Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Oeuvres de Rabaut-Saint-Etienne




LE VIEUX CÉVENOL

CHAPITRE VII.

Nouveaux embarras d'Ambroise. 

Le bon Ambroise, pénétré de douleur de la triste situation de son cher oncle, résolut, pour l'en tirer, de vendre un petit domaine qui lui restait, Il disait: 
« Mon oncle est frère de mon père, il a pris soin de mon enfance: quand j'eus le malheur de perdre ce père chéri, mon pauvre oncle commença par mêler ses larmes aux miennes; il finit par les essuyer; il m'a nourri du pain de sa table,  je dois lui rendre aujourd'hui les bienfaits que  j'en ai reçus.»

Tout en raisonnant ainsi, Ambroise pleurait, et il cherchait partout quelqu'un qui voulût acheter son domaine. Le besoin où il était fit avancer beaucoup de gens, qui lui proposèrent, avec toute l'honnêteté possible, de le leur céder à la moitié de sa valeur. Ambroise était si bon, qu'il ne s'apercevait pas que ces gens abusaient de sa situation; il conclut avec l'un d'eux, se berçant de l'espérance de revoir son oncle, et de l'embrasser mille fois. La joie qu'il ressentait le tint éveillé toute la nuit, et de grand matin il heurtait déjà à la porte d'un notaire, demandant à grands cris qu'on le fit descendre pour une affaire très-pressée. Celui-ci, croyant qu'on venait le chercher pour aller recevoir voir quelque testament, maudit mille fois, et le métier qui le forçait à ne dormir que les yeux ouverts, et le mourant qui l'envoyait tourmenter, et le commissionnaire qui venait le chercher. Cette pensée n'occupait cependant que la portion de ses fibres intellectuelles destinées à veiller à l'intérêt de ses sens; l'autre partie de son cerveau, dès longtemps habituée à l'éclairer sur l'intérêt bien plus important de sa fortune, le porta à s'habiller promptement, de crainte qu'on n'allât s'adresser à certain notaire du voisinage dont il était jaloux. En un clin d'oeil il eut enfilé une vieille robe de chambre; et se précipitant dans l'escalier, il parut aux yeux d'Ambroise, un pied chaussé d'un soulier, l'autre d'une pantoufle, et une grosse écritoire à la main: 
« Eh bien! mon ami, qu'est-ce? Il est donc bien mal ? 
- Ah monsieur, plus mal que je ne puis vous dire; sa situation me fend le coeur. Mon pauvre oncle! quand pourrai-je vous voir  tranquille!
- Pour un neveu, lui dit le notaire, vous voilà bien affligé! Et, dites-moi, l'avez-vous consulté ? - Moi, monsieur, le consulter! Ah! je  veux qu'il l'ignore, je veux le surprendre. 
- Mais,  mon ami, il est la partie intéressée, il faut bien qu'il le sache. 
- Ah! sans doute il le saura, mais quand tout sera fait, quand il ne sera plus le maître de s'y opposer; quand je pourrai le forcer à consentir à des sacrifices, qu'il ne permettrait jamais si je le consultais.»

