détroit a, de nos jours, deux
milles allemands de largeur ; il les mesurait
déjà au quatrième
siècle de notre ère, d'après
Marcien d'Héraclée ; mais Pline
ne lui donne qu'un mille et deux
cinquièmes ; Strabon, un mille et demi,
et Scylax, au second siècle avant J.-C,
trois quarts de mille.
Autrefois, de l'Europe à l'Afrique
s'étendait un banc de sable, que Pline nomme
le seuil de la Méditerranée ;
d'après une tradition carthaginoise, les
vaisseaux à fond plat pouvaient seuls le
franchir ; et Edrisi mentionne encore des
bas-fonds, qui n'existent plus.
Dans le détroit même, on ne voit
aujourd'hui qu'un écueil du nom
d'Azeitéra, ou l'île des
oliviers ; autrefois il y avait deux
îles, appelées les Colonnes
d'Hercule, où ne croissaient que des
oliviers, et dont l'une portait un temple au dieu
des expéditions lointaines. La seconde
preuve est empruntée à la tradition
qui attribuait la rupture du détroit
à l'Hercule tyrien. La date de ce fait
était, selon les savants de la Grèce,
soit celle d'Éole, et ce héros nous
reporte, comme celui de Tyr, aux premiers voyages
de découvertes que les Phéniciens ou
les Éoliens tentèrent dans la
Méditerranée occidentale, soit celle
de la rupture du Bosphore de Thrace, soit enfin
celle plus récente encore du siège de
Troie.
Les écrivains arabes placent le fait sous le
règne du roi d'Égypte Darokoun, qui
descendait de la reine Daloukah. Cette reine ne
peut être que Nitocris, qui
est la déesse des temps
diluviens (33),
et son descendant a dû
vivre plus ou moins longtemps après le
cataclysme
(34).
En troisième lieu, le cynocéphale, le
caméléon, la genette et le
porc-épic, tous quatre originaires de
l'Atlas, se trouvent, le premier à
Gibraltar, le second sur les côtes de
l'Andalousie, le troisième dans l'Espagne et
dans le sud de la France, et le dernier dans ces
mêmes pays, et, depuis quelques
siècles seulement, en Italie.
L'ours commun, qui est fort rare dans l'Atlas, et
le cerf commun, qui n'existe pareillement en
Afrique que dans la Barbarie, auront au contraire
passé d'Espagne sur le continent voisin par
l'isthme de Calpé. Enfin, les
géologues acceptent sans difficulté
l'existence de cet isthme.
Si, de l'Atlas, nous allons visiter les îles
peu nombreuses et toutes fort petites, qui sont
éparses ou groupées en archipel dans
l'océan Atlantique, nous n'y trouverons pas
les preuves que cette mer ait baigné
autrefois quelque grand continent qui se serait
abîmé dans les flots, et dont ces
îles seraient les débris ; car,
à l'exception des Canaries, elles
étaient encore désertes il y a trois
et quatre siècles, lors de leur
découverte.
À Madère, aux Açores, aux
Bermudes, dans l'archipel du Cap-Vert, les
Européens ne trouvèrent ni hommes, ni
mammifères, ni ruines antiques ; les
seuls habitants étaient un nombre prodigieux
d'oiseaux de toute espèce, surtout de
tourterelles, et dans la plupart de ces îles
une multitude aussi grande de lézards.
Lorsque Juba aborda, vers l'ère
chrétienne, aux îles Canaries, elles
étaient les unes
désertes, les autres
occupées par des peuplades qui y
étaient arrivées, sans aucun doute,
de la côte africaine. Les seuls animaux
sauvages que cet archipel nourrissait au
quinzième siècle, étaient des
lézards grands comme des chats, mais qui ne
faisaient aucun mal, et peut-être des
serpents
(35).
Nous doublons le Cap de Bonne-Espérance et
arrivons à Madagascar. Cette île, dont
la surface cependant dépasse de peu celle de
la France, forme une région physique
spéciale. Elle a sa faune et sa flore
propres, qui sont l'une et l'autre très
variées.
