Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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RAFARAVAVY MARIE
(1808-1848)

Une Martyre Malgache sous Ranavalona 1re,



CHAPITRE PREMIER

Vie païenne

En 1809 ou 1810 mourait, à Tananarive, Andriananipoïnimerina, le prince qu'on a pu appeler à juste titre le fondateur du véritable royaume hova. Bien des princes s'étaient succédé avant lui, mais c'étaient plutôt des roitelets locaux dont l'autorité se limitait à d'étroites régions. Son arrière-grand-père, Andriamasinavalona, avait bien réuni sous son sceptre une assez grande partie de l'Imerina. Mais lui-même avait partagé son royaume entre ses quatre fils, et ce ne fut qu'Andrianampoinimerina qui put, cent ans après son aïeul, rassembler de nouveau en un seul bloc les petites principautés créées avant lui, et dont les rivalités continuelles empêchaient le développement réel de la puissance hova.

Andrianampoinimerina fut, dans son genre, un véritable homme d'État. Il développa l'agriculture, le commerce intérieur de Madagascar, il conquit, par les armes ou par d'habiles alliances, une bonne partie de la grande île. Mais il n'eut pas la bonne fortune d'entrer en contact avec la civilisation européenne.

Sous son règne, l'écriture demeura à peu près inconnue en lmerina. Un tout petit nombre de sorciers antaimoro (1), connaissant les caractères arabes, arrivèrent à sa cour vers 1800 et furent employés comme des sortes de rédacteurs des archives royales. Mais ils ne répandirent pas leur art, considéré comme sacré.
Deux ou trois fonctionnaires hova parvinrent seuls à s'assimiler cette science si nouvelle et d'apparence si mystérieuse. Inutile d'ajouter que le paganisme continua à courber la population sous son joug avilissant.
C'est pourtant vers la fin de ce règne célèbre que naquirent ceux et celles qui devaient, 25 ou 30 ans plus tard, donner leur vie en témoignage de leur attachement à l'Évangile, en particulier Rafaravavy Marie dont nous allons brièvement raconter l'histoire.

Un certain jour de l'année 1808, dans la grande case de bois au toit pointu s'élançant vers le ciel, où demeurait un important serviteur de la Cour, Andrianjaza, homme influent de la tribu des Mandiovats, on vit arriver en hâte une femme guidée par un des esclaves d'Andrianjaza et qu'on paraissait attendre avec la plus grande impatience.
Quand elle entra dans la pièce centrale, cette dernière était occupée par toute une assemblée : on avait en effet appelé en hâte les parents habitant dans les environs, et tous ceux qu'une impérieuse nécessité n'avait pas retenus chez eux s'étaient empressés d'accourir à l'invitation.

Depuis neuf mois la femme d'Andrianjaza avait obéi ponctuellement à toutes les prescriptions que l'antique sagesse malgache ordonne aux futures mères de respecter. Jour après jour, sa vie avait été minutieusement réglée. Elle s'était levée de bonne heure, avait redoublé d'activité dans la maison, pour qu'à l'heure de la délivrance son organisme eût la vigueur requise. Elle s'était d'ailleurs abstenue de certaines besognes qui, d'après les idées ancestrales, auraient nui à l'enfant attendu, pêche, balayage, ou lavage dans l'eau courante.
Sa nourriture, surtout pendant les derniers mois, avait été l'objet d'une attention suivie : tant d'aliments étaient interdits par la coutume aux personnes dans sa position qu'elle n'avait pour ainsi dire rien pris en dehors du riz, cuit à l'eau et sans sel.

Elle avait passé par bien des moments d'angoisse, croyant toujours avoir contrevenu à quelqu'une de ces interdictions dont la vie païenne est comme enveloppée, mais dont le caractère d'urgence se renforce singulièrement pour celle qui attend de la faveur des dieux une postérité nouvelle.

D'ailleurs, on était très attaché aux rites ancestraux dans la famille et la demeure d'Andrianjaza. Et chaque journée avait vu, durant la longue attente, se dérouler dans la case familiale des sacrifices de sang de poulet devant les grands bambous, à l'intérieur desquels étaient enfermées les amulettes sacrées d'où dépendait le bonheur du logis et de ses habitants. Plusieurs fois par mois, quelque membre de la famille était allé consulter le sorcier du voisinage et lui porter des cadeaux de plus en plus abondants. Il fallait faire montre de générosité quand on attendait un enfant. Donner en rechignant, ou ne pas porter assez de présents, aurait rendu l'enfant attendu borgne ou boiteux. On était même allé à une demi-journée de distance demander aide et assistance à l'esprit de Manjai-bola et de Tsiafakarivony, dans la grotte d'Isoavina, où cet esprit était censé résider et rendre ses oracles.

