Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Oeuvres de Rabaut-Saint-Etienne




LE VIEUX CÉVENOL

CHAPITRE XIII.
Embarquement d'Ambroise.

Cependant la chaîne s'avançait vers Marseille, et la recrue des forçats étant devenue plus grande qu'on ne s'y était attendu, on ne savait que faire de tant de gens. Il n'y avait que ceux qui étaient chargés de les nourrir, que cette augmentation accommodait, parce qu'ils leur donnaient si peu d'aliments, et d'une si mauvaise qualité, qu'ils y faisaient des profits considérables. 
Plusieurs jours se passèrent pendant lesquels nos forçats ne doutaient pas de monter sur les galères, ainsi que leur sentence le portait. Mais on vint leur annoncer, comme une grâce spéciale, qu'ils allaient être embarqués pour le Nouveau-Monde. Loin de se réjouir de cette nouvelle, ils en frémirent, parce qu'ils avaient ouï dire que l'on y traitait les exilés de la même manière que les nègres; qu'on les y rouait de coups pour la moindre faute, et qu'on les menait plus rudement que les brutes. Mais tous leurs gémissements| étaient inutiles; ils avaient affaire à gens qui ne les écoutaient pas. On pressa l'embarquement. Les entrepreneurs chargés de les conduire au Nouveau-Monde, voyant qu'il en mourait tous les jours quelques-uns, craignirent, et d'avoir fait des frais inutiles, et de  perdre la taxe qu'on leur donnait, en partant, pour chaque passager; ils insistèrent si fortement, et surent lâcher une somme si à propos que tout fut prêt pour le départ. 

Les exilés fondaient en larmes à l'aspect des vaisseaux; ils se couchaient sur le rivage ; ils embrassaient avec fureur cette terre de proscription, où chacun d'eux laissait quelque chose de cher ; ils craignaient autant de quitter la France, qu'ils l'avaient désiré quelque temps auparavant. Après que les exécuteurs impitoyables des ordres royaux se furent amusés pendant quelque temps des larmes et des mouvements expressifs de la douleur de ces malheureux (
1), on les contraignit à s'embarquer, et les côtes de la France, s'abaissant insensiblement derrière eux, disparurent enfin à leurs regards.

Après deux ou trois journées de navigation, le capitaine du vaisseau songea à exécuter un projet, imaginé et concerté pour se défaire tout d'un coup de ces hérétiques: il s'agissait de faire couler à fond le bâtiment. On l'avait choisi bien vieux, et déjà il faisait eau de toute part; on transporta dans la chaloupe tout ce qu'il y avait de plus précieux, et le capitaine y passa lui-même avec son petit équipage.

Deux matelots seulement restèrent pour exécuter ses ordres; ce qui se fit avec toute l'intelligence possible. Ils ôtèrent un tampon qui bouchait une voie d'eau, et se jetèrent à la nage pour rejoindre la chaloupe. Quelques-uns des exilés, du nombre desquels était Ambroise, voyant le péril, brisent leurs fers, courent à la pompe, travaillent long- temps avec effort; mais tout cela fut inutile. L'eau gagna insensiblement le fond de la cale, et au milieu des balancements effrayants du navire, ils le sentirent descendre et s'engouffrer enfin dans les abîmes des eaux.

CHAPITRE XIV.

Il y avait sur ce vaisseau un Rochelois, que diverses aventures avaient conduit en Languedoc, et qui avait été condamné aux galères, parce qu'il était laquais chez un gentilhomme protestant (2). Cet homme avait été matelot, et ne s'était pas réfugié en Angleterre, lorsque trois mille familles de Saintonge, presque toutes composées des meilleurs hommes de mer de la France, avaient été y chercher le repos. Ce brave homme, qui était excellent marin, voyant que le vaisseau allait couler à fond, s'arma d'une hache, mit en pièces le mât d'artimon, et se jeta à la mer; il eut encore le temps de couper plusieurs planches du tillac: Ambroise l'aidait de tout son pouvoir, et se jetant à l'eau avant que le vaisseau fût prêt à s'engouffrer, ils gagnèrent leurs planches à la nage. Trois de ces malheureux échappèrent par ce moyen à cette nouvelle infortune. 

