L'HOMME
BANNI D'EDEN
DÉVELOPPEMENTS
EXÉGÉTIQUES.
DE l'IMAGE DE DIEU EN L'HOMME.
Puis Dieu
dit : Faisons l'homme à notre image et
selon notre ressemblance.
Gen. I, 26.
1. Ayant fait une méditation sur
ce verset, afin de considérer,
d'après l'Écriture, l'état
primitif de l'homme, avant d'exposer l'histoire de
sa chute, il peut n'être pas inutile
d'ajouter ici quelques éclaircissements et
quelques preuves.
Nous n'aurions point à nous occuper de la
première partie de ce verset et nous
commencerions
immédiatement par
l'explication des deux mots image et
ressemblance qui seuls entrent dans notre
sujet, si une fausse interprétation de ce
langage délibératif n'eût pas
conduit quelques commentateurs à des vues
absurdes sur l'image à laquelle l'homme fut
créé. Des écrivains juifs ont
cru que Dieu, en parlant ainsi au pluriel :
Faisons l'homme à notre image,
etc., s'adressait à la terre d'où il
allait tirer la matière qui devait servir
à la création de l'homme, en sorte
que celui-ci eût porté, dans sa
faiblesse, l'image de la terre d'où il avait
été tiré, et, dans sa force et
sa beauté, l'image de son Créateur.
D'autres rabbin croient, comme on le voit dans
leurs Targumim
(1)
(paragraphes chaldaïques sur quelques
parties de l'Ancien-Testament), que Dieu s'adresse
aux anges dont il veut donner l'image à sa
nouvelle créature.
On conçoit à peine comment des hommes
qui avaient la Bible sous les yeux pouvaient
adopter ces opinions, puisqu'au verset suivant il
est dit à deux reprises que Dieu créa
l'homme à son image, il le
créa à l'image de Dieu.
En évitant ces absurdités on a eu
recours, pour expliquer ce pluriel, à deux
interprétations
différentes :
1° un grand nombre
d'interprètes n'y voient que ce que l'on a
nommé un pluriel de majesté,
à la manière des rois. Mais cet
usage de parler au pluriel était inconnu au
temps de Moïse et fort longtemps encore
après lui, en sorte qu'il ne peut point
l'avoir rencontré dans les antiques
documents dont il se servait pour écrire
l'histoire de la création. Ensuite, on ne
pourrait pas au moyen de cette
interprétation, expliquer le
v. 22 du ch. III où Dieu
dit : L'homme est devenu comme l'un de
nous. -
2° Cette dernière expression, a conduit
la plupart des Pères de l'Église, les
interprètes anciens et presque tous les
commentateurs anglais à admettre dans le
pluriel de notre verset une indication de la
pluralité des personnes en Dieu
(2). Que cette
idée soit exprimée par le pluriel de
ce verset ou non, il est certain
qu'elle est biblique et que saint Jean l'a
proclamée à la tête de son
évangile. Déjà les Juifs
parlent (3) d'un
Adam Kadmon ou Ancien Adam qui, selon
eux, a pris part à la création et
dont il est
parlé Prov. 8, 22 et suiv. Ils appellent
cet ancien Adam la cause des causes,
à qui Dieu dit au commencement :
Faisons l'homme, etc.
Or, les exégètes modernes ont
établi clairement que cette sagesse
éternelle, déclarée
princesse dès les siècles, dès
le commencement, dès l'ancienneté de
la terre, etc.
(Prov. VIII), est une
personnification identique avec le Logos (la
parole) de saint Jean (I. 1.)
(4).
Cette Parole, l'Ange de la face, chez les
patriarches, la sagesse, dans les Proverbes,
la scheschina (habitation au milieu des
hommes) des Juifs, le logos de saint Jean, cette
Parole, personnifiée dans le Messie, a
été le moyen de toutes les
révélations que Dieu a faites aux
hommes.
