Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Oeuvres de Rabaut-Saint-Etienne




LE VIEUX CÉVENOL

CHAPITRE IX.
Ce que vit Ambroise, et ce qu'il entendit.

Ambroise s'en retournait chez lui, la tête baissée et les yeux fixés vers la terre; il marchait dans l'attitude d'un homme qui médite profondément. Le bruit confus d'une canaille ameutée, qui poussait des cris affreux, le fit sortir de sa rêverie: il voulut s'approcher, pour voir quelle était la cause de ce tumulte, et il vit, pêle-mêle dans la boue,  des archers, des soldats, des prêtres, des magistrats, et, au milieu d'eux, le bourreau qui traînait sur la claie un cadavre nu, plein de fange et de meurtrissures. La tête du cadavre était entièrement défigurée par les coups de pierre et de bâton qu'elle recevait à chaque instant (1). 

Ambroise n'eut pas besoin de demander ce que c'était; les injures que la populace vomissait contre les huguenots, et ces cris, répétés de partout, c'est bien fait! on devrait leur en faire autant à tous: ah! si nous pouvions les voir tous pendre et brûler! tout cela lui fit comprendre que c'était un de ses frères qui avait refusé dans son lit de mort de recevoir les sacrements. La populace, échauffée par ce spectacle jetait de la boue et des pierres contre les maisons et les boutiques des huguenots, et poursuivaient ceux qui avaient le malheur de se trouver dans la rue. Cela ressemblait parfaitement à une sédition, ou au sac d'une ville abandonnée au pillage. Ambroise voulut fuir; mais il fut reconnu, et ne put échapper assez vite pour ne pas recevoir quelques coups: il perdit son chapeau; son visage était couvert de boue, et son habit était en lambeaux, quand heureusement il trouva une allée, dont la porte, qu'il ferma brusquement, le déroba à ceux qui le poursuivaient. La maison où Ambroise s'était réfugié donnait sur la place, et plusieurs personnes y étaient venues pour jouir de ce spectacle. Ce ne fut pas sans douleur et sans effroi qu'il ouït les éclats de rire et; les plaisanteries des assistants; elles lui perçaient le coeur. Pour éviter de les entendre, il s'enfonça un peu plus dans l'allée, et se trouva dans un lieu fort obscur, d'où il découvrit, au travers d'une porte entr'ouverte, deux hommes qui se promenaient et parlaient avec chaleur. L'un était un jésuite, et l'autre le maître de la maison: leur conversation roulait sur l'affaire présente; Ambroise n'en perdit pas un mot, et voici ce qu'il entendit;