Le Rochelois leur enseignait à se soutenir sur les eaux, pour ménager leurs forces, et comme il soufflait un vent d'est, qui poussait vers les côtes d'Espagne, il en profita pour diriger de ce côté la planche qui le portait. Ses compagnons le suivirent de leur mieux. Douze heures se passèrent ainsi, sans qu'ils s'aperçussent trop de leurs progrès, et ils étaient sur le point de périr de fatigue et de faim, lorsqu'un vaisseau, qui avançait vers eux en louvoyant, leur rendit l'espérance. Ils poussèrent tous à la fois de grands cris, qui furent entendus: on leur envoya la chaloupe. Il est impossible d'exprimer le plaisir qu'ils ressentirent, de n'entendre point la langue de ceux qui leur parlaient. 
«Dieu soit béni, dirent-ils tous à la fois, nous ne sommes plus avec des Français! - Nous n'avons plus à craindre les déclarations du roi, » disait Ambroise, et il se rappelait alors la longue suite de ses infortunes, depuis l'année 1685, où il avait perdu son père, jusqu'à ce moment où il se trouvait au milieu de la Méditerranée, presqu'à demi-mort, avec des gens dont il n'entendait pas le langage. Mais le langage de l'humanité est bien intelligible! 

On témoigna à nos trois Français tant de compassion pour leur état; il y avait dans la physionomie haute, mais expressive, de ces inconnus, tant de sensibilité, que ces infortunés comprirent qu'ils étaient avec des hommes, et que le terme de leurs peines approchait. Arrivés au vaisseau, on les fit coucher; on leur donna une nourriture pleine de substance, mais légère: ces pauvres gens pouvaient à peine se persuader qu'ils voyaient autour d'eux des matelots et des soldats, qui, loin de les torturer, leur témoignaient la plus vive compassion, et leur donnaient mille secours. Ces libérateurs étaient des Anglais; Ils allaient croiser devant Gibraltar, qui ne leur appartenait pas encore. Le chapelain entendait un peu de français: il eut quelques conversations avec ces inconnus, qui lui racontèrent leurs infortunes: il versa des larmes sur leur sort, tout l'équipage en répandit aussi, mais elles étaient d'indignation et d'horreur.
Enfin, la commission de ce vaisseau étant remplie, on tourna du côté de Londres, où étant arrivés, chacun de nos Français trouva un établissement conforme à ses talents. Ambroise ayant quelque connaissance du commerce, fut placé dans une maison française. Dans peu de temps il eut appris la langue du pays: et, la fortune l'ayant favorisé, il gagna en quelques années des richesses considérables.


Table des matières

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(1 ) Des soldats ont bien pu être coupables d'une bassesse que l'on reprochait à des personnes de la première qualité. Le comte de T..... avait fait arrêter quelques malheureux ; une personne de condition vint se jeter à ses pieds pour demander leur grâce, et ses discours étaient coupés de sanglots plaintifs et de larmes: le comte se mit à genoux aussi devant cette personne, joignit les mains comme elle, e t se mit à contrefaire sa douleur par mille contorsions, tordant les yeux et la bouche, et poussant de longs hurlements. (BENOIT, Histoire de l'édit de Nantes, tom. III, liv. XXIII, page. 857.) 

(2) Cette déclaration porte que le roi reconnaît que sa déclaration du 9 juillet, qui défend à ses sujets catholiques de prendre des domestiques de la religion prétendue réformée, retarderait aujourd'hui la conversion des protestants ; qu'il est dangereux de laisser aux nouveaux convertis la liberté de se servir des domestiques de ladite religion ; qu'en conséquence, aucuns de la religion prétendue réformée ne puissent, sous quelque prétexte que ce soit, servir en qualité de domestiques ceux de la même religion, à peine de mille livres d'amende pour les maîtres, et pour les domestiques, de galères pour les hommes, et du fouet pour les femmes, etc.

 

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