L'entrée de la dite caverne était peu visible, cachée au milieu d'un éboulis de roches, entassées d'assez pittoresque façon. La grotte elle-même n'était qu'une fente dans le roc ; sauf en certains endroits, il était difficile de monter deux de front. Le sol était couvert de grosses pierres de toutes formes et de toutes dimensions, qui rendaient la marche pénible, d'autant plus que la déclivité et l'humidité ajoutaient encore à la difficulté du passage. Les consultants devaient d'abord s'avancer sans lumière, assez loin, jusqu'à un détour du souterrain, puis s'écrier : « Manjai-bola est-il là ? Tsiafakarivony est-il là ? », et attendre la réponse. Cette dernière obtenue, il fallait, avec deux silex, obtenir l'inflammation d'un peu d'herbe, puis d'un morceau de graisse de boeuf. Ainsi éclairés, les suppliants s'avançaient jusqu'à une petite rigole, où ils s'accroupissaient durant des heures, attendant le bon plaisir du dieu, qui donnait son avis par la bouche d'un gardien, dont la fantaisie s'accordait libre cours et se faisait indulgente ou sévère, suivant la valeur des cadeaux apportés.

La sage-femme entrée dans la maison d'Andrianjaza (c'était elle qu'on avait appelée d'urgence), avait inspecté les lieux, fait découvrir tous les ustensiles, les paniers, les caisses se trouvant dans la case, demandé a tous les assistants de déboutonner ou de desserrer tous leurs vêtements, s'était livrée à toutes sortes de gestes et d'actes symboliques, comme, par exemple, de faire jeter une petite navette de tisserand par-dessus, le toit de la maison, enfin, avait fait boire à la patiente toute une mixture compliquée, formée de sept ou huit plantes différentes, de crevettes, de museau de boeuf, etc.

Au moment voulu, l'enfant était né, salué par les cris de joie de la famille. Seulement, une déception non équivoque se marqua sur le visage du père. Il avait espéré un fils et ce n'était qu'une fille.
Il avait heureusement déjà d'autres enfants ; il eut vite réprimé son premier mouvement d'ennui.

La mère, déjà, n'était plus jeune. Ses nouvelles espérances l'avaient même un peu surprise. Chacun pensait donc bien que cette enfant n'aurait plus ni frère ni soeur plus jeune. On ne lui donna pourtant pas tout de suite son nom définitif de Rafaravavy (la dernière fille).

Pour détourner toute mauvaise influence, pour ôter aux esprits errants toute idée de venir tourmenter la nouvelle-née, il fallait avoir l'air de ne pas s'occuper d'elle, de la considérer comme un objet négligeable. Pendant des mois, elle ne fut donc pour les siens que la petite lkala, c'est-à-dire, au fond, la petite femelle, qu'on ne paraissait même pas devoir distinguer, par un nom spécial, de la poule picorant autour de la case, ou de la génisse encore non sevrée, dont on ne s'inquiétait que pour la rentrer le soir dans la fosse au bétail.

Toute l'enfance de Rafaravavy se passa comme celle de la plupart de ses compagnes. Aucune éducation réelle ; on ne s'inquiéta nullement de développer son esprit. La seule chose dont on ne cessât de se préoccuper fut de l'instruire du plus grand nombre possible des interdictions religieuses que chaque adorateur des idoles ancestrales doit observer avec le plus grand soin.
On lui apprit à ne pas, se coucher sur le côté en mangeant, pour ne pas affaiblir ses propres parents ; à ne pas chanter en se frappant les lèvres ou la gorge avec les doigts, ce qui aurait sûrement amené la disette la plus grave chez les siens ; à ne pas, autant que possible, jouer avec la terre, non par souci de propreté, mais uniquement pour ne pas produire de gerçures aux pieds ; à ne pas écraser sous son pied des grains de riz cuit pour ne pas attraper la syphilis. Jour après jour, heure après heure, Rafaravavy se heurta à quelque prescription nouvelle, qui d'abord l'étonnait, puis l'inquiétait, suscitant chaque fois en elle une crainte plus envahissante. Les jeux d'apparence les plus innocents lui furent successivement défendus, toujours pour des raisons tirées de cet arsenal de rites et de coutumes qui forme le fond de la vie païenne.