Le notaire crut avoir affaire au plus scélérat ou au plus fou des hommes, et ce ne fut qu'après 
d'assez longs éclaircissements qu'il parvint à comprendre les intentions d'Ambroise. Il ne put s'empêcher d'admirer le bon coeur de ce jeune homme, et il lui promit de passer le contrat de vente dès qu'il lui en aurait remis la permission. 
« Quelle per mission? lui dit Ambroise. Je suis majeur, mon père n'est plus, et je ne suis que trop libre. 
-  N'êtes-vous pas protestant?
- Oui, monsieur, je  le suis; mais qu'a cela de commun avec les sacrifices que je veux faire à mon oncle?
- C'est que vous ne pouvez disposer de vos biens sans une permission de monseigneur l'intendant, pour la somme de trois mille livres; et de la cour, pour  la somme au-dessus (
1). Ainsi, votre domaine étant de la valeur de quatre ou cinq mille livres, il vous faut aller trouver M. le subdélégué, qui écrira à monseigneur l'intendant, qui répondra à M. le subdélégué, qui vous communiquera la réponse, et vous saurez alors si vous êtes maître de disposer de ce qui est à vous. 
Il est vrai qu'avant ce temps-là votre oncle sera mort, selon les apparences. Il peut arriver encore que si M. le subdélégué n'est pas de vos amis, ses rapports ne vous soient pas avantageux; ou que vos parents, pour vous empêcher d'aliéner un bien sur lequel ils ont jeté leur dévolu, écrivent des lettres anonymes pour vous noircir. Il peut arriver beaucoup  d'autres choses encore; mais ce sont là des inconvénients que le citoyen doit souffrir avec patience, car vous comprenez bien, mon cher Ambroise, que lorsque les protestants sont ainsi  gênés dans leurs affaires, ils sont obligés de se rendre catholiques, pour les faire mieux.»

Le notaire allait parler très-longuement, selon sa coutume, quand il s'aperçut que le pauvre Ambroise fondait en larmes, faisant mille exclamations sur la perte de son oncle. Il le consola du mieux qu'il put; il le fit même avec succès, car le coeur des malheureux est toujours ouvert à l'espérance. Ambroise se décida à voir M. le subdélégué, qui demeurait à quatre lieues de là. Arrivé chez lui, il apprend que le subdélégué est parti la veille pour Montpellier, et ne doit être de retour qu'à la fin de la semaine. La désolation du Cévenol est extrême; mais que peut-on contre la force de la destinée? On se soumet en murmurant; mais enfin l'on se soumet. Tous ceux qui virent le malheureux Ambroise, lui conseillèrent de prendre patience, d'attendre M. le subdélégué, et d'espérer dans la Providence. Après y avoir bien réfléchi, il vit qu'en effet il lui serait difficile de rien faire de mieux.

CHAPITRE VIII. 

Ce que fit Ambroise.  

En attendant la fin de la plus longue semaine qu'il eût à passer, Ambroise dissipait sa douleur, en allant voir fréquemment celui qui la causait. Son esprit n'était occupé que d'un objet, la délivrance de son oncle. Il y avait dans sa petite ville un avocat assez fameux; il lui vint dans l'esprit d'aller le consulter. 
« Je verrai, disait-il, cette déclaration du roi: qui sait s'il n'y a pas quelque moyen de l'éluder, et de sauver ainsi la vie de mon oncle?» 

L'avocat lui confirma tout ce que le notaire avait dit, et lui fit sentir que personne ne voudrait acheter son bien, parce que la loi était aussi sévère contre l'acheteur que contre le vendeur. 
«Mais, lui dit Ambroise, si cette loi m'ôte le droit de vendre mon bien, elle ne peut pas me dispenser de payer mes dettes. 
- Non, lui dit l'avocat; mais il faut que vous fassiez apparoir la vérité de vos dettes, en exhibant les  preuves. 
- Ah! monsieur, mon oncle n'a point  de titres de mes dettes; mais ils sont écrits dans mon coeur; et s'il a oublié les bienfaits dont il m'a comblé, c'est une raison de plus pour que  je m'en souvienne.
- Cela fait l'éloge de votre  coeur; mais avec un bon coeur, on n'a pas toujours la permission de vendre son bien, et un huguenot honnête homme est moins heureux en ce point qu'un scélérat qui a le bonheur d'être catholique. 
- Du moins, si je ne puis vendre mon  bien, je suis apparemment le maître de le donner; cela reviendrait presqu'au même pour moi: car je pense que ce petit bien engagerait M. Hypocris et ses amis à passer par-dessus les formalités ordinaires. 
- Cela est possible, dit l'avocat:  d'ailleurs ils n'auraient qu'à exhiber les preuves de la dette, pour obtenir une distribution. Mais, mon cher Ambroise, la loi vous gène encore, car  elle défend toute donation entre-vifs; ainsi vous êtes le maître d'acquérir autant qu'il vous plaît, mais vous ne l'êtes pas de disposer; et je ne vois d'autre moyen, pour vendre votre domaine, que d'en obtenir la permission.» 