«II faut convenir, disait le maître de la maison qu'il est cruel d'être obligé de changer d'opinion, et de feindre, pendant toute sa vie, de croire ce qu'on ne croit pas dans le fond du coeur. Je ne suis pas surpris aussi que, dans ces dernier moments,  où l'on n'est plus affecté par la crainte, ni  dominé par les intérêts du monde et par le plaisir de vivre à son aise, un mourant qui n'a plus rien à ménager fasse enfin l'aveu de sa véritable croyance, et, dans le fond du coeur, je ne saurais lui en faire un crime. J'aimerais mieux n'avoir dans notre religion qu'un petit nombre de croyants, que de gagner deux ou trois millions d'hypocrites. 
- Bon! lui répondit le jésuite, qu'importe ce que ces gens-là croient dans le fond de l'âme, pourvu que le roi soit persuadé de leur conversion, et qu'ils assistent à la messe? Vous sentez bien qu'on ne doute point que ce ne soient là des convertis de mauvaise foi, et peut-être le roi lui-même en sait-il quelque chose. La plupart, il est vrai, ne sont convertis que par force(
2) ou par égard humain; mais enfin ils sont dans le bercail; nous avons fait ce que nous avons dû; à présent c'est à Dieu à les convaincre. 
- C'est-à-dire, mon révérend Père, que tant de violences, de massacres, de punitions, n'ont abouti qu'à faire un grand nombre d'hypocrites? C'est acheter de mauvais sujets un peu cher, et je vous jure que je les aimerais mieux bons protestants que mauvais catholiques. 
- Monsieur, si les pères sont hypocrites, les enfants seront de vrais croyants. 
- J'en doute, mon révérend Père; jamais les hommes ne sont plus attachés à leurs opinions que lorsqu'on veut les leur ôter. Nous soupçonnons que ceux qui veulent nous engager par la force à adopter leur croyance, n'ont pas de meilleurs arguments à nous alléguer, et la violence qu'ils nous font pour nous faire embrasser leur doctrine, nous semble un aveu de la supériorité de la nôtre. Ils seront donc d'autant plus attachés à leurs opinions, que l'on aura plus fait pour les engager à les quitter; et pensez-vous que, dans l'intérieur des maisons, ils n'instruiront pas leurs enfants dans cette religion, que dans le coeur ils n'ont point abjurée? Voyez ce malheureux, dont on traîne aujourd'hui le cadavre dans nos rues: il savait le sort qui l'attendait; il n'ignorait point quelle ignominie était attachée à ce supplice, et cependant la force du préjugé le lui a fait braver. - Eh bien! monsieur, reprit l'homme noir, cet exemple instruira les autres et les effraiera, et quand nous n'obtiendrions point ce succès, nous sommes sûrs que ces spectacles, réitérés de temps en temps, entretiendront parmi  le peuple une haine dont il doit résulter les plus heureux effets. 
Par exemple, en voilà pour plus d'un mois avant que les esprits reprennent un peu de calme. S'aperçoit-on que la tranquillité se rétablisse, et que l'esprit de tolérance vienne à s'introduire? alors on recommence à donner des exemples; on exhume le cadavre de quelque malheureux, pour l'exposer aux insultes de la populace; on pend un ministre; on envoie une douzaine d'hommes aux galères, et les peuples se souviennent qu'il y a des hérétiques qu'il faut haïr. 
- Ne vaudrait -il pas mieux, mon révérend Père, supporter ces hérétiques, et engager les sujets du roi à s'aimer les uns les autres? car enfin.... 
- Non, monsieur, non! reprit l'homme noir, très-impatienté, nos pères n'en ont jamais usé ainsi, et ils n'étaient pas des barbares; ils étaient très-éclairés et très-humains. François Ier nous a donné le sublime exemple de la manière dont il faut sonner le tocsin contre les hérétiques. S'il avait consulté un homme comme vous, il aurait toléré les prétendus réformés, et peut-être que l'oubli dans lequel il aurait laissé cette secte, l'aurait anéantie. Mais il s'y prit bien plus sagement! Il ordonna une procession bien brillante et bien nombreuse; lui-même y marchait le premier, accompagné de ses fils, la tête nue, dans une posture très-humble et très-dévote. On entonna de toutes parts des cantiques sacrés, et au son de cette sainte harmonie se joignirent bientôt les cris perçants de plusieurs obstinés hérétiques, qui furent brûlés vifs. Voilà, monsieur, ce qui s'appelle  de la bonne pratique; car vous comprenez bien que l'exemple du prince dut faire une prompte et vive impression sur les esprits de toute la populace de Paris, et lui inspirer nécessairement le goût des bûchers pour tout un siècle.» 

L'homme noir le prenait sur un ton si haut, que le maître de la maison comprit qu'il fallait céder; il était trop dangereux, dans ces beaux jours du siècle de Louis XIV, de témoigner de l'humanité pour les hérétiques; cette humanité était elle-même une punissable hérésie. Il feignit donc d'entrer dans le système des jésuites, et la conversation fut très-paisible. Ils admirèrent ensemble le grand avantage des processions, qui sont autant de petites armées saintes, rassemblées sous la bannière de la paroisse, et que le zèle rend capables de tout entreprendre. Ils trouvèrent qu'il n'était ni indécent, ni cruel, de traîner un cadavre nu et sanglant dans les rues. On cita à ce sujet Homère et l'exemple d'Achille; on admira la politique de la société, qui forçait les protestants à recevoir les sacrements, qu'elle faisait refuser aux jansénistes (
3). On convint, mais à voix un peu basse, que cette puissante société n'avait rien de plus grand, et surtout de plus adroit, que de faire expulser les protestants qui connaissaient tous les souterrains de sa politique; on observa qu'il y en aurait pour un siècle, avant que personne osât élever la voix contre une société si redoutable, et si habile dans ses vengeances.

