Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Oeuvres de Rabaut-Saint-Etienne




LE VIEUX CÉVENOL

CHAPITRE XI.
Ambroise veut sortir du royaume. 

Dans les âmes vives et ardentes la douleur s'exhale en mouvements violents et impétueux, et cette violence même l'évapore et la soulage. Il n'en est pas de même dans les âmes fortes mais sensibles: l'objet de leur peine est toujours présent à leur esprit, et ne parlant qu'à elles-mêmes de leur douleur, elles en rendent le sentiment plus profond et plus durable. Tel était le caractère que la nature avait donné à Ambroise; les longues peines l'avaient encore fortifié, en fournissant toujours à son esprit de nouveaux sujets de réflexion. 

Il se rappelait continuellement toutes les aventures de sa vie, depuis la mort de son père jusqu'à celle de sa mère; toutes ces déclarations du roi, qui avaient été pour lui des sujets de peine, et qui probablement le seraient encore pendant tout le reste de ses jours. Il voyait la haine que ces punitions continuelles excitaient contre ceux de sa religion, et gémissait profondément. Il n'avait point oublié l'exhortation que sa mère lui avait faite, de tâcher de délivrer ses frères et ses soeurs pour les faire passer dans un pays de liberté; et il résolut de ne rien négliger pour cela. Il se transportait sans cesse, par la pensée, dans ces heureuses contrées, où il trouverait enfin la liberté de conscience et le repos. Cent lettres qu'il avait lues, de divers réfugiés, lui avaient dépeint le plaisir qu'ils avaient éprouvé lorsqu'ils s'étaient vus hors de la France: la joie de ces malheureux expatriés était si vive, qu'aussitôt qu'ils étaient sortis des frontières, ils baisaient avec transport cette terre nouvelle qui leur donnait l'hospitalité; et, se tournant vers leur patrie, ils versaient des larmes sur ceux qui y étaient encore renfermés. 

Tous ces récits échauffaient tellement l'imagination des protestants français, qu'ils sortaient par centaines et par milliers: on voyait des charrues abandonnées au milieu des campagnes, les bestiaux délaissés dans les étables, les manufactures renversées(1)et les fugitifs s'évader enfin par troupes si considérables, que ni les corps-de-garde, ni les archers, m les paysans armés n'osaient les arrêter. Ambroise chercha donc à engager ses frères et ses soeurs à fuir de leurs couvents pour le suivre. 
II eut beaucoup de peine à avoir de leurs nouvelles, et il serait trop long de raconter comment il y parvint, et tout ce qu'il apprit de la manière dont ils étaient traités (2) . Il attendit plusieurs mois, afin de leur laisser le temps de s'échapper; mais voyant que  son attente était vaine, il se décida enfin à prendre la route de la Suisse, pour passer de là en Hollande, où il avait des parents. 
Il ne manqua pas de compagnons de voyage. On venait précisément alors de renouveler l'exécution de cette déclaration du roi (
3), qui ordonne aux pères et aux mères de faire baptiser leurs enfants à l'église dans les premières vingt-quatre heures. Les convertisseurs étaient très-ardents à faire exécuter cette loi, et les protestants ne purent soutenir ce nouveau genre de persécution. Ils disaient que l'église regardant comme siens les enfants qu'elle avait baptisés, on les leur enlèverait un jour pour les mettre dans des couvents; qu'ils ne pouvaient pas consentir à promettre d'élever leurs enfants dans la religion romaine, comme ce baptême forcé les y engageait; qu'ils savaient bien que ce n'était là qu'un prétexte pour les soustraire un jour à l'autorité paternelle. Ils se rappelaient que, la même violence ayant été faite il y avait quelques années, un bruit sourd avait couru que, dans le débat entre les pères qui refusaient leurs enfants, et des curés qui voulaient les leur arracher, les enfants, victimes de ces violences, étaient morts entre leurs bras. L'alarme enfin était si générale partout, que les familles entières s'expatriaient; et au lieu que jusque- là on n'avait vu que des particuliers isolés, aigris par leurs maux, s'enfuir pour s'y soustraire, ici c'étaient les pères et les mères ensemble, qui, frappés dans l'endroit le plus sensible, entraînaient avec eux, et leurs enfants, et ce qu'ils pouvaient emporter de leurs richesses. 

