Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



RAFARAVAVY MARIE
(1808-1848)

Une Martyre Malgache sous Ranavalona 1re,



CHAPITRE III

Transformation soudaine

Tout en ruminant ces pensées, Rafaravavy s'approcha du coin réservé au culte des ancêtres. Il y avait là, dressé contre la paroi, un gros roseau à l'intérieur duquel était caché une petite figurine, sorte de dieu lare ; à côté, sur une petite planchette, deux morceaux de bois enduits d'huile de ricin et de miel ; enfin tout un ensemble de petites perles, de graines enfilées dans des fils de taretra et d'objets plus on moins hétéroclites.

Avec émotion et respect elle toucha l'un des morceaux de bois qui se déplaça légèrement sous la pression plus ou moins consciente du doigt. Ce petit mouvement de l'amulette fit tressaillir Rafaravavy malgré elle. Il lui sembla y voir un fâcheux présage. Elle regarda plus attentivement l'objet ainsi déplacé et crut apercevoir à son extrémité une marque de détérioration, soit qu'un ver s'y fût attaqué, soit qu'un rat eût eu l'impudence d'y mettre la dent.

Elle appela son mari, et, encore toute frissonnante de ce qu'elle avait cru constater, elle lui fit part de ses craintes. Le mari chercha à la calmer et à dissiper ses appréhensions. Comme il n'y arrivait pas, il lui offrit de consulter quelques amis compétents.
Le résultat de la petite conférence ainsi tenue fut le conseil de changer l'amulette et de s'en procurer une nouvelle toute semblable et du même bois.
Or, ladite amulette provenait d'un certain sorcier vivant à l'orée de la forêt de l'est. Lui seul pouvait savoir l'essence végétale d'où l'objet à remplacer avait été tiré.

On se mit donc en devoir d'aller trouver ledit sorcier. Comme toujours on alla d'abord consulter l'astrologue du village, afin de connaître le jour convenable pour cette expédition de toute première importance aux yeux de la famille. Il leur fut répondu qu'il était préférable de choisir un dimanche. Les esprits, en effet, avaient en quelque sorte leur emploi du temps ; ils s'occupaient des choses diverses à des moments différents. C'était, paraît-il, le vendredi qu'ils consacraient à tout ce qui concerne les nobles, aussi bien les nobles humains que les célestes. Mais comme il leur faut du temps pour réfléchir et pour transmettre leur réponse, c'est le surlendemain du jour mis à part pour un certain objet qu'il est bon de s'en mettre en quête.

Rafaravavy et son mari rassemblèrent les cadeaux qu'il leur faudrait offrir au fabricant d'amulettes, cadeaux où la tradition et les rites ancestraux avaient à être suivis de près. Le fétiche à remplacer fut soigneusement enveloppé dans un morceau de soie brune, épaisse, puis placé dans une petite corbeille, tressée d'une façon très spéciale et qui ne devait servir qu'à son transport : cette corbeille était d'ailleurs, comme le fétiche, abondamment enduite de miel et d'huile de ricin.

La veille du jour fixé pour le voyage rituel, on prêta une attention redoublée à l'observation de toutes les prescriptions religieuses. Les grands péplums blancs, dont le mari et la femme devaient se vêtir le lendemain, furent lavés avec un soin minutieux, ainsi d'ailleurs que les habits légers de dessous.

Il fallait une grande journée de marche. La résidence du sorcier était un peu au nord-est de celle abritant celui que Rafaravavy avait consulté avant la naissance de sa fille.
On partit de bon matin, avant le lever du soleil. Le temps était gris, froid ; une bruine fine et pénétrante faisait frissonner malgré eux les deux voyageurs.
Cette fois, ils n'avaient pas besoin de demander leur chemin. Car ils étaient déjà allés autrefois chez celui qu'ils allaient visiter. Ce ne fut que le soir qu'ils atteignirent le but de leur expédition.