Au lieu de singes, douze espèces ou
variétés de makis ; point de
pangolins, mais des tenrecs ; pour chat,
l'antamba, qu'on dit de la famille du
léopard, et pour âne, le mangarsahoc,
auquel on donne d'énormes oreilles
pendantes.
Ces mammifères et tous les autres animaux
qui appartiennent à cette île, doivent
avoir été créés sur
place après le Déluge. Puis, comme on
ne les retrouve pas en Afrique, et qu'il n'existe
à Madagascar ni éléphants, ni
girafes, ni rhinocéros, ni lions, ni
hyènes, ni gnous, ni antilopes, ni
lièvres, ni chauve-souris, on est en droit
d'en conclure que cette île n'a jamais
été attenante au continent. Cependant
les faits sont encore mal constatés, et les
faunes des deux terres que sépare le canal
Mozambique, fort peu connues. L'hippopotame et
l'autruche d'Afrique vivent à
Madagascar ; son écureuil noir
existerait aussi en Abyssinie ; son ichneumon
ne serait point une espèce spéciale,
et il y a, dit-on, de vrais crocodiles dans le
grand lac Antsianaké. Il se pourrait donc
qu'un isthme dont les îles Comorres seraient
le débris, eût fait du canal
actuel de Mozambique un golfe
(36). Mais en
tout cas fort peu d'animaux avaient traversé
le pont quand il s'est écroulé.
Les petites îles de l'océan Indien ne
possèdent aucun quadrupède sauvage.
Les singes et les cerfs de l'île Maurice
(nous l'avons dit déjà), y ont
été apportés par d'anciens
navigateurs hollandais ; c'est sans doute
aussi à l'homme qu'est due la
présence des tenrecs à l'île de
France. Les îles de l'Amirauté,
Rodriguez, Roquepiz, Diego, Graciosa,
rappelèrent aux premiers Européens
qui y débarquèrent (au
seizième siècle), le paradis
terrestre plus qu'aucune contrée de la
terre. Ces îles Fortunées
étaient « couvertes jusqu'au
rivage de forêts de cocotiers et de
quantité d'autres arbres qu'arrosaient de
belles sources, et les oiseaux, en particulier les
tourterelles et les perroquets, y étaient si
nombreux qu'ils formaient constamment une
espèce de nuée, et si familiers que
les matelots les tuaient à coups de rames
(37). »
Les Maldives, simples îles de coraux, dont le
point le plus élevé n'est qu'à
six pieds au-dessus de l'eau, n'ont d'autres
mammifères que la chauve-souris
nommée renard-volant, des rats, qui suivent
partout l'homme, et quelques chats, qui sont, avec
la volaille, les seuls animaux domestiques.
Mais l'Afrique nous rappelle des côtes du
Décan vers celles de la mer Rouge et sur les
rives du Nil. Écoutons d'abord le grand
géologue qui a récemment
exploré ces contrées si importantes
en histoire.
Suivant Rusegger, au temps où se
déposaient les terrains tertiaires les plus
récents et les anciens terrains diluviens,
l'océan Atlantique, recouvrant tout le nord
de l'Afrique, formait avec la
Méditerranée un golfe
immense, à
l'entrée duquel était l'île de
l'Atlas. La partie africaine de ce golfe se
terminait vers l'orient à la chaîne
des monts Arabiques, qui sépare aujourd'hui
le Nil de la mer Rouge, et vers le midi, aux
savanes du Kordofan, du Darfour et du Borgou,
plaines arides en été, vertes et
fertiles dans la saison des pluies,
élevées de plus de mille pieds
au-dessus du niveau actuel de l'Océan.
Plus tard, soit que les terres aient
été soulevées, soit que les
eaux de l'Océan se soient retirées,
on vit apparaître, parallèlement
à la chaîne Arabique, le plateau
Libyen, qui borde maintenant à l'occident la
vallée du Nil. Ce plateau, qui est large de
trois à sept journées, commence aux
limites du désert du Darfour et du
Béhéda ; il court vers le nord
jusqu'à une distance peu considérable
de la Méditerranée, où il
tourne brusquement à l'occident, et, sous le
nom de plateau de Barca, il finit vers les
Syrtes.