Nous posons ce fait (pour la démonstration
duquel nous renvoyons aux auteurs cités
ci-dessus) dès l'entrée de cette
explication du troisième chapitre de la
Genèse ; il y jettera une grande
lumière et aplanira toutes les
difficultés que l'on a trouvées dans
les communications de l'Éternel Dieu avec sa
créature en Eden. Calvin voit dans notre
verset à la fois la doctrine de la
Trinité et une délibération
solennelle de Dieu avec son éternelle
sagesse (3), dont le but est de nous faire voir la
dignité et la grandeur de l'être qu'il
allait créer. Si, par répugnance
à admettre l'idée de la
Trinité dans ces documents
mosaïques, on veut borner à cette
dernière pensée (la
dignité de l'homme) tout le sens de cette
délibération, il n'en est pas moins
vrai qu'alors il ne reste aucune explication
satisfaisante du pluriel, et encore moins dans le
v. 22 : l'un de nous.
2. Quoi qu'il en soit, il reste
évident que c'est à l'image et
selon la ressemblance du Dieu
éternel que l'homme a été
créé. Quel est le sens et
l'étendue de cette déclaration ?
Déterminons d'abord brièvement le
sens des mots.
Il n'y a rien à tirer pour notre sujet des
subtiles distinctions que les Juifs ont voulu
établir entre les verbes faire,
v. 26, et créer,
v. 27, prétendant que l'un se
rapportait à l'âme, l'autre au corps,
etc. Nous passons donc aux mots image et
ressemblance qui seuls doivent occuper notre
attention. (image) signifie originairement
ombre ; puis objet
représenté d'après l'ombre
comme une silhouette, et enfin, dans l'usage
ordinaire du mot, toute image copiée d'un
type, soit au moyen de couleurs, ou de bois, ou de
pierre, ou de métal.
I Sam. 6, 5,
11. Ce mot est très souvent
employé dans l'Écriture pour les
images des faux dieux,
2 Rois, 11, 18.
Ezech. 7, 20,
16, 17,
23, 14, etc.
(ressemblance] signifie aussi
une image, une figure prise d'un type,
Es. 40, 18, une figure en fonte,
2 Chron. 4, 3, ce mot se trouve
souvent dans Ézéchiel pour
désigner les figures
indéterminées de ses visions
mystérieuses.
Dans notre verset les deux mots image,
ressemblance sont probablement synonymes.
Depuis Augustin, qui voulait fonder sur ces mots
une trinité dans l'âme humaine
(5), les
catholiques, et entre autres Bellarmin, ont
établi entre ces deux mots une distinction
que l'image représentait les
facultés dont Adam était doué
par la nature même de son être, et la
ressemblance, les dons
gratuits que Dieu lui
avait accordés
(6). En langage
scolastique, l'image de Dieu représentait
l'essence de l'âme, et la ressemblance
les accidents. Le récit mosaïque
ne fournit aucun fondement quelconque à
cette distinction. Au contraire, l'auteur
sacré, en
répétant, v. 27, la même pensée,
omet le mot ressemblance et ne nomme que
l'image, tandis qu'au
ch. 5, v. 1, il nomme la
ressemblance et omet l'image, ce qui prouve qu'il
emploie indistinctement un mot pour l'autre ou tous
deux ensemble.
On a voulu établir une distinction tout
aussi subtile entre les deux propositions et (à et selon) ;
mais c'est encore sans preuve ; en
comparant,
Exode 25, 40, et
Es.
44, 13, on se persuadera que ces deux
propositions peuvent du moins être
parfaitement synonymes. Il n'y a donc aucune
difficulté dans les termes.
3. Mais comme l'idée de l'image de
Dieu en l'homme est vague et peu
déterminée par Moïse, il en est
résulté que les interprètes
ont eu de tout temps les opinions les plus diverses
sur ce sujet. Ce qui en a augmenté la
difficulté, c'est que la Bible, qui est le
seul guide certain pour arriver à la
vérité, donne évidemment
à l'expression d'image de Dieu plusieurs
significations différentes.