Ils expliquèrent au sorcier ce qu'ils désiraient et montrèrent l'amulette achetée autrefois, lui demandant si vraiment il était nécessaire de la renouveler. Le fabricant d'amulettes ne répondit pas tout de suite ; il examina longuement et avec une sorte de saint respect l'objet qu'on lui présentait. Puis il feignit de se recueillir. Il n'avait garde de décourager de pareils clients et de se frustrer lui-même d'un sûr profit, mais il ne voulait pas avoir l'air pressé ni intéressé. Enfin, après quelques minutes de réflexion, il déclara qu'en effet il était infiniment préférable de remplacer l'ancien fétiche par un nouveau qui renfermerait une portion plus abondante de l'esprit protecteur ; un charme avarié voit l'esprit se retirer et, dans certains cas, peut devenir une cause d'irritation pour les dieux. Il allait donc immédiatement chercher le bois particulièrement aimé des esprits et en tirer l'amulette puissante qui assurerait à ses possesseurs toutes sortes de bénédictions. Seulement il lui faudrait un certain temps. D'ailleurs la nuit était déjà presque arrivée ; il ne pouvait plus être question pour ses visiteurs de repartir ce jour-là. Il leur préparerait donc un peu de riz pour leur repas du soir et étendrait pour eux une natte dans un des coins de sa spacieuse demeure.

Rafaravavy et son mari remercièrent avec effusion et déballèrent une partie des présents qu'ils avaient apportés. Le sorcier accepta ces cadeaux avec joie et sortit aussitôt avec une petite hachette, laissant ses hôtes s'installer sommairement.
Il revint au bout d'environ une demi-heure avec une petite bûche d'un bois dur. À peine rentré dans la case, il s'assit sur une sorte d'escabeau assez bas, et, de quelques coups de sa hachette, tailla en plein bois une pyramide grossièrement dessinée ; il la mit de côté, disant qu'il achèverait le travail le lendemain matin. La nuit était tout à fait venue, la pluie fine continuait à envelopper hommes et choses de sa pénétrante humidité. Il était bien temps de se mettre à la cuisson du repas. La femme du sorcier entra à ce moment dans la case avec une petite esclave qui portait une marmite de terre à demi pleine d'eau et de riz. Avec de l'herbe sèche on garnit le foyer ; la marmite fut posée sur un trépied de fer ; puis l'esclave se mit en devoir d'allumer le combustible préparé. Ce n'était pas une petite affaire.

Il était interdit au sorcier, en tant que représentant de l'esprit tout-puissant, de se faire aider par les autres habitants pour allumer le feu. Dans chaque village on s'arrangeait pour garder en permanence, un peu de feu entretenu sous la cendre, et, le soir, les sentiers et les ruelles brillaient des gerbes d'étincelles jaillissant des tortillons d'herbe sèche que les ménagères allaient allumer au foyer de celle qu'en savait avoir conservé du feu, et qu'elles rapportaient en courant chez elles pour en enflammer le leur. Mais la femme du sorcier ne pouvait faire comme les autres. Le feu devait chaque jour jaillir directement de la demeure chère aux dieux protecteurs. Près du foyer de cette case sacrée se trouvait une planchette sur laquelle un gros parallélépipède de bois dur reposait à côté d'un autre morceau de bois beaucoup plus petit et pointu. Dans le parallélépipède avait été creusée une sorte de petite coupe dont le centre s'abaissait un peu plus encore que le reste. L'esclave prit les, deux objets, plaça le gros bois sur une pierre plate et se mit à faire tourner rapidement le petit entre ses deux paumes, après l'avoir appuyé sur le fond de la coupe taillée dans l'autre objet. Avec une habileté déconcertante, elle parvint, ait bout de deux ou trois minutes de cet exercice, à faire jaillir une petite étincelle, qui alla enflammer un brin d'herbe placé tout à côté.
Chacun alors s'assit autour du feu. On éprouvait, réellement le besoin de se chauffer, tellement l'humidité ambiante avait refroidi l'air de la pièce.