Pour rendre sa fuite plus secrète et plus sûre, Ambroise s'associa avec une douzaine de personnes seulement, passant dans les lieux les plus difficiles, et ne marchant que la nuit, pour éviter les corps-de-garde et même tout catholique; car il n'en était point, particulièrement les paysans, qui ne crussent avoir, aussi bien que les soldats et les dragons, le droit d'égorger et voler leurs compatriotes. Les bons sujets, disaient-ils, doivent s'empresser à l'envi de travailler au bien de l'état.

CHAPITRE XII. 

Ambroise est arrêté.

Après avoir erré long-temps dans des chemins perdus, et traversé des montagnes escarpées, Ambroise et ses compagnons arrivèrent enfin à quelques lieues au-dessous de Lyon, où leurs guides leur avaient dit qu'il fallait traverser le Rhône. Ils eurent le bonheur de gagner, avec de l'argent,un patron, qui les passa dans sa barque et les mit à l'autre bord. Mais il était grand jour, et ayant été aperçus d'un village voisin, ils entendirent sonner le tocsin. Bientôt une vingtaine de paysans armés vinrent fondre sur eux, animés par deux motifs, la religion et l'espoir du butin. Les ordonnances du roi (4) donnent le tiers des effets des fugitifs à ceux qui pourront les capturer, et ces lois arment ainsi continuellement une partie des Français contre l'autre. Un autre tiers appartient, par les mêmes ordonnances, aux délateurs; et si quelqu'un s'avisait d'avoir la charité de dérober ces fugitifs aux poursuites, ou de les favoriser lemoins du monde dans leur évasion, une autre loi (5) condamne cet homme charitable aux galères. Il est vrai que le législateur la commua, le douzième jour d'octobre de l'an de grâce 1687, en la peine de mort. Ces ordonnances avaient échauffé toutes les têtes, en sorte que les paysans eux-mêmes, animés espoir du butin, et pour ne pas encourir les peines portées par les ordonnances, étaient partout aux aguets pour arrêter les fugitifs. Les compagnons d'Ambroise résolurent de se défendre; et, feignant de se ranger dans un certain ordre de bataille, ils marchèrent droit à eux. Les paysans, effrayés à leur tour, prirent la fuite, et laissèrent ces protestants libres de continuer leur route. Mais leur infortune n'était que retardée: ils furent guettés, suivis, et, deux jours après, arrêtés en Dauphiné avec leurs guides. 

Pour le coup, Ambroise n'ignorait point les déclarations du roi, et la peine qui l'attendait; aussi dès ce moment se regarda-t-il comme destiné à finir ses jours sur les galères, et il se résigna à son sort, comme un homme qui n'a aucun espoir de le voir changer. Le lendemain on le conduisit avec ses compagnons dans l'endroit de la route où ils devaient joindre la chaîne. On leur mit au cou des fers du poids de quarante ou cinquante livres, on les attacha avec des voleurs; on ne leur donna qu'une nourriture grossière et en très-petite quantité, et quand ils tombaient de lassitude, on les faisait relever à grands coups de bâton. 
Au rendez-vous de la chaîne, ils trouvèrent une foule de gens de considération (
6) , négociants, avocats, gentilshommes, qui avaient été arrêtés comme eux, et dont plusieurs étaient vénérables par leur âge, leurs infirmités et leurs longs services. Ils arrivèrent avec eux à Valence. Cependant on écrivait de Marseille que les  galères et les prisons étaient pleines, qu'on avait encore garni de prisonniers toutes les maisons fortes des environs, et qu'on ne savait où loger ces nouveaux hôtes. Il' fut résolu d'abord de les mettre, en attendant, dans des cachots; et comme il convenait de les choisir aussi horribles qu'il se pourrait, on hésitait entre beaucoup de prisons célèbres, dont les cachots sont infects et puants. 

