Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Oeuvres de Rabaut-Saint-Etienne




LE VIEUX CÉVENOL

CHAPITRE V.

Misère de la mère d'Ambroise

Ambroise avait des frères et des soeurs plus jeunes que lui, et sa mère, voyant le succès de ses soins pour l'aîné, redoublait d'ardeur pour perfectionner l'éducation des autres. Cette éducation se bornait aux instructions domestiques, et n'avait d'autre but que d'en faire de bons sujets, et de les élever dans les sentiments qu'elle avait elle-même. Il y avait dans ce pays-là un nommé Claude Hypocris, dont la fonction était de dénoncer les protestants qui ne voulaient pas se rendre catholiques, et qui persistaient dans leurs erreurs, malgré les ordres du roi, au moyen de quoi les gages de ce délateur se prenaient sur les dépouilles des accusés. Cet avide et inexorable inquisiteur recherchait avec soin les délinquants, et, grâces à l'heureuse population de ce pays, il ne manquait pas d'occasions  de donner des preuves de son zèle: aussi s'aperçut-il bientôt que la mère du jeune Ambroise n'envoyait aucun de ses enfants à l'école ni aux catéchismes, et qu'elle violait en ce point les ordonnances. Il la fit condamner à payer les amendes prescrites par les déclarations du roi (1). La mère les paya gaiement, s'estimant heureuse d'acheter, à ce prix, le pouvoir d'instruire et d'élever ses enfants elle- même. 

Mais ces amendes réitérées, et que l'on augmentait de temps en temps, entamèrent cruellement sa fortune. Les supérieurs, irrités de la résistance opiniâtre de cette femme, eurent encore recours aux édits du roi, qui suppléaient à tout; et ils en trouvèrent un (2) qui déclarait que les veuves qui persisteraient dans la R. P. R. un mois après la publication des présentes, seraient déchues du pouvoir de disposer en aucune manière de leurs biens, et que ces biens passeraient à leurs enfants catholiques, et, s'il n'y en avait point de tels, aux hôpitaux les plus prochains. 
« Voici ce qu'il nous fout!» dit en triomphant Hypocris; et bientôt l'édit fut exécuté. On ôta à la mère le droit de gérer son bien: on lui fit une pension aussi modique qu'il fut possible, et, conformément à un autre édit du roi (
3), tous ses enfants lui furent enlevés. On lesenferma dans des couvents de villes éloignées, où ils furent si bien instruits, si bien catéchisés, si régulièrement fustigés que l'on espéra que dans quelques années on en ferait de bons catholiques. Il est vrai qu'au sortir du couvent, ils s'enfuirent dans les pays étrangers; mais au moins on avait fait ce qu'on avait pu, et l'on n'avait rien à se reprocher,
Cependant la veuve désolée de l'infortuné Hyacinthe Borély mangeait un pain de larmes, et gémissait nuit et jour sur la perte de ses enfants. Elle était réduite, dans un galetas, à quelques mauvais meubles. Là, son unique consolation était de voir Ambroise, qui lui donnait tout le temps que ses occupations lui laissaient. 

Un nouveau chagrin vint lui percer le coeur. Elle avait, parmi ses enfants, un petit garçon d'une très-jolie figure: on le nommait Benjamin, et, comme le fils de Jacob, il était extrêmement aimé. Cet enfant n'avait que sept ans; il avait été enlevé comme les autres, et mis dans un couvent à deux lieues de là. Hypocris forma le dessein d'engager cet enfant à embrasser la religion catholique. On le caressa beaucoup dans le couvent, on lui donna des images et des dragées, et le petit Benjamin fit abjuration de ses erreurs en présence de témoins. 

En conséquence, il fut  en possession des biens de son père; la mère, les frères et les soeurs, entêtés, furent tous dépossédés conformément à l'édit du roi; et Hypocris, nommé pour tuteur, géra ces biens de manière à y faire son profit. 
La bonne veuve disait avec douleur: 
« Un enfant de sept ans est-il donc en état  de choisir une religion? Cet objet, qui demande toute la force de la raison, était-il à la portée de  ce pauvre Benjamin, qui joue encore avec son  tambour?» 