Pour produire une chaleur plus sérieuse et surtout plus rayonnante, la femme du sorcier, à un moment donné, se baissa et ramassa les grands copeaux et les éclats de bois que son mari avait abandonnés au milieu de la chambre, après avoir commencé à tailler l'amulette qu'on venait de lui commander. Elle les jeta peu à peu dans le foyer qui se mit à pétiller et à répandre tout à l'entour une douce chaleur, propre à délier les langues. Et, durant l'heure d'attente nécessaire à la cuisson du repas, ce fut toute une suite de récits sur les ancêtres, les esprits, les merveilles attribuées aux amulettes ou à certains fétiches renommés.

Le repas lui-même se passa dans un silence relatif, manger est une opération importante, une sorte de communion nouvelle avec la source de l'existence, et il faut l'accomplir avec décence.
Comme les deux voyageurs sentaient leurs yeux s'appesantir de fatigue après leur longue route au milieu d'un brouillard presque ininterrompu, ils demandèrent l'autorisation de s'étendre sur la natte qu'on leur avait préparée et s'endormirent rapidement.

Le lendemain, ils se réveillèrent d'assez bonne heure, car il leur fallait reprendre le chemin du retour. Le sorcier avait travaillé un peu la veille au soir, et avait aisément achevé, dans la première heure de la matinée, l'amulette désirée. On lui paya le nombre de piastres demandé, en y ajoutant un cadeau supplémentaire, et l'on se sépara avec d'interminables formules de politesse et de souhaits de longue vie.

Revenus chez eux, les deux époux mirent à la place accoutumée le nouveau fétiche, heureux de leur expédition et confiants dans la protection qu'ils attendaient de l'esprit censé habiter le morceau de bois payé si cher.

Peu de jours après leur retour, un ami vint les visiter et leur donna quelques nouvelles de la ville. Déjà les exécutions ordonnées au moment de l'accession de Ranavalona au trône avaient cessé de défrayer les conversations. Le malgache est assez fataliste pour oublier rapidement les événements les plus tragiques.
« Mais qu'en est-il de ces faiseurs de baptêmes ? demanda Rafaravavy. Y en a-t-il encore ? Ne les a-t-on pas emprisonnés ou exilés ?
- Pas que je sache, répondit l'interlocuteur. Je n'en connais pas. Mais on racontait au marché qu'il y en avait toujours, et que même ils augmentaient en nombre. Ils s'étaient terrés un instant, au moment même de l'avènement de la reine, mais, depuis, rassurés par le silence que le gouvernement gardait à leur sujet, ils continuaient leurs pratiques, se réunissaient le dimanche dans une case, à Ambatonakanga, où on les entendait chanter des airs étrangers et où ils devaient se livrer à des actes dangereux contre les dieux et les ancêtres...
- Pourquoi ne les en empêche-t-on pas, s'écria Rafaravavy scandalisée ? Qu'attend donc la Reine pour agir ?
- Ah bien ! voilà, c'est qu'en fait, d'après ce qu'on murmure sous le manteau, il n'y aurait pas accord parfait en haut lieu. Autour de Ranavolamanga (1), deux partis se disputent l'influence. Il y a les amis de Rainiharo, un des principaux gardiens de Rakelimolaza, que l'idole consultée a, paraît-il, choisi comme conseiller de la Reine, et qui entre de plus en plus dans ses bonnes grâces. Mais il y a aussi les amis de Andriamihaja, qui a beaucoup aidé la Reine à la mort de Radama. Il a été, comme vous le savez, nommé chef de l'armée à la place de l'officier européen Brady, et a exercé jusqu'à ces derniers temps une très grande influence sur la souveraine. Seulement, la haine de Rainiharo et de son frère Rainimaharo augmente, et de mauvaises rumeurs se répandent de tous côtés. Andriamihaja vient d'épouser une des petites épouses de Radama, en dépit de la défense de la Reine, et Rainiharo l'aurait accusé de trahison. Quand je suis parti, on s'attendait à des événements graves. Il faut que l'un des deux partis l'emporte.
- Pour moi, conclut Rafaravavy, c'est Rainiharo qui a raison. Car ne dit-on pas qu'Andriamihaja est précisément partisan des idées nouvelles, et qu'il est plus ou moins ouvertement le défenseur des étrangers auprès de la Reine ? »

Quelqu'un, à ce moment, entra dans la maison et la conversation dévia aussitôt sur des sujets moins palpitants.