« A Bourgoing (7), disait-on, les cachots sont si profonds, si étroits et si humides, qu'il faut y dévaler un homme par-dessous les aisselles, et que le plus robuste ne peut pas y rester deux heures  sans s'évanouir. 
Ceux de Grenoble ont bien leur  mérite; car le froid et l'humidité y sont tels, qu'au bout de quelques semaines ou y perd les cheveux et les dents. 
Nous avons les cachots de la Hosselière, où passent toutes les ordures d'un couvent voisin, et où les gens du lieu ont la charité de porter des charognes pour augmenter la puanteur. Mais au fond, dans quelque lieu  que l'on mette les prisonniers, n'avons-nous pas  cette précieuse invention de nos dragons, qui  jettent des ventres de moutons pourris dans les  cachots, et qui appellent cela jeter des bombes

En attendant de nouveaux ordres, Ambroise fut jeté, avec deux de ses compagnons, dans un cachot très-étroit, où il leur fut impossible de dormir de toute la nuit, parce qu'on leur avait laissé leurs chaînes. Dans la nuit, ils entendirent des cris plaintifs, et comme des voix de femmes, qui poussaient des gémissements affreux: bientôt elles entonnèrent des psaumes, auxquels d'autres voix: se joignirent de divers endroits de la prison. Nos trois forçats émus de ce concert s'y joignirent aussi, et pendant une heure cet horrible séjour retentit des hymnes de ceux qui y étaient renfermés. Mais à ces cantiques succédèrent ensuite, dans un cachot qui était au-dessous de celui d'Ambroise, les cris perçants de deux femmes que quelqu'un maltraitait à grands coups de nerfs de boeuf. Cette horrible exécution dura près d'une demi-heure, et la porte s'étant refermée avec bruit, ils n'entendirent plus que des gémissements et des sanglots. 

Nos prisonniers étaient impatients de savoir qui étaient ces femmes, dont la situation semblait encore plus déplorable que la leur: ils parvinrent à ôter quelques briques du pavé, et s'étant fait entendre à ces femmes, ils leur apprirent qui ils étaient, où ils allaient, et leur demandèrent ensuite qui elles étaient elles-mêmes, car ils comprenaient bien que la religion seule pouvait être la cause des horribles traitements qu'elles enduraient. Elles leur apprirent qu'elles étaient filles de M. Ducros, avocat de Languedoc; qu'ayant refusé de changer de religion, on les avait conduites à l'hôpital général de Valence, en vertu d'une déclaration du roi du 3 septembre 1685 (
8) qui ordonne que les femmes qui ne voudront pas se convertir, recevront la discipline dans les couvents; que, par une interprétation pire encore que la loi, on les avait mises entre les mains du directeur de cet hôpital, nommé d'Hérapine; que ce scélérat ne laissait point passer de jour qu'il ne les fît pendre toutes nues, par les mains, pour les faire déchirer de coups de gaules et de verges en sa présence; qu'à peine leur donnait-on de quoi se couvrir, ou qu'on leur faisait porter des chemises pleines de sang et de pus que l'on ôtait aux malades; qu'elles couchaient sur la terre dans des cachots infects, et ne mangeaient que du pain, plus propre à les empoisonner qu'à les nourrir; que les quatre filles d'un négociant de Languedoc étaient renfermées dans la même maison et exposées aux mêmes tourments; que, depuis peu de jours, M. Menuret, avocat de Montélimart, qu'on y avait renfermé aussi pour avoir voulu sortir du royaume, y était expiré sous le bâton, et qu'il leur faudrait des journées entières pour raconter les affreux traitements qu'on leur faisait subir.... 

Les prisonniers s'encouragèrent réciproquement; ils se consolèrent par quelques passages de l'Écriture; et le point du jour approchant, on ouvrit le cachot où étaient Ambroise et ses compagnons: on les fit lever à grands coups de bâton, tant pour les punir d'avoir chanté des psaumes dans la nuit, que pour faire plus de diligence; mais nos forçats, loin de murmurer de ces traitements, priaient pour leurs bourreaux, ce qui leur valut encore quelques coups avant que de sortir du cachot.


Table des matières

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CHAPITRE XIII. Embarquement d'Ambroise


(1) Quels maux ne marchèrent pas à la suite du ces désertions nécessitées! Ils se multiplièrent à l'infini: non-seulement on perdit des sujets utiles; non-seulement l'or, l'argent et les art de la France furent portés en d'autres climats; mais on vit tomber, bientôt après, les fabriques, les manufactures et le commerce.
Qu'un état bien exact là-dessus nous occasionnerait de regrets sensibles! Au défaut d'un détail circonstancié, que le roi seul pourrait se procurer sur cette matière, examinons ce que le comte de Boulainvilliers nous en offre, d'après les Mémoires de quelques intendants. Que nous dit celui de Rouen, entre autres? 

