Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



RAFARAVAVY MARIE
(1808-1848)

Une Martyre Malgache sous Ranavalona 1re,



CHAPITRE II

En pleines ténèbres

Durant tout le temps de son attente, on redoubla chez Rafaravavy de précautions dans l'observation des fady. Du matin au soir, c'était chez elle et chez les siens une véritable tension d'esprit. La maison avait été fouillée de fond en comble pour en enlever tout objet ébréché, cassé, non terminé. Les repas étaient l'occasion d'un redoublement d'attention, car, selon la sagesse antique, manger du riz mal cuit, ou quelque légume non suffisamment amolli par son séjour dans la marmite, pouvait causer la perte des espérances d'une jeune femme.

Rafaravavy avait dû s'abstenir d'à peu près tous les soins du ménage ; les heures auxquelles elle pouvait sortir de chez elle étaient strictement limitées. Certaines visites, spécialement celles, à des parents en deuil, lui avaient été absolument interdites. Enfin, tous ces longs mois en dépit du bonheur futur entrevu, avaient été à certains égards un temps de véritable épreuve.
D'ailleurs les dons aux gardiens d'idoles avaient augmenté dans de très fortes proportions. Il était nécessaire en pareil cas de se montrer très généreux ; et comme déjà, en temps ordinaire, la famille de Rafaravavy ne lésinait jamais sur un pareil article, on peut se figurer à quelles largesses se montèrent leurs offrandes. On ne se contenta pas de porter quelques volailles aux devins de la région ; on distribua les piastres abondamment de tous côtés.

Enfin, le jour arriva où les prodromes de l'événement tant attendu se manifestèrent d'une façon non équivoque. On s'était assuré, dès longtemps, des services d'une sage-femme experte qui avait elle-même indiqué des devins à aller voir et des pratiques particulières à observer.

La sage-femme est une personne d'importance au pays rouge ; elle est aux yeux des païens plus ou moins investie d'une charge religieuse. C'est une demi-prêtresse, puisqu'elle possède les secrets de l'entrée des êtres humains dans l'existence. On l'appelle inpampivalona, c'est-à-dire « celle qui fait vivre ». Aussi tous ses conseils sont-ils suivis avec la plus grande ponctualité !
La sage-femme, qui était une amie de la famille, savait à l'avance par le menu tout ce qu'avait fait la future mère, l'ayant pour ainsi dire suivie jour après jour. Aussi, contrairement à l'habitude, elle ne lui posa guère de questions. Elle se contenta de voir si tout avait bien été préparé dans la chambre suivant les recettes de son art spécial, si le lit, ou plutôt le matelas, entouré de ses nattes, le cachant à la vue de tous, était bien placé suivant la direction voulue, et si tout avait été organisé suivant ses ordres. Tout se déroula, d'ailleurs, du mieux possible.

Peut-être y eut-il chez les parents, et plus encore chez la majorité des membres de la famille qui remplissaient la demeure pour la circonstance, une assez grande déception quand la sage-femme annonça que le petit être accordé par les dieux aux instantes prières de tous était une fille. Toute femme malgache préfère un garçon, surtout pour son premier-né.
Un fils est salué par le vieux dicton : Tera-dahy ka hilevina ao an-dingiringim-bato. (Un garçon nous est né, on nous enterrera sur une pierre haut élevée). Pour une fille on murmure mélancoliquement : Tera-bavy ka hilevina any an-tsola-bato. (Parents d'une fille, on les couchera au tombeau sur la pierre glissante d'en-bas).
Pourtant mieux vaut avoir une fille que rien du tout et Rafaravavy étreignit avec amour le petit être qui lui était donné.

Huit jours après la naissance eut lieu la très importante cérémonie du bain, véritable rite de purification, où l'on ne devait se servir pour chauffer l'eau ou pour plonger le corps de l'enfant que d'ustensiles n'ayant jamais servi, et où la façon de frotter et d'essuyer le nouveau-né était soumise à des règles très précises.