On lui répondait qu'il existait une déclaration du roi, qui portait que les enfants parvenus à l'âge de sept ans seraient admis à abjurer la R. P. R. (4 Il est vrai, lui disait-on, qu'en 1669 le roi pensait qu'il ne fallait admettre à l'abjuration que les enfants parvenus à l'âge de quatorze ans; mais le Père Lachaise prétend qu'un enfant de sept ans est aussi formé aujourd'hui, que l'était alors un enfant de quatorze ans; et les jésuites s'y connaissent. D'ailleurs vous étonnerez-vous que, dans un pays où l'on fait voeu de chasteté à seize ans, on ne puisse pas à sept ans faire voeu d'une foi implicite et absolue?» 

Il n'y avait rien à répondre aux déclarations du roi, à la foi implicite, et aux arguments du Père La chaise. La pauvre veuve se contenta de pleurer: pour la consoler, on rogna sa pension; et sa misère ne laissait plus rien à désirer. 

CHAPITRE VI. 

Ce qui arrive à l'oncle d'Ambroise.  

Un jour qu'Ambroise tenait compagnie à sa mère, un de leurs amis entra: à sa contenance triste on reconnut d'abord qu'il était porteur de quelque mauvaise nouvelle. En effet, il ne tarda point à leur apprendre que l'oncle d'Ambroise venait d'être arrêté et conduit en prison, et que, selon les apparences, il serait condamné aux galères. Cet oncle était un honnête homme, qui, dans le temps des abjurations, y avait été contraint comme les autres. On avait mis quatre tambours chez lui, qui, se relevant presque nuit et jour, battaient de la caisse au chevet de son lit, où il était malade. Il résista pendant quarante-huit heures à cette nouvelle espèce de torture, et l'on s'avisa au troisième jour de mettre un grand chaudron sur sa tête, et d'y frapper continuellement. De temps en temps on examinait si la conversion commençait à s'opérer: on eut la satisfaction de voir que le malade, excédé de fatigue, demandait à se convertir. Comme en effet l'oncle d'Ambroise promit de signer, il signa d'une main tremblante, et s'évanouit. Depuis ce jour le nouveau converti ne fut plus inquiété, parce qu'on ne demandait que sa signature pour prouver qu'il était bon catholique ; mais il eut un regret si vif de ce qu'il appelait sa chute, qu'il la pleura pendant tout le reste de ses jours.

Hypocris, que son emploi autorisait à mettre le nez dans les affaires de toutes les familles, était aigri de la conduite de cet homme, et surtout fort affligé de ne point trouver l'occasion de l'en punir. Il avait déjà plusieurs griefs contre lui. C'était un usage, assez général dans ces temps, que le curé du lieu et Hypocris allassent visiter ensemble, le vendredi et le samedi, les maisons suspectes, pour voir si l'on y mangeait de la viande, et quelquefois l'oncle d'Ambroise avait été trouvé en faute. Il est vrai que sa santé étant délicate, il se munissait toujours d'un certificat du médecin, et l'on ne pouvait point lui faire payer l'amende. 

Par un autre usage de ce temps-là, on visitait exactement les maisons des nouveaux convertis, pour leur ôter leurs livres de dévotion (
5). Cette cérémonie se faisait avec une pompe militaire, de peur qu'ils ne perdissent la mémoire de ce que savaient faire les dragons: on battait la caisse par toute la ville, on distribuait des soldats dans tous les carrefours, et, après cette recherche, on brûlait en place publique les livres que l'on avait trouvés, et l'on punissait sévèrement les délinquants. Or, le grief d'Hypocris contre l'oncle d'Ambroise n'était pas d'avoir trouvé chez lui des livres hérétiques, mais bien de n'y en avoir pas trouvé; car il faut convenir que cet inquisiteur avait parfois le coeur méchant: l'espoir des confiscations et des amendes le rendait capable de tout. 
Le hasard, qui, comme on le prouve si clairement aujourd'hui, gouverne le monde avec beaucoup d'intelligence, vint favoriser l'insatiable avidité d'Hypocris. 