Cependant ce sujet, comme la plupart des sujets
religieux qui présentent des
difficultés, eût été de
beaucoup simplifié si chaque
interprète ne s'était pas
imaginé, ainsi que cela arrive trop souvent,
avoir dans son opinion spéciale toute
la vérité.
1° Les uns, se fondant sur les paroles qui
suivent immédiatement celles que nous
considérons, ont vu toute l'image de Dieu en
l'homme dans la domination que le Créateur
lui donne sur les animaux, et en
général sur le monde ; ils
voient dans l'homme le représentant et comme
le vice-roi de Dieu sur la terre. Ainsi pensent les
Sociniens,
plusieurs Arminien » et
même déjà Chrysostôme.
L'idée est vraie, mais elle ne saurait
être absolument vraie, comme on le
verra bientôt.
2° D'autres n'ont vu dans l'image de Dieu que
la supériorité et l'excellence du
corps de l'homme et l'admirable mécanisme de
sa conformation. Nous ne nions pas cette
opinion ; mais y voir toute la
vérité est un anthropomorphisme trop
grossier. Dieu est esprit ; son image
serait-elle donc tout entière dans le
corps de l'homme ?
3° D'autres encore ont cru pouvoir expliquer
l'image de Dieu par les facultés de son
intelligence, qui lui donnent une si haute
supériorité sur les animaux, par sa
raison, par sa liberté de choisir entre le
bien et le mal. Ainsi Tertullien (Adv. Marc. II. 5,
6), ainsi déjà Philon d'Alexandrie
qui mêlait à ses notions bibliques les
idées de la philosophie de Platon. Ici
encore nous admettons qu'il y a quelque
vérité et même beaucoup de
vérité dans cette opinion ; mais
ce n'est certainement pas toute la
vérité.
Dieu est Esprit sans doute et son image doit
être spirituelle. Mais Dieu n'est-il pas
aussi et essentiellement un être moral ?
Ne sont-ce pas ses perfections morales qui,
maintenant encore, parlent le plus à notre
coeur et que sans doute il s'était plu
à voir se réfléchir dans
l'âme de sa créature de
prédilection ? Telle est la
considération qui a porté
4° une grande majorité des Pères
de l'église et des théologiens de
tous les temps à admettre que l'image de
Dieu en l'homme devait être surtout dans ses
facultés morales qui étaient un
reflet des perfections de son Créateur.
Telle est aussi notre opinion.
Nous allons montrer qu'elle est fondée
sur la parole de Dieu aussi bien que sur la raison
et sur une saine connaissance des oeuvres de Dieu,
dont on ne peut rien attendre que de parfait. Mais
nous voulons éviter la faute que nous avons
reprochée à la plupart des
systèmes, celle de voir toute la
vérité sur ce sujet dans une opinion
spéciale. Nous admettons au contraire
toutes les opinions que nous venons
d'énumérer, mais en les subordonnant,
ou si l'on veut, en les coordonnant toutes à la dernière.
Cette vue large du sujet est le seul moyen
d'éviter un grand nombre de
difficultés, et entre autres celles qui se
trouvent dans l'interminable question :
L'homme a-t-il encore, ou n'a-t-il plus en lui
l'image de Dieu ?
4. Que l'homme ait été
créé avec des facultés morales
qu'il a perdues en grande partie, c'est ce que
prouve d'abord le simple fait que partout
l'Écriture suppose que l'homme n'est pas ce
qu'il devrait être, que partout elle
l'exhorte à redevenir ce qu'il a
été, afin de trouver le bonheur en
Dieu.