« Avant la révocation de l'édit de Nantes (reconnaît M. de La Bourdonnaye), il se faisait à Caudebec, «Neufchâtel et autres lieux, un fort grand débit de chapeaux foulés, qui passaient dans le Nord, en Hollande et en Angleterre; mais depuis la révocation, les réfugiés ont établi en ces pays- là des fabriques qui ont ôté le débit de celles de Normandie.
Autre fois il abordait à Rouen beaucoup d'étrangers, surtout des Hollandais, et plusieurs s'y établissaient au grand avantage du commerce, mais la révocation de l'édit de Nantes les a fait retirer.» 


M. Foucault, intendant de Caen, annonce 
« que le commerce est  extrêmement diminué dans cette généralité depuis 1685; que la retraite des religionnaires, qui étaient les plus fort marchands,  ayant enlevé presque tous ceux qui étaient en état de le soutenir, ceux qui ont resté n'ont pas eu la force de le rétablir.»


M. de Maupeou d'Ablège informe le gouvernement qu'on 
«avait établi au bourg de Colonge en Poitou une manufacture de droguet; mais que la retraite des huguenots l'avait presque aussitôt ruinée; qu'au bourg de Châteigneraye, il y avait aussi une manufacture, mais qui avait souffert le même déchet par la même cause.» 


M. de Bezons nous apprend 
« qu'à Clairac, en G..., le commerce était très-vif avant la révocation de l'édit de Nantes; mais que, depuis, plusieurs des meilleurs marchands avaient été obligés de se retirer: que le commerce de Nérac, qui se soutient par la navigation de la Baye, avait beaucoup souffert à la révocation, parce qu'elle avait ruiné ou fuit fuir les principaux marchands.» 


Mais ce que nous dit M. de Miromesnil, est bien autrement déplorable II nous atteste 
«qu'à Tours, avant cette révocation funeste, la seule manufacture de soie faisait travailler huit mille métiers et sept cents moulin; qu'elle occupait vingt mille ouvriers, et plus de quarante mille autre personnes pour dévider la soie, et que le  tarif de la soie de Tours montait alors tons les ans à dix millions de livres; mais que, depuis la révocation, il ne subsiste plus que • doute cents métiers  et soixante-dix moulins, et qu'on n'y emploie  plus que quatre mille personnes: que la rubannerie, qui, avant 1685, avait seule trois mille métiers, n'en avait, depuis cette époque, que soixante.» 

Quel affreux rabais! quelle épouvantable perte! Que n'aurions-nous point à dire à l'occasion de Lyon, de Marseille, etc.? 

(2)  Les écrits du temps nous conservent le souvenir des moyens de conversion qu'employaient les religieuses et les moines. 
« Ou se servait de fausses visions, de faux miracles, de fausses condamnations, qu'on disait prononcées contre les enfants opiniâtres; des promesses, des menaces, des bienfaits, des châtiments, des châtiments, des prisons, des jeûnes, des notes d'infamie, tout était mis en usage pour les réduire. 
Il y en eut plusieurs qu'on mit dans un état pitoyable par ces indignes traitements; plusieurs dont on altéra l'esprit par ces persécutions continuelles... 

Une jeune fille de Bellême ayant été enfermée à Alençon dans une maison, établie pour les enfants de son sexe, y attira par sa constance la haine des dévotes qui en étaient les directrices. Un jour.... elle lui mirent tout le corps en sang à coups de verges, et par mille autres mauvais traitement la rendirent épileptique... 
On les enfermait dans des cachots sales, humides, obscurs, et, en les y mettant, on ne leur parlait que de  démons qui y revenaient.... 

Les verges étaient surtout les armes dont les religieuses aimaient se servir contre les jeunes filles, par je ne sais quel raffinement de cruauté luxurieuse, dont on trouverait la raison dans la vie cénobitique.  A Uzès, la justice même autorisa ces outrages; les supérieures de la maison des nouvelles converties établie dans cette ville se plaignirent de la rébellion de quelques filles, qui ne paraissaient pas assez bonnes catholiques; on les condamna, à recevoir le fouet de la main de ces fausses dévotes, et la chose fut exécutée en présence du major du régiment de Vivonne et du juge de la ville. Il y en avait huit de coupables, dont la plus jeune avait seize ans, et dont la plus âgée n'en avait  que vingt-trois. Cependant ou les traita comme des enfants de six à sept ans: on les troussa jusqu'aux reins, et elles furent fouettées a la vue de plusieurs de leurs compagnes, pour leur servir d'exemple. Pendant l'exécution, elles reprochaient à ces hypocrites leur fausse piété, qui les faisait renoncer à la pudeur de leur sexe, qui leur inspirait de châtier des filles de leur âge d'une manière si indécente, et de les exposer ainsi nues aux regards des hommes.» BENOIT, Hist. de l'édit de Nantes, tom. V, pag. 884-893, et ailleurs.