Quelqu'un, parlant devant lui de la singularité de l'oncle d'Ambroise et de sa vie retirée, dit que cet homme était toujours protestant, et qu'il lui avait entendu témoigner beaucoup de regret de son abjuration (
6). Hypocris, qui savait son code de lois pénales sur le bout du doigt, lui demanda d'un air assez indifférent, avec qui il était lorsque cet homme avait tenu ce propos. Celui-ci lui nomma deux ou trois personnes très-connues. Hypocris, triomphant, bâtit là-dessus un petit projet digne de l'école jésuitique. 

Il faut apprendre ici au lecteur de ces curieuses aventures, qu'il existe une ordonnance du roi  laquelle défend à ceux des nouveaux convertis qui ont une fois abjuré la R. P. R., d'oser dire qu'ils se repentent de l'avoir fait; et cette ordonnance condamne aux galères ceux qui auront l'audace et la témérité de publier qu'ils sont encore huguenots; mais, de peur que la marche réfléchie de la justice n'adoucisse la sévérité de cette peine, on en commet l'exécution à MM. les intendants. 
Observez de plus, lecteur, que cette ordonnance, dont on est sans doute encore redevable à ce bon Père Lachaise, appelle cette rétractation un crime parce que, selon lui et ses adhérents, c'est un crime que de se rétracter, quand on est libre, de ce qu'on avait promis aux sabres et aux pistolets des dragons. 

Il suivait de cette ordonnance que l'oncle d'Ambroise était coupable. Déjà Hypocris avait reçu la déposition des deux témoins qui avaient ouï le discours de cet infortuné, et le lendemain même, on arracha Jérôme Borély à sa famille, pour le traîner dans un cachot. Telle était la nouvelle que l'on apportait à la mère d'Ambroise. On se peint aisément la désolation de cette pauvre veuve. Il ne faut à une âme abattue que la  douleur d'une infortune légère pour l'achever; c'est ainsi que le dernier coup de hache renverse un chêne que vingt bras avaient attaqué. Ce coup était donc beaucoup trop fort pour la mère d'Ambroise; elle en fut accablée. Quant au fils, il était au désespoir. 
« Quoi! (disait-il avec sanglots) mon «oncle, mon cher oncle, mon second père, arraché d'entre nos bras, enfermé dans un cachot infect, et chargé peut-être de fers! Mon cher oncle, l'homme le plus vertueux, condamné à passer le reste de ses jours avec les plus vils scélérats, couvert de l'ignominie du crime! Et pourquoi? grand Dieu! pour avoir détesté l'hypocrisie. Que mériterait-il de plus, s'il eût déshonoré sa vie par d'infâmes larcins?» 

Il s'écriait encore, en fondant en larmes: 
« Mon pauvre oncle, vous ne pourrez résister à la fatigue de la chiourme, aux intempéries de la mer, et à une nourriture détestable! Il me semble que je vous vois, étendu sur le coursier, le dos dépouillé, et près de vous le comité barbare, armé d'une corde goudron née (
7).»