À l'époque où la
géologie nous transporte, ce plateau
séparait de la Méditerranée le
golfe océanique du Sahara, et la
vallée du Nil n'était sans doute plus
recouverte par les flots de l'Océan.
Cependant les grands fleuves de l'Afrique, le
Nil-Blanc, le Nil-Bleu et les fleuves du Soudan, se
versaient directement dans le golfe africain, et
des écueils de coraux se formaient devant
les côtes escarpées du plateau Libyen,
pareils à la grande Barrière qui
s'étend sur toute la côte orientale de
la Nouvelle-Hollande.
Selon la règle commune, il a dû
s'établir dans les flots de la mer un
violent courant entre ces écueils et le
plateau Libyen. La terre fut enlevée de
cette vallée sous-marine, qui se creusa de
plus en plus et qui acquit ainsi une plus grande
profondeur que la haute-mer. Cette vallée
est aujourd'hui celle des Oasis : Siwah est
à 92 pieds au-dessous du niveau de la
Méditerranée, Bachereyn à 156
pieds, Fayoum à 11, tandis que sous les
mêmes parallèles le Nil est à
58, à 93, à 69 pieds au-dessus de
ce même niveau.
À une époque postérieure (que
nous plaçons après le déluge
de Noé), le golfe océanique devint un
lac salé, une mer Caspienne, que firent peu
à peu disparaître le
soulèvement du sol, les alluvions,
l'évaporation tropicale. Les écueils
de coraux formèrent une longue série
de collines et de petites montagnes qui courent du
sud au nord et de l'est à l'ouest,
parallèlement au plateau Libyen du Nil et
à celui de Barca ; la vallée
sous-marine a vu ses bas-fonds et ses plus grandes
dépressions se convertir en oasis, qui
doivent leurs eaux, soit au Nil par l'infiltration,
soit aux pluies d'hiver, et l'ancien fond de la
haute mer est devenu les plaines sablonneuses du
Sahara, dont la vaste surface, qui est peu
élevée au-dessus de la mer ou
à son niveau, est semée de collines
et d'enfoncements qui forment autant d'oasis.
Cependant le Nil-Blanc et le Nil-Bleu, qui se
jetaient à l'ouest dans la mer
intérieure, se sont réunis depuis que
cette mer s'est desséchée, et le
soulèvement récent des monts
porphyriques du Béhéda a forcé
le fleuve à prendre sa direction vers le
nord. Mais les monts du désert Nubien, vers
le 19°, l'ont rejeté vers l'ouest,
même vers le sud-ouest. Puis en les
contournant, il a trouvé dans le Dongola une
ouverture, le Wady Kap, par laquelle il est
entré dans la grande vallée des
oasis, qui offre encore de nombreuses et
évidentes traces du passage d'un large cours
d'eau (38) et
il se jeta dans la Méditerranée par
le lit du Fleuve sans eau, nom que porte
aujourd'hui la vallée qui du Fayoum tend
directement vers la mer. Mais le fleuve se ferma
plus tard, par ses alluvions, la route des oasis,
et se fraya enfin son chemin à l'est du
plateau Libyen au travers de
l'Égypte. Comme, de nos jours, les eaux du
Nil, pendant l'inondation, coulent du Caire par
Belbeis dans le Wadi Tumilat jusqu'au milieu de
l'isthme de Suez, on peut supposer qu'autrefois,
avant la formation de la bouche Pélusiaque,
un bras coulait de Bubaste dans la mer Rouge, et
c'est cet ancien lit que Néchao ou
Sésostris aura converti en un canal de
navigation. Les travaux de l'homme ont
dirigé pendant un certain temps une autre
partie des eaux du Nil dans le lac Moeris (ou le
Fayoum), et de là par le lit primitif dans
la mer.
Tels sont, d'après Rusegger, les changements
survenus, peu avant et depuis le diluvium, dans la
configuration du nord de l'Afrique, et plusieurs
traditions anciennes et modernes trouvent dans ces
faits géologiques une confirmation
inattendue.
Les indigènes parlent aujourd'hui d'anciens
ports et de villes ruinées qui existeraient
à l'ouest de l'Égypte, dans le
désert, et ils donnent le nom de mer
à ces mêmes contrées que
Rusegger, après Aristote
(39), dit avoir
été recouvertes par les eaux de
l'Océan.