La Bible emploie à ce sujet les images les
plus frappantes, les termes les plus forts et les
plus précis. « Nous devons
ressusciter d'un état de mort et passer de
la « mort à la vie, naître
de nouveau, être changés, être
convertis, devenir de nouvelles créatures,
être délivrés de
« l'esclavage et de la corruption du
péché, dépouiller le vieil
homme, revêtir l'homme nouveau, être
renouvelés dans l'esprit et l'entendement,
etc., etc. »
De plus la Bible proclame d'un bout à
l'autre un grand fait qui domine toutes ces
exhortations, qui en rend le sens
compréhensible et l'accomplissement
possible, et qui, à lui seul, prouve notre
thèse ; je veux parler de la grande
oeuvre de la rédemption. Cette oeuvre serait
incompréhensible et inutile si l'homme
était dans l'état où Dieu l'a
créé ; car comment supposer que
Dieu crée un être qu'il devra ensuite
créer de nouveau ?
Or, de ce que l'homme doit redevenir,
nous pouvons conclure ce qu'il a
été. Et ce parallèle qui,
bien considéré, jette un grand jour
sur l'état primitif de l'homme, n'est pas un
jeu de notre imagination, mais le résultat
des enseignements clairs et précis de
l'Écriture.
Paul, dans deux passages parallèles
(Ephés. 4, 23, 24.
Col. 3, 10), démontre la
nécessité où nous sommes,
1° d'être
dépouillés du vieil homme,
c'est-à-dire des dispositions
viciées que nous avons par nature, de
l'homme charnel, du corps de
péché ;
2° d'être revêtus du nouvel
homme. Paul oppose ici l'homme nouveau
(, deux
expressions que plusieurs prétendent
n'être pas synonymes
(7), ce qui
importe peu à notre sujet) à l'homme
ancien
(8).
Ce nouvel homme devient tel par une
création nouvelle ; il est
créé selon Dieu,
Ephés. 4. 24. Le mot, selon Dieu, est synonyme
de, selon l'image de celui qui l'a
créé.
Col. 3, 10. Voilà le but
où parvient l'homme nouveau, le recouvrement
de l'image de Dieu ; nous avons ici
l'expression même de la
Genèse 1, 27. Il le
créa à l'image de Dieu. (version des LXX, dont se servait
l'apôtre).
Que la création dont il est ici parlé
soit la création primitive de la
Genèse ou celle qui renouvelle l'homme
à l'image de Dieu par le Saint-Esprit (sur
quoi les opinions diffèrent ), la force de
ce passage reste la même pour notre sujet. Je
suis même disposé à croire
qu'il s'agit de la dernière ; mais il
n'en est pas moins impossible de ne pas voir ici
une allusion évidente à la
Genèse, 1, 26 et 27. - Quant
à la nature et à l'étendue de
cette création nouvelle qui rend à
l'homme l'image de Dieu, on se tromperait
grossièrement si l'on n'y voyait qu'une
oeuvre extérieure qui se borne à
réformer ou changer en l'homme ce qu'il y a
de vicieux dans sa conduite. Qu'on observe bien, au
contraire (car ceci nous amène au but
même que nous poursuivons, qui est de
déterminer ce qu'était l'image de
Dieu), qu'on observe bien que Paul nous apprend
ici :
1° en quoi consiste cette
création ;
2° quel est l'état de l'âme ainsi
créée de nouveau.
D'après
Ephes. 4, 23, le renouvellement de
l'homme a lieu dans l'essence môme de son
être. Dans l'esprit de votre entendement
est une phrase faible et à peine
compréhensible. La version
d'Ostervald : Dans votre
esprit et dans votre entendement, est plus
claire, mais ne rend pas l'original. Sacy
paraphrase sans atteindre entièrement le
but : Dans l'intérieur de votre
âme. Le mot * entendement,
comprend tout nôtre intellectuel,
spirituel et moral ; voici comment Sehleusner
le définit : Anlmus cum omni sensu,
cogitatione et affectu, et omnibus suis
facultatibus. (L'âme avec son sens, la
pensée, le sentiment et toutes ses
facultés.)