Une fois le bain de l'enfant et aussi celui de la mère terminé, le père courut de nouveau chez l'un des devins de la région, celui que l'on avait le plus souvent consulté avant la naissance.
Il s'agissait de savoir le meilleur jour pour exécuter cette autre cérémonie importante, à savoir la première sortie de l'enfant.

Il y eut, de la part du mari de Rafaravavy, présentation de nombreux cadeaux, longues salutations et explications préliminaires ; puis de la part du devin félicitations plusieurs fois répétées, questions diverses posées et assurance de son complet concours. Après cela, l'homme de l'art fit sauter ses graines, sacrées, les retira deux par deux de sa main, en mettant soit la dernière paire restante, soit la graine unique demeurée dans le creux de sa paume, sur l'une des cases de son damier mystique. Quand il eut de la même manière rempli toutes les cases dudit damier d'une ou de deux graines, il se mit à comparer entre elles les figures formées, et à en tirer l'horoscope de la nouvelle-née, puis détermina le jour favorable pour la première sortie.
L'époque indiquée se trouva assez proche, et l'on n'eut que le temps de convoquer le ban et l'arrière-ban des parents et amis.

Le jour arrivé, toute une procession sortit de la maison paternelle. Ouvrant la marche, un groupe de parents proches portait avec ostentation des objets symboliques. En premier lieu, un grand morceau de la soie brune épaisse dont on fait les linceuls, rappelant la fragilité humaine, et destinée en une certaine mesure à apaiser le génie de la mort en lui montrant qu'on se souvenait, dans cette fête de la vie, de sa douloureuse puissance. Derrière l'homme au symbole funèbre, un autre avait dans ses mains un panier, fermé de son couvercle, dans lequel avait été serré un riche lamba, symbole de fortune et souhait d'un riche mariage. Enfin, une parente toute proche portait sur la tête une boîte contenant un peu de fil de coton, quelques épines de laretra (sorte d'aloès), les seules aiguilles alors en usage, et une navette à tisser, tout cela comme une espèce de prophétie des différentes besognes que plus tard la nouvelle-née, devenue jeune fille, accomplirait à son foyer.
Le cortège parcourut le village et fit sept fois le tour de la case paternelle, au son du tambour et des battements de mains. Puis, de retour, et arrivé de nouveau à la maison, il reçut les félicitations de toits les voisins.

D'autres cérémonies suivirent. C'est ainsi qu'à la fin du troisième mois après la naissance, on procéda solennellement à la première coupe des cheveux de l'enfant. Là encore, tout le ban et l'arrière-ban des parents et des amis fut convoqué ; des montagnes de victuailles préparées et de nombreux cadeaux offerts aux sorciers de la région. On suivit avec soin tous les rites compliqués ordonnés par la tradition, et l'or ! n'épargna aucun sacrifice pour contenter les voisins, les amis, toits les assistants et surtout les esprits des ancêtres supposés participer d'une façon invisible à toute la fête (1).

À quelque temps de là, un orage de grêle vint endommager une partie des rizières de la contrée. Grand émoi parmi tous les habitants qui se précipitèrent plus que jamais chez les gardiens d'idoles et les astrologues ! On voulait savoir comment apaiser les dieux irrités. Certains membres de la tribu toutefois parlaient de faire retomber sur les sorciers et les représentants des fétiches la responsabilité de l'accident survenu aux récoltes : ils avaient dû négliger quelque rite, ou peut-être s'approprier une partie des objets donnés aux idoles. Une réunion des hommes de la tribu fut convoquée pour discuter la question. Le mari et le père de Rafaravavy furent parmi les plus chauds défenseur des dieux jusque là vénérés et de leurs intermédiaires humains. Dans le feu de la discussion, ils offrirent une somme relativement considérable pour acheter ce qui serait nécessaire aux cérémonies propitiatoires à accomplir.

Dès le lendemain, il leur fallut vendre les provisions qu'ils avaient chez eux et ramasser tout l'argent coupé (2) disponible pour remplir leur voeu. Rafaravavy avait précisément mis de côté deux morceaux de piastre coupée pour acheter la nourriture du lendemain. Elle dut verser cette petite somme pour le sacrifice en perspective, et, durant deux ou trois jours, toute la famille fuit obligée de se contenter d'un peu de manioc et de quelques bananes, jusqu'à ce qu'on eût réussi à emprunter il un intérêt usuraire de quoi attendre la récolte suivante. Mais toits supportèrent sans murmurer ces privations, tant était ardente leur foi dans la puissance des fétiches et des sortilèges.