(3) 13 décembre 1698, art 8
.

(4) C'est le lieu ici de faire connaître les différentes lois données contre les émigrants. 
En 1669, Louis XIV avait défendu à tous ses sujets de s'établir hors de ses états. Il est difficile de saisir distinctement le sens de cette dernière disposition. Les atteintes données à l'édit de Nantes ayant rendu les émigrations plus fréquentes, on décerna contre les émigrants, au mois de mai 1682, la peine des galères perpétuelles; et ceux qui avaient favorisé l'émigration furent condamnés à une amende de mille écus: on ne parle point de la peine de mort prononcée en 1669. Au mois de septembre, les donations d'immeubles par contrat de mariage furent déclarées valables, pourvu qu'elles eussent été exécutées avant l'émigration.

Au mois de mai 1685, la peine de mort fut solennellement abolie, et commuée en celle de galères perpétuelles. Au mois de juin de la même année, il fut défendu, sous peine de galères perpétuelles et de confiscation des biens, aux pères et aux mères, de donner leur consentement aux mariages de leurs enfants retirés dans les pays étrangers: loi inutile, puisque les puissances étrangères pouvaient en détruire tout l'effet, et qu'elles le devaient par intérêt comme par justice. Un édit du mois d'août promet aux dénonciateurs la moitié de la confiscation des émigrants.

L'édit de révocation confirma la disposition de celui du mois d'août contre les émigrants; mais il enjoignit aux ministres de sortir du royaume dans la quinzaine, sous peine des galères. Ainsi l'on condamnait à la même peine les protestants ministres qui restaient en France, et les protestants laïques qui en sortaient.

La déclaration du mois de mai 1685 soumet les nouveaux convertis aux peines portées dans celle du mois de juin de l'année précédente, et prononce la même peine des galères contre ceux qui auront favorisé leur fuite. Il sera bon de remarquer ici que la déclaration de mai 1685 était générale pour tous les sujets du roi; elle comprenait par conséquent les nouveaux convertis: pourquoi donc faire contre eux une loi expresse en 1686?

En 1687, cette peine contre ceux qui favoriseraient leur fuite fut convertie en peine de mort. Cependant les émigrants eux-mêmes n'étaient condamnés qu'aux galères; et il suffisait, pour encourir cette mort, de leur avoir procuré des guides, ou même indiqué le chemin.
Ne nous lassons point de le répéter: est-ce à Louis XIV que l'on doit attribuer de pareilles lois, ou au pénitent du Père Lachaise? En 1688, les biens des émigrants furent réunis au domaine du roi. En 1689, on en rendit la moitié à ceux qui servaient dans les troupes de Hambourg ou de Danemark: la politique réparait une partie des injustices que le fanatisme avait dictées.
Au mois de juillet 1689, les pères, les enfants, les frères, les femmes des protestants qui servaient eu Angleterre ou en Hollande, sont forcés de sortir du royaume, et leurs biens sont confisqués. 
Au mois de décembre de la même année, les biens confisqués sur les protestants fugitifs sont rendus aux héritiers naturels: les émigrants qui voudraient rentrer dans le royaume furent déchargés des condamnations portées contre eux, et obtinrent de rentrer dans leurs biens à condition de professer la religion catholique; cette grâce leur fut offerte à plusieurs reprises. Cependant, les émigrations continuant toujours, on renouvela en 1699 les peines contre les émigrants. 
La même année, il fut défendu aux nouveaux convertis d'aliéner leurs biens pendant trois ans, et cette défense a été renouvelée depuis chaque expiration de ce temps.