Une pierre sacrée dans la campagne

Son père l'emmenait de temps à autre sur une montagne des environs, montagne toute pelée, rocailleuse, solitaire, au sommet de laquelle se dressait une pierre, luisante de la graisse des sacrifices. Là, Andrianjaza, après avoir égorgé un poulet avec un morceau de silex, en répandait le sang sur le monolithe en invoquant les esprits des quatre vents et ceux des douze collines sacrées. Dans ces rites primitifs, Rafaravavy saisissait quelque chose de mystérieux que personne ne pouvait réellement lui expliquer et qui ne faisait qu'augmenter encore cette vague appréhension dans laquelle elle vivait continuellement. Dans ses jeux ou dans ses occupations quotidiennes, elle passait sans cesse du rire éclatant de l'insouciance à la sourde angoisse de l'être qui se sent traqué par des puissances mauvaises.

Elle gardait au coeur l'espérance qu'à force de pratiques accomplies elle arriverait à apaiser ces esprits ancestraux si acharnés à nuire ; toutefois, elle n'en était pas bien sûre, et en devenait de moins en moins assurée à mesure qu'elle grandissait. Elle découvrait presque chaque jour tant et tant d'actes dont il fallait s'abstenir, tant et tant d'événements pouvant entraîner avec eux les pires catastrophes, qu'il lui arrivait de douter de la possibilité de se protéger efficacement. Dans son imprécise détresse, elle ne trouvait, presque inconsciemment, qu'un répit : c'était de penser le moins possible et de se laisser entraîner, sans chercher à réagir, au gré des circonstances.

Les seuls rayons de lumière dans son existence, c'était les jours de liesse où sa famille, mêlée à toutes celles de la région, fêtait l'idole locale ou manifestait son respect des morts en allant assister à l'ouverture des tombeaux et à la promenade des cadavres, au son des tambours et des claquements de mains. Ces cérémonies du retournement des morts durent en général quarante-huit heures et sont l'occasion de véritables orgies. Les danses succédaient aux danses et prenaient à la fin une allure frénétique. Les libations devenaient de plus, en plus abondantes, les mouvements se faisaient de plus en plus désordonnés et, presque chaque fois, tout se terminait par des scènes scandaleuses.

Tombeaux dans la forêt avec le pieu funéraire orné de crânes de boeufs

Rafaravavy, enveloppée de cette débauche dans laquelle on ne lui avait appris à voir qu'une sorte de manifestation de l'esprit invoqué par les hommes, avait fini par en jouir. À quatorze ans, il ne lui restait plus rien à apprendre. Une jeune fille pure était quelque chose d'à peu près inconnu autour d'elle.
Cela d'ailleurs ne l'empêcha pas, quelques mois après, d'être recherchée en mariage par un homme de bonne famille, qui avait remarqué son visage respirant la santé, ses longues tresses noires et l'élégante façon dont elle savait se draper dans son grand lamba blanc.

Les pourparlers de mariage et les fiançailles ne prirent pas beaucoup de temps. Les parents de Rafaravavy avaient une certaine fortune. Le soupirant pouvait aisément apporter aux parents de celle qu'il désirait prendre pour femme le nombre de boeufs suffisant. D'autre part, l'astrologue, préalablement consulté, n'avait vu aucune incompatibilité entre les destins des deux jeunes gens. On pouvait donc conclure l'union.

Rafaravavy s'était laissé faire. Elle désirait se marier, comme toutes ses compagnes. Elle n'avait pas d'autre idéal. Elle désirait d'ailleurs avoir des enfants. Elle ne fit aucune difficulté d'accepter l'époux qu'on lui présenta, et auquel les graines sacrées du devin consulté s'étaient manifestées favorables. Quelques beaux cadeaux, bracelets, colliers, étoffes, l'avaient, au reste, disposée, ou tout au moins résignée, à l'acceptation de la demande faite par un jeune homme de sa caste, que ses parents avaient agréé comme gendre.