On était alors au printemps de 1827. Radama 1er s'apprêtait à quitter sa capitale pont, aller visiter la côte est. Andrianjaza l'accompagnait et avait dû justement, avant le fameux orage de grêle, dépenser une partie de ses ressources pour s'équiper et préparer une sorte d'escorte formée par des gens portant le titre d'aides de camp.

Radama 1er dans son costume national

Au moment du départ de l'expédition projetée, on ordonna de tous côtés au peuple de demander aux dieux leur protection pour ceux qui y devaient participer. Ce fut encore là pour Rafaravavy et les siens une nouvelle occasion de s'endetter pour se procurer et procurer à Andrianjaza, leur père, la faveur des ancêtres.

Malgré tout le déploiement des sacrifices et des rites. l'expédition se termina dans l'angoisse. Radama avait trop fêté les Européens rencontrés durant son long séjour de plusieurs mois, à Tamatave, et, quand il revint à Tananarive, à la fin de l'année, il était en un état de santé fort précaire, état qui alla en s'aggravant rapidement. En juillet 1828, il mourut subitement, à peine âgé de 36 ans.

Pendant quelques jours, les serviteurs intimes du roi cachèrent la mort de leur souverain. Ils voulaient préparer l'accession au trône de l'héritier désigné, Rakotobé, fils de la soeur aînée de Radama. Ils savaient qu'ils rencontreraient de grandes difficultés. Un parti influent regardait à Ranavalona, une des épouses du roi, fille d'un homme qui avait sauvé autrefois la vie d'Andrianampoinimerina, et princesse de la plus farouche énergie. Mais les précautions prises par les partisans de Rakotobé se retournèrent contre eux. Ranavalona profita du délai qu'on lui laissait pour agir et devancer ses adversaires.

Un jeune homme qui avait été promu au titre de « sixième honneur » (3) par Radama pour avoir accepté, sur le désir du roi, de se mesurer en duel avec un autre individu, avait pu saisir une partie des conversations des deux principaux officiers, partisans de Rakotobé, et apprendre avant tout autre la fin prématurée du roi. Il en avait informé Ranavalona, et cette dernière promit aussitôt à deux autres officiers du rang de colonel, originaires du même pays qu'elle, de les mettre à la tête de l'armée et de leur conférer l'immunité judiciaire s'ils consentaient à l'aider à monter sur le trône. Ils acceptèrent sa proposition et coururent chez les juges et les gardiens des fétiches royaux qu'ils amenèrent, par de riches présents et de généreuses promesses, à se ranger à leur parti. Bafozehana, chef de l'armée de Radama, fut contraint, sous menace de mort, de faire de même, et l'exécution rapide de quelques opposants mata les dernières résistances.

Case royale dans laquelle Ranavalona 1re a été sacrée reine.
Habitée auparavant par Andrianampoinimerina

Bientôt les nouvelles les plus émouvantes se répandirent dans la campagne. On se raconta sous le manteau les terribles événements survenus à la mort du roi Radama, le meurtre de Rakotobé, de Ratefy son père, de sa mère et de plusieurs autres parents du roi défunt. Les faits eux-mêmes étaient suffisamment dramatiques, mais les narrateurs y ajoutaient souvent de terrifiants détails. Les villages étaient d'ailleurs sillonnés d'espions et ce n'était qu'entre amis sûrs et toutes portes closes, qu'on osait colporter ce qu'on avait pu savoir.