Ambroise, entendant alors quelque bruit, se bâta de gagner la porte, qu'il ouvrit doucement. En se retirant chez lui, il ouït encore quelques conversations très-échauffées dans tous les coins de la rue: une petite rumeur régnait dans la ville, comme la mer rend encore un mugissement sourd, après que les vagues sont apaisées. L'événement de cette journée fut long-temps le sujet des entretiens; tout travail, durant plusieurs jours, fut suspendu, comme dans une fête publique.

CHAPITRE X.

Mort tragique de la mère d'Ambroise. 

Ambroise faisait des progrès dans la connaissance du négoce; il avait des talents: l'infortune avait formé son esprit, par la longue habitude où elle l'avait mis de réfléchir, et dans un âge encore assez tendre, il avait toute la maturité que donnent le temps et l'expérience. Sa mère était épuisée par les larmes qu'elle avait versées; la pauvreté et la douleur avaient sillonné ses traits, et une vieillesse prématurée était le fruit de ses longues et continuelles angoisses. 
« Mon fils, disait-elle quelquefois, je ne saurais plus aimer la terre; mes maux m'en ont détachée. Quel meilleur usage puis-je faire du temps qui me reste, que de me préparer à ma fin qui approche? J'emploie tout celui que je ne passe pas avec vous, à méditer, à lire, à rendre à mon Dieu les hommages que je lui dois, et à faire à mes semblables le peu de bien qui est en mon pouvoir.» 

Ambroise se plaisait dans ces entretiens, et il n'était jamais si content que lorsqu'il avait contribué à calmer les douleurs de sa mère. Un soir qu'il se retirait chez lui, il fut extrêmement étonné de ne point l'y trouver; elle était sortie, lui disait-on, à l'entrée de la nuit, en promettant de ne pas tarder à revenir. Il l'attendait avec inquiétude; cette anxiété allait toujours en croissant, et une douleur pressante, qui gonflait et élevait sa poitrine, était pour le malheureux Ambroise le ressentiment de quelque affreuse catastrophe. Ce pressentiment ne le trompa point; il vit revenir vers minuit sa mère; elle était soutenue par une de ses amies, et avait beaucoup de peine à marcher. Ambroise voulut aller à elle, pour lui faire de tendres reproches....
Mais quel ne fut pas son effroi, en la voyant toute sanglante, pleurer,  étendre les bras pour l'embrasser, et tomber évanouie sur son sein! Il apporta tons les soins possibles pour la faire revenir à elle-même: il eut enfin le bonheur d'y réussir, et il apprit alors qu'elle avait été dans un bois, où quelques personnes s'étaient rassemblées pour prier Dieu; qu'elles avaient été trahies, et que des soldats s'y étant transportés, les avaient surprises à la faveur de l'obscurité, et avaient tiré dessus à brûle-pourpoint; que la moitié de cette assemblée, composée de femmes et de vieillards, avait été massacrée, et que le reste était prisonnier (
4). La mère d'Ambroise avait été blessée d'un coup de feu au-dessous des côtes. Son fils courut chez un chirurgien pour demander du secours. Que de larmes ne versa-t-il point, lorsqu'on lui apprit que la blessure était mortelle, et que sa bonne mère n'avait plus que quelques heures à vivre! Mais il fallait qu'il savourât toute l'horreur qui accompagnait alors ses derniers moments. Le chirurgien le prit à part: 
«Je ne puis éviter, monsieur, lui dit-il, de faire mon devoir, et d'avertir le curé du danger où est votre mère; il doit lui apporter les secours spirituels, et je serais puni si je ne lui en donnais pas avis.» 