Tsinjoarivo : résidence royale près des chutes de l'Onivé

De fait, quelques jours après, une terrible tragédie se déroulait dans le palais.
Effrayée par les accusations précises portées contre son favori, Andriamihaja, que Rainiharo savait à peu près sûrement être le père véritable de l'enfant que Ranavalona avait mis au monde plus d'un an après la mort de Radama 1er, la Reine consulta les sorciers, qui conseillèrent de faire boire le tangena (2) à l'accusé.

Celui-ci demanda des explications. Il avait déjà été soumis à cette pratique ordalique au moment de sa prise de service, en même temps que les autres officiers de la Reine, et l'esprit que l'on supposait résider dans le fruit vénéneux l'avait déclaré innocent. Pourquoi douter de nouveau de lui ? Il voulait, d'ailleurs, qu'on lui dise, en conformité avec la coutume toujours suivie en semblables circonstances, le nom de son ou de ses accusateurs.

Ceux-ci ne laissèrent pas entrer dans le palais l'envoyé de leur ennemi. Ils déclarèrent simplement à Ranavalona qu'Andriamihaja refusait de se soumettre à l'épreuve rituelle, ce qui prouvait surabondamment sa culpabilité. Ils avaient eu la précaution de servir le matin à la Reine de copieuses rasades d'eau-de-vie, et ils eurent vite fait de lui arracher une sentence de mort contre Andriamihaja. Ils dépêchèrent sur l'heure quatre de leurs subordonnés, qui s'armèrent de couteaux en traversant le marché et se ruèrent dans la maison du condamné. Celui-ci s'attendait à des événements tragiques et causait, parait-il, de sa mort prochaine, avec un ami chrétien. Il indiqua lui-même aux meurtriers l'endroit précis de son corps où ils devaient frapper. Quelques jours avant, il avait consulté un astrologue, qui lui avait annoncé qu'il mourrait de mort violente, mais lui avait conseillé, pour détourner le mauvais sort qui le menaçait, de monter à califourchon sur un boeuf, en portant sur la tête un vase rempli de sang et d'en arroser la tête de l'animal tout en marchant, puis de chasser la bête dans un endroit désert. La précaution fut prise, mais ne servit à rien.

Peu de temps après la conversation que nous avons rapportée plus haut, Rafaravavy en eut une autre qui eut des conséquences infiniment plus importantes pour elle, conséquences qui tinrent de l'extraordinaire et presque du miracle, étant données les convictions païennes si accusées qu'elle avait toujours manifestées.

À la suite de circonstances, que les documents que nous avons pu consulter ne précisent point, Rafaravavy vit un jour entrer chez elle un jeune visiteur qu'elle devait certainement connaître, sans cela, le jeune homme n'aurait probablement pas osé lui parler comme il le fit. Était-il un parent éloigné, ou un compagnon d'enfance ? Impossible de le savoir, mais il a bien fallu quelque relation de ce genre pour expliquer et la visite et surtout l'entretien auquel elle donna lieu.

Rafaravavy devait se douter que les idées du jeune homme en face de qui elle se trouvait n'étaient pas absolument semblables aux siennes. Peut-être quelque allusion de ce dernier lui avait-elle fait dresser l'oreille. Toujours est-il qu'elle se mit à aiguiller la conversation sur le sujet brûlant des coutumes ancestrales et des attaques lancées contre elles par quelques écervelés assez dénués de sens pour se laisser troubler par les sortilèges de ces gens au visage pâle venus d'au-delà des mers.
Son interlocuteur vit tout de suite qu'il perdait son temps à vouloir heurter de front, par des arguments rigoureusement déduits, les opinions si enracinées de sa partenaire.