Enfin, les lois sur les émigrants furent renouvelées en 1704, spécialement contre ceux que le roi avait exilés, et qui sortaient du royaume sans permission du roi. Il faut savoir ici que cette loi fut dite contre le cardinal de Bouillon. Ce serait un article très-curieux dans l'histoire de la jurisprudence de tous les peuples, que la liste des lois générales faites ainsi dans des vues absolument particulières.

En 1713 on renouvela les lois contre les protestants. Nous n'examinerons point si l'émigration peut être regardée comme un crime; si l'homme n'a point reçu de la nature le droit de se choisir un domicile; si ce droit peut lui être enlevé sans injustice, par une loi positive; si, quand même l'émigration serait un d'un crime, ce crime est du nombre de ceux contre lesquels les lois pénales peuvent être employées utilement; car il ne suffit pas, pour infliger une peine avec justice, que cette peine soit juste en elle- même, il faut qu'il soit utile à la société de l'infliger.

Nous n'examinerons pas s'il n'y avait pas pour les émigrants nécessité indispensable de sortir du royaume pour les affaires de leur commerce: si le moyen le plus sûr et le plus légitime d'empêcher les émigrations, ne serait pas de gouverner si bien que personne ne fût tenté de sortir: nous demanderons seulement comment ou prouve qu'un homme arrêté aux frontières a une autre intention que de voyager, de s'instruire, de faire le commerce? comment on prouve qu'un homme qui emporte ses fonds dans les pays étrangers n'a pas le projet de les faire valoir et de les rapporter ensuite dans sa patrie? Nous demanderons quelle idée il faut avoir de la persécution qu'on a exercée contre un citoyen, pour se croire obligé de lui défendre, sous peine des galères, d'abandonner ses parents, ses amis, les lieux qui l'ont vu naître, les champs qu'il a cultivés, et d'aller vivre dans un pays dont la langue, la nourriture, les usages lui sont étrangers?

(5) 7 mai 1686 et 1724. Il est impossible à tout catholique raisonnable de regarder comme un scélérat un protestant qui s'échappe à la rigueur des lois, et qui cherche sa liberté. On regarderait comme infâme tout catholique qui refuserait à un protestant fugitif, fût-ce même un ministre, un asile ou du pain; qui, en lui fermant la porte de sa maison, l'exposerait à tomber entre les mains de ceux qui le poursuivent. Osons même interroger les chefs du clergé de France: demandons à ces descendants de ces braves chevaliers, qui, en s'honorant d'être les ministres de J.-C., n'ont point dégénéré de la générosité de leurs ancêtres; demandons-leur s'ils ne mettraient pas leur bonheur à protéger un ministre protestant qui aurait cherché un asile dans leur palais? Disons plus: si, lorsqu'il y avait des jésuites, un ministre s'était jeté entre les bras d'un recteur d'une de leurs maisons, n'y eût-il pas été en sûreté? Pourquoi donc condamner aux galères de malheureux protestants qui auront fait pour un homme qui s'expose à la mort pour les instruire ce que les plus violents ennemis de la religion protestante auraient fait comme eux? pourquoi les forcer de choisir entre le supplice et l'infamie? pourquoi obliger les juges à dire à ceux qu'ils condamnent: 
« Nous vous déclarons infâmes au nom de la loi, mais vous méritez notre estime; et vous seriez infâmes aux yeux de l'honneur, si vous n'aviez  point bravé l'ignominie du supplice.» 
C'est un grand mal dans la législation, et un mal bien plus grand qu'on ne pense, que de conserver des lois telles, qu'un homme puisse mériter l'estime publique en s'exposant aux galères.