Elle vécut tout d'abord de la vie qu'elle avait vu vivre à ses parents. Elle eut ses fétiches domestiques. Elle alla graisser les pierres dressées, répandre du sang de poulet sur les rochers sacrés, porter des restes de volaille à certaines sources ou au pied de certains arbres. Ce qu'elle avait surtout vu dans le mariage, c'était la perspective d'avoir des enfants ; chez la femme malgache, la fibre maternelle est très heureusement développée, et entourer avec amour de ses bras et de ses soins une, frêle créature, don inappréciable de l'esprit divin, est pour elle la suprême félicité.

La première année du mariage se passa malheureusement sans que l'événement désiré répondît à l'attente des époux, ni même se fît pressentir. On avait pourtant eu soin, avant de conclure l'union de Rafaravavy et de son mari, de s'assurer que leurs destins s'accordaient. Aucun mariage, d'ailleurs, ne se contractait autrefois, et ne se contracte encore aujourd'hui dans les familles restées païennes, sans cette indispensable précaution. Le destin de chacun est déterminé en très grande partie par le jour de sa naissance, et les mystères de l'astrologie malgache ne permettaient pas certaines alliances, qui auraient été rendues ou stériles ou funestes par le heurt de deux destins opposés. Un jeune homme né sous le signe d'Alahamady, c'est-à-dire dans les trois premiers jours d'un mois lunaire, n'aurait jamais pu être autorisé à convoler avec une jeune fille venue au monde sous le signe d'Adimizana, c'est-à-dire durant les quinzième, seizième et dix-septième jours du mois. Même incompatibilité entre les quatrième ou cinquième jour et les dix-huitième ou dix-neuvième, ou encore entre les sixième ou septième, et les vingtième ou vingt et unième, etc.


Élevée dans ces principes ancestraux immuables et dans la vénération des devins, qui lui semblaient les gardiens nécessaires de la tradition sacrée, sur laquelle reposaient le bonheur et l'existence même dit peuple, Rafaravavy n'avait jamais consenti à transgresser en quoi que ce soit les prescriptions religieuses et sociales devant lesquelles tous les siens s'inclinaient avec respect et terreur. Elle se souvenait trop d'une scène qui s'était passée chez un de ses proches parents, assez riche propriétaire de la région où elle était née.

Une esclave encore jeune, et qui avait parfois joué avec Rafaravavy, avait un jour mis au monde un enfant le onzième jour d'un mois, jour placé sous le destin d'Alahasati. Or le parent de Rafaravavy, maître de l'esclave en question, était lui-même né en Adalo, c'est-à-dire au 25e jour du mois. Le jour de l'accouchement de l'esclave, Rafaravavy s'était trouvée en visite chez son parent et avait été témoin de l'émoi et de l'agitation qui avait régné dans la maison. On avait vite cherché dans les environs une autre esclave ayant eu depuis peu un enfant et appartenant à un maître né sous un autre destin, et on lui avait confié l'enfant nouveau-né, en lui faisant bien promettre de ne jamais le laisser entrer dans la maison. La mère eut beau gémir et supplier, il avait absolument fallu qu'elle se séparât de son enfant : on lui avait fait observer que c'était déjà une grande faveur pour elle qu'on n'eût pas tué cet enfant et qu'on se fût contenté de le faire vivre ailleurs. Quelques jours après, les parents de Rafaravavy s'étaient entendus avec le maître de la nourrice donnée au fils de l'esclave en question, pour expédier loin du village, dans un autre domaine, la dite nourrice et son nourrisson.

Rafaravavy s'était donc mariée sous les plus heureux auspices, au moins astrologiquement parlant, et pourtant, l'enfant désiré ne semblait pas devoir venir.
Dès le début de leur seconde année de vie domestique, les deux époux se décidèrent à avoir recours a toutes les pratiques en usage, supposées capables de favoriser la réalisation des voeux d'une jeune femme.

Ils s'en allèrent graisser la grande pierre plate qui se dressait près de la place du marché ; ils portèrent des poulets à d'autres rochers, où certains esprits étaient censés résider et les arrosèrent du sang encore chaud des bêtes sacrifiées, en invoquant les hôtes mystérieux de ces demeures de pierre. Ils visitèrent aussi certaines pierres dont la configuration pouvait suggérer l'idée de la fécondité, et s'exercèrent à lancer de loin dans leurs fentes les graines de l'arbre sacré.