Ambroise, effrayé, n'épargna ni larmes, ni prières, pour empêcher le chirurgien de faire cette funeste déclaration. Celui-ci répondit que la déclaration du roi était trop expresse; qu'il y avait une amende de trois cents livres, et qu'il ne pouvait pas, pour lui faire plaisir, s'exposer à la payer. En disant ces mots, il gagna l'escalier, et descendit avec précipitation. Ambroise connaissait ce qu'avaient de terrible pour un mourant l'arrivée du curé et des officiers de la justice, leurs sollicitations, leurs menaces, et le procès-verbal dressé, sans ménagement, sous les yeux du mourant  lui-même. Ce cas-ci devenait d'ailleurs plus grave, parce que le chirurgien ne manquerait pas de dire où et comment sa malade avait reçu cette blessure mortelle. Il connaissait l'attachement de sa mère pour sa religion; et il ne doutait point qu'après sa mort, elle ne fût traînée sur la claie et jetée à la voirie. La piété filiale lui donna, dans ce moment, un courage et des forces qu'il n'aurait jamais trouvés dans d'autres circonstances: il enveloppe sa mère dans une couverture, et l'emporte sur son cou, pour la dérober aux persécutions dont elle était menacée.L'embarras et le poids de cette charge l'empêchèrent d'aller bien loin. Se trouvant dans une rue détournée, vis-à-vis de la porte d'un de ses amis, il s'y arrêta, et son ami étant descendu au son de la sonnette, Ambroise lui demanda, la larme à l'oeil, un asile pour sa mère expirante; il se préparait même à monter avec son précieux fardeau. Mais dans ces temps malheureux chacun songeait à sa sûreté, et la crainte de ses propres maux rendait insensible à ceux des autres. 
«Mon cher Ambroise, lui dit son ami, je ne puis vous accorder ce que vous me demandez; je connais les lois, elles sont sévères, et leurs exécuteurs avides et impitoyables: il y a une déclaration du roi qui défend (
5) sous peine d'une amende de cinq cents livres de  retirer sous prétexte de charité les malades de la religion prétendue réformée. Cette loi est contraire à la justice, elle foule aux pieds l'humanité, je  conviens de tout cela; mais ma fortune ne me permet pas de faire ces sacrifices; et vous devriez  vous apercevoir déjà que votre séjour trop long devant ma porte m'expose et vous perd.» 

Ambroise, terrassé par ce refus, ne pouvait en croire ses oreilles; mais son amour pour sa mère lui donnait des forces, et, reprenant son fardeau, il continua de marcher en tâtonnant au milieu des ténèbres, aussi effrayé en faisant cet acte d'héroïsme, que s'il eût commis le plus grand forfait. 

Il y avait une petite rue écartée, qui menait hors de la ville dans une chaumière déserte. Ce fut dans cette masure abandonnée qu'Ambroise alla se réfugier. Sa mère était accablée de fatigue et de souffrance; son sang se perdait, et elle connut elle-même que sa fin était prochaine. 

« Non, ma mère, lui disait son fils, je ne puis croire que la Providence vous arrache de mes bras d'une manière si cruelle. Le ciel est juste; il ne permettra pas que je vous perde dans un temps où j'ai tant  besoin de vos secours. Ah! vivez pour ma consolation et pour mon bonheur! Souffrez que j'en voie cet homme, qui nous a suivis, prier le chirurgien de nous prêter encore ses secours. &emdash; «Non, mon fils, ils seraient inutiles; laissez-moi  mourir loin de ces hommes affreux.  Leurs se cours! mon fils, peut-être ils vous les refuse raient. N'ont-ils pas toujours des déclarations du roi, pour servir de prétexte à leur barbarie? Et qui sait s'ils n'allégueraient pas, pour me refuser leur assistance, cette déclaration qui ordonne aux médecins de se retirer à la seconde visite,  et d'abandonner leurs malades, lorsqu'ils refuseront d'abjurer leur religion.?... Vous me faites perdre des instants précieux, mon cher fils. Recevez ici ma bénédiction; conservez la mémoire de votre mère; tâchez de faire passer vos frères et vos soeurs dans un pays où l'on puisse adorer et servir Dieu en liberté; préservez mes os de la persécution, en ensevelissant mon corps dans un lieu écarté» 