(6) Je pourrais produire des listes de trois mille personnes arrêtées dans les provinces depuis 1744, a l'occasion de leurs assemblée religieuses, et en particulier dans le Haut et Bas-Languedoc, les Cévennes, le Vivarais, le Dauphiné, la Provence, le comté de Foix, le Poitou et la Saintonge; sans parler du commun peuple, on y compterait plus de six cents gentilshommes, avocats, médecins, bons bourgeois et riches négociants, qui ont essuyé tout ce qu'a d'accablant une captivité longue et dure, qui n'a cessé que par le paiement d'amendes et de contributions aussi arbitraires que ruineuses.
Plus de mille autres ont été condamnés à des peines infamantes, et l'on compte près de cent gentilshommes parmi eux. Le seul parlement de Grenoble ajourna trois cents personnes en 1744 et les exposa, par sa citation, à de grands frais de voyages et de procédures.
Au mois de juillet 1746, la même cour députa le sieur Cotte avec la maréchaussée, et une escorte de deux cents soldats. Partout où ils passèrent, sur la simple dénonciation des curés, on faisait subir a des innocents le plus triste sort. Quelque temps après, le Dauphiné vit encore renouveler ces tristes recherches, et plus de trois cents personnes furent condamnées à la mort, aux galères, au fouet, au pilori, au bannissement, à la prison perpétuelle ou à temps, a la dégradation de noblesse, ou à des frais et des amendes pécuniaires. 
Cinquante-trois gentilshommes, entre autres les sieurs de Bournat, Berger, Beyles, Saint-Dizier, Bonnet, Châtillon, Oste, Treslou, Château-double et Saint-Julien, perdirent leur état, et il y en eut six qui furent conduits aux galères.
En 1745, 1746, 1747, 1750 et 1751, plus de trois cents personnes, parmi lesquelles se trouvaient quarante gentilshommes et deux chevaliers de Saint-Louis, furent condamnées aux galères perpétuelles par le parlement de Bordeaux et par les intendants d'Auch, de Montpellier, de Perpignan, de Poitiers, de Montauban et de la Rochelle. Couserans seul en fournit cinquante-quatre exemples. Il y eut même, en 1746 et 1747, cinq condamnés à mort, peine prononcée pur l'intendant de Montauban et les parlements de Bordeaux et de Grenoble.

(7) Voyez l'histoire de la révocation de l'édit de Nantes, par BENOIT, tome III.

(8) Comme les lecteurs curieux pourraient chercher cette déclaration du roi dans les recueils faits par les parlements, je dois les avertir qu'elle n'y est point, parce que divers parlements la trouvèrent si dure, qu'ils refusèrent de l'enregistrer. Il y a apparence que les autres déclarations leur parurent douces et convenables, puisqu'ils les enregistrèrent et les firent exécuter avec tant de rigueur. 

Quoi qu'il en soit, celle que je cite a été conservée dans les mémoires du temps, et je vais la rapporter ici. 

« Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à  tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Les intendants de nos provinces nous ayant fait connaître la docilité avec la quelle  nos sujets que la naissance a tenus jusqu'ici malheureusement engagés dans les erreurs de Calvin, rentrent tous les jours dans le sein de l'église romaine, notre mère, y étant poussés par les vives lumières que nos évêques et missionnaires répandent de tous côtés, et par l'inclination filiale qu'ils ont à se rendre enfin aux soins paternels que nous employons depuis si long-temps à les ramener dans les voies du salut, nous avons jugé que c'était de notre piété royale et notre devoir de ne rien oublier pour achever l'oeuvre du Seigneur. 

Et parce qu'on nous a donné à entendre que rien ne s'oppose tant à la sainte résolution que Dieu nous inspire de purger notre royaume entièrement de l'hérésie, que l'opiniâtreté des femmes, qui, ne se contentant pas de refuser les instructions que les catholiques leur offrent si charitablement tons les jours, osent  faire du bruit jusque dans les maisons contre leurs mari s ou parents qui témoignent de bonnes intentions à embrasser notre sainte religion: voulant arrêter pour l'avenir tout scandale et désobéissances criminelles aux maris et parents, ordonnons que toutes les femmes et filles qui n'auront point abjuré l'hérésie de Calvin, huit jours après la publication de ces présentes, seront enfermées dans des couvents pour y être instruites pendant un mois, après lequel, si elles témoignent encore de l'opiniâtreté, elles seront contraintes de jeûner, veiller, prier, prendre les disciplines avec les autres religieuses des couvents où elles seront, jusqu'à leur entière conversion; enjoignant à tous les maris et parents de dénoncer leurs femmes, filles et parentes qui se trouveront dans le cas de notre présente déclaration, à peine d'être punis conformément aux ordres que nous avons donnés à nos intendants, auxquels défendons par exprès d'user envers aucuns contrevenants d'aucune modération.
Et enjoignons de punir d'amendes et de peine corporelle, s'il est nécessaire, ceux qui voudront les solliciter de relâcher en quelque manière de la sévérité de nos lois, en faveur de qui que ce soit, sans exception.» Donné à Versailles, le 3 septembre 1685, et de notre règne le 43e.
Signé LOUIS.

 

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