Au milieu même de ces rumeurs d'ordre politique, d'autres, d'un tout autre ordre, couraient aussi les places publiques et les demeures privées.
On avait appris d'une façon plus ou moins vague que, depuis sept à huit ans, des Européens venus de régions mystérieuses, d'aucuns disaient même nés de l'écume des vagues, avaient apporté des arts nouveaux et enseigné des choses étranges. Radama leur avait montré une grande faveur ; par contre, les partisans de la tradition et du culte ancestral en étaient profondément irrités. Et chez Andrianjaza avaient surtout retenti de véritables imprécations contre ces blancs qui, par leurs paroles et leurs enseignements, tendaient à troubler les gens et à soulever le ressentiment des ancêtres ; imprécations qui se faisaient encore plus virulentes contre ceux des Malgaches qui avaient osé suivre les doctrines de ces étrangers. On les considérait comme de véritables traîtres.

Toutes les sottises que débitaient les gardiens d'idoles en ville se répandaient et se grossissaient dans la campagne. On était presque partout intimement persuadé que Jéhovah et Jésus étaient les ancêtres des Blancs et que les adorer c'était comme changer de patrie, sortir du milieu social malgache et amasser, par cela même, des menaces angoissantes sur le peuple tout entier.

Comme Rafaravavy les haïssait, ces Européens qu'elle n'avait jamais vus ! Comme elle frémissait à l'ouïe des blasphèmes qu'on leur prêtait et comme elle s'étonnait de l'attitude de Radama vis-à-vis d'eux ! Évidemment, c'était le roi qui avait reçu, en montant sur la pierre sacrée d'Imahamasina, l'esprit des ancêtres et dont la parole devait être respectée à l'égal de celle d'un dieu. Il ne pouvait se tromper. Mais, comme tout ce qu'on lui avait raconté, soit dans le village, soit le soir autour du foyer familial, lui avait paru incompréhensible !

Il y avait, parait-il, des Malgaches en ville et même dans quelques rares villages aux alentours, qui se réunissaient le dimanche pour invoquer les ancêtres des Blancs, qui méprisaient les fady, s'interdisaient d'aller porter de la graisse ou du sang de poulet sur les pierres sacrées, et, parfois, allaient jusqu'à se moquer des fétiches, les traitant de simples morceaux de bois, bons à brûler.

Gardiens d'idoles

Et chose plus extraordinaire, ces blasphémateurs avaient jusqu'ici échappé à tout châtiment, soit de la part du Gouvernement, soit de la part des dieux eux-mêmes. Les gardiens d'idoles ne disaient-ils pas que tout contempteur des coutumes religieuses suivies par les ancêtres était sûr de se voir atteint de toutes sortes de maux ? Or, ceux-là les négligeaient ouvertement, cyniquement ; personne pourtant ne disait qu'ils fussent plus malades ou moins heureux dans leurs affaires que d'autres. On prétendait même que certains chefs, restés, quant à eux, fidèles observateurs des cultes nationaux, les recherchaient parfois comme employés, les déclarant plus honnêtes, plus loyaux et plus zélés que les autres.

Vraiment Rafaravavy se perdait au milieu de toutes ces contradictions. Mais sa colère contre les spectateurs des nouvelles idées ne faisait que s'accroître du fait de ses hésitations et de ses incompréhensions mêmes.
On disait d'ailleurs que la nouvelle reine allait mettre ordre à tout cela, et que, sous son règne, les dieux ancestraux ne seraient plus laissés en butte aux blasphèmes du premier venu. Les gardiens des idoles royales avaient, en effet, pris fait et cause pour elle et avaient déjà fait des déclarations caractéristiques.


Table des matières

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(1) Nous croyons utile de reproduire ici le récit que nous avons fait ailleurs d'une cérémonie semblable. Il fera entrer en partie le lecteur dans l'atmosphère de la vie malgache d'autrefois.

Tout le monde est enfin réuni. Une servante apporte un grand plateau de bois ovale, avec un côté légèrement relevé, tel que tous ceux dont on sert pour vanner le riz. Quatorze petits tas de riz y ont été disposés en cercle. Sur le riz on a mis une sorte de hachis composé de graisse de boeuf, de patate écrasée, de miel, et d'un peu de bouse de vache.
On a choisi avec soin le personnage qui doit couper les cheveux - ses parents doivent être encore vivants. Si l'un d'eux seulement était mort, cela pourrait entraîner à bref délai la mort du père ou de la mère de l'enfant. Le mpisikidy a été consulté, afin de savoir si son destin n'était pas contraire à celui de l'enfant.
On lui apporte deux paires de ciseaux toutes neuves. Il en prend une de la main gauche. Les parents se tiennent de chaque côté de l'enfant. On leur coupe à chacun une mèche sur le côté gauche, avant d'en couper aussi une sur le côté gauche de l'enfant.