La voix de cette infortunée s'affaiblissait: elle dit à son fils de se tenir, sans parler, à ses côtés; et, après avoir donné environ une demi-heure à la prière, elle rendit le dernier soupir. Ambroise, désolé, embrassait les restes insensibles de la meilleure des mères; il l'arrosait de ses larmes; il lui adressait les paroles les plus touchantes, comme si elle l'avait entendu; et tel était son égarement, qu'il attendait à chaque instant qu'elle rouvrît les yeux à la lumière. L'homme qui l'avait accompagné était attendri de ce spectacle; il n'épargnait rien pour adoucir la douleur de cet infortuné, et il parvint enfin à l'arracher de dessus  le cadavre, sur lequel il étendit la couverture qu'ils avaient apportée.

Cependant il était grand jour, et le soleil éclairait le fond de la chaumière. Le péril où Ambroise comprit qu'il se trouvait commença à l'effrayer, et la crainte vint faire diversion à la douleur. Il convint avec cet homme, dont il était sûr, qu'il irait à la ville chercher quelques provisions pour passer la journée; que lui Ambroise garderait sa mère, et que le soir ils iraient l'ensevelir dans un lieu éloigné. Il fut assez heureux pour n'être pas découvert dans le jour. Quand la nuit fut arrivée, aidé de ses parents et de quelques amis, il ensevelit sa mère. On eut beaucoup de peine à l'arracher de dessus son tombeau; et ce ne fut qu'après avoir versé un torrent de larmes, qu'il lui dit enfin le dernier adieu.


Table des matières

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(1) On a vu encore de nos jours ces spectacles exercés sur des cadavres. En avril 1749, Daniel-Étienne de la Montagne étant décédé à Catenet, en Provence, et ayant été inhumé à la campagne, Pascal Hérault, chirurgien, assisté d'antres, le déterrèrent, lui attachèrent une corde au cou, et le traînèrent, au son du tambourin et d'un flageolet, par tout le village, en proférant mille injures contre sa mémoire et accablant son cadavre de coups; ensuite ils le pendirent par les pieds, lui ouvrirent le ventre, lui arrachèrent le coeur, le foie et les entrailles, qu'ils portèrent en procession, et coupèrent le corps en quatre quartiers. Ces faits sont attestés par le procès-verbal du juge, mais il n'en a fait aucune punition. 
Claude Cabanis, négociant d'Alais dans les Cévennes, à qui sa probité, sa charité et ses talents avaient concilié une estime universelle, et qui s'était rendu très-utile dans les lieux où il avait formé son établissement, étant décédé à Lavaur, le 14 juillet 1749 et ayant été inhumé la nuit, malgré les longues oppositions police, il fut exhumé à la sollicitation des pénitents blancs, et mis en pièces.
Le ministre des protestants, Louis Ranc, âgé de vingt-cinq ans, ayant été exécuté à Dié, en 1745, M. d'Audiffret, subdélégué de l'intendant, et un grand-vicaire, firent ensuite traîner le cadavre par les rues, et contraignirent un jeune protestant d'aider au bourreau dans cette circonstance.

(2) Ce jésuite parlait comme la société. Le jésuite Bourdaloue disait dans une exhortation sur la charité envers les nouveaux convertis: 
«Or, ne savez-vous pas, mesdames, que c'est là le péril où se trouvent une infinité de pauvres à demi convertis? Je dis à demi convertis, car, malgré toutes les démonstrations extérieures, et tontes les paroles qu'ils ont données, nous devons plutôt supposer que  tout est encore à faire. En effet, plusieurs ne se sont soumis que par force, et catholiques au-dehors, ne le sont guère dans le coeur.»