Cette image effrayante poursuivait partout le malheureux Ambroise: quelquefois il espérait que, par des sollicitations et des amis, il pourrait arracher son oncle à sa fatale destinée, et cette idée adoucissait un peu sa douleur: d'autres fois, perdant toute espérance, il voulait aller prendre la place d'un oncle qui lui semblait plus nécessaire à sa mère que lui-même (8). 
La santé d'Ambroise fut très altérée par cet événement, et sans doute il aurait succombé à son affliction, si ce même avocat qui lui avait donné autrefois de si bons conseils, ne fût venu à son secours. Personne ne savait mieux que lui comment on adoucit la sévérité de certains hommes, combien il est d'heureuses tournures à donner aux cas les plus désespérés. Il tira d'affaires Jérôme Borély, qui voyait, il est vrai, sa fortune réduite à rien, mais qui devenait libre.
Hypocris était enchanté des expédients pécuniaires de l'avocat, et la famille de Jérôme oubliait sa misère, pour se livrer au plaisir de revoir son chef: cette joie fut de courte durée. Jérôme Borély était chargé, en société, de la ferme du prieur du lieu, qui aurait été bien fâché que les protestants eussent refusé de la prendre. Cependant, comme il existait une déclaration du roi (9) a qui défend aux prétendus réformés de prendre de telles fermes, et qu'il y avait une bonne amende de mille livres, sans compter les frais de justice, Jérôme Borély fut attaqué; il ne voulut point se défendre sur son abjuration, qui aurait prouvé qu'il était catholique; il eût rougi d'une telle hypocrisie, et sa délicatesse le perdit (
10). 
Sa fortune épuisée ne lui permit point de payer cette amende fatale, et il se vit de nouveau traîné en prison. Depuis long-temps il portait dans son sein le germe de beaucoup de maux, et la nature succombant sous cette dernière épreuve, il tomba malade d'une maladie très-sérieuse. 


Table des matières

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(1) Déclarations du roi, du 13 décembre 1698 , et du 16 octobre 1700, par lesquelles il est ordonné aux protestants qu'on supposait convertis en vertu des ordres du roi et des vexations des dragons, d'envoyer leurs enfants aux écoles et aux catéchismes catholiques: les juges devaient condamner à des amendes ceux qui contreviendraient à ces ordres; on enlevait les enfants à leurs parents, pour les faire élever dans des collèges et des couvents. 
Les jésuites arrachèrent cet ordre barbare à Louis XIV, lui ayant persuadé qu'il était obligé en conscience de préserver ces enfants de l'erreur, et qu'il répondrait devant Dieu de leur perdition. Ces ordres ont été souvent exécutés: nous avons vu, de nos jours, de jeunes filles arrachées à leurs parents par des ordres rigoureux, livrées dans des couvents à des religieuses peu éclairées, qui ignoraient également et la religion dont il fallait les instruire, et celle dont il fallait les détromper.
Nous avons vu plusieurs de ces malheureuses victimes succomber à ces longues persécutions, et perdre, au bout de quelques années, ou la raison ou la vie. La fille de Sirven, entre autres, devint folle, s'échappa du couvent où elle était renfermée, et se noya dans un puits. Le père, accusé de l'avoir assassinée, fut condamné par contumace a être pendu; le parlement de Toulouse lui a rendu depuis une justice éclatante. Personne n'ignore les constants et utiles efforts de Voltaire pour l'obtenir. 
(2) L'édit du 1er janvier 1686 priva de leur douaire et de tous les avantages accordés par les lois, de quelque nature qu'ils puissent être, les femmes des nouveaux convertis qui refuseraient d'imiter leurs maris, et même les veuves des protestants; on supposait apparemment que leurs maris se seraient convertis s'ils n'étaient pas morts.

