L'HOMME
BANNI D'EDEN
DÉVELOPPEMENTS
EXÉGÉTIQUES.
DE l'IMAGE DE DIEU EN L'HOMME.
CHAPITRE III
Avant tout il faut discuter ici une question
préalable dont dépend toute
l'interprétation du chapitre : Le
récit mosaïque de la chute de l'homme
est-il réellement historique,
littéral, ou bien ne serait-ce qu'une
allégorie servant d'enveloppe à une
vérité morale, ou encore un mythe, un
apologue religieux par lequel l'auteur aurait voulu
exposer ses vues philosophiques sur l'origine du
mal ? Telle est la question qui a
divisé les théologiens depuis Philon,
Justin martyr et Origène jusqu'à
Eichhorn, Hengstenberg et Tholuck.
On comprend facilement que des hommes qui ont
perdu, par l'étude des sciences
métaphysiques et une fausse
civilisation, les goûts,
l'esprit et la simplicité des premiers
Âges du monde, aient été
tentés de mettre dans la haute question de
l'origine du mal des spéculations
philosophiques que le récit mosaïque
n'offre pas. Ils croyaient échapper par
là aux objections ou aux sarcasmes de ceux
qui ne reçoivent pas la Parole de Dieu comme
vraie. On ne peut pas nier non plus qu'il n'y ait
dans ce récit des difficultés pour la
raison humaine ; on a voulu les aplanir, mais
a-t-on atteint ce but parla
spéculation ?
Les premiers essais d'interprétation
allégorique sont dus à Philon
d'Alexandrie (De opifido mundi, p. 104 seqq.,
ed. Pfeif..), sur les pas de qui
marchèrent d'abord Origène qui trouva
ici un beau champ pour son système favori
d'interprétation, Ambroise (L. de
Paradiso), Clément d'Alexandrie,
etc.
Plusieurs écrivains de l'église
catholique ont adopté l'explication
allégorique ; dès le milieu du
siècle passé le rationalisme, faisant
un pas de plus, ne vit plus dans notre récit
qu'un mythe philosophique dans lequel disparaissent
tous les faits et où il ne reste plus comme
réalité ni arbre de la science du
bien et du mal, ni serpent, ni tentation ; en
un mot c'est une pièce de pure invention
comme une fable d'Esope ; ainsi Eichhorn,
Gabler, Paulus et d'autres. Quelques-uns de ces
exégètes veulent néanmoins
conserver à quelques parties du récit
leur réalité, tout en expliquant les
autres par un mythe ; mais ce système
est insoutenable. Où seront alors ces
marques de distinction ou les limites du vrai et du
fictif ? Évidemment tout le
récit doit être littéral, ou
tout allégorique, ou tout mythologique.
Cependant, dès les temps les plus anciens de
l'Église chrétienne il y eut une
grande majorité des Pères de
l'Église qui virent dans notre chapitre un
récit purement et simplement historique, un
fait d'une immense importance dont le sens est
très profond malgré la
simplicité enfantine de l'expression et de
toute la manière de raconter ; ainsi
Justin martyr, Irénée,
Théophile d'Antioche,
Tertullien, Augustin,
Théodore, auxquels se joignirent tous les
réformateurs et les théologiens
protestants jusqu'à la naissance du
rationalisme en Allemagne
(1). Il est
inutile de dire que tous les commentateurs anglais
sont littéralistes.
Maintenant où est la
vérité ?
J'avoue qu'en commençant des recherches sur
ce sujet j'avais une disposition
décidée à l'expliquer, non pas
par un mythe, ce qui ne peut guère entrer
dans l'esprit de quiconque respecte la Bible comme
la Parole de Dieu, mais par une
interprétation à la fois
réelle, quant au fonds des idées, et
pourtant allégorique ou figurée,
quant à la forme dont ces idées sont
revêtues. Et certes, quand on voit un
exégète chrétien tel que
Tholuck se décider pour cette
interprétation, on peut croire qu'elle n'est
pas incompatible avec une foi vive et
éclairée en l'autorité divine
de la Parole de Dieu. Ce profond théologien,
qui se rit de l'opinion de Luther qu'avant la chute
le serpent marchait verticalement et sur des pieds
comme un coq, exprime ainsi ses idées :
« Comme chaque âge imprime aux
faits qu'il livre à la
postérité sa couleur
particulière, le devoir de l'historien est
de distinguer cette couleur des faits mêmes
afin de les considérer objectivement
(en eux-mêmes) autant que cela est
praticable dans des faits de tradition.