Massillon s'exprimait en chaire avec la même vérité: 
«C'est à vous maintenant, Seigneur, à changer le dedans, à ramener les coeurs, à éclairer les esprits, qui peut-être n'ont plié que sous le bras de l'homme; afin que non-seulement il n'y ait plus qu'un bercail et qu'un pasteur, mais même qu'un coeur et qu'une âme dans votre église.» (Carême de Massillon, sermon sur le véritable culte.) 
C'est comme s'il avait dit: 
«Seigneur, nous les avons contraints d'entrer; nous avons porté la mort dans le sein de trois cent mille familles; nous avons porté un coup irréparable dans l'état; mais les voilà dans le bercail; il ne reste plus rien à faire que de les convertir; c'est de vous que dépend cet ouvrage.»

(3)  Toute la ville de Melun peut attester le fait suivant. Tout le monde se souvient des scènes scandaleuses qui arrivèrent en France, dont les jésuites étaient les auteurs, au sujet du refus des sacrements. L'évêque de ladite ville de M...., M. de V...., esclave de l'opinion jésuitique, honnête homme d'ailleurs, croyant bonnement qu'il était de son devoir de ne point céder sur ce point aux ordres supérieurs, ne voulut jamais permettre d'administrer l'abbé R...., janséniste malade, qui demandait les sacrements. L'évêque, pour avoir une excuse, à son avis plausible, et pour ne pas se mettre dans le cas de se faire décréter, ordonna à son grand-vicaire, l'abbé L...., de faire sa tournée dans toutes les paroisses, et de consommer toutes les hosties consacrées qu'il trouverait. Malheureusement les ciboires étaient bien garnis, et le grand-vicaire s'efforça de les consommer toutes; ce qui lui causa une indigestion si forte, que le médecin, M. J..., eut bien de la peine à le tirer d'affaire, sans lui donner l'émétique.

(4) L'édit de la révocation de l'édit de Nantes, en défendant les assemblées, prononçait la confiscation de corps et de biens; la peine de mort ne fut décernée expressément que par l'édit de juillet 1685.
Une ordonnance du 12 mars 1689
-confirme cette disposition, et ordonne, de plus, que ceux qui n'auront pas été pris en flagrant délit, mais qu'on saura avoir assisté à des assemblées, seront envoyés aux galères pour la vie, par les commandants ou intendants des provinces, sans forme ni figure de procès. 
Quelle était donc la cause de cette excessive sévérité, de cette violation des droits des citoyens, qui ne peuvent être condamnés à des peines afflictives sans un jugement régulier, droit que les ordonnances mêmes de Louis XIV avaient reconnu? L'on m'avouera donc qu'il est bien dur de condamner aux galères des citoyens paisibles, des gentilshommes qui avaient versé leur sang pour la patrie, parce qu'ils avaient prié Dieu en français et en commun pour la prospérité de l'état et du prince. Il était donc cruel de laisser subsister ces déclarations, et de les confirmer même par une autre en 1724. après que soixante ans d'une soumission, qui n'a même été troublée par un murmure, ont prouvé que les protestants français sont des sujets obéissants et des citoyens fidèles. Toutes ces déclarations ont été la cause des excès commis par les troupes. 
Le 17 mars 1747, deux compagnies de dragons de la reine fusillèrent, près de Mazamet, dans le diocèse de Lavaur, une assemblée, quoiqu'on ne leur fit aucune résistance. Cent vingt-trois fantassins en firent de même le 11 novembre suivant, proche de Saint- Hypolithe-en-Cévennes. Le 8 septembre 1748, aux environs de Saint-Ambroix, diocèse d'Uzès, un détachement insulta les femmes et les filles, leur arracha leurs bagues, crochets d'argent et colliers, leur prit ce quelles avaient d'argent, et blessa diverses personnes. Des dragons firent le même traitement à une autre assemblée, le 9 juin 1749, en Dauphiné, près de Monmoiran. 
Le 22 novembre 1750, plusieurs personnes furent aussi blessées, proche d'Uzès, par 150 hommes du régiment de l'Ile-de-France, qui firent en outre 300 prisonniers, lesquels se laissèrent prendre comme des agneaux, quoique l'assemblée fût fort nombreuse.