La note de la bible de Meyer sur ce passage en rend
assez bien le sens : Renouvelés dans
la plus intime profondeur de l'âme, ou
intimement et spirituellement.
Le changement doit avoir lieu dans tout
l'homme et dans l'esprit dont il est
animé. On sait que dans la psychologie
de la Bible, l'esprit () est opposé à
l'âme (), comme désignant la
partie la plus noble, la plus spirituelle de notre
être, celle qui est supérieure au
principe de la vie, à l'anima des Latins.
C'est dans cette partie de notre être qu'a
lieu le renouvellement. Paul continue :
Dans ou pour la connaissance (),
Col. 3, 10. Cette connaissance n'est
pas seulement le moyen d'arriver à la
possession de l'image de Dieu, elle est le but
(comme l'indique la préposition ), elle est l'initiation de
l'âme à la vie de Dieu et à la
contemplation de ses perfections.
Arrivé à ce point l'homme porte
de nouveau l'image de celui qui l'a
créé, et le trait fondamental et
caractéristique de cette image est la
justice et la sainteté véritables.
Ephés. 4, 24 (). La justice () est la conformité de l'homme
et de toute sa vie avec la volonté de
Dieu ; la sainteté () est la perfection morale, par la
communion avec Dieu.
Telle est, d'après l'Écriture, et
dans le sens moral de ce mot, l'image de Dieu.
Tel est le but qu'elle place sans cesse devant nous
et que nous devons atteindre. Et même Dieu ne
s'est pas contenté de nous décrire ce
but dans sa Parole ; mais il a voulu nous
montrer de nouveau cette image dans toute sa
beauté ; Christ, la Parole faite chair,
est l'image du Dieu, invisible.
Col. 1, 15.
2 Cor. 4, 4.
Or, nous devons lui devenir
semblables par notre union avec lui ; c'est
dans cette ressemblance que saint Jean place la
perfection des fils de Dieu, qui ne sera
atteinte entièrement que dans un monde
meilleur où nous le verrons tel qu'il
est.
I Jean, 3, 2.
5.° Que si maintenant l'on demande si
Adam avait reçu en lui l'image de Dieu telle
que nous venons de la décrire d'après
la Bible, et dans tous ses développements,
nous serons forcés d'avouer que nous sommes
loin de le prétendre. Plusieurs traits de
l'Histoire de la chute prouvent au contraire
qu'Adam était encore, quant au
développement des belles et nobles
facultés intellectuelles et morales que Dieu
lui avait conférées, dans un
état d'enfance. Ainsi il n'avait point la
conscience du bien en lui ou hors de lui ; il
ne connaissait pas le mal, et par conséquent
accomplissait la volonté de Dieu par une
sorte de pente de sa nature ou d'instinct moral. -
Mais il avait dans son intelligence, dans sa
volonté et dans ses affections toutes les
facultés qui, développées par
l'exercice de l'obéissance libre et par la
communion avec Dieu, devaient arriver à la
perfection de son image. Créé
parfaitement droit, ( Eccl. 7, 29. ) tout son être
tendait vers son point de perfection, Dieu.
Tout en lui était dans l'ordre ; les
facultés inférieures du corps,
devenus plus tard si impures sous le nom de
passions, étaient soumises aux
facultés plus nobles de l'âme
(intelligence, volonté, affections) et
celles-ci l'étaient à leur tour
à la puissance directement
émanée de Dieu que la Bible appelle
esprit () que l'homme devait recevoir de plus
en plus par la communion avec Dieu.
6.° Par la chute, l'homme étant
devenu autonome (sa loi à
lui-même, son centre) perdit cette
droiture, et prit une direction
opposée à celle de Dieu. Il
reçut du dehors ses impressions et la loi
à laquelle il obéit.