Une esclave apporte une grande feuille de bananier ; on déchire un filament sur le côté gauche de la feuille placée en face de l'opérateur. On plie ce filament, on en fait une sorte de cuillère où ou verse du miel : on y mélange les cheveux qu'on vient d'enlever.
Les ciseaux sont placés en travers de la cuillère improvisée, et ou porte le tout dehors pour l'enterrer sous le seuil de la porte.
L'opérateur s'avance et lance quelques imprécations : « Désormais toute mauvaise influence est écartée, s'écrie-t-il, toute cause de maladie pour l'enfant a été enterrée avec ces cheveux pris au côté gauche. » Le côté gauche, en effet, est celui du malheur ; c'est pour cela, qu'en temps ordinaire, il est absolument interdit de commencer la tonte d'un enfant par la gauche : les ciseaux s'imprégneraient de vertu malfaisante et l'enfant en resterait maladif.

L'opération se poursuit. De la main droite cette fois, le coiffeur de circonstance saisit la deuxième paire de ciseaux, s'approche de nouveau du père et de la mère, leur enlève à chacun une mèche prise sur le côté droit de la tête, en fait de même pour l'enfant.
Il découpe sur le côté droit de la feuille de bananier une lanière qu'il transforme en cuillère comme précédemment. On y verse du miel, on y mélange les cheveux coupés. Alors, se dirigeant vers le seuil, l'opérateur invoque l'esprit créateur : « Que toute bonne influence, que toute vertu heureuse vienne maintenant reposer sur la tète de notre enfant. »

Mais cette bénédiction ne suffit pas. Un autre parent a été choisi pour donner à ces premiers voeux prononcés une force nouvelle. Lui aussi doit avoir ses parents vivants. Quand l'invocation de l'opérateur est terminée, il commence la sienne : « Puisse cet enfant, dont nous coupons aujourd'hui les cheveux, être gardé contre toute folie, contre tout entêtement ridicule et contre tout mouvement de colère ; puisse-t-il toujours honorer ses parents, vivre en bonne intelligence avec eux et avec toute sa famille ; et que dieu l'accompagne et le préserve de tout danger et toute mauvaise pratique ! »

Alors les assistants reprennent en choeur : « Que le Créateur le protège et le favorise ! »

L'opération elle-même est reprise. Cette fois les ciseaux vont chercher les cheveux du dessus de la tête. Une fois ceux-ci coupés, on les divise en 14 petits paquets, après y avoir ajouté quelques brins tirés de la chevelure maternelle.
Chacun des paquets est inséré avec soin dans les boules de riz et de graisse préparées sur le plateau de bois dont nous avons parlé tout à l'heure.

Rapidement alors l'opération s'achève. L'opérateur doit être assez habile pour couper les cheveux de l'enfant sans jamais repasser deux fois au même endroit. Se tromper à cet égard serait nuire à l'enfant et le rendre ou maladif, ou difficile de caractère.
Il existe quelques prescriptions assez curieuses au sujet de cette coupe de cheveux.
Il paraît que, si l'enfant a le malheur aussitôt tondu, de jeter un regard sur un miroir ou sur un métal poli, son caractère s'en ressentira toute sa vie : il demeurera extrêmement entêté.

Quelques-uns prétendent, il est vrai, qu'en tout temps rien n'est plus dangereux que de présenter une glace à un enfant : il n'y va de rien moins que de la perte de la vue.
Il serait aussi fâcheux qu'une personne aux cheveux crépus (il n'y a guère que les esclaves d'origine africaine qui soient affligés de ce défaut) passât la tête à la fenêtre au moment de l'opération, elle transmettrait à l'enfant son genre de chevelure.