Il préféra sortir, caché sous son vêtement de dessous, un de ces petits volumes nouvellement imprimés par les missionnaires anglais, et qui étaient pour certains Malgaches un objet de profond émerveillement, et pour d'autres, de véritable terreur. Ceux qui avaient eu à la fois l'audace et l'occasion d'apprendre l'art mystérieux de la lecture en éprouvaient un sorte de ravissement, voire un peu d'orgueil. Mais le reste du peuple n'y voyait que de la magie, du caractère le plus dangereux.

Rafaravavy, en voyant le livre, eut d'abord un mouvement d'effroi. Il était la démonstration de l'état d'esprit nouveau de son visiteur. Elle s'attendait a cette révélation, elle la pressentait, mais la lumière, jaillissant soudain et révélant crûment ce qu'elle redoutait, la jeta, au premier moment, dans une agitation qu'elle eut peine à réprimer.

Enfin, ses lèvres s'ouvrirent et, dans une sorte de sifflement plus ou moins distinct, elle lança ces mots :
« Depuis quand, malheureux, suivez-vous les Européens ?
- Mais je ne suis pas, en réalité, les Européens. Le Dieu que ces derniers m'ont appris à connaître est aussi bien le Dieu des Malgaches, puisque c'est le Dieu de tous les humains. Ne croyez aucune des fables que l'on colporte sur ceux qui, comme moi, ont reçu une lumière nouvelle. Nous sommes et restons des membres de notre peuple : nous voulons servir la Reine, et notre seule pensée est de contribuer au bien du pays.
- Mais, interrompit Rafaravavy, les Européens ne vous ordonnent-ils pas de blasphémer contre les dieux de la contrée, contre les idoles royales et contre Zanaharitsimandry en particulier, notre dieu protecteur à nous, Zanakandrianato (3).
- Détrompez-vous ; nous ne suivons pas une doctrine de haine, mais d'amour. Nos directeurs européens nous enseignent à travailler pour les autres en aimant le seul Dieu véritable. Évidemment, nos yeux se sont ouverts au contact de la vérité et nous avons été obligés de constater que les idoles auxquelles vous vous confiez n'ont pas la puissance que vous croyez. Que je vous lise, d'ailleurs, les paroles contenues dans ce livre que j'ai ici et qui renferme les indications du Dieu Créateur lui-même, Dieu que nos ancêtres ont vénéré sous le nom de Zanahary. »

Et, ouvrant son livre, il lut ces mots, tirés du prophète Esaïe (chap. 44, versets 9, 13-16, 18-19) :

« Les faiseurs d'idoles ne sont tous que néant et leurs plus belles oeuvres ne servent à rien... Le charpentier étend le cordeau ; il marque le bois avec le crayon ; il le façonne avec le ciseau ; il en fait une figure d'homme pour le loger dans une maison. Il va couper un bois dur, qu'il choisit parmi les arbres de la forêt... Ce bois servira à l'homme pour allumer le feu ; il en prend et il se chauffe. Il en fait aussi du feu pour cuire son repas ; il en fait également un dieu et se prosterne devant lui ; il en fait une idole et il l'adore. Il en brûle au feu la moitié : avec cette moitié, il prépare sa viande ... ou bien il se chauffe... Ces gens ne connaissent rien ... Aucun d'eux ne rentre en lui-même ; aucun n'a le bon sens et l'intelligence de dire : « J'en ai brûlé la moitié au feu ; j'ai cuit mon repas sur les charbons, et avec le reste, je ferais une idole ! »

Rafaravavy avait écouté cette lecture, d'abord avec une irritation croissante, et s'apprêtait à protester violemment et même à menacer le lecteur de toutes les foudres divines et terrestres. Mais voici que ce qu'elle entendait fit tout à coup jaillir en son esprit la vision de la case du sorcier près de la forêt, de leur entrée par une soirée plus que fraîche, du foyer pétillant, des copeaux de bois jetés par la femme du sorcier, du repas cuit avec les restes de la bûchette dans laquelle le fétiche, encore placé à côté d'elle, dans sa propre demeure, avait été taillé, et, arrêtant soudain son visiteur, elle lui dit avec une émotion singulière :
« Mais étiez-vous avec nous chez Rainibototelolahy, il y a quelques semaines, ou quelqu'un de votre connaissance nous a-t-il vus et vous a-t-il rapporté ce qui s'est passé chez lui ?
- Je ne connais pas cet homme dont vous parlez, et personne ne m'a rien raconté à votre sujet. Je n'avais même nulle intention de discuter de semblables questions avec vous. C'est vous qui avez aiguillé notre conversation dans cette voie ; mais c'est à mon sens ce Dieu que je sers, le seul Dieu vraiment existant, qui m'a guidé dans le choix de ce passage, puisqu'il semble, sans que j'y sois personnellement pour rien, vous toucher particulièrement. »