Or, si l'on examine les premiers chapitres de la
Genèse, on se persuade bientôt que les
récits qu'ils renferment portent le coloris
d'un temps très reculé, d'un temps
où les hommes vivaient dans une
simplicité d'enfance, et où par
conséquent leur manière de s'exprimer
était en figures, parlant
aux sens (sinnlick-bildlich), comme cela est
naturel aux coeurs simples et enfantins. Que Dieu
se promène au vent du jour dans le jardin,
qu'un ange garde l'entrée du jardin avec une
épée flamboyante, toutes ces
expressions trahissent dans leur simplicité
figurative le caractère de la haute
antiquité d'où elles émanent.
Dans les plus anciennes traditions d'autres peuples
on trouve le même coloris ; il faut donc
rechercher les idées que l'antiquité
a déposées dans ces peintures
figuratives. Quand dans un tableau la figure
principale est expliquée, elle répand
sa lumière sur tout ce qui l'entoure ;
or, dans notre histoire, l'objet saillant est
l'arbre de la connaissance du bien et du mal dont
la jouissance attira sur nos premiers parents toute
la misère où l'humanité se
trouve actuellement plongée.
Que nous ayons ici une figure, c'est ce qu'on ne
peut révoquer en doute ; la tradition
indienne parle d'un arbre de la sagesse,
celle du Thibet d'une racine
d'immortalité, celle des Perses d'une
source de la vie éternelle, autant
d'images d'une même chose. Manger du fruit de
l'arbre de la connaissance du bien et du mal
signifie simplement entrer dans cette
connaissance. Ainsi le sens de cette image est
celui-ci : L'homme qui, conformément
à sa destination, jouissait jusqu'alors
d'une sainte innocence, l'homme qui n'avait d'autre
volonté que la volonté de Dieu (comme
dans l'éternité nous n'en aurons
point d'autre), sortit de sa destination, devint
autonome, ne voulut plus reconnaître la
loi divine comme loi suprême de sa vie. - Tel
est le point de vue duquel on doit expliquer les
autres « circonstances du récit
(2) ».
Cependant, malgré l'autorité d'un si
grand nom et la prévention que j'avais en
faveur de l'interprétation figurée,
une étude attentive de ce chapitre m'a
convaincu que cette interprétation ne saurait être vraie.
En voici les raisons principales que je ne ferai
qu'indiquer :
1° Le principe d'une telle
interprétation est mauvais et dangereux. Il
a conduit les Idéalistes de l'Allemagne dans
des erreurs tout aussi graves et peut-être de
même nature, quoiqu'ils soient loin de
l'avouer, que le système d'allégories
inventé jadis par les docteurs de
l'école d'Alexandrie et suivi de nos jours
par des chrétiens dignes d'ailleurs de tout
respect (3).
Dès que, dans des livres historiques, on
cesse de voir purement et simplement de l'histoire
(sans en méconnaître l'esprit, sans
doute) on ouvre un champ illimité à
l'imagination et aux spéculations les plus
hasardées.
Si l'on idéalise le troisième
chapitre de la Genèse, c'est-à-dire
si l'on en accepte l'idée en rejetant les
faits historiques qui lui servent de fondement et
en font la réalité, pourquoi ne
ferait-on pas de même pour la création
du monde, par exemple, ou pour l'histoire du
déluge, ou pour les miracles de Moïse,
ou pour la conception de Jésus-Christ par le
Saint-Esprit, ou pour ses miracles, ou pour la
conversion de saint Paul ?