(3) Janvier 1686 et 1724. art, 4, 5, 6 et 7, qui oblige les protestants d'envoyer leurs enfants aux écoles catholiques. Ainsi la loi enlève le droit qu'ont les pères de veiller à l'éducation de leurs enfants, ce droit de la nature, antérieur à toutes les lois. Ils craindront •que le zèle exagéré des instituteurs catholiques n'apprenne à leurs enfants à regarder leurs parents comme des ennemis de l'Etre Suprême. Accoutumés, par les préjugés mêmes de leur secte, à se défier de la pureté des moeurs des prêtres voués au célibat, ils seront forcés de livrer leurs filles aux instructions de ces prêtres; et si ces ministres d'une religion sainte sont indignes de leur caractère, comme il n'est arrivé que trop souvent; si un père a pu concevoir d'affreux soupçons, il n'osera arracher sa fille au danger, de peur que des ordres rigoureux ne la viennent enlever de ses bras; et s'il laisse échapper un cri d'indignation, exposé à la vengeance de l'hypocrisie et du fanatisme, il se verra entouré de délations et de supplices.
Y a-t-il rien en effet de plus anti-chrétien et de plus tyrannique que l'enlèvement des enfants à leurs pères et mères ? Funeste méthode, perpétuée jusqu'à nos jours depuis la révocation de l'édit de Nantes ! Toutes les provinces ont été désolées ainsi; mais le Poitou, le Languedoc, le Vivarais, le Dauphiné, et singulièrement le diocèse de Bayeux dans la Normandie, en fournissent des exemples récents par milliers. Ces exécutions out été accompagnées des plus terribles circonstances; et, pour en redoubler l'horreur, et jeter d'autant mieux l' épouvante, ça été d'ordinaire pendant la nuit que les grands coups ont été frappés. 
Je ne ferai point le détail de ces barbaries, et qui pourrait suffire à les rapporter? Je ne parlerai que de la seule expédition du sieur Houvet, curé d'Athis en Normandie, et de ses vicaires les sieurs Verger et Grenier. Que l'on te représente ces prêtres suivis de cohortes d'archers, volant de paroisse en paroisse, assiégeant les maisons à la faveur des ténèbres, enfonçant les portes avec des haches, et remplissant l'air de cris affreux, et capables de jeter la terreur dans les âmes les plus intrépides ! 
Que l'on se peigne leurs satellites entrant après eux, le sabre a la main et le blasphème à la bouche, renversant et brisant tout ce qu'ils rencontrent . jusqu'à ce qu'ils trouvent enfin ce qui fait l'objet de leurs recherches, et va faire le sujet de tant de larmes ! Qui pourrait retracer la fureur avec laquelle ils se saisissent de leur proie, et l'entraînent sans lui donner le temps de s'habiller, et sans avoir égard aux cris des pères et mères ! Ils ont l'inhumanité de repousser, d'insulter, de frapper ces infortunés pères et mères, qui, se voyant enlever ce qu'ils ont au monde de plus cher, osent, dans l'excès du plus cruel désespoir, hasarder quelques vaines tentatives pour sauver ces précieux objets de leur tendresse, et les conserver à leur amour. Aussi ces enlèvements firent tant de bruit, et jetèrent une si grande consternation et une si vive alarme dans tous les cantons, que plus de mille familles se réfugièrent alors en Angleterre, et y emportèrent ce qu'ils parent ramasser d'effets et d'argent.

(4) 17 juin 1681 . Louis XIV avait permis de recevoir les abjurations des enfants de sept ans; il les avait autorisés à quitter la maison de leurs parents, et à faire un procès à leurs pères, pour les obliger à leur payer une pension. La loi supposait donc que les enfants de sept ans sont en état de prononcer entre deux religions qui partagent les théologiens de l'Europe les plus éclairés. La loi permettait à des enfants de sept ans de se soustraire à l'autorité paternelle. Un père était exposé à perdre ses enfants pour jamais, si quelque rigueur nécessaire pour corriger leurs vices naissants excitait dans leur âme un instant de dépit. C'est ainsi que les instigateurs de ces lois respectaient la religion, les moeurs et la nature! Les jésuites firent entendre à Louis XIV que la religion fait aux rois un devoir de conscience de préférer le salut de leurs sujets à leur bonheur et à leurs droits. 
Nous répondrons à ce raisonnement par un exemple plus fort que toutes les raisons: la feue impératrice-reine, Marie-Thérèse, la souveraine de l'Europe la plus pieuse, a défendu aux instituteurs publics, dans ses états, de mettre entre les mains des enfants confiés à leurs soins, aucuns livres où l'on combattit les dogmes de religion que professent leurs parents. Cet acte d'une sage législation devrait, même aujourd'hui, être imité parmi nous. On pourrait, s'il en était besoin, citer plusieurs faits qui le prouvent.