(5) 4 septembre 1684
- . Arrêt du conseil qui défend aux protestants de retirer dans leurs maisons aucun pauvre malade de leur religion. Ces malheureux, à qui l'humanité de leurs frères aurait épargné l'humiliation des secours publics; qui auraient pu du moins jouir, dans les maisons particulières, d'un air pur, et des soins de la nature et de l'amitié, étaient condamnés à respirer l'air empoisonné des hôpitaux, et cet arrêt punissait d'une amende la pratique des vertus que l'Évangile enseigne. Par l'édit de 1724 tous les parents et amis des mourants, qui les auront exhorté à persister dans leur croyance, doivent être condamnés aux galères. Un frère, un fils, un ami, qui rend à un mourant des soins consolateurs, sera donc condamné au supplice des scélérats, si, dans ce moment de trouble et de terreur, il cherche à porter la paix dans l'âme agitée d'un père, d'un frère, d'un ami! Entouré de regards ennemis, il craindra de se livrer aux derniers épanchements de la nature et de l'amitié et des malheureux sur leur lit de douleur, menacés d'être condamnés aux galères s'ils reviennent à la vie, ou d'être livrés à l'ignominie après leur mort, tremblant d'exposer leurs enfants à la misère ou au supplice, réduits à redouter la présence et les soins de tout ce qu'ils aiment, expireront déchiré entre le remords d'avoir trahi leur foi, et la crainte des suites affreuse d'un moment de vérité! 

C'est ici le lieu d'observer que toutes ces actions, punies avec tant de rigueur dans la loi de 1724, ne sont pas des actions qui, comme l'assassinat et le vol, seraient des crimes, quand même aucune loi n'aurait statué contre elles: qu'elles n'ont rien de criminel dans l'ordre politique, que la désobéissance à la loi qui les a déclarées des crimes. Mais si la loi peut légitimement décerner des peines contre des actions indifférentes en elles-mêmes, c'est uniquement dans des  circonstances particulières, où ces actions peuvent avoir des suites funestes. Ces lois sont donc momentanées de leur nature; et toute loi perpétuelle, pour défendre, sous des peines capitales, une action qui n'est point un crime indépendamment de la loi, est nécessairement une loi injuste. 

On dira peut-être, pour s'opposer à l'abolition de ces lois, qu'elles ne sont pas exécutées à la rigueur: mais d'abord conserver des lois que l'opinion publique permet de laisser sans exécution, et que les ministres de la justice, les hommes puissants, peuvent réveiller si leur intention ou leurs passions le demandent, c'est ouvrir la porte au mépris des lois, à leur exécution arbitraire, a la tyrannie. 

D'ailleurs ces lois, contre lesquelles nous réclamons, ne sont que trop rigoureusement exécutées. A la vérité, comme les tribunaux ordinaires, forcés de prononcer selon la lettre de la loi, ne peuvent choisir parmi les coupables ceux que leur politique veut qu'on épargne, et ceux qu'elle croit devoir punir, le jugement de ces délits a presque toujours été confié à des commissions; et il n'y a par conséquent aucun moyen de se procurer une liste exacte de ces condamnations irrégulières. Mais nous observerons que, dans un livre imprimé il y a quelques années, livre dans lequel on accusait d'exagération les écrivains amis de l'humanité et de la religion, qui gémissaient de la sévérité des lois contre les protestants. l'auteur, pour prouver avec quelle modération ces lois sont exécutées, avançait que depuis 1745 jusqu'en 1770, il n'y avait eu que huit ministres protestants exécutés a mort.

 

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