On sait que ce ne sont pas là des
suppositions gratuites, mais que l'idéalisme
moderne les a réalisées. Il est vrai
que ce raisonnement à priori n'aurait
aucune force si l'on pouvait prouver que l'auteur
de notre chapitre a eu l'intention de donner, non
de l'histoire, mais des figures.
2° Mais comme tout, au contraire, prouve qu'il
raconte aussi bien pour la forme que pour le
fonds et qu'il n'invente pas, nous tirons de
là une seconde preuve en faveur de
l'interprétation littérale.
L'histoire de la chute de l'homme se trouve dans un
livre où tout est historique ; elle
fait suiteau récit de la
création, elle précède la
description des premiers crimes des hommes ;
nous voyons maintenant l'homme tel qu'il devint par
celte chute, et en tout cela il n'y a pas un mot,
pas un incident d'où l'on puisse conclure
avec quelque fondement que Moïse, coupant tout
à coup son récit historique, y
introduise un épisode pris hors du domaine
des faits. Au contraire tous les
éléments de ce récit sont pris
dans la nature même. Est-il question d'un
serpent, il est pris « d'entre les
animaux des champs que l'Éternel Dieu avait
faits ». Est-il question de l'arbre de la
science, de l'arbre de vie, ils sont parmi les
arbres du jardin. Le serpent est-il maudit, il est
réduit par-là à la condition
où nous le voyons encore. Il en est de
même de la peine du péché
prononcée sur Adam, sur Eve ; il en est
de même enfin de tous les incidents du
récit.
3° II est vrai que ceux qui admettent
l'interprétation figurée veulent voir
aussi dans la chute un fait historique. Tholuck,
par exemple, dit que Moïse raconte sans aucun
doute ce fait comme histoire (als Geschichte),
et il rejette l'opinion de ceux qui n'y voient
qu'un mythe. Mais n'est-ce pas là une
contradiction manifeste ?
Dans ce système la chute n'est qu'une
idée et non un fait ; car à quoi
se rattacherait ce fait ? Si l'arbre de la
connaissance du bien et du mal n'est qu'une image,
à quoi Dieu aurait-il attaché un
commandement qui mît l'homme sous la
dépendance et la
responsabilité ?
Et s'il n'y a point de commandement, où est
le péché ? Où donc serait
la violation d'un ordre qui est si
sévèrement punie ? Comment Adam
aurait-il connu son péché ?
Comment en eût-il été rempli de
crainte et de honte ? - Si le serpent et
l'insinuation du séducteur qui eut lieu par
son moyen ne sont que des figures, où est la
tentation ? Quel en était
l'objet ?
Une tentation sans objet vers lequel elle nous
pousse est un non-sens. Que signifie donc
l'idée que l'homme « sortit
de sa destination, devint autonome, ne voulut plus
reconnaître la loi
divine ? »
II y a plus ; si la tentation ne vint
pas du dehors et n'eut pas un objet
déterminé, l'homme tomba par
lui-même, et ainsi il aurait eu en lui,
non-seulement impossibilité de
pécher, mais aussi la disposition, le
désir, conséquence que
rejettent bien loin d'eux les auteurs de l'opinion
que nous combattons
(4).
4° On veut idéaliser l'histoire
de la chute pour éviter des
difficultés et prévenir des
objections ; mais on voit qu'on ne fait que
les multiplier. Rien ne le prouve mieux que
l'embarras, l'incertitude, l'arbitraire des
idéalistes, et la diversité sans
bornes de leurs opinions à ce sujet.