Ambroise ne pouvait concevoir qu'une loi l'empêchât d'être reconnaissant. 
«Quoi! disait-il, j'ai du bien, je veux le donner, à autrui, parce que je ne m'en soucie plus, et je ne serai pas le maître de le faire! voilà ce que je ne comprendrai jamais.» 

L'avocat lui fil entendre alors que le but de cette loi était d'empêcher les nouveaux convertis de sortir du royaume, 
«Le prince sait donc que nous y sommes mal, puis qu'il craint que nous n'en sortions, disait Ambroise; mais ne serait-il pas plus sur de nous y «attacher par les bienfaits que par la crainte? D'ailleurs, monsieur, il est impossible de retenir les gens par force; et quand une fois l'on a vu  dans sa patrie une mère dure et sévère, qui nous  bannit de son sein, on s'en détache sans peine, pour s'en donner une plus bienfaisante et plus douce. 
La liberté n'a point de prix, et on ne l'achète  pas trop cher de toute sa fortune. Je n'entends rien à la jurisprudence; mais il me semble qu'il n'y a point de contrat qui oblige un sujet à rester dans un état où il ne se plaît pas, et dans lequel il ne peut pas vivre. Que si le prince m'ordonne de rester dans un pays d'où la nature, qui abhorre la souffrance, m'ordonne de sortir, je respecterai le prince, mais j'obéirai à la nature.-
Vous avez raison, lui dit l'avocat; je pourrais même vous faire observer que cette loi, qui défend aux protestants de vendre leurs biens sans permission, est sujette à beaucoup d'autres inconvénients. Elle effraie le sujet, parce qu'elle lui représente le royaume comme une vaste prison, de laquelle il ne peut sortir, et détruit par là ce sentiment de liberté, qui est le principe de l'industrie. Elle nous avertit beaucoup trop durement de nos chaînes, que l'autorité devrait couvrir de fleurs; elle nous détourne d'acquérir des biens-fonds, et détruit la confiance du sujet, qui, pour s'exciter à l'industrie, doit être bien convaincu qu'il travaille pour lui et pour ses enfants; elle dérange une multitude de familles, qui, en vendant à propos une partie de leurs biens, sauveraient l'autre du naufrage. Au reste, mon ami, continua l'avocat, je sais un moyen de vendre votre bien; mais il est long, et il vous en coûtera beaucoup. 
- N'importe, n'importe! s'écria tout-à-coup Ambroise, pourvu que j'aie mille livres de reste, pour payer l'amende de  mon oncle et ses frais, je suis content.» 

Il insista si fortement auprès de l'avocat, que celui-ci consentit à tout ce que voulait son client. On feignit trois ou quatre mille livres de dettes de la part d'Ambroise; on poursuivit un décret qui coûta d'abord deux ou trois cents livres, et le domaine d'Ambroise se vendit à bas prix, comme un bien décrété: en sorte que, lorsqu'il eut payé l'amende, les frais de justice, les procureurs et les huissiers, il ne lui resta plus rien, mais il avait son oncle, et c'était tout pour lui. 

On emporta le pauvre Jérôme Borély, qui, outre les maux qu'il avait en entrant dans la prison, y avait gagné un rhumatisme, dont il fut tourmenté pendant tout le reste de sa vie. 


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(1) Déclaration du roi, du 5 mai 1699
, qu'on renouvelle tous les trois ans. Cette loi ordonne que les ventes faites par les émigrants, dans l'année qui précédait leur émigration, seraient annulées, et les biens vendus, confisqués au profit du roi. C'était punir les acheteurs d'une faute que les vendeurs avaient commise. Les autres dispositions des immeubles, faites dans la même époque, furent aussi déclarées nulles.

 

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