Toutefois ces pratiques, suivies par tous et par toutes, ne leur suffirent pas. C'étaient, nous l'avons dit, de fervents adorateurs des idoles et des dieux ancestraux. Les voilà donc, un beau jour, partis à la recherche d'un devin célèbre qu'on leur avait dit habiter non loin de la forêt de l'est, à une grande journée de marche de leur village. En demandant leur chemin aux uns et aux autres, ils finirent par trouver celui qu'ils voulaient consulter.

Il habitait une grande case en bois, très supérieure comme construction à toutes celles de la région. Les poutres de soutien du toit étaient taillées dans un bois de fer absolument inaltérable ; à l'intérieur, les solives, les encadrements de fenêtres étaient du plus beau palissandre.

Pierres fétiches ou de souvenir

La pièce spacieuse renfermait un assez joli assortiment d'escabeaux de toutes dimensions et, dans le fond, un grand lit de bois sculpté. Dans le coin nord est, à la place d'honneur, un grand tambour, lui aussi orné sur ses flancs de figures géométriques en relief, et, à côté, une grande boîte rectangulaire d'un bois très foncé, reluisant d'une couche souvent renouvelée du mélange consacré de miel et d'huile de ricin.

Le devin exerçait dans toute la contrée une très grande influence. Ses sortilèges, d'après la renommée qui avait débordé les limites de sa tribu, protégeaient le pays contre une foule de fléaux : grêles, sauterelles, sécheresse, etc. Il connaissait le secret des diverses maladies qui pouvaient faire souffrir les hommes, et quelques cadeaux judicieusement choisis, apportés dans sa demeure selon les rites appropriés, procuraient une guérison à peu près certaine, à moins que le patient ou ses amis n'eussent consciemment ou inconsciemment transgressé quelques-uns des innombrables fady (2) dont est faite la vie du Malgache primitif.

Troublés par la célébrité du devin, les deux époux ne purent s'empêcher de trembler en arrivant devant sa case, et, avant de demander la permission d'entrer, ils s'arrêtèrent un assez long moment, s'examinant l'un l'autre pour voir si rien dans leur tenue, leur coiffure ou le port de leur lamba ne s'était dérangé et ne menaçait d'indisposer l'idole ou son gardien.
Enfin, leur émotion surmontée, ils frappèrent à la porte de la case en demandant, par de nombreuses, répétitions du terme consacré, la permission d'entrer.
Après quelques moments d'attente, ou leur répondit de l'intérieur qu'il leur était permis de pénétrer dans la demeure du fétiche et de son officiant.

Idoles et fétiches malgaches

Ils entrèrent, s'assirent modestement près du seuil, et attendirent, enveloppés jusqu'au-dessus du nez de leur lamba blanc.
C'était à l'interprète de l'idole à parler le premier ; et sa dignité lui interdisait toute précipitation. D'ailleurs, qu'est-ce que le temps pour un Malgache ?

Enfin l'heure vint ou le devin daigna faire attention à ses nouveaux visiteurs. Il commença la conversation en leur adressant de longues salutations auxquelles il fut répondu aussi longuement. L'entretien continua en se maintenant longtemps dans le cercle des banalités, ordinairement échangées entre gens qui n'ont rien à se dire. Il en arriva enfin à une question plus précise sur l'objet de la visite. Après bien des circonlocutions, le mari de Rafaravavy finit par exposer son désir et celui de son épouse.
Le devin, en réponse, s'enquit de ce que les visiteurs avaient apporté pour se rendre le dieu favorable. Rafaravavy et son mari avaient bien fait les choses. Outre une assez grande quantité de riz et de poulets, ils offraient quelques piastres roulées dans un morceau d'étoffe.

Les présents étant jugés suffisants, le devin se mit en devoir de consulter, le sort, ce qui exigea une grande heure. La réponse fournie par les dessins que constituèrent les graines sacrées sorties successivement de la main du sorcier était en somme favorable. On pouvait espérer que les esprits des ancêtres accueilleraient avec, faveur la requête des époux. Il ne restait qu'à aller apporter en certains lieux désignés d'autres sacrifices de graisse et de sang de poulets et, naturellement, à se garder de tous les gestes innombrables interdits par la tradition.

Les époux ne manquèrent à aucune des prescriptions du devin et, de fait, à quelques mois de là, Rafaravavy put se réjouir de la perspective de devenir bientôt mère, à la grande joie de toute la famille.


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(1) Tribu du Sud de l'île.

(2) Fady ou tabou, interdiction sacrée.

 

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