Quand les cheveux sont enfin coupés, chacun prend place sur une des nombreuses nattes étalées pour la circonstance, afin de procéder au repas de fête. Les jeunes filles et les jeunes femmes sont toutes anxieusement serrées autour du fameux plateau où se profitent les quatorze petits tas graisseux renfermant les débris de la chevelure de l'enfant.

Elles attendent pourtant patiemment qu'un signal soit donné avant de se précipiter sur ce hors-d'oeuvre d'un nouveau genre, et d'un aspect si peu appétissant.
Malheur, en effet, à celle qui ne pourrait contenir sa main et saisirait une des portions préparées avant le temps fixé. Elle agirait a contre-fin de son désir. Car ce que recherchent toutes ces femmes, qui dévorent déjà des veux le contenu du plateau, c'est l'espoir d'une postérité future à la plus brève échéance possible. Or la stérilité irrémédiable serait le châtiment de la malheureuse trop pressée.
Aucune personne attendant un bébé ne doit d'ailleurs participer a cette lutte spéciale. Elle serait victime du plus triste accident.
Le signal attendu consiste dans l'élévation par l'un dés assistants du plateau fatidique.
Mais, avant cela, il faut que l'enfant ait pris son premier repas substantiel. C'est en effet à partir de ce moment que les aliments ordinaires des grandes personnes peuvent lui être donnés. Heureusement pour ces pauvres petits êtres, que le riz est la base de l'alimentation malgache, et que c'est en même temps une substance de digestion facile.
D'ailleurs l'enfant n'est pas réellement sevré ; il continue à téter souvent pendant plusieurs années. Le docteur Ranaivo cite le cas d'un garçon qui allait encore puiser au sein maternel à l'âge de 10 ans révolus. Il s'agit plutôt, dans ce premier repas, (l'une sorte de délivrance d'un tabou jusque là en activité. Avant cette opération, la viande ou le riz eussent fait mourir le bébé par suite du jeu de ces multiples influences mystiques qui entourent tout être humain, et qui obligent à mille précautions rituelles diverses. Après la cérémonie, il n'est plus de même ; ces aliments nouveaux ne lui sont plus fady (tabous)

La mère prend son enfant, s'installe avec lui à la place d'honneur choisit un des meilleurs morceaux, c'est-à-dire, suivant le goût malgache, le plus gras, en détache une boule de graisse qu'elle mâche avec soin et qu 'elle dépose ensuite dans une cuillère pleine de riz. Par trois fois elle fait avaler une bouchée semblablement préparée à l'enfant, tout en prononçant une invocation à peu près en ces termes : « Puisses-tu toujours avoir du riz en abondance ; puisses-tu toujours pouvoir te rassasier de la graisse des boeufs, et puisses-tu rester jusqu'au bout fort, puissant et exempt de maladie. Que le dieu Créateur veuille nous entendre aujourd'hui ! »

C'est une fois ce voeu terminé que le plateau de bois petit s'élever au-dessus du cercle des aspirantes à la maternité. C'est alors une véritable lutte qui se produit, chacune des assistantes voulant saisir le plus possible de la mixture capillaire. Plus on en pourra manger, et plus l'espérance pénétrera avec force dans le coeur de l'heureuse favorisée.
Il y a d'ailleurs une fiche de consolation pour celles qui n'ont pas été assez habiles, ou auxquelles le destin n'a pas été assez favorable. Une tige de canne à sucre est apportée dans la pièce et c'est à nouveau à qui en conquerra la plus grande portion.
Dans un coin de la pièce, à l'une des places d'honneur, se tenait celle qui avait fourni du lait à l'enfant le jour de sa naissance. La fête serait manquée si elle n'était pas là. Elle assure par sa présence un heureux destin à celui qu'elle allaite.

Quand tout le monde eut satisfait son appétit et que les morceaux de victuailles accumulées eurent été englouties, chacun s'en fut chez soi, non sans avoir, au préalable, longuement remercié les hôtes pour leurs préparatifs et leurs largesses.

(2) A cette époque, ou découpait en fragments de diverses grosseurs les piastres (pièces de cinq francs), et ces fragments servaient de monnaie courante.

(3) Une des dignités de la cour des rois malgaches.

 

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