Détaché de sa source, l'harmonie de
son être fut brisée, les
facultés du corps prirent l'empire sur
celles de l'âme et celles-ci sur
l'esprit. Voilà pourquoi,
dans l'Écriture, la chair et le sang
(9),
ce qu'il y a en l'homme de plus grossier est
considéré comme l'ennemi constant de
la vie selon Dieu
(Gal. 5, 17,19). Aussi la chair et
le sang ne pouvant hériter le royaume de
Dieu.
(1 Cor. XV. 50) et puisque ce qui
est né de la chair est chair (
Jean. 3, 6), il faut, pour voir le
royaume de Dieu que l'homme naisse d'en-haut
(, Jean 3, 3),
c'est-à-dire qu'il reprenne sa direction
primitive et reçoive de Dieu la vie
dont il s'était détaché
et la loi dont il avait secoué le
joug. Voilà dans quel sens nous disons que
l'homme a perdu l'image de Dieu et qu'il doit la
recouvrer, comme nous l'avons vu (n° 4).
7.° Mais ici se présente la
difficulté des passages de l'Écriture
qui parlent de l'image de Dieu en l'homme dans un
sens différent, et qui semblent admettre que
l'homme possède encore cette image.
Appuyés sur ces passages, les hommes qui ont
des vues partielles sur ce sujet ont
prétendu que l'homme n'a rien perdu par la
chute, qu'il est encore tel que Dieu l'a
créé. Ceux qui voient exclusivement
l'image de Dieu dans la domination sur les animaux,
disent : II a encore cette domination. Ceux
qui la voient dans son corps ou dans son
intelligence, ou en général
dansla dignité de
l'homme, disent : II a encore cette
dignité, et la Bible nous montre là
l'image de Dieu encore existante.
N'est-il pas dit, comme motif d'une loi contre le
meurtre promulguée après le
déluge, que Dieu a fait l'homme à
son image ?
Gen. 9. 6.
N'est-il pas dit, pour relever la dignité de
l'homme au-dessus de la femme, qu'il est l'image
de Dieu ?
I Cor. 11. 7.
N'est-il pas dit enfin, pour montrer tout le mal
qui se commet par la langue que par elle nous
bénissions notre Dieu. et Père et par
elle nous maudissons les hommes faits à la
ressemblance de Dieu.
Jacques 3, 9.
Comment donc peut-on prétendre que l'homme
n'a plus l'image de Dieu ?
Pour nous la difficulté est nulle. Comme
nous admettons tous les sens ou toute
l'étendue de l'image de Dieu (n° 3 ),
nous pouvons admettre aussi, avec l'Écriture
et sans contradiction, que l'homme a perdu l'image
de Dieu sous le rapport moral, dans son
âme et dans son esprit, et en même
temps que, dans les autres sens, il possède
encore cette image, par exemple dans la domination,
dans son corps, dans son intelligence (qui pourtant
est obscurcie de ténèbres
quant aux choses de Dieu ) ; en un mot
dans sa dignité et sa
supériorité au-dessus des autres
êtres de la création
(10). Et si,
même dans ces sens secondaires nous croyons
que l'image divine a été
considérablement altérée
par la chute, nous avouons aussi que, sous le
rapport moral, il reste en l'homme de
précieuses traces de cette noble image,
comme la voix de la conscience, le sentiment confus
de la responsabilité et de la
dépendance, les notions du juste et de
l'injuste, etc.
Ces ruines de l'ancien et majestueux édifice
peuvent encore, tirées de dessous les
décombres, servir à élever
l'édifice nouveau, pourvu qu'elles soient
placées sur Christ, la pierre angulaire
(11).
8.° Bien que cet article sur un sujet
aussi important que difficile se soit
déjà étendu au-delà des
bornes que je m'étais prescrites, je ne le
terminerai pas sans mettre en discussion quelques
idées sur certaines facultés de
l'homme primitif, que je nommerai
hypothétiques parce qu'elles ne sont pas
toutes positivement fondées sur la Bible qui
est la seule source sûre de nos
connaissances. Ces matières, dont
quelques-unes sont fort intéressantes, m'ont
été communiquées en grande
partie par un jeune philosophe chrétien, M-
F. de Rougemont, dont les opinions ont pour moi un
poids d'autant plus grand que ses études ont
été profondes sur tout ce qui
concerne l'homme et la nature. La première
de ces notions regarde l'état
général du premier homme quant
à l'âme et au corps ; je me borne
à la citer sans prétendre la
justifier ou la combattre.