De plus en plus agitée, Rafaravavy se mit alors à raconter à son visiteur la manière dont elle avait acquis la nouvelle amulette, qu'elle prit sur la planchette pendue au mur, et qu'elle montra au jeune chrétien. Sa main tremblait ; dans son esprit s'agitaient des pensées étranges et confuses, son coeur battait presque douloureusement. Il lui semblait que le sol même se dérobait sous ses pieds. Pendant un assez long moment, il lui fut impossible de parler.

Enfin, prenant une résolution subite, elle demanda à son interlocuteur de lui expliquer davantage ses idées. Il y consentit volontiers, et très simplement, s'appliquant surtout à appuyer tout ce qu'il disait de textes précis tirés des portions des Écritures qu'il possédait, il fit une sorte de petit cours sur les points fondamentaux du christianisme, avec tant d'à-propos et de sérieux que, l'une après l'autre, les objections de Rafaravavy tombèrent et qu'elle dut se raidir contre une impulsion presque irrésistible qui la portait à s'associer au plaidoyer chaleureux en faveur du Dieu des chrétiens, qui sortait de la bouche de son visiteur.

Elle ne se rendit pas ce jour-là. D'ailleurs, tout était si nouveau pour elle, elle comprenait encore si mal ce qui se passait en elle ! Pendant quelques jours, elle fut dans un état d'esprit tout à fait extraordinaire. Ses pensées se heurtaient et se livraient de véritables combats. Elle ne trouvait rien de sensé à répondre aux arguments avancés par le jeune chrétien qui avait commencé l'éclairer. Mais toutes ses habitudes d'autrefois, tout ce trésor de traditions accumulé par ses ancêtres et où jusque là elle avait puisé sans y réfléchir, et qu'elle avait cru et avait de la peine à ne pas croire nécessaire à l'existence de la tribu et de la nation, la tiraient puissamment en arrière.

Elle n'osait d'ailleurs pas s'ouvrir de ses préoccupations à son entourage. Elle s'efforçait, autant qu'elle le pouvait, et sans y arriver complètement, à réfréner ces pensées nouvelles et à demeurer calme et indifférente, tant qu'elle était en présence des autres membres de la famille.

Deux ou trois fois son mari, la surprenant dans une sorte de méditation muette, l'avait fait tressaillir en lui, posant à brûle-pourpoint une question trop directe. Et c'était comme un peu d'épouvante qui de temps à autre agitait son coeur en songeant à ce qui arriverait si, par hasard, ce que pour le moment elle n'osait envisager, elle était amenée à renier ce qui avait été jusque là pour elle une nécessité vitale, et à déclarer aux siens qu'elle était vaincue par l'Esprit des Européens. Elle était un peu comme un voyageur au bord d'un abîme dont elle faisait effort pour se détourner, et qui l'attirait malgré elle.

Elle finit par aller retrouver le jeune homme qui l'avait visitée afin de lui demander des explications supplémentaires et des éclaircissements. Elle se disait que peut-être ce serait elle qui l'éclairerait ; mais elle sentait, au fond, que ce dernier espoir n'avait pas, beaucoup de fondement.

