Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Oeuvres de Rabaut-Saint-Etienne




LE VIEUX CÉVENOL

CHAPITRE XV.
Nouvelle aventure d'Ambroise. 

Qu'est-ce que cet attachement que nous avons pour la contrée où nous sommes nés, auquel on donne le nom imposant d'amour de la patrie? Si nous regrettons les lieux où nous avons pris jadis des amusements dont le souvenir nous est agréable, n'est-ce point que l'homme, mécontent du présent, aime à regretter le passé, par la même raison qui lui fait aimer les projets et les espérances pour l'avenir? Se plairait-on à se rappeler les plaisirs, d'ailleurs assez insipides, de son village ou de sa petite ville, les maisons, les champs, les bois que l'on a parcourus dans sa jeunesse, si l'on était véritablement satisfait de sa situation actuelle? Je ne sais quelle inquiétude agite sans cesse les hommes, et les promène ainsi de désirs en désirs; mais ce ressort puissant, en faisant le malheur d'un très-grand nombre d'individus, donne à la société de l'activité, du mouvement et de la vie.

Un empereur persan fit assembler un jour, dans une vaste plaine, tous les sujets de sa capitale; il fit publier ensuite ceci par un héraut:
«Humbles sujets du rois des rois, votre sublime et tout-puissant empereur vous fait savoir qu'il a appris par ses devins, que le plus riche trésor de la terre est caché dans cette plaine, et il vous a tait assembler ici pour le chercher. Les plus magnifiques  récompenses sont destinées à celui qui le trouvera; la rosée des faveurs impériales pleuvra sur  lui, et le miroir de la majesté du prince réfléchira sur cet heureux mortel des rayons, dont le reste des sujets ne pourra soutenir la splendeur. 
Cherchez donc ce trésor précieux; mais les devins ont déclaré qu'il faut le trouver avant que le soleil ait parcouru les deux tiers de sa lumineuse carrière.» 

Quand le héraut eut fait silence chacun, encouragé par l'espoir de trouver le trésor, se mit à le chercher avec beaucoup
d'ardeur. L'empereur, assis sur un trône élevé, s'amusait à voir les postures diverses de tous ces hommes; les uns creusaient la terre avec leurs ongles, d'autres avec leurs épées, leurs couteaux ou leurs poignards; et tous travaillaient avec une constance infatigable. Enfin le temps prescrit s'écoula, et personne n'avait trouvé le trésor. L'empereur fit faire silence, et le héraut prit la parole: 
«Sujets du plus grand des monarques, apprenez la grande leçon que votre roi vient de vous donner. Le trésor que vous venez de chercher, c'est le bonheur, qu'aucun de vous n'a pu trouver. Vous avez fait, durant ce jour, ce que vous faites pendant toute votre vie: vous avez cherché le trésor qui n'existe pas; et je me suis moqué de vous, comme le grand Oromaze se rit des projets, des désirs et  des folies de tous les hommes.» 

Après ce peu de paroles, on servit à cette multitude un magnifique  festin; les viandes les plus exquises furent prodiguées; les sorbets délicieux furent distribués avec autant d'ordre que d'abondance: deux cent mille flambeaux ayant remplacé la lumière du soleil, on dansa jusqu'au jour, et chacun se relira chez soi, très-résolu de chercher encore le bonheur.

Ce mécontentement du présent a, dit-on, une influence plus sensible dans l'atmosphère de Londres: Ambroise l'éprouva: il avait le spleen; et dans ses accès de mélancolie, il regrettait sa petite ville, ses coteaux qui l'entourent, le torrent pierreux qui baigne ses murs, et les prairies qu'il avait foulées dans sa jeunesse. Il ne put résister à l'envie de voir son pays, malgré tout ce que firent pour l'en détourner, ses amis, et cette troupe de réfugiés dont la ville était remplie. Il leur répondait que, depuis son absence, le sort de ses frères était fort adouci; que le flambeau de la raison, à laquelle nous donnons le nom plus imposant de philosophie, répandait sur toute la France une lumière éclatante; que les Français étaient tous des sages; que l'on parlait d'humanité et de tolérance dans tous les livres et dans tous les journaux; et que tout annonçait que son pays était devenu fort tolérant et fort humain. En conséquence de ce raisonnement, Ambroise s'embarqua à Douvres, plein d'impatience de revoir sa chère patrie. Il est aisé de comprendre qu'on ne le reconnut plus dans sa petite ville; son habillement servait encore à le déguiser. C'était alors la mode en France de porter les tailles longues et les grands chapeaux; et les Anglais, pour nous narguer, avaient pris des tailles courtes et de petits chapeaux, que nous adoptâmes l'année d'après, ce qui les engagea à les quitter eux mêmes. 
L'équipage d'Ambroise annonçait l'opulence sans faste et sans éclat, et cette magnificence d'un homme qui jouit pour soi, sans s'embarrasser de ce qu'en pensent les autres.