5° Enfin, nous avons pour l'explication
littérale les allusions faites dans le
Nouveau-Testament à l'histoire de la chute,
et dans laquelle rien n'indique que les auteurs
sacrés l'entendissent dans un sens
figuré. Ainsi
2 Cor. 11, 3.
1 Tim. 2. 13, 14. Rom. 5, 12.
J'aurais pu citer encore à l'appui de
l'opinion que j'établis, la tradition de
tant de peuples qui rattachent l'origine du mal
à un fait semblable à celui que
raconte Moïse, ce qui ne peut s'expliquer que
par l'influence de la Genèse sur la foi des
plus anciens peuples de l'Orient, et qui prouve, au
moins indirectement, la réalité du
fait. Mais nous reviendrons à cette
tradition en parlant de la tentation. En
voilà bien assez ce nous semble, pour
prouver qu'une interprétation arbitraire,
qui s'éloigne du sens simplement historique,
ne repose sur aucun fondement.
Cependant qu'on se garde bien en s'attachant
à la lettre d'oublier l'esprit. Si nous
refusons d'idéaliser les faits, nous
craindrons encore plus de matérialiser les
idées ; et au reste il faut se
résoudre à laisser planer plus d'un
nuage obscur sur un ordre de choses qui nous est
presque entièrement inconnu. C'est un
caractère qui convient à l'homme
déchu et qui ennoblit sa science, au lieu de
la rabaisser, que d'être assez humble pour
dire souvent : Je ne sais
pas.
V. 1. Or le
serpent était rusé plus que tous les
bêtes des champs que l'Éternel Dieu
avait faites. Et il dit à la femme :
Dieu. aurait-il dit : Vous ne mangerez pas du
fruit de tous les arbres du
Jardin ?
D'après les principes
d'interprétation que nous venons de poser,
nous n'hésitons pas à admettre ici un
serpent réel, et non pas seulement une forme
qu'aurait revêtue le tentateur. Le mot ici
employé étant
générique, on ne peut former que des
conjectures sur l'espèce de serpent dont il
est question. On a pensé au serpent volant
d'Esaïe
(14. 29) ; et comme dans ce
passage, ainsi que dans
Nombres 21. 6, 7. cet animal est
appelé saraph, au plur.
séraphim, du même nom que les
êtres célestes et ailés dont
parle
Ésaïe, 6. 2. 6.,
quelques auteurs en rapprochant ces mots ont conclu
que le tentateur s'approcha d'Eve sous la forme de
quelque ange qu'elle avait accoutumé de voir
en Éden et qu'elle ne s'étonna point
d'entendre parler. (Comp.
2. Cor. 11, 14. Satan
lui-même se déguise en ange de
lumière ).
Gesenius (Dict. hébr. s. ) qui voit dans les
séraphin d'Ésaïe des êtres
symboliques, pense qu'ils tirent leur nom de
quelque ressemblance avec cette espèce de
serpent. II fait observer que, dans la symbolique
des Hébreux et des Égyptiens le
serpent était considéré comme
l'image de la puissance de guérir (le
serpent d'Esculape) et de la sagesse (les Ophites
avaient un serpent pour symbole). Cet animal a
été adoré par plusieurs
idolâtres comme un être d'un ordre
supérieur. Tout ce que nous pouvons conclure
de ces rapprochements, c'est que le serpent qui
séduisit Eve était peut-être
plus propre à la décevoir et à
être l'instrument de la tentation que ne le
serait le serpent ordinaire de nos
contrées.
Cependant, dès que l'on ouvre notre chapitre
on est étonné de voir l'auteur de
cette histoire attribuer à un serpent la
tentation de nos premiers parents. Cet animal,
destitué d'intelligence, parle, pense,
raisonne....
Assurément, est-on forcé de se dire,
il y a ici une intelligence occulte qui agit ;
le serpent ne peut être qu'un instrument,
assertion qu'il serait toutefois difficile de
prouver si la suite des révélations
divines n'avait pas jeté sur ce point la
plus vive lumière.
Moïse, il est vrai, ne nomme que le
serpent ; il raconte l'histoire de la
tentation et de la chute telle qu'elle doit
paraître au premier homme, sans expliquer les
faits, sans remonter à leur cause ; ici
en particulier il ne fait aucune mention de Satan,
et pour de bonnes raisons (5).