Dès le second entretien avec le jeune chrétien, elle se trouva, en effet, de moins en moins sûre d'elle-même et de plus en plus agitée et troublée.
La nuit suivante, elle revit en rêve la case du sorcier et revécut pour ainsi dire cette soirée passée là-bas, près de la forêt. Et il lui sembla dans son rêve voir, derrière le fabricant d'amulettes taillant son fétiche, une figure éthérée, à la fois moqueuse et triste. Et se réveillant elle ne put retenir cette exclamation:
« C'est le Dieu des faiseurs de baptême qui m'appelle et me répète lui-même les paroles du livre. »

Et, cette fois tout à fait subjuguée, elle se leva de sa natte, s'habilla rapidement et revint chez son ami, lui avouant son rêve et l'interprétation qu'elle en donnait.

Le néophyte n'eut pas de peine à la persuader tout à fait. Rafaravavy sortit de sa demeure décidée à aller, sur le conseil de celui qui l'avait amenée à chercher la vérité, vers un des membres les plus instruits et les plus zélés du groupe de chrétiens malgaches.
Elle profita pour cela du jour de marché à Tananarive. Il lui fut aisé, ce jour-là, au milieu du va-et-vient des acheteurs, de se séparer un instant des siens, absorbés par la contemplation des éventaires étalés sur le sol, et de courir à l'adresse indiquée où on l'attendait : le visiteur de Rafaravavy avait prévenu d'avance. Depuis ce jour-là, elle fut chrétienne.

Seulement elle remit à plus tard le moment de se déclarer ouvertement disciple du Dieu d'amour. Ce qui lui paraissait le plus difficile, c'était d'informer les siens du changement qui s'était fait en elle. Il lui fallait d'ailleurs elle-même s'habituer à sa nouvelle situation. Elle allait un peu comme dans un rêve ; tantôt toute illuminée d'une joie intérieure qui dépassait son entendement, elle s'avançait pleine d'enthousiasme vers sa nouvelle vie ; tantôt, au contraire, tournant malgré elle son esprit vers le passé et encore plus vers le présent qui l'entourait encore et la tenait par mille petites fibres résistantes et tenaces, elle semblait vouloir reculer devant les luttes inévitables, terribles qu'elle pressentait.
Elle se sentait d'ailleurs très seule. Elle était relativement loin de la ville et ne pouvait guère s'y rendre que le vendredi, au jour du grand marché.

En y réfléchissant, elle finit par arriver à la conclusion qu'il lui faudrait habiter en ville, afin de trouver du secours auprès d'autres chrétiens, et afin aussi d'apprendre à lire. C'étaient les paroles du livre inspiré qui avaient en fait amené sa transformation presque soudaine. Il lui fallait pouvoir aller puiser elle-même à cette source vivifiante,

Premier temple-école à Tananarive (Ambodin Andohalo)

Son mari possédait une petite case à Ambatonakanga dans laquelle ils couchaient quand ils avaient par hasard à demeurer plus d'un jour dans la capitale. Et c'était dans ce quartier d'Ambatonakanga que le missionnaire anglais Jones venait d'ouvrir un modeste lieu de réunions, le second établi en ville, Rafaravavy persuada habilement à son époux d'aller occuper cette demeure, sous le prétexte que leur fille grandissant, il leur fallait essayer de gagner plus d'argent, et pour cela se livrer en ville à un commerce lucratif, ce qui ne les empêcherait pas, d'ailleurs, d'aller soigner leurs champs et leurs rizières au temps favorable.

Une vieille porte à Tananarive

 Il sentait bien qu'il devait y avoir quelque autre chose là-dessous, car, au fond, ils avaient de quoi vivre, et la perspective de cette activité nouvelle ne lui souriait qu'à moitié ; mais sa femme se fit si enveloppante qu'il accepta. Il fut dès lors aisé à Rafaravavy d'approcher les missionnaires et de s'instruire.
Intelligente, elle fit de rapides progrès, et bientôt elle fut capable de chercher elle-même dans une portion du Nouveau Testament qu'elle avait pu se procurer les passages de nature à la fortifier dans sa foi.


La prière des premiers chrétiens

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(1) Proprement, la Ranavolana bleue, c'est-à-dire, magnifique, toute-puissante.

(2) Tangena ou tanguin, noix vénéneuse que les accusés devaient manger pour prouver leur innocence.

(3) Un des clans d'Andrianes, c'est-à-dire des nobles malgaches.

 

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