CHAPITRE XVI. 

Observations d'Ambroise; il se dispose à retourner à Londres. 

On comprend aisément que, dès que Ambroise fut arrivé chez lui, ses premiers soins furent de s'informer de ses parents; il apprit qu'il ne lui restait que deux soeurs, dont la cadette avait pris le voile. Cette nouvelle affligea tellement Ambroise, qu'il ne put se résoudre à la voir; et cet éloigne ment, quelque ridicule qu'il puisse paraître aujourd'hui, doit être du moins pardonné à notre Cévenol, par l'horreur qu'il dut avoir conçue pour les couvents, et contre tout ce qu'ils renfermaient. Cependant, quoique sa soeur aînée se fût aussi rendue catholique, l'amour fraternel l'emporta sur toutes les considérations étrangères, et il résolut de l'aller voir; mais il prit, pour paraître devant elle, l'extérieur le plus simple qu'il lui fut possible.

Mademoiselle Borély parut donner à cette visite tous les signes du plaisir le plus pur: mais, trompé par l'habillement d'Ambroise, elle lui déclara qu'elle était catholique; et que, s'il prétendait venir recueillir les restes des successions de ses différents parents, elle saurait mettre en vigueur les déclarations du roi, et lui prouver qu'il était frustré de tout héritage (
1). 

Ambroise, pénétré d'indignation, sortit, et ne revit plus sa soeur, quelques instances qu'elle fit dans la suite pour le revoir, quand elle eut appris sa fortune. Après avoir séjourné quelque temps dans sa patrie, Borély crut s'apercevoir que la tolérance qu'on y élevait jusqu'aux nues n'était qu'un mot; que les lois étaient les mêmes; et que, si elles trouvaient des exécuteurs plus indulgents, les protestants n'en étaient pas moins sous leur glaive. Il aurait désiré que les Français eussent dû leur bonheur aux lois, et non à la sagesse de leurs ministres, dont les successeurs, moins éclairés, pouvaient replonger à leur gré la France dans cet état d'angoisse, dont l'image sanglante se retraçait sans cesse à ses yeux. Il croyait avoir tout à redouter du caractère mobile de sa nation; il tremblait de voir reparaître un jour les détestables scènes dont il avait été le témoin, et l'heureuse révolution qui s'était opérée dans les moeurs de ses compatriotes ne le tranquillisait pas à tous égards. On voit qu'Ambroise avait appris chez les Anglais l'art d'observer et de connaître les hommes. Il rendait justice aux Français: il les retrouvait plus aimables, plus tolérants, plus sociables, plus polis. La philosophie avait changé leurs moeurs, elle avait adouci leurs principes; le fanatisme était écrasé: le clergé lui-même tendait des bras secourables à des frères qu'il instruisait encore, mais qu'il ne persécutait plus. On ne reconnaissait plus la France, ni le caractère de ses habitants: la révolution était universelle: mais la législation était toujours la même, et la tolérance ne s'élevait que sur la ruine des lois. 

«Hélas! (disait Ambroise, en gémissant sur leur existence)  où est la liberté de penser, tant que les anciens édits subsisteront? Sont-ce donc les livres d'une nation, ou son code, qui présentent sa constitution? Et toutes les déclarations du roi n'existent- elles pas encore? Fuyons, fuyons chez des nations où on est tolérant par principes, et où on laisse aux hommes leurs opinions, parce que la tolérance est l'essence du christianisme. Allons à Londres, où le citoyen est sous l'abri des lois, et où son sort ne dépend pas du choix de leurs ministres. Allons chez un peuple de frères, où l'homme a conservé toute son énergie, sans qu'il ait été besoin de l'entretenir par des spectacles de sang.»

Telles furent les considérations qui déterminèrent Ambroise: son parti était pris; et il se décida à repasser les mers, et à aller chez les Anglais terminer sa carrière.

CHAPITRE XVII.

Un obstacle imprévu arrête Ambroise; il aime, et il est aimé.