« Et d'abord quel était
l'état de l'homme primitif sous le point de
vue général ?
Supérieur, inférieur ou égal
à celui du chrétien
régénéré, du
chrétien de la vie à venir, une fois
dégagé de son corps de mort et ayant
acquis son corps spirituel ?
Inférieur, je pense. Adam a
été formé en âme
vivante,
Gen. 2, 7 ; le
second Adam en esprit vivifiant,
1 Cor., 15, 45, et nous sommes
frères de Christ. Adam était donc
surtout (âme voyez n° 4 la
distinction biblique entre
âme et esprit
) ; appelé à se
développer et à croître, il
devait acquérir et recevoir le (esprit). Son corps n'était
« pas (charnel) comme depuis la chute, ni
( spirituel ) comme dans la vie
future, mais (tenant de l'âme, du principe de
vie) qui nous est inconnu (12).
Il était immortel,
Gen., 1, 26 ;
2, 17 ;
Rom., 5, 12,
17 ; il y eut eu seulement pour
lui le passage de son « corps
psychique a son corps spirituel, passage
qu'on peut « envisager comme un faible
(analogie) de la mort
(12). »
9.° Une autre opinion que je ne
passerai pas sous silence, opinion
déjà connue des anciens Pères
de l'Église, remise en circulation par le
vénérable Meyer de Francfort, et
reçue par plusieurs chrétiens de
l'école mystique, c'est que l'homme a
été originairement créé
androgyne, c'est-à-dire
homme-femme, d'une nature simple et pourtant
multiple, et ayant la faculté de se
reproduire conformément à son corps
psychique. « Ainsi les deux
puissances fondamentales de « l'âme
humaine, l'une active, l'autre passive, qui sont
représentées maintenant par deux
êtres différents, étaient
réunies dans le même être, ce
qui n'a rien que de très plausible. Cet
être était un et multiple comme la
Trinité dont il était
l'image. »
On fonde cette opinion sur ce que dans
Gen., 1, 26, 27, il n'est pas fait
mention de la création de la femme; sur ce
qu'au v. 31 du même chapitre Dieu
dit, après avoir
créé l'homme, que tout était
très bon, puis au
chap. 2, 18, l'Éternel
dit : Il n'est pas bon que l'homme soit
seul, ce qui semble impliquer contradiction.
S'appuyant enfin sur ces paroles rapportées
immédiatement après qu'Adam eut
donné des noms à tous les
animaux : mais il ne se trouva pas d'aide
pour Adam qui fût semblable à lui,
on a conclu que le premier homme avait
désiré, convoité une
aide semblable à lui, ce qui amena un
changement dans le premier dessein de la
création. Dieu forma la femme dont la
création n'est rapportée qu'au
chap. 2, v. 21-24.
Voici maintenant en peu de mots les raisons qui
nous paraissent combattre cette opinion :
1° II n'est pas exact de dire que, dans
Gen., 1, 26 et 27, il n'est pas fait
mention de la création de la femme, car au
v. 27 haadam (l'homme), n'est pas un nom propre, mais un nom
commun et collectif, ainsi que le prouve
abondamment l'article (). Or dans des
milliers de passages de l'Ancien-Testament le
même mot l'homme désigne
l'humanité, la race humaine, y compris les
deux sexes ;
2° dans le même verset il y a
« Il les créa mâle et
femelle », pluriel qui ne peut pas se
rapporter à un seul être, même
s'il était multiple. La même
expression revient au reste
ch. 5, 1, 2, où il ne peut
être question que de l'homme et de la
femme ;
3° que la création de la femme soit
racontée plus tard, cela ne prouve point
qu'elle ne fut pas comprise dans le premier
récit, car il y a aussi pour l'homme deux
récits : l'un
ch. 1, 26, 27, et l'autre
ch. 2, 6.