Les Anciens avaient déjà
remarqué, non sans étonnement, dans
ces régions, la fréquence des
coquilles marines, le sel qui passait pour le
meilleur de la terre, et près du temple de
Jupiter Ammon, des arbres qu'on disait des
débris de vaisseaux naufragés. Les
voyageurs modernes ont signalé, entre
l'Égypte et Siwah, le sel et les coquilles
avec des arbres bruts
(40).
Les Égyptiens disaient à
Hérodote que le lac Moeris se
déchargeait dans la Syrte de Libye par un
canal souterrain. La vallée des oasis au
pied sud du plateau de Barca se prolonge, du Fayoum
par Siwah, jusqu'à la
grande Syrte. Il n'y aurait donc
rien d'impossible à ce que le Nil, quand il
coulait à l'ouest du plateau Libyen, se
fût bifurqué près du Fayoum, et
eût envoyé l'un de ses bras vers le
nord, par le Fleuve sans eau, dans la
Méditerranée, et l'autre vers
l'ouest, dans les Syrtes. Or les Syrtes portaient,
chez les anciens Grecs, le nom de Triton, et ce
même nom a été celui du Nil
(41).
Mais il y a plus encore : au fond de la Petite
Syrte est le lac Melgig ou Lowdeah, le Tritonis des
Anciens, dont le niveau est aujourd'hui, dit-on, de
20 ou même de 160 pieds inférieur
à celui de la mer
(42), et qui
s'étend à soixante-quinze lieues dans
la direction de l'Atlantique. Si dans des temps
comparativement récents, l'Océan a
recouvert le Sahara, et que le Sahara soit un
plateau peu élevé d'où l'on
descend vers le nord et le sud, nous sommes en
droit de supposer que l'océan Atlantique, en
se retirant de ce vaste désert, a
formé longtemps encore un golfe, sans doute
assez étroit, au pied méridional de
l'Atlas, tandis que la Syrte
méditerranéenne communiquait avec le
lac Triton. Ce lac s'étendait certainement
au loin vers l'ouest, dans une contrée qui
aujourd'hui encore abonde en petits lacs. Or
Pindare, dont les paroles ont un grand poids, dit
que les Argonautes sont revenus de l'Océan
dans leur patrie par les Syrtes (et non par le
détroit de Gibraltar, qui n'existait pas
encore ou qui du moins n'était pas encore
praticable pour les grands vaisseaux), et qu'ils
ont porté douze jours sur la terre
déserte les pièces de leur navire,
qu'ils ont rejointes sur le marais Triton.
À l'est de la région du Nil, la mer
Rouge était, à
l'époque diluvienne, un
lac salé qui était
séparé de l'océan Indien par
un isthme, peut-être fort large, et de la
Méditerranée par une simple langue de
terre. Au dire même d'Eratosthène,
l'isthme de Suez aurait été
primitivement un détroit, et n'aurait
daté que de la rupture de l'isthme de
Calpé. Mais cette supposition est contredite
par l'histoire primitive de l'Égypte et par
celle des patriarches hébreux. Ce qu'il y a
de certain, c'est qu'au temps d'Arrien, le port de
l'Égypte, au fond du golfe qui porte
aujourd'hui le nom de Suez, était Pithom ou
Héroopolis, qui est maintenant à une
moindre distance de la Méditerranée
que de la mer Rouge. Cette ville a fait place
à Kolzum, qui était port de mer au
temps d'Abulféda, et Kolzum à Suez,
qui est à cinq mille pieds plus au sud, et
dont le port, aujourd'hui comblé,
reçut en 1541 une flotte de quarante
galères et de neuf grands vaisseaux. Tant le
sable s'accumule rapidement dans le fond de ce
golfe étroit !
Au sud de la mer Rouge, l'isthme de Bab-el-mandeb,
d'après une légende populaire qui est
en vogue chez les Arabes de la contrée,
aurait été rompu par un tremblement
de terre, à l'ordre de Mahomet qui voulait
protéger les lieux saints contre les
invasions des chrétiens d'Abyssinie.
|