Malgré cela les preuves en
faveur de l'opinion énoncée ci-dessus
me paraissent convaincantes. Je vais indiquer les
principales d'après Hengstenberg
(6), sans
répéter ici ce que j'ai dit dans la
méditation à ce sujet.
1. La première preuve qui, si l'on veut,
n'est qu'une induction favorable à
l'idée qu'un esprit méchant fut
l'instigateur de la tentation, c'est que, sans
cela, tout le récit devient inintelligible.
Il est impossible que la séduction d'un
animal sans raison ait fait tomber Eve dans le
péché ; il faut donc que le mal
ait une autre source, un autre auteur, ou bien il
n'y eut point de tentation.
On objecte que l'entretien d'Eve avec le serpent ne
doit pas se prendre à la lettre, nous
reviendrons bientôt à cette
objection.
2. La tradition des peuples anciens est toute en
faveur de notre thèse ; leurs
idées sur l'origine du mal sont
évidemment émanées des faits
du récit mosaïque et d'une vraie
interprétation de ces faits. Ainsi les
Perses, d'après leur Zendavesta (trad.
allem. de Kleuker, tom. III, p. 84, 85),
croient que les premiers hommes, Meschia. et
Meschianeh furent
créés de Dieu purs, bons,
destinés à la félicité,
sous la condition qu'ils
persévéreraient dans
l'humilité, l'obéissance à la
loi divine, la pureté dans leurs
pensées, leurs paroles, leurs actions ;
mais ils furent trompés par Ahriman, le
génie du mal, « cet être
cruel, qui ne cherche que la déception
dès le commencement », et qui les
fit déchoir de Dieu et les plongea dans le
malheur en leur faisant manger certains fruits. Ces
mêmes livres sacrés (Zendav., III, p.
62) représentent Ahriman venant du ciel sur
la terre sous la forme d'un serpent et donnent
à un autre esprit méchant le nom
d'une espèce de serpent.
3. Les Juifs eux-mêmes attribuaient à
Satan la séduction du premier homme.
« Dieu a créé l'homme pour
être incorruptible (), et l'a fait être une
image de sa propre ressemblance ; mais par
l'envie du diable la mort est entrée
dans le monde ». Sapience, II, 23,
24.
Dans des écrits judaïques
postérieurs Sammaïl, le prince des
esprits méchants, est nommé, serpent ancien, ou
seulement, serpent, parce qu'il
séduisit Eve sous la forme de cet
animal.
Enfin, au temps du Sauveur, cette doctrine
était chez les Juifs de croyance populaire
(7).
4. Mais ce. qui met hors de tout doute la
vérité que nous établissons,
ce sont les déclarations positives du
Nouveau-Testament. Je les ai citées dans la
méditation sur les premiers versets de ce
chapitre ; je ne reproduirai donc ici que
celles qu'il est nécessaire d'accompagner de
quelques observations, 2 Cor., 11, 3,
l'apôtre Paul dit que « le serpent
séduisit Eve par sa ruse ». Il est
vrai que, comme Moïse, il ne mentionne que le
serpent, mais qui peut croire que l'apôtre
attribuât à cet animal e tentation
tout entière ?
Sa pensée n'est-elle pas plutôt
expliquée par cette autre parole sortie de
sa plume : « Le Dieu de paix brisera
bientôt Satan sous vos pieds »,
Rom., 16, 20., où l'on
ne peut guère méconnaître une
allusion à
Gen., 3, 15.
Jésus-Christ, dans
Jean, 8, 44, dit que le
démon dont il rappelle la chute a
été meurtrier dès le
commencement. Il est vrai que quelques
commentateurs, Cyrille d'Alexandrie, et
dernièrement Nitzsch et Lücke , ont
voulu voir dans ce passage, en le rapprochant de
1 Jean, 3. 12, une allusion, non
à Gen., 3, mais au meurtre de
Caïn ; mais assurément c'est bien
là se créer des difficultés
pour le plaisir de les aplanir.