Moïse donne simplement plus de détails
sur un fait qu'il avait raconté en peu de
mots, ce qui peut provenir des documents divers
où il puisait les faits de son histoire ou
de la nécessité de raconter comment
« la femme fut tirée de
l'homme »,
1 Cor., 11, 8 ;
4° dans les autres passages de
l'Écriture où il est question de la
création de l'homme il n'en est aucun qui
soit favorable à l'opinion que nous
combattons, ni même qui la mentionne ;
Meyer lui-même n'en cite point ; au
contraire il est des déclarations
d'où l'on peut clairement conclure que le
dessein de Dieu était dès le
commencement que deux êtres
fussent unis par le mariage institué en
Eden. Telle est la parole de Jésus-Christ,
Matth. 19, 4-6 :
« Celui qui les a faits fit
dès le commencement un homme et une
femme, etc. ».
5° Enfin l'être d'imagination que
suppose cette opinion n'aurait aucune analogie dans
la nature, pas même dans le règne des
plantes dont la reproduction a lieu, comme on sait,
par le moyen de deux puissances
génératrices. Cette
considération doit avoir quelque poids pour
quiconque a remarqué la constante harmonie
des oeuvres de Dieu.
10.° Enfin si j'ai dû combattre
cette opinion avec toute déférence
pour ceux qui la maintiennent, il est une
troisième et dernière de ces vues
hypothétiques sur l'état primitif de
l'homme que je ne ferai que citer dans les termes
mêmes de M. de Rougemont, heureux de partager
ici entièrement son opinion :
« A mon avis l'homme possédait une
autre faculté qui existe inactive dans nous
tous, qui ne se manifeste que chez quelques
personnes, et seulement dans des maladies et dans
des états anormaux, sous la forme et
le nom de magnétisme animal. Avec nos sens
et notre corps charnels, nous ne percevons des
sensations et nous n'agissons sur la nature que par
l'intermédiaire des sens et du corps. Adam
sentait et agissait par son âme même et
d'une manière beaucoup plus
indépendante de son corps que nous ;
les faits magnétiques, aujourd'hui si rares,
étaient sa manière ordinaire d'agir,
et c'est au moyen de cette faculté
magnétique qui est en nous que, dans les
miracles, l'Esprit de Dieu agit sur les hommes
déchus tout comme cet Esprit, dans la vie
morale, s'adresse à la volonté, la
purifie, la restaure et l'élève
à un plus haut degré de
puissance.
Dans l'état magnétique une personne
voit, entend, etc., sans l'intermédiaire des
sens, par sa faculté générale
de sentir par son âme même.
Elle croit, par exemple, ce qui
se passe bien loin d'elle ; elle voit ce que
les yeux ne voient jamais, les qualités
invisibles des choses, le caractère moral
d'un homme, l'essence d'une plante
(13), d'un
animal. Or
Gen., 2, 19, 20, « nous
montre Adam qui, en voyant les animaux passer
devant lui, les nomme, et comme dans
l'Écriture le nom est
l'équivalent de l'essence, il les
nomme selon leur être intime, leurs
qualités individuelles.
La faculté magnétique est bien
constatée ; l'Académie de
médecine de Paris, si longtemps
récalcitrante, vient enfin d'en
reconnaître la réalité. Cette
faculté, qui est, comme toute autre, bonne
ou mauvaise selon l'usage qu'on en fait, devait,
comme toutes nos facultés, se retrouver dans
l'homme primitif, car la chute et le
péché ne peuvent avoir doté
l'homme de forces nouvelles. Je ne vois pas ce
qu'il y a à opposer à ces
considérations ».
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