(5) Les ecclésiastiques mettaient tout en oeuvre pour découvrir et enlever leurs livres de piété, dans la vue apparemment que leur religion n'eût plus aucune consistance, et qu'ils fussent réduits à vivre sans loi, sans principe et sans foi. Pour y parvenir plus sûrement, on a employé toute la sévérité de l'inquisition la plus violente. Étienne Arnaud fut condamné aux galères, en 1745, pour avoir distribué des livres de prières; son Nouveau- Testament et ses psaumes furent attachés au carcan avec lui. Le nommé Issoire, de Nîmes, subit le même genre de supplice, et quantité de gens de la même ville furent contraints de prendre la fuite ou furent détenus long-temps en prison. L'intendant d'Auch fit brûler, en 1746, nombre de livres religieux.

(6) Le zèle de ceux qui, pour être délivrés des dragons, avaient fait semblant de professer la foi catholique, était encore irrité par leurs remords, et par le désir de réparer la honte de ce qu'ils regardaient comme une apostasie. L'ordonnance du 12 mars 1690 condamne au bannissement les protestants qui déclarent à la mort, qu'ils ont vécu et qu'ils veulent mourir dans leur religion, en cas qu'ils reviennent à la vie; et s'ils meurent, on fait le procès à leur mémoire. Mais, par d'autres lois qui ne sont pas abrogées, on doit mettre aux galères les protestants arrêtés en voulant passer les frontières; ainsi les protestants n'ont la liberté de sortir du royaume que quand ils sont bannis. La condamnation de leur mémoire entraîne la confiscation de leurs biens, et les enfants sont punis de l'erreur de leur pères. Je ne parle point ici de l'infamie qui est la suite de cette condamnation; l'infamie légale n'a de force que lorsque l'opinion publique la ratifie. L'édit de 1714 condamne aux galères ceux qui se repentent d'avoir abjuré la religion prétendue réformée. 

(7) Tel était le zèle de nos pères contre ces hommes dévoués par les lois pénales, que les forçats protestants étaient traités plus rudement que les criminels. S'ils manquaient à la moindre cérémonie de la religion catholique, on les étendait nus sur le coursier, et un homme, armé d'une corde goudronnée et trempée dans l'eau de la mer, les frappait de toute sa force. Les côtes retentissaient sous la violence des coups, la peau se déchirait eu lanières sanglantes; et on emportait ces malheureux à demi morts à l'hôpital, où l'on prenait soin de les guérir, pour recommencer leur supplice.

(8) C'est de nos jours que le jeune Fabre obtint d'être conduit aux galères à la place de son père. On ne peut lire l'Honnête criminel sans être attendri jusqu'aux larmes, et sans en estimer l'auteur. 

(9) 9 juillet 1685.
On défendit aux ecclésiastiques de donner leurs terres a des fermiers protestants, ou même à des catholiques qui auraient des protestants pour caution. Il paraissait cependant naturel d'espérer que des évêques ou des docteurs convertiraient leurs fermiers hérétiques. Le clergé, en sollicitant cet édit à l'instigation des jésuites, ne devait-il pas craindre de montrer aux protestants que c'était l'homme qu'on persécutait et non l'erreur? Qu'ont de commun les travaux du labourage, et les dogmes de la religion protestante? Le clergé ne semble-t-il pas avoir eu peur que les évêques fussent pervertis par leurs fermiers ? 

(10) En 1665 et en 1669, Louis XIV décerna la peine du bannissement perpétuel contre les relaps, c'est-à-dire, au terme de la loi, contre ceux qui, après avoir été contraints par les vexations à faire abjuration de la religion protestante, étaient retournés à leurs erreurs. 
Le lecteur aura déjà observé, dans les notes précédentes, que, par la déclaration du 26 avril 1686, ceux qui, ayant abjuré la religion protestante, déclaraient par la suite qu'ils se repentaient et qu'ils voûtaient mourir dans cette religion, devaient être condamnés aux galères, et, s'ils venaient à mourir dans leur religion, que leur bien, devait être confisqué, et le procès fait à leur mémoire. 

 

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