Quelle nécessité y a-il d'expliquer
notre passage à la lumière de
1 Jean, 3, 12 ? Quel
rapport y a-t-il entre le meurtre de Caïn et
cette déclaration de Jésus-Christ aux
Juifs : « Le père dont
vous êtes issus, c'est le diable... Il a
été meurtrier dès le
commencement.... il est menteur et le
père du mensonge ».
Le double rapport qu'ont ces paroles à la
tentation et à l'état des Juifs du
temps de Christ est évident.
« Vous les enfants du
diable ; qui est meurtrier dès le
commencement où il plongea dans la mort Adam
et sa postérité, car vous
tâchez de me faire mourir
(v. 40) ». -
« Vous êtes enfants de celui qui
est le père du mensonge, qui proféra
ce premier mensonge : Vous ne mourrez
nullement
(Gen., 3, 4). et qui fit entrer le
mensonge dans la vie morale de l'homme, car
voici : parce que je dis la
vérité vous ne me croyez point
(v. 45) ».
Que l'on compare encore
1 Jean. 3, 8, et l'on verra que dans
ces deux passages il n'est question que de la
tentation et de la chute de l'homme, tandis que
l Jean, 3, 12, n'est qu'une
pensée isolée, sans rapport avec
celle-ci, et destinée à
établir un contraste frappant entre la
charité que l'apôtre recommande et la
haine dont le meurtre de Caïn fut la
première et effroyable expression.
Ainsi, dès le commencement () doit se prendre dans sa
signification rigoureuse, dès Eden ;
telle est la seule interprétation soutenable
de ce passage, et celle qu'ont suivie
Origène, Chrysostôme,
Augustin, Calvin, Luther, Tholuck, Hengstenberg,
etc.
Un autre passage tout aussi évident que
celui que celui que nous venons de citer, c'est
Apoc., 12, 9.
20, 2
. Là Satan est désigné :
« le serpent ancien, qui
séduit le monde » ; or nous
avons vu, sous le N° 3 et dans la note, que
les Juifs appelaient ainsi le démon à
cause de la séduction au moyen du serpent.
Et comme saint Jean ajoute que ce serpent ancien
est appelé le diable et Satan, il ne
peut donc y avoir aucune espèce de doute que
l'auteur de l'Apocalypse ne fasse allusion à
la tentation en Eden.
Réfuter les objections que l'on à
faite à cette doctrine nous
entraînerait au-delà des bornes de cet
essai, et au reste, si elle est prouvée par
la parole de Dieu, les raisonnements humains ne
sauraient l'ébranler. Quelques-unes de ces
réjections se rencontreront encore sur notre
route et nous n'en mentionnerons ici qu'une seule
que l'on entend sans cesse répéter,
bien que, par sa nature, elle dût le moins
arrêter des hommes soumis à la parole
de Dieu ? Comment a-t-il permis au
démon une tentation dont il prévoyait
bien l'issue ?
L'exégèse pourrait très bien
ne peut répondre à cette
question ; car s'il est prouvé que Dieu
a fait ou permis une chose, de quel droit
l'orgueilleuse raison de l'homme viendrait-elle lui
en demander compte ? ce que Dieu fait a en
soi-même sa dernière raison : il
l'a fait parce qu'il l'a fait.
« Plaît à Dieu,
s'écrit Calvin avant de répondre
à cette question, plaît à Dieu
que les hommes se laissent juger par dieu au lieu
de le traduire lui-même en
jugement par une impie
témérité ! »
Cette question revient évidemment à
cette autre qui renferme encore plus de
difficultés :
Pourquoi Dieu, après avoir trouvé un
remède au mal moral, n'a-t-il pas rendu ce
remède universellement efficace ?
Pourquoi n'a-t-il pas anéanti en un instant
le péché par la
Rédemption ?
Pourquoi y a-t-il plus de six cents millions de
païens qui ne connaissent pas Christ ?
Dieu pourrait les convertir et les sanctifier tous
en un clin d'oeil comme il aurait pu
prévenir la tentation et la chute :
pourquoi ne le fait-il pas ?
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