Après avoir déploré les fureurs de ses concitoyens, Ambroise allait plaindre à Londres leurs travers: il disposa tout pour son départ; mais avant de quitter pour la dernière fois sa patrie, il se prépara à rendre visite à tous les notables de sa petite ville, et à leur ouvrir son coeur sur leur état présent. Cependant il n'était pas lui-même à l'abri des faiblesses de ses semblables; et il y a tout lieu de croire que, né avec un coeur sensible, l'espèce de mélancolie qu'il avait contractée en Angleterre procédait surtout du besoin d'aimer et d'être aimé. Ambroise ne différa son départ que pour prendre congé de tous ses voisins; mais il y employa plus de temps qu'il n'en avait destiné; et, sans s'en apercevoir, il donnait des ordres pour différer son voyage, et réitérait ses visites avec une singulière indiscrétion chez un négociant nommé Robinel. Le lecteur prévoyant devine aisément le naufrage qui menaçait le coeur d'Ambroise. En effet, M. Robinel avait une fille charmante, jolie sans régularité, très-éveillée, et animée de tous les feux du midi: Ambroise, en la voyant, fut embrasé de tous ceux de l'amour. Il peut paraître étrange qu'avec un caractère aussi froid que le sien, il tombât ainsi sous les coups d'une jeune étourdie; mais ceux qui connaissent bien les ressorts du coeur humain, savent aussi que l'impulsion de deux coeurs est souvent en raison inverse des caractères. 

En effet, plus la jeune Sophie s'abandonnait à ses vivacités, plus elle séduisait Ambroise: il n'avait jamais rien vu de si intéressant; et dès qu'il la connut, il comprit qu'elle seule pouvait faire son bonheur. II sentait que la froideur méthodique de son caractère avait besoin d'être réchauffée par les élans d'une imagination ardente, et par un coeur regorgeant de sentiments. Mais à force de raisonner, Ambroise perdit bientôt la raison, et une union si douce n'était pas pour lui une simple convenance; elle devenait déjà un besoin pressant. 

Sa mélancolie se changeait en accès, dès qu'il n'était pas aux côtés de Sophie; et s'il s'y trouvait, un silence éloquent le réduisait, à trente ans, au rôle d'un amant novice. Heureusement qu'il n'avait pas à soumettre une coquette; Sophie, avec la plus vive sensibilité, avait trop peu d'art pour voiler ses sentiments; et dès qu'elle s'en aperçut, elle n'était déjà plus en état de les combattre. Son coeur s'abandonna à la pente qui l'entraînait vers Ambroise, et ils se trouvèrent insensiblement dans les bras l'un de l'autre, sans qu'aucun aveu eût pu leur faire deviner le danger qui les menaçait. D'ailleurs Sophie trouvait dans la physionomie d'Ambroise tant de candeur et tant de bonhomie, que l'estime qu'il lui avait inspirée excusait sa faiblesse à ses propres yeux, et devait plaider sa cause auprès de tous ceux qui connaissaient les deux amants.

Le moment d'illusion dans lequel Sophie était tombée la rendit plus chère aux yeux d'Ambroise. Il venait de connaître le bonheur, et il en était trop épris pour pouvoir y renoncer; mais l'idée de séduction, dont on pouvait flétrir le sentiment qui le liait à Sophie, le détermina à demander sa main; et, assuré de son consentement, il alla droit à son père. Celui-ci, qui connaissait l'état de la fortune d'Ambroise, reçut avec transport sa demande. Quelques circonstances font même soupçonner que, connaissant la naïveté de sa fille, il avait, pour assurer un établissement aussi avantageux, ménagé aux deux amants des tête-à-tête dangereux, espérant, par la chute de Sophie, forcer Ambroise à un hymen qui devait répandre dans sa famille un certain lustre, et procurer à sa fille un époux qui joignait à une fortune considérable la considération la plus distinguée.

On juge avec quel empressement il reçut la demande de Borély; et il trouva chez lui tant de facilité et de générosité, qu'il crut pouvoir réduire la dot de sa fille au tiers de ce qu'il devait raisonnablement lui accorder. Ambroise reçut tout avec reconnaissance, et se crut trop heureux de posséder le coeur de Sophie. Il lui fit, dans un contrat, les avantages les plus brillants; et oubliant, en recevant sa main, tous les outrages de la France, il se déterminait y finir ses jours, et à la regarder enfin comme